La lettre juridique n°257 du 26 avril 2007

La lettre juridique - Édition n°257

Éditorial

La responsabilité de l'Etat du fait des lois "inconventionnelles" : retour à L'esprit des lois

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N9057BAP

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L'esprit des lois - par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction">

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Il est coutume d'attribuer la paternité du principe de séparation des pouvoirs à Locke et Montesquieu ; ou du moins à la philosophie des Lumières. Si une distribution des pouvoirs est sans conteste prônée par Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, l'indépendance de ces pouvoirs, c'est-à-dire l'absence de contact entre les pouvoirs, sans contre-poids, relève plutôt de la conception institutionnelle de Sieyès et des juristes du XIXème siècle. Paraphrasant, ou presque, Aristote, Montesquieu déclarait qu'"il y a, dans chaque Etat, trois sortes de pouvoir : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du choix des gens et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil. [...] Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté ; [...] il n'y a point encore de liberté, si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice". Et l'auteur de L'esprit des lois ajoutait qu'"il faut faire du judiciaire une institution permanente, une puissance visible. Il faut qu'il ait une vraie marge de manoeuvre quant à l'application des lois, celles-ci étant complexes et devant s'articuler entre elles (us et coutumes, privilèges du roi, des nobles, des prêtres, des villes bourgeoises...). En particulier, il doit faire respecter les lois fondamentales du royaume de France, qui s'imposent même au roi". Montesquieu évoque, ainsi, une collaboration et une distribution des pouvoirs, et non une opposition des organes. Cette distribution n'est qu'organique ; l'objectif étant un contrôle mutuel des pouvoirs, afin d'empêcher le despotisme. Et on perçoit même, dans le respect des lois fondamentales, la nécessité d'un contrôle de constitutionnalité des lois.

La chose est réparée en 1958, mais le Conseil constitutionnel considère qu'il ne lui appartient pas d'examiner la conformité d'une loi... aux stipulations d'un traité ou d'un accord international. Or, la majorité de l'activité législative est d'inspiration internationale et, plus précisément, communautaire ; et la majorité des droits fondamentaux sont d'application directe, en France, via la suprématie du droit international érigée par l'article 55 de la Constitution. La question d'une responsabilité de l'Etat du fait de l'illégalité d'une loi vis-à-vis d'une norme internationale restait donc ouverte. Car, après avoir précisé, par exemple, dans sa décision du 10 juin 2004 que la transposition d'une norme internationale résultait d'une "exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution", le Conseil constitutionnel limitait son champ du contrôle, dans sa décision du 30 mars 2006, en précisant qu'"il [ne lui] appartient pas [...], lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'une loi avec les dispositions d'une Directive communautaire qu'elle n'a pas pour objet de transposer en droit interne". Aussi, si le Conseil constitutionnel pourrait censurer, dans l'avenir, une loi de transposition méconnaissant les objectifs de la Directive transposée, c'est le Conseil d'Etat qui crée "la surprise", en la matière, par un arrêt d'Assemblée rendu le 8 février 2007 (décision "Gardedieu").

En effet, le Conseil crée un nouveau régime de responsabilité de l'Etat du fait des lois s'appliquant aux cas de méconnaissance par le législateur des Conventions internationales (en l'espèce, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales). Refusant de statuer explicitement entre responsabilité pour faute ou sans faute, le Haut conseil dépasse, toutefois, le simple cadre restrictif de la traditionnelle responsabilité de l'Etat du fait des lois engagée sur le fondement d'une rupture d'égalité des citoyens devant les charges publiques. Ce faisant, le Conseil d'Etat refuse de s'affranchir du principe de séparation des pouvoirs et de juger à proprement fautif le fait pour le législateur de contrevenir à une norme internationale. Pour Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.), aucune norme n'habilite le juge à procéder à la qualification d'un comportement fautif de la part du législateur, dès lors que sont en cause les pouvoirs respectifs de l'autorité juridictionnelle et du pouvoir législatif ; c'est bien en vertu de l'ordre juridique interne, au sommet duquel se trouve la Constitution et, notamment, son article 55, que le Conseil d'Etat consent à écarter la loi contraire aux traités (décision "Nicolo") et à réparer le préjudice né de cette contrariété (décision "Gardedieu").

L'enjeu est de taille : selon le dernier rapport de la délégation européenne, la France enregistrait un déficit de transposition de 1,9 % en mai 2006. La France progresse légèrement dans le classement au sein des vingt-cinq pays de l'Union européenne et se situe, désormais, au dix-septième rang. Mais, on imagine, ainsi, l'étendue du contentieux de la responsabilité de l'Etat appliquée au droit communautaire car, désormais, toute méconnaissance par le législateur national de ce droit est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat et peu importe que la norme communautaire ait ou non pour objet de conférer des droits aux victimes. La distribution des pouvoirs est préservée, mais l'indépendance stricte est quelque peu mise à mal : c'est le retour aux origines de la "séparation" des pouvoirs...

newsid:279057

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Résiliation amiable du contrat de travail du salarié protégé

Réf. : Cass. soc., 27 mars 2007, n° 05-45.310, Crédit foncier de France c/ Mme Bedrignan, FS-P+B (N° Lexbase : A8007DU4)

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N6789BAP

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Le 07 Octobre 2010


Il est de jurisprudence constante que le contrat de travail d'un représentant du personnel ne saurait faire l'objet d'une rupture négociée en violation du statut protecteur d'ordre public édicté par la loi. Cela étant, et ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans un important arrêt rendu le 27 mars dernier, dès lors que l'inspecteur du travail a autorisé la rupture pour motif économique, le contrat de travail d'un salarié investi d'un mandat représentatif peut être résilié amiablement dans le cadre d'un accord collectif mis en oeuvre après consultation du comité d'entreprise. Dans ce cas, l'employeur n'est pas tenu de licencier le salarié après la rupture du contrat de travail d'un commun accord.


Résumé

Dès lors que l'inspecteur du travail a autorisé la rupture pour motif économique, le contrat de travail d'un salarié investi d'un mandat représentatif peut être résilié amiablement dans le cadre d'un accord collectif mis en oeuvre après consultation du comité d'entreprise.

Décision

Cass. soc., 27 mars 2007, n° 05-45.310, Crédit foncier de France c/ Mme Bedrignan, FS-P+B (N° Lexbase : A8007DU4)

Cassation partielle sans renvoi (CA Toulouse, 4ème chambre sociale, section 2, 23 septembre 2005)

Texte visé : C. trav., art. L. 122-14 (N° Lexbase : L9576GQQ)

Mots-clés : représentants du personnel ; licenciement pour motif économique ; autorisation de l'inspecteur du travail ; résiliation amiable du contrat de travail ; plan de sauvegarde de l'emploi.

Lien bases :

Faits

Engagée en 1970 par le Crédit foncier de France, Mme Bedrignan a été désignée en qualité de déléguée syndicale le 14 juin 2001. Après consultation du comité d'entreprise, un plan d'adaptation des emplois prévoyant diverses actions dont des dispositifs de "préretraite", a été mis en place par accord collectif le 25 octobre 2001. L'inspecteur du travail ayant autorisé son "licenciement" dans le cadre d'un départ volontaire en préretraite en exécution de ce plan le 23 janvier 2002, la salariée a signé un protocole par lequel elle adhérait à un tel dispositif. Contestant cet accord, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes en dommages-intérêts, puis a formé diverses demandes en paiement d'indemnités de rupture et pour non-respect du statut protecteur.

Aux termes d'un pourvoi incident, la salariée reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes en nullité de la convention de rupture du contrat de travail et, en conséquence, en paiement de sommes pour violation du statut protecteur, ainsi qu'à titre d'indemnités de rupture du contrat de travail et pour licenciement illicite.

Quant à l'employeur, il reproche aux juges d'appel d'avoir retenu, pour dire qu'il n'avait pas mis en oeuvre formellement le licenciement autorisé par l'administration, qui seul pouvait rompre le contrat de travail de Mme Bedrignan, que le contrat de travail ne pouvait prendre fin que dans les conditions imposées par l'article L. 412-18 du Code du travail (N° Lexbase : L0040HDT) et la rupture négociée à l'initiative de l'employeur, qui avait au demeurant saisi l'inspecteur du travail, était forcément exclue. Cela étant, l'inspecteur du travail, saisi dans le cadre d'un départ volontaire en préretraite en exécution d'un plan social, a accordé une autorisation qui ne pouvait être critiquée devant le juge judiciaire, si bien que la rupture du contrat de travail, par ailleurs justifiée par une cause réelle et sérieuse, était seulement irrégulière en la forme, l'employeur n'ayant pas mis en oeuvre la procédure de licenciement qui s'imposait.

Solution

Sur le moyen unique du pourvoi incident de la salariée qui est préalable

"Mais attendu que, dès lors que l'inspecteur du travail a autorisé la rupture pour motif économique, le contrat de travail d'un salarié investi d'un mandat représentatif peut être résilié amiablement dans le cadre d'un accord collectif mis en oeuvre après consultation du comité d'entreprise ; que la cour d'appel qui a constaté que le départ de Mme Bedrignan s'inscrivait dans le cadre défini par un accord collectif soumis au comité d'entreprise et qu'il avait été préalablement autorisé par l'inspecteur du travail, en a exactement déduit que la convention conclue à cette fin par l'employeur n'était pas atteinte de nullité".

Sur le moyen unique du pourvoi principal de l'employeur

"Qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur n'était pas tenu de licencier la salariée après la rupture du contrat de travail d'un commun accord, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Observations

1. Le nécessaire respect du statut protecteur légal

Reprenant la solution solennellement affirmée dans les fameux arrêts "Perrier" du 21 juin 1974 (Cass. mixte, 21 juin 1974, n° 71-91.225, Perrier, publié N° Lexbase : A6851AGT), la Cour de cassation vient régulièrement rappeler que la protection exorbitante du droit commun conférée à un salarié investi d'un mandat de représentant du personnel oblige l'employeur à soumettre à la procédure administrative d'autorisation toute rupture, à son initiative, du contrat de travail de ce salarié, quel qu'en soit le motif et quel que soit le statut de l'entreprise qui l'emploie. Par suite, l'employeur qui entend mettre un salarié à la retraite doit, alors même que les conditions requises par la loi pour cette mise à la retraite sont remplies, demander l'autorisation de l'inspecteur du travail (v., en dernier lieu, Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-48.351, FS-P+B N° Lexbase : A4478DQW). De même, l'employeur est tenu de respecter la procédure légale lorsqu'il entend rompre le contrat de travail du salarié protégé pendant la période d'essai (Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.751, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1388DLY ; Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.585, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1387DLX ; lire les obs. de Ch. Radé, La rupture du contrat de travail du salarié protégé pendant la période d'essai soumise à l'autorisation préalable de l'inspection du travail, Lexbase Hebdo n° 188 du 3 novembre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N0314AKT) ou, encore, en cas d'adhésion de ce dernier à un dispositif de préretraite (Cass. soc., 8 juin 1999, n° 97-41.498, Société IBM France c/ M. Ravel et autre, publié N° Lexbase : A4740AGN).

En résumé, lorsque l'employeur entend rompre unilatéralement le contrat de travail d'un salarié protégé, il lui faut nécessairement obtenir l'autorisation de l'inspecteur du travail. Il en résulte que ni l'employeur, à qui il est interdit de résilier le contrat de travail d'un représentant du personnel sans observer les formalités édictées en faveur de ce salarié, ni celui-ci, qui ne saurait renoncer à une protection qui lui est accordée pour l'exercice de sa mission, ne peuvent conclure un accord pour mettre fin au contrat en dehors des règles légales. En conséquence, le contrat de travail ne peut faire l'objet d'une rupture négociée (Cass. soc., 16 mars 1999, n° 96-44.551, M. Jubeau c/ Société Castel frères, publié N° Lexbase : A4645AG7 ; Cass. crim., 6 janvier 2004, n° 02-88.240, F-P+F N° Lexbase : A8840DAN).

Cela étant, et l'arrêt commenté en apporte la confirmation, rien n'interdit que le contrat de travail puisse faire l'objet d'une résiliation amiable dès lors que la rupture du contrat de travail a été préalablement autorisée par l'inspecteur du travail.

2. Statut protecteur légal et résiliation amiable du contrat de travail

Il est important de rappeler, afin d'éviter toute confusion, que la voie de la rupture amiable du contrat de travail demeure fermée aux salariés protégés, que cette rupture amiable prenne place dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi ou, a fortiori, qu'elle soit négociée individuellement hors de tout cadre économique. Bien plus, pour la Cour de cassation, constitue un délit d'entrave le simple fait de proposer à un représentant du personnel de mettre fin au contrat de travail par un accord de résiliation amiable (Cass. crim., 6 janvier 2004, préc.).

Cela étant, il est fréquent, dès lors que l'employeur envisage des licenciements pour motif économique, que certains salariés puissent opter, dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, pour un départ volontaire ou, comme en l'espèce, pour un départ volontaire en préretraite se traduisant par une rupture négociée du contrat de travail. Si le fait que le salarié concerné soit investi d'un mandat de représentant du personnel ne constitue pas un obstacle à un tel départ volontaire, il reste, néanmoins, nécessaire pour l'employeur de respecter le statut protecteur légal. C'est ce que souligne la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, en affirmant que "dès lors que l'inspecteur du travail a autorisé la rupture pour motif économique, le contrat de travail d'un salarié investi d'un mandat représentatif peut être résilié amiablement dans le cadre d'un accord collectif mis en oeuvre après consultation du comité d'entreprise".

Cette solution doit être approuvée dans la mesure où elle conduit à assurer le respect du statut protecteur légal édicté par la loi en faveur des salariés protégés, tout en leur permettant de bénéficier des dispositifs prévus par un plan de sauvegarde de l'emploi. Admettre le contraire reviendrait à soumettre nécessairement et exclusivement les salariés protégés à un licenciement "sec" et à leur interdire de bénéficier des dispositions, parfois plus avantageuses, du plan de sauvegarde de l'emploi.

Ainsi que semble l'affirmer la Cour de cassation, une telle faculté reste, cependant, subordonnée à l'existence préalable d'un accord collectif soumis au comité d'entreprise et prévoyant la possibilité de départs volontaires. Cela tend à signifier que la rupture amiable du contrat de travail ne saurait être autorisée par l'administration dans un autre cadre.

Au-delà, et c'est le second enseignement de l'arrêt en cause, l'employeur n'est pas tenu de licencier le salarié après la rupture du contrat de travail d'un commun accord. On sera évidemment tenté de dire que cette affirmation tombe sous le sens, partant de l'idée que "rupture sur rupture ne vaut". Mais, il appartenait ici à la Cour de cassation de réformer la décision des juges du fond qui avaient considéré que l'employeur n'avait pas mis en oeuvre formellement le licenciement autorisé par l'administration, qui seul pouvait rompre le contrat de travail de la salariée protégée, la rupture négociée à l'initiative de l'employeur étant forcément exclue. C'est précisément là la démonstration de la confusion qu'il convient d'éviter en la matière. S'il est bien interdit de procéder à la rupture négociée du contrat de travail d'un représentant du personnel en violation du statut protecteur, il est permis, dès lors que la rupture du contrat de travail pour motif économique a été autorisée par l'inspecteur du travail, de procéder ensuite à une rupture de cette sorte, dans le cadre d'un dispositif résultant d'un plan de sauvegarde de l'emploi soumis au comité d'entreprise. Cette solution peut être rapprochée d'un précédent arrêt de la Cour de cassation dans lequel celle-ci est venue admettre la rupture négociée du contrat de travail d'un salarié protégé pour motif économique (Cass. soc., 22 février 2006, n° 04-42.464, F-D N° Lexbase : A1836DNC).

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Rappelons qu'il est affirmé, dans ces arrêts, que "les dispositions législatives soumettant à l'assentiment préalable du comité d'entreprise ou à la décision conforme de l'inspecteur du travail le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, ont institué, au profit de tels salariés, et dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun, qui interdit par suite à l'employeur de poursuivre par d'autres moyens la résiliation du contrat de travail".
(2) En définitive, seuls la démission et le départ à la retraite du salarié échappent à la compétence de l'inspecteur du travail.
(3) Auquel on ajoutera le plan de sauvegarde de l'emploi établi unilatéralement par l'employeur.

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Famille et personnes

[Jurisprudence] La transmission à cause de mort du droit à la réparation du préjudice moral de la victime décédée

Réf. : Cass. civ. 1, 13 mars 2007, n° 05-19.020, Mme Viviane Saastamoinen, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'ayant droit de sa fille Cindy Picard, FS-P+B (N° Lexbase : A6869DUX)

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N8871BAS

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Le 07 Octobre 2010

Toute personne victime d'un dommage, quelle qu'en soit la nature, a droit d'en obtenir l'indemnisation de celui qui l'a causé, peu importe qu'elle soit décédée avant d'avoir pu agir. Tel est le principe que rappelle la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 13 mars 2007, au visa des articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 731 (N° Lexbase : L3338ABA) du Code civil. Il résulte, en effet, de ces deux textes que le droit à réparation du dommage résultant de la souffrance morale éprouvée par la victime avant son décès, en raison d'une perte de chance de survie, se transmet à son décès à ses héritiers. Ces derniers, outre le droit d'agir en réparation de leur propre préjudice (action ex persona sua), trouvent donc dans la succession de leur auteur, la créance de réparation du préjudice subi (action ex persona defuncti), quoique l'action n'ait pas été intentée par la victime elle-même. En l'espèce, une jeune fille présentant un mélanome invasif, diagnostiqué en mai 1998, décède, en 1999, à l'âge de 19 ans. Sa mère et son beau-père recherchent alors la responsabilité du médecin et du centre d'anatomie et de cytopathologie qui, en août 1997, avaient réalisé un examen anatomopathologique et diagnostiqué un naevus de Spitz. La cour d'appel retient à leur encontre l'existence d'une erreur de diagnostic fautive ayant fait perdre à la victime une chance de survie et les condamne in solidum à réparer le préjudice moral subi par le beau-père et la mère de la jeune fille. Elle déboute, cependant, cette dernière de ses demandes en qualité d'ayant droit de la victime au motif "qu'aucun droit à indemnité du chef de la perte d'une espérance de vie, qu'aurait personnellement subie la victime, n'était entré avant sa mort dans le patrimoine de celle-ci et n'avait pu, dès lors, être transmis à ses ayants droit".

Saisie d'un pourvoi, la Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel sur ce dernier point en retenant que la victime d'un dommage peut naturellement demander au premier chef réparation du préjudice qu'elle a subi, quelle que soit sa nature. Si elle ne l'a pas fait de son vivant, ses ayants cause peuvent agir à sa place en vertu du principe de la continuation de la personne du défunt dans ses droits et actions. En effet, aucune raison de principe ne s'oppose à ce que le droit d'agir soit transmis au décès de son titulaire dans la mesure où il suffit que la cause de l'action soit antérieure au décès. En considérant, en l'espèce, qu'aucun droit à indemnités n'était entré dans le patrimoine de la victime avant son décès, la cour d'appel a donc estimé, à tort, que le droit à réparation prenait naissance au jour du jugement définitif de condamnation  et non au jour de la réalisation du dommage.

Le rôle assigné aux héritiers par la Cour est de ce fait très important puisqu'il ne s'agit pas ici de faire respecter la volonté du de cujus en continuant ses actions déjà entreprises, mais bien de suppléer l'absence d'une volonté caractérisée d'agir. On en vient, par conséquent, à présumer qu'il est de l'intérêt du défunt d'utiliser son droit d'agir. Or, cette présomption est d'autant plus forte que le droit d'agir est par définition un droit potestatif de l'individu, qui de par son caractère personnel, ne peut logiquement être transmis. En conséquence, l'atteinte portée à la personnalité ou à l'état de la personne décédée doit être suffisamment grave pour que l'on présume légitimement que le défunt aurait, selon toute probabilité, agi, ce qui est le cas lorsque la victime perd, comme l'admet la Cour de cassation, une chance de survie.

S'agissant de la nature du dommage subi par la victime, la question s'est longtemps posée de savoir s'il était possible pour ses successeurs d'agir en leur qualité pour un dommage qu'ils n'ont pas eux-mêmes subi. Pour le préjudice moral ou, tout du moins, le dommage extrapatrimonial qu'a pu subir le défunt, quelle qu'en soit sa nature, la question est d'autant plus délicate que la douleur morale ou physique ne peut être que personnelle et propre à celui qui l'a subie. Il est alors difficile d'imaginer que ses héritiers réclament la réparation d'un préjudice qui n'est pas le leur, d'autant plus qu'ils obtiennent déjà une réparation pour leur préjudice personnel en tant que victimes par ricochet (1). De même, admettre la patrimonialisation des préjudices personnels a nécessairement pour conséquence d'autoriser les héritiers les plus lointains à agir en réparation des préjudices moraux de la victime (2).

Enfin, le préjudice moral étant par définition extrapatrimonial, il ne peut léser le patrimoine du défunt. Les héritiers, recueillant un patrimoine intact, n'ont donc aucun intérêt à demander une réparation. Par conséquent, il convient, afin d'éviter un gain immérité, de réserver à la réparation de la douleur personnelle une action personnelle (3).

A la différence des chambres civiles (4), ces considérations ont longtemps inspiré la Chambre criminelle de la Cour de cassation, pour laquelle il était simplement indécent de monnayer de cette façon le prix de la souffrance éprouvée par le défunt (5).

La question de la transmission à cause de mort du droit à réparation du préjudice moral ne pose désormais plus de difficultés depuis qu'un arrêt rendu par une Chambre mixte, le 30 avril 1976, a repris le principe selon lequel "le droit à réparation du dommage résultant de la souffrance physique éprouvée par la victime avant son décès, étant né dans son patrimoine, se transmet à ses héritiers" (6).

Cette même question, qui a divisé les chambres de la Cour de cassation et qui divisait encore récemment les différentes juridictions de l'ordre administratif (7), est également résolue de manière définitive depuis que le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 29 mars 2000, s'est aligné sur la jurisprudence civile : "considérant que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers" (8).

Le motif donné par la Cour de cassation dans l'arrêt du 13 mars 2007 ne varie donc pas des jurisprudences civile et administrative. Puisque la victime a subi avant son décès un préjudice, consistant en la "perte d'une chance de vie" (9), elle dispose par conséquent dans son patrimoine d'une action en réparation qui sera recueillie tout naturellement par ses héritiers, même lointains, au même titre que tous les autres éléments du patrimoine. Ainsi, les juges, en mettant fin à la confusion faite entre le préjudice à réparer, qui est extrapatrimonial, et l'action en réparation, révèlent bien que ce n'est pas le préjudice qui est transmis, mais le droit d'agir qui l'accompagne.

Peu importe donc que la victime n'ait pas elle-même intenté l'action, puisqu'il est précisé que le droit à réparation naît à la date à laquelle se produit le dommage. De même, peu importe que la victime n'ait pas agi, puisque ceci ne veut pas dire pour autant qu'elle y a renoncé. Le droit positif n'a en effet pas retenu une telle présomption, sauf à tirer de l'adage "qui ne dit mot consent" une éventuelle explication. Or, consentir à ne pas se plaindre ne peut être une solution convenable et juste aux intérêts du défunt. C'est pourquoi seule une renonciation expresse doit être requise. Et c'est précisément cette renonciation expresse qui ne peut par définition être obtenue dès lors que l'individu meurt sans avoir eu la possibilité ou le réflexe d'extérioriser une quelconque volonté d'agir.

Nathalie Baillon-Wirtz
Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne Ardenne


(1) Ph. Malaurie et L. Aynès, Cours de droit civil, Les obligations, t. VI., Cujas, 9ème éd., 1998, p.125, n° 221 : "Il est immoral de donner une indemnité en compensation d'une souffrance à quelqu'un qui ne l'a pas subie. [...] L'argent de l'agonie versé aux héritiers apaiserait-il donc la souffrance morale de l'agonisant ?".
(2) M. Chauvaux, concl. sous CE contentieux, 29 mars 2000, n° 195662, Assistance publique - Hôpitaux de Paris (N° Lexbase : A9680B8Z), RFDA 2000, p. 853.
(3) J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, 2. Le fait juridique, coll. U, A. Colin, 10ème éd., Paris, 2003, p. 373, n° 369.
(4) Cass. civ. 18 janvier 1943, D.C. 1943, p.45, note L. Mazeaud : "L'action en réparation du dommage résultant de la souffrance physique éprouvée par la victime avant son décès, né en la cause dans son patrimoine, s'est transmise à ses héritiers, leur auteur n'ayant accompli, avant de mourir, aucun acte impliquant renonciation de sa part".
(5) Cass. crim., 28 janvier 1960, D. 1960, p.574 ; CA Amiens, 8 mars 1968, G.P. 1968, II., p. 7.
(6) Cass. mixte, 30 avril 1976, 2 arrêts, n° 73-93.014, Consorts Goubeau c/ Alizan (N° Lexbase : A5436CKK) et n° 74-90.280, Epoux Wattelet c/ Le Petitcorps (N° Lexbase : A5437CKL), D. 1977, p.185, note M. Contamine-Raynaud.
(7) Auparavant, le Conseil d'Etat faisait naître le droit à réparation du dommage au moment du déclenchement de l'action en justice : CE, 11 décembre 1946, Sieur Pochon, Rec. p. 305 ; CE, 17 juillet 1950, Sieur Mouret, Rec. p. 447 ; CE, 29 janvier 1971, n° 74941, Association "Jeunesse et Reconstruction" (N° Lexbase : A9609B8E), Rec. p. 81. Contra : CAA Nantes, 22 février 1989, n° 89NT00011, Centre hospitalier régional d'Orléans c/ Fichon (N° Lexbase : A7747A8G), AJDA 1989, p. 276, note J. Arrighi de Casanova ; CAA Paris, 12 février 1998, n° 95PA02814, Mmes X et Y (N° Lexbase : A9453BHL), AJDA 1998, p. 234.
(8) CE, 29 mars 2000, précité, D. 2000, p. 563, note A. Bourrel. V. également : CE contentieux, 15 janvier 2001, n° 208958, AP-HP (N° Lexbase : A8879AQW), D. 2001, IR, p. 597.
(9) La Cour de cassation confirme en admettant l'existence de la perte d'une chance de vie, certaines solutions rendues en matière de responsabilité médicale. V. notamment : Cass. civ. 1, 10 janvier 1990, n° 87-17.091, M Sigillo c/ Mme Malle-Dupuis et autres (N° Lexbase : A9882AAA), D. 1991, somm. p.358, obs. J. Penneau, caractérisant la "perte d'une chance d'éviter la mort".

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Environnement

[Textes] Bulletin droit de l'environnement du Cabinet Savin Martinet Associés : actualités "Les nouveaux outils de gestion des sites et sols pollués"

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Le 07 Octobre 2010

Faisant suite à la réforme des textes législatifs et réglementaires relatifs aux sites et sols pollués en 2003 et 2005, le ministère de l'Ecologie et du Développement durable a réécrit l'ensemble des outils méthodologiques relatifs à leur gestion. Les outils pratiques de gestion sont redécoupés et redistribués dans de nouveaux ensembles. Ainsi, disparaît le dispositif prévoyant la mise en oeuvre successive d'un diagnostic initial, d'une évaluation simplifiée des risques (ESR), d'un diagnostic approfondi et d'une évaluation détaillée des risques (EDR). Apparaissent l'"interprétation de l'état des milieux", le "plan de gestion", ainsi que l'"analyse des risques résiduels". Circulaires et guides méthodologiques, publiés courant février 2007, viennent expliciter ces nouveautés.
  • Circulaire du 8 février 2007 relative aux Installations Classées-Prévention de la pollution des sols-Gestion des sols (N° Lexbase : L0439HW8)

L'objectif des nouveaux outils est de parvenir à une compatibilité entre l'état des sites et des milieux et leurs usages. Trois concepts principaux prévalent : l'examen et la gestion du risque, plus que l'attachement au niveau de pollution intrinsèque, la gestion en fonction de l'usage des sites et des milieux et, enfin, la suppression des sources de pollution comme action prioritaire.

La démarche de gestion se découpe en deux étapes.

Dans un premier temps, l'exploitant devra caractériser l'état des sites et milieux par la réalisation d'un "schéma conceptuel" selon des guides de gestion proposés depuis 1996. Cette démarche de reconnaissance regroupe le triptyque classique : identification des sources de pollution, des voies de transferts et des cibles.

Dans un second temps, et au regard des résultats obtenus et des propositions des exploitants, le préfet avisera, après discussion avec l'inspection des installations classées et l'exploitant, des mesures nécessaires de gestion à mettre en oeuvre. Selon les cas, ces mesures seront définies à l'issue, soit d'une démarche d'interprétation de l'état des milieux (IEM), afin de s'assurer que l'état des milieux est compatible avec des usages déjà fixés, soit d'un plan de gestion, lorsque la situation permet d'agir aussi bien sur l'état du site que sur les usages.

L'ensemble de ces nouvelles dispositions sera mis en oeuvre dès que possible pour les nouveaux dossiers et au plus tard le 1er juillet 2007 pour les autres cas.

Sont en conséquence abrogées les circulaires suivantes :
- circulaire du ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement du 10 décembre 1999 relative aux sites et sols pollués et aux principes de fixation des objectifs de réhabilitation (N° Lexbase : L1048HTY) ;
- circulaire DPPR/SEI n° 97-072 du 12 février 1997 relative aux sites et sols pollués (N° Lexbase : L1051HT4) ;
- circulaire DPPR/SEI n° 96-065 du 7 février 1996 relative au recensement d'information disponible sur les sites et sols pollués connus ;
- circulaire DPPR/SEI n° 96-208 du 18 avril 1996 relative aux diagnostics initiaux (N° Lexbase : L1050HT3) ;
- circulaire du ministre de l'Environnement du 3 avril 1996 relative à la réalisation de diagnostics initiaux (N° Lexbase : L1046HTW) ;
- circulaire du ministre de l'Environnement du 3 décembre 1993 relative à la politique de réhabilitation et de traitement des sites et sols pollués (N° Lexbase : L1047HTX) ;
- circulaire du ministre de l'Environnement du 28 janvier 1993 relative à la réhabilitation des sites industriels pollués (N° Lexbase : L1049HTZ) ;
- circulaire du 14 juin 2001 relative aux sites et sols pollués - Surveillance des eaux souterraines ;
- circulaire du 23 mars 2003 relative à l'inspection des Installations classées-Pollution des sols-Surveillance des eaux souterraines-Mise en sécurité (N° Lexbase : L0434HWY) ;
- circulaire du 31 mars 1998 relative aux sites pollués ( N° Lexbase : L0435HWZ).

  • Circulaire du 8 février 2007 relative à l'implantation sur des sols pollués d'établissements accueillant des populations sensibles (N° Lexbase : L0437HW4)

Cette circulaire s'applique aux établissements recevant des enfants (crèches, écoles maternelles et élémentaires...), collèges et lycées dans le cadre de leur création ou de leur extension. Les services de l'Etat, qui n'interviendront qu'en qualité de conseil, devront éviter que ces établissements soient édifiés sur des anciens sites industriels pollués, quels que soient les polluants en cause et sans même qu'il soit besoin de pratiquer des analyses environnementales approfondies.

Toutefois, s'il est impossible de procéder autrement eu égard aux contraintes urbanistiques et sociales, le projet devra être étayé par un bilan des avantages et inconvénients des différentes options de localisation. L'annexe 3 de la circulaire propose à ce sujet un ensemble de mesures (diagnostic préalable, opération de dépollution, évaluation, plan de surveillance et information) dont le respect est fortement recommandé afin de permettre au maître d'ouvrage de se déterminer.

  • Circulaire n° BPSPR/2005-371/LO du 8 février relative à la cessation d'activité d'une Installation Classée - Chaîne de responsabilité - Défaillance des responsables (N° Lexbase : L0438HW7)

Cette circulaire rappelle les modalités d'intervention des préfets en cas de défaillance des responsables habituels (exploitant en premier lieu, puis liquidateur judiciaire en cas de liquidation).

Les procédures envisageables sont au nombre de deux. Elles permettent, soit l'intervention d'une entreprise spécialisée au terme de la procédure de consignation après que les sommes aient été recueillies par le comptable public, soit l'intervention de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) à la suite d'un arrêté de travaux d'office.

Il est, enfin, rappelé la nécessité de faire intervenir les services de protection civile en cas d'urgence impérieuse.

  • Circulaire n° BPSPR/2006-77/LO du 8 février 2007 relative aux Installations Classées - Modalité d'application de la procédure de consignation prévue à l'article L. 514-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L2652ANK) (N° Lexbase : L0436HW3)

Cette circulaire rappelle les modalités d'application pratiques de la procédure de consignation en cas de non-respect d'un arrêté de mise en demeure par l'exploitant.

  • Note ministérielle du 8 février 2007 Sites et sols pollués - Modalité de gestion et de réaménagement des sites pollués

Ce document essentiel est constitué de trois annexes. La première est relative à l'historique, le retour d'expérience et les évolutions proposées de la politique relative à la gestion des sites et sols pollués. La deuxième annexe présente en détail le schéma conceptuel, l'IEM et le plan de gestion. Enfin, la troisième annexe récapitule les outils et documents utiles à la gestion des sites et sols potentiellement pollués et présente, notamment, un tableau comparatif entre les anciens et nouveaux guides et outils.

  • Trois outils méthodologiques explicitent la nouvelle technique

Les trois outils méthodologiques en ligne portent sur :
- "schéma conceptuel et modèle de fonctionnement" : cet outil est en cours de finalisation au 10 avril 2007 ;
- "l'interprétation de l'état des milieux" : cet outil est opérationnel depuis le 8 février 2007 ;
- "l'analyse des risques résiduels" : cet outil est opérationnel depuis le 8 février 2007.

  • D'autres outils et guides sont en préparation, et notamment :

- lettre de consultation BPSPR/2007-19/JLP du 14 février 2007 et projet de circulaire BPSPR/2007-53/FL relative aux sites et sols pollués - réutilisation des terres excavées ;
guide de visite ;
outils de diagnostics ;
aide à l'élaboration du plan de gestion.

L'ensemble de ces outils et guides devrait être disponible dans le courant de l'année 2007.

Savin Martinet Associés - www.smaparis.com - Cabinet d'avocats-conseils
Contacts :
Patricia Savin (savin@smaparis.com)
Yvon Martinet (martinet@smaparis.com)

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Social général

[Jurisprudence] Statut du travailleur intérimaire migrant détaché

Réf. : Cass. civ. 2, 5 avril 2007, n° 05-21.596, Société Serrurerie Objatoise Limited, FS-P+B (N° Lexbase : A8982DU9)

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N6848BAU

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Le 07 Octobre 2010

Médiatisé par le projet de Directive sur la libéralisation des services dite "Bolkestein" (1), le statut du travailleur migrant pose de grandes difficultés juridiques, aussi bien en droit communautaire qu'en droit interne (2). L'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 5 avril 2007, en témoigne. A la suite d'un contrôle, l'Urssaf avait réintégré dans l'assiette des cotisations sociales dues en 2002 par la société Serrurerie Objatoise le montant des rémunérations versées à trois employés mis à sa disposition par des entreprises de travail temporaire portugaises. L'employeur français prétendait que, par application de l'article 14 § 1 du Règlement CE n° 1408/71 du 14 juin 1971 (N° Lexbase : L4570DLT), les salariés étaient restés affiliés au régime de Sécurité sociale portugais : la cour d'appel n'a pas retenu cette solution et la Cour de cassation, par l'arrêt rapporté, rejette le pourvoi formé par l'employeur. La question est, ici, d'autant plus délicate que les trois salariés étaient détachés par une entreprise de travail temporaire portugaise, et qu'ils avaient leur résidence en France. La Cour de cassation, à partir de cet élément de rattachement (résidence en France), et prenant acte que leur affiliation préalable au régime de Sécurité sociale portugais n'est pas justifiée, en déduit qu'ils ne sont pas en situation de détachement au sens de l'article 14 § 1 du Règlement CE n° 1408/71. Dès lors, c'est bien à l'entreprise française, même entreprise utilisatrice d'une entreprise de travail temporaire, d'assumer les obligations au regard de l'affiliation au régime de Sécurité sociale française.
Cass. civ. 2, 5 avril 2007, n° 05-21.596, Société Serrurerie Objatoise Limited, FS-P+B (N° Lexbase : A8982DU9)

Des salariés doivent être affiliés au régime de Sécurité sociale de l'Etat membre où s'exerçait leur activité (la France) et l'employeur portugais de travail temporaire doit assumer les obligations qui en résultaient à l'égard de l'Urssaf, lorsque ces salariés ont leur résidence en France et que leur affiliation préalable au régime de Sécurité sociale portugais n'est pas justifiée, ce dont il résulte qu'ils ne sont pas en situation de détachement au sens de l'article 14 § 1 du Règlement CE n° 1408/71 du 14 juin 1971.

Commentaire

La difficulté de l'arrêt tient à son objet (affiliation ou non au régime de Sécurité sociale française, qui intéresse le travailleur, non pas au regard de ses droits dans l'entreprise, mais au regard de ses droits à la protection sociale) et aux enjeux juridiques (qui se situent sur le terrain de la libre prestation de services, et non pas de la liberté de circulation des travailleurs). S'il est nécessaire de rappeler les grandes lignes du régime juridique du détachement du travailleur migrant (1), il convient d'approuver la solution retenue par la Cour de cassation, simple, pragmatique et conforme au droit communautaire (2).

1. Le régime juridique du détachement du travailleur migrant

1.1. Principe général

Le principe, simple, est contenu dans l'article 13 du Règlement n° 1408/71, selon lequel la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat, même si elle réside sur le territoire d'un autre Etat membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre Etat membre.

Mais le salarié mis à disposition, soit par son employeur (cas général), soit par une entreprise de travail temporaire (cas de l'espèce, arrêt rapporté) ne devrait pas être soumis au droit du pays de détachement (en l'espèce, la France), mais au droit du pays d'origine (en l'espèce, le Portugal). La doctrine rappelle que ce principe est conforme à la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (N° Lexbase : L6798BHA) : le contrat de travail du salarié mis à disposition demeure soumis à la législation du pays d'origine, même s'il est détaché à titre temporaire dans un autre pays (3).

1. 2. Régime juridique propre aux travailleurs migrants détachés

En droit communautaire, il est admis qu'un travailleur, par exception au principe énoncé plus haut (art. 13 § 2, point a), qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un Etat membre au service d'une entreprise dont il relève normalement et qui est détaché par cette entreprise sur le territoire d'un autre Etat membre afin d'y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumis à la législation du premier Etat membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n'excède pas 12 mois et qu'il ne soit pas envoyé en remplacement d'une autre personne parvenue au terme de la période de son détachement.

Si la durée du travail à effectuer se prolonge en raison de circonstances imprévisibles au-delà de la durée primitivement prévue et vient à excéder 12 mois, la législation du premier Etat membre demeure applicable jusqu'à l'achèvement de ce travail, à condition que l'autorité compétente de l'Etat membre sur le territoire duquel l'intéressé est détaché ou l'organisme désigné par cette autorité ait donné son accord.

De plus, le travailleur transfrontalier qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres est soumis :

- à la législation de l'Etat membre sur le territoire duquel il réside, s'il exerce une partie de son activité sur ce territoire ou s'il relève de plusieurs entreprises ou de plusieurs employeurs ayant leur siège ou leur domicile sur le territoire de différents Etats membres ;

- à la législation de l'Etat membre sur le territoire duquel l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile, si le travailleur ne réside pas sur le territoire de l'un des Etats membres où il exerce son activité (Règlement CEE n° 1408/71 du 14 juin 1971, art. 14 ; Directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services N° Lexbase : L7861AUP ; Décision n° 181 du 13 décembre 2000 concernant l'interprétation des articles 14 § 1, 14 bis § 1, et 14 ter § 1 et 2 du Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil relatifs à la législation applicable aux travailleurs salariés détachés et aux travailleurs non salariés qui exercent temporairement une activité en dehors de l'Etat compétent).

2. Conditions d'application du régime juridique du travailleur migrant détaché

2.1. Opportunité et intérêt de la règle du rattachement au pays d'exécution de la prestation du salarié détaché

L'article 13 du Règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971 impose à l'employeur du pays d'origine d'assurer ses obligations au profit des ses salariés, alors même qu'ils seraient mis en position de détachement dans un autre Etat membre. Par exception, l'article 14 § 1 (v., aussi, articles 14 bis § 1, et 14 ter § 1 et 2 du Règlement (CEE) n° 1408/71) prévoit la solution inverse : c'est l'employeur de l'Etat d'envoi et non l'Etat d'origine, qui doit assumer ses obligations d'employeur au regard du droit de la Sécurité sociale : l'objectif est de promouvoir la libre prestation des services au bénéfice des entreprises qui en font usage en envoyant des travailleurs dans d'autres Etats membres que celui dans lequel elles sont établies, ainsi que la libre circulation des travailleurs dans d'autres Etats membres (4). Il s'agit d'éviter, tant aux travailleurs qu'aux employeurs et aux institutions de Sécurité sociale, les complications administratives qui résulteraient de l'application de la règle générale posée par l'article 13 § 2, point a), b) ou c), du Règlement n° 1408/71 (préc.), lorsqu'il s'agit de périodes d'activité de courte durée dans un Etat membre, ou autre que celui où le travailleur non salarié exerce normalement son activité.

La Commission administrative des Communautés européennes pour la Sécurité sociale des travailleurs migrants a dégagé des solutions qui ont, en l'espèce, inspiré la Cour de cassation (arrêt rapporté). La première condition décisive pour l'application des articles 14 § 1, ou 14 ter § 1, du Règlement n° 1408/71 est l'existence d'un lien organique entre l'entreprise qui a embauché le travailleur et celui-ci. La protection du travailleur et la sécurité juridique à laquelle ce dernier et l'institution à laquelle il est affilié peuvent prétendre exigent que toutes les garanties soient données quant au maintien du lien organique pendant la période du détachement.

La seconde condition décisive pour l'application des articles 14 § 1 ou 14 ter § 1 du Règlement n° 1408/71 impose l'existence d'attaches de l'entreprise avec l'Etat d'établissement. Il y a donc lieu de limiter la possibilité de détachement uniquement aux entreprises qui exercent normalement leur activité sur le territoire de l'Etat membre à la législation duquel le travailleur détaché reste soumis, supposant que seules les entreprises qui exercent habituellement des activités significatives sur le territoire de l'Etat membre d'établissement sont ainsi visées.

L'article 1 de la décision n° 181 du 13 décembre 2000 de la Commission administrative des Communautés européennes pour la Sécurité sociale des travailleurs migrants précise à cet effet que les dispositions des articles 14 § 1, et 14 ter § 1 du Règlement (CEE) n° 1408/71 s'appliquent à un travailleur soumis à la législation d'un Etat membre (Etat d'envoi) du fait de l'exercice d'une activité salariée au service d'une entreprise et qui est envoyé par cette entreprise dans un autre Etat membre (Etat d'emploi) afin d'y effectuer un travail pour le compte de celle-ci. Le travail est à considérer comme effectué pour le compte de l'entreprise de l'Etat d'envoi lorsqu'il est établi que ce travail est effectué pour cette entreprise et qu'il subsiste un lien organique entre le travailleur et l'entreprise qui l'a détaché. En vue d'établir si un tel lien organique subsiste, supposant donc que le travailleur reste placé sous l'autorité de l'entreprise d'envoi, il y a lieu de prendre en compte un faisceau d'éléments, notamment la responsabilité en matière de recrutement, de contrat de travail, de licenciement et le pouvoir de déterminer la nature du travail.

Il faut s'attacher, essentiellement, à l'article 3 de la décision de la Commission administrative des Communautés européennes pour la Sécurité sociale des travailleurs migrants n° 181 du 13 décembre 2000, visé expressément par l'arrêt rapporté, distinguant deux hypothèses, le détachement du personnel habituel et le détachement du personnel embauché en vue d'être détaché. Dans le premier cas, lorsque le travailleur, détaché par l'entreprise de l'Etat d'envoi auprès d'une entreprise de l'Etat d'emploi, l'est également dans une ou plusieurs autres entreprises de ce même Etat d'emploi, dans la mesure, toutefois, où le travailleur continue à exercer son activité pour le compte de l'entreprise qui l'a détaché (tel peut être le cas, si l'entreprise a détaché le travailleur dans un Etat membre afin qu'il y effectue un travail successivement ou simultanément dans deux ou plusieurs entreprises situées dans le même Etat membre).

Dans la seconde hypothèse, lorsque le travailleur soumis à la législation d'un Etat membre, conformément aux dispositions du Règlement n° 1408/71, est embauché dans cet Etat membre où l'entreprise a son siège ou son établissement en vue d'être détaché pour le compte de cette entreprise sur le territoire d'un autre Etat membre à la condition qu'il subsiste un lien organique entre cette entreprise et le travailleur pendant la période de son détachement, et que cette entreprise exerce normalement son activité sur le territoire du premier Etat membre, c'est-à-dire que l'entreprise exerce habituellement des activités significatives sur le territoire du premier Etat membre.

Pour déterminer si une entreprise exerce habituellement des activités significatives sur le territoire de l'Etat membre où elle est établie, l'institution compétente de ce dernier est tenue d'examiner l'ensemble des critères caractérisant les activités exercées par cette entreprise tels que, notamment, le lieu du siège de l'entreprise et de son administration, l'effectif du personnel administratif travaillant respectivement dans l'Etat membre d'établissement et dans l'autre Etat membre, le lieu où les travailleurs détachés sont recrutés et celui où sont conclus la plupart des contrats avec les clients, la loi applicable aux contrats conclus par l'entreprise avec ses travailleurs, d'une part, et avec ses clients, d'autre part, ainsi que les chiffres d'affaires réalisés pendant une période suffisamment caractéristique dans chaque Etat membre concerné. Cette liste ne saurait être exhaustive, le choix des critères devant être adapté à chaque cas spécifique et tenir compte de la nature réelle des activités exercées par l'entreprise dans l'Etat d'établissement. En particulier, une entreprise établie dans un Etat membre, qui envoie des travailleurs sur le territoire d'un autre Etat membre et qui exerce dans le premier Etat membre des activités de gestion purement internes, ne saurait se prévaloir de l'article 14 § 1, point a), du Règlement n° 1408 /71.

2.2. Non-application du régime juridique du travailleur détaché

En l'espèce, l'employeur, pour lequel l'Urssaf avait réintégré dans l'assiette des cotisations sociales dues en 2002 le montant des rémunérations versées à trois employés mis à sa disposition par des entreprises de travail temporaire portugaises, prétendait que par application de l'article 14, 1 du Règlement CE n° 1408/71 du 14 juin 1971, ces salariés étaient restés affiliés au régime de Sécurité social portugais. Il invoquait deux arguments principaux. En sa qualité d'employeur, l'entreprise de travail temporaire serait seule débitrice de l'obligation d'obtenir de l'institution désignée par l'autorité compétente de l'Etat membre dont la législation reste applicable le formulaire de détachement attestant de l'affiliation des salariés détachés. De plus, le salarié intérimaire détaché auprès d'une société utilisatrice demeure l'employé de la société de travail temporaire qui est tenue, à ce titre, du paiement des cotisations de Sécurité sociale afférentes à son activité.

La Cour de cassation, par l'arrêt rapporté, a écarté ces deux moyens, en excluant, simplement, la qualification juridique de travailleur détaché, donc, en écartant l'application du régime juridique du travailleur détaché en droit communautaire. La Cour de cassation relève que, lors de leur embauche par des entreprises de travail temporaire portugaises, les trois salariés concernés avaient leur résidence en France ; leur affiliation préalable au régime de Sécurité sociale de l'Etat d'envoi (Portugal) n'était pas justifiée, ce dont il résultait qu'ils n'étaient pas en situation de détachement au sens de l'article 14 § 1 du Règlement n° 1408/71 (préc.) : ces salariés doivent être affiliés au régime de Sécurité sociale de l'Etat membre où s'exerçait leur activité (France). L'employeur doit assumer les obligations qui en résultent à l'égard de l'Urssaf.

L'arrêt rapporté s'inscrit dans la lignée de la jurisprudence communautaire. Un arrêt de la CJCE du 27 mars 1990 (CJCE, 27 mars 1990, aff. C-113/89, Rush Portuguesa Lda c/ Office national d'immigration N° Lexbase : A9716AUE) avait précisé que l'Etat destinataire de la prestation pouvait appliquer, non seulement ses dispositions impératives légales (notamment sur les salaires minima), mais également celles de la convention collective étendue applicable dans le secteur d'activité concerné. Le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que les Etats membres étendent leur législation, ou les conventions collectives de travail conclues par les partenaires sociaux, à toute personne effectuant un travail salarié, quel que soit le pays d'établissement de l'employeur ; le droit communautaire n'interdit pas davantage aux Etats membres d'imposer le respect de ces règles par les moyens appropriés (5). La doctrine s'en était félicitée, en relevant que les Etats membres ont été mis en mesure de rendre obligatoires, au nom de l'intérêt général, certaines aspects de leur législation nationale en matière de droit du travail et de protection sociale à toute personne effectuant un travail salarié sur leur territoire, peu important la loi applicable au contrat de travail (6).

Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Rouen


(1) V. L. Idot, Marché européen des services : directive "Bolkestein" ou "Frankenstein" ? Le mythe de la loi d'origine, Europe 2005, repère 3 ; lire, également, La directive "Bolkestein" accusée de favoriser le dumping social, Liaisons sociales Europe, 2005, n° 120 ; Le parlement européen adopte une version allégée de la directive "services", Liaisons sociales Europe, 2006, n° 147, p. 2.
(2) V. I. Desbarats, L'application du droit social français aux prestations de service transnationales : les apports de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des PME, Colloque International Etat et régulation sociale : comment penser la cohérence de  l'intervention publique ?, 11, 12 et 13 septembre 2006 ; v. également, M.-D. Garabiol-Furet, Plaidoyer pour le principe du pays d'origine, Revue du Marché Commun et de l'Union européenne, février 2005, n° 495 ; S. Henion-Moreau, Les prestations de services transnationales, JCP éd. E 1994, I, 312 ; J.-P. Lhernould, La loi du 2 août 2005 et le détachement transnational de travailleurs, Dr. Soc. p. 1191 ; A. Lyon-Caen, Le travailleur dans le cadre de la prestation internationale de services, Dr. Soc. 2005, p. 503 ; C. Neau-Leduc, Le détachement transnational des travailleurs, passager clandestin de la loi PME du 2 août 2005, JCP éd. S 2005, 1292 ; S. Robin, L'application du droit social français aux entreprises établies à l'étranger, Dr. soc 1994, 127 ; D. Simon, Libre circulation des travailleurs : vers la fin du fantasme du plombier polonais ?, JCP éd. Europe, 2005, p. 3 ; B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec 3èmé éd., 2006, n° 375 s.
(3) B. Teyssié, Droit européen du travail, préc. n° 382.
(4) Commission administrative des Communautés européennes pour la Sécurité sociale des travailleurs migrants, Décision n° 181 du 13 décembre 2000 concernant l'interprétation des articles 14 § 1, 14 bis § 1 et 14 ter § 1 et 2 du Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil relatifs à la législation applicable aux travailleurs salariés détachés et aux travailleurs non salariés qui exercent temporairement une activité en dehors de l'Etat compétent.
(5) CJCE, 27 mars 1990, aff. C-113/89, Rush Portuguesa (N° Lexbase : A9716AUE), RTDE 1990, 632, note P. Rodière.
(6) I. Desbarats, L'application du droit social français aux prestations de service transnationales : les apports de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des PME, préc.
Décision

Cass. civ. 2, 5 avril 2007, n° 05-21.596, Société Serrurerie Objatoise Limited, FS-P+B (N° Lexbase : A8982DU9)

Textes visés : article 14 § 1 du Règlement CE n° 1408/71 du 14 juin 1971 (N° Lexbase : L4570DLT) ; décision de la Commission administrative des Communautés européennes pour la Sécurité sociale des travailleurs n° 181 du 13 décembre 2000.

Mots-clefs : travailleur communautaire migrant ; entreprise communautaire ; obligation d'affiliation à la Sécurité sociale française (oui) ; notion de détachement.

Liens bases : (N° Lexbase : E8961A4N)

newsid:276848

Responsabilité administrative

[Jurisprudence] La responsabilité de l'Etat du fait des lois "inconventionnelles" ou comment appliquer le droit international sans s'affranchir du principe de séparation des pouvoirs ?

Réf. : CE Assemblée, 8 février 2007, n° 279522, M. Gardedieu (N° Lexbase : A2006DUT)

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N8899BAT

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Le 23 Octobre 2014

Par une décision en date du 8 février 2007 (1), le Conseil d'Etat, en tant que juge naturel de la responsabilité de l'Etat, y compris dans sa fonction de législateur, a créé un nouveau régime de responsabilité de l'Etat du fait des lois s'appliquant aux cas de méconnaissance par le législateur des Conventions internationales (en l'espèce, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales). Traditionnellement, cette responsabilité de l'Etat du fait des lois ne pouvait être engagée que dans le cas où une loi a rompu l'égalité des citoyens devant les charges publiques. Mais cette voie de droit a vocation à demeurer exceptionnelle : l'indemnisation des personnes qui ont subi un préjudice est, en effet, subordonnée à ce que, d'une part, la loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation, d'autre part, le préjudice en cause revête un caractère grave et spécial, c'est-à-dire affecte certaines personnes dans des conditions telles que soit manifestement rompue l'égalité des citoyens devant les charges qu'ils doivent normalement supporter dans l'intérêt général. En revanche, jusqu'à présent, s'il était clair qu'un acte administratif méconnaissant une Convention internationale est illégal et, par suite, constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat (2), il n'avait jamais été expressément reconnu que, dans le cas où une loi méconnaît une Convention internationale, l'Etat est, de ce seul fait, tenu de réparer les préjudices nés de cette méconnaissance.

Par sa décision du 8 février 2007, le Conseil d'Etat a constaté que la loi de validation en cause, qui ne reposait pas sur un impérieux motif d'intérêt général, comme l'exige la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, était contraire à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR). Il a donc condamné l'Etat, en raison de cette méconnaissance de la Convention, à indemniser le requérant du préjudice qu'il avait subi du fait de l'intervention de la loi de validation, c'est-à-dire à lui verser le montant des cotisations dont, sans l'intervention de cette loi, il aurait pu obtenir le remboursement. Cette décision contribue, ainsi, à renforcer l'obligation, pour l'ensemble des pouvoirs publics, de respecter les engagements internationaux de la France, notamment, le droit européen des droits de l'Homme, et, dès lors, à rendre plus effective la garantie des droits qui en résultent pour les citoyens.

I. En reconnaissant la responsabilité de l'Etat à raison de la méconnaissance par le législateur des Conventions internationales liant la France, le Conseil d'Etat a créé un nouveau régime de responsabilité du fait des lois

A. La confirmation de la jurisprudence traditionnelle en matière de préjudices causés par l'intervention du législateur

1) Les principes d'engagement de la responsabilité sans faute du fait des lois

Dans le premier considérant de la décision "Gardedieu", le Conseil d'Etat a tenu à rappeler que "la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée [...] sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés". Le Conseil d'Etat a, ainsi, confirmé le régime restrictif de responsabilité sans faute du fait des lois pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, inauguré par l'arrêt "La Fleurette".

Par le célèbre arrêt "La Fleurette" (3), le Conseil d'Etat a, en effet, rompu avec la jurisprudence traditionnelle selon laquelle, dans le silence de la loi, il n'appartenait pas au juge administratif d'accorder une indemnité aux personnes qui subissaient un préjudice du fait de l'adoption d'une loi (4), jurisprudence qui était fondée sur la souveraineté de la loi et le principe de séparation des pouvoirs (5). Avec l'arrêt "La Fleurette", il apparaît, désormais, que le préjudice causé par des dispositions législatives peut donner droit à réparation, même dans le silence du législateur, ce à deux conditions : d'abord, que le législateur, dans le texte même de la loi ou dans les travaux préparatoires, n'ait pas entendu exclure toute indemnisation (6) ; ensuite, que la charge incombant aux intéressés soit particulièrement grave, importante et spéciale. Ainsi, s'il ressort du texte de loi ou de ses travaux préparatoires que le législateur a entendu exclure toute indemnisation, la responsabilité ne peut être admise (7). Il en va ainsi lorsque la loi met fin à une activité frauduleuse (8) ou dangereuse (9) ou encore lorsqu'elle est intervenue dans un intérêt général et prééminent signifiant pour le Conseil d'Etat qu'elle a implicitement entendu exclure toute indemnisation. Le régime de responsabilité sans faute du fait des lois issu de la décision "La Fleurette" a été, ensuite, étendu aux préjudices causés par l'application de Conventions internationales conclues par la France (10). Au total, le régime de responsabilité de l'Etat du fait des lois et Conventions internationales est, donc, un régime de responsabilité sans faute qui a la particularité de voir sa mise en oeuvre subordonnée à la volonté des auteurs du dommage (législateur ou auteurs de la Convention), ce qui signifie que le juge administratif ne peut que s'incliner devant des dispositions, ou des stipulations, exonérant par avance l'Etat de la responsabilité qu'il pourrait encourir selon le droit commun.

2) Le régime de responsabilité sans faute du fait des lois, d'application très limitée, était inadapté à la méconnaissance par le législateur des Conventions internationales conclues par la France

Le régime de responsabilité sans faute du fait des lois ne connaît que très peu d'applications positives. Cela vient, d'abord, du fait que, lorsque la loi a eu pour objet de satisfaire des intérêts tout à fait généraux et prééminents, le législateur doit être regardé comme ayant entendu exclure toute indemnisation : or, l'objectif d'intérêt général des lois, dans la mesure où il est très facilement reconnu puisque c'est l'objet même de la loi (et des Conventions internationales) que de poursuivre l'intérêt général (11), fait souvent obstacle à une telle indemnisation. Par ailleurs, le bénéfice du régime de responsabilité sans faute du fait des lois n'est pas invocable lorsque les préjudices résultent de régimes législatifs délibérément discriminatoires parce que nécessaires à l'obtention de certains résultats et dont l'application se traduit par des choix et traitements favorables aux uns et défavorables aux autres (12).

Quoi qu'il en soit, le régime de responsabilité sans faute du fait des lois était tout à fait inadapté à la méconnaissance par le législateur des Conventions internationales conclues par la France. En effet, l'exigence d'un préjudice anormal et spécial était beaucoup plus restrictive que celles retenues par le droit communautaire et international, ce précisément parce que le régime de responsabilité sans faute du fait des lois a pour objectif de rétablir l'équilibre devant les charges publiques et non, comme dans le droit de commun de la responsabilité, de rétablir l'équilibre patrimonial détruit par une action ou une inaction fautive de l'Etat. Ainsi, la CJCE considère que le régime d'indemnisation des préjudices subis à raison de la méconnaissance par les Etats membres des obligations issues du droit communautaire ne saurait avoir pour effet de "rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation" (13). De même, en se fondant sur les stipulations de l'article 46 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) (N° Lexbase : L4782AQ8) (14), la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) juge que toute constatation par elle d'une méconnaissance de la Convention crée l'obligation d'en "effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci" (15), ce même dans le cas où cette méconnaissance trouve son origine dans une loi (16). Les stipulations de l'article 41 de la CESDH (N° Lexbase : L4777AQY) imposant d'octroyer une satisfaction équitable aux victimes des violations des stipulations de la Convention, la CEDH considère, ainsi, comme la CJCE, que c'est aux Etats eux-mêmes qu'il appartient de réparer les conséquences des violations du droit issu de la Convention : c'est donc seulement lorsqu'une telle réparation par l'Etat auteur du dommage est impossible que la Cour peut procéder elle-même à l'indemnisation de la victime (17). Ainsi, tant le droit communautaire que le droit issu de la CESDH exigent que la responsabilité de l'Etat du fait de la violation des normes qu'ils édictent puisse être aisément engagée, ce que ne permet assurément pas le régime restrictif issu de la décision "La Fleurette".

B. La décision du 8 février 2007 crée un régime de responsabilité objective qui n'a cependant vocation à s'appliquer que si le préjudice est directement et uniquement lié à l'intervention du législateur

1) La création d'un régime de responsabilité objective sui generis

Dans les pays qui, comme la France, ont opté pour le régime moniste (18), le droit international est directement applicable au même titre que le droit interne, sans que la réception par un acte juridique interne y soit nécessaire. Pour les tenants du monisme avec primauté du droit international, la norme internationale doit, donc, en cas de conflit, l'emporter sur toute norme de droit interne, fût-elle constitutionnelle. C'est, d'ailleurs, la position adoptée par les juridictions internationales (19) et par la CJCE. Cette primauté du droit international a, en outre, pour conséquence que la violation d'un Traité par un Etat partie doit être sanctionnée, non seulement par la reconnaissance de cette violation par une instance juridictionnelle ou arbitrale, mais encore par la réparation des conséquences de la violation par l'Etat qui en est responsable (20). En ce qui concerne le droit communautaire, l'obligation de réparation par les Etats membres des dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables a été affirmée dès 1960 (21) et appliquée, comme en matière de droit international, à l'ensemble des organes de l'Etat, qu'il s'agisse de l'administration, des juridictions (22) ou, bien entendu, du législateur (23), ce pour la raison que l'obligation de réparation ne saurait dépendre des règles internes de répartition des compétences entre les pouvoirs constitutionnels (24). En matière de droit européen, sur le fondement de l'article 1er du premier protocole additionnel à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) qui consacre le "droit au respect des biens" et, dans la mesure où une créance constitue un bien au sens de cet article, le fait de dénier à une personne une indemnisation à laquelle elle aurait droit en réparation du dommage causé par un manquement de l'Etat à une obligation issue du droit de la Convention ne peut qu'être contraire aux stipulations de cette Convention (25).

Par ailleurs, depuis l'arrêt "Nicolo" (26), le juge administratif considère que les dispositions de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9R) l'habilitent à apprécier la compatibilité des dispositions législatives aux stipulations contenues dans les Traités internationaux. C'est, donc, également, de l'article 55 de la Constitution que le juge administratif tient l'obligation de réparer les conséquences de la violation par le législateur de normes issues du droit international (27). Dès 1992 (28), Martine Laroque avait estimé que, dans le cas où l'illégalité des décisions réglementaires contestées procédait directement de la loi et était de nature à engager la responsabilité de l'Etat, il fallait envisager la création d'un "nouveau régime de responsabilité sans faute de l'Etat législateur" qui ne verrait son application restreinte par aucune des conditions exigées par la jurisprudence "La Fleurette". La position de M. Laroque avait le mérite de mettre en avant le caractère objectif de la responsabilité de l'Etat en la matière. En matière de droit communautaire, la CJCE écarte, ainsi, toute prise en considération du comportement subjectif des autorités nationales pour fonder la responsabilité sur la constatation objective d'une violation de la légalité communautaire. Ce n'est pas l'intention de l'auteur de la mesure nationale illicite (ce qui souligne à nouveau l'inadaptation du régime issu de la décision "La Fleurette" dont l'application nécessite la recherche de l'intention du législateur), mais la violation du droit communautaire par elle-même qui détermine l'obligation de réparer (29).

Dans sa décision du 8 février 2007, le Conseil d'Etat a, donc, opté pour une responsabilité objective qui se distingue, toutefois, de la responsabilité sans faute du fait des lois comme de la responsabilité pour faute. Selon le Conseil, "la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée [...] en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des Conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France". Le régime ainsi institué se distingue du régime de responsabilité sans faute du fait des lois en ce qu'il n'est pas justifié par l'existence d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques. En effet, en matière de loi incompatible avec les stipulations d'une Convention internationale, il n'y a pas à proprement parler de rupture d'égalité puisque ce sont tous les destinataires de la loi inconventionnelle qui sont victimes et non certains d'entre eux. Le régime créé par la Haute Assemblée se distingue, également, du régime de responsabilité pour faute en ce qu'il s'appuie sur la notion de méconnaissance objective des stipulations communautaires et européennes consacrée par la CJCE et la CEDH et reprise par plusieurs juridictions nationales (30) pour affirmer que la responsabilité de l'Etat doit être mise en oeuvre chaque fois qu'une stipulation internationale est méconnue par une disposition législative et que cette méconnaissance crée un préjudice. La mise en oeuvre de ce régime est, toutefois, subordonnée à la condition qu'aucun acte administratif ne soit à l'origine du préjudice subi.

2) La confirmation de la "théorie du règlement-écran" (31)

La décision d'Assemblée du 28 février 1992 a consacré la responsabilité pour faute de l'Etat en cas de violation par une disposition réglementaire d'une obligation issue du droit communautaire. Dans cette espèce, en effet, le Conseil a considéré que l'existence d'une disposition réglementaire entre la norme internationale et la loi impliquait de reconnaître le fait générateur du dommage dans cette disposition et non dans la loi (32). En d'autres termes, lorsque c'est un acte pris en application d'une loi qui cause le préjudice, c'est cet acte qui constitue la causalité adéquate du préjudice et empêche de mettre en cause la responsabilité du législateur. Or, en droit public, il est très fréquent qu'un acte administratif s'interpose entre la loi et la norme internationale, ce qui signifie que la mise en oeuvre, dans ce domaine, du nouveau régime de responsabilité du fait des lois inconventionnelles créé par le Conseil d'Etat devrait être assez rare.

En pratique, il nous semble que la théorie du règlement-écran n'aura vocation à s'appliquer que dans l'hypothèse où l'administration disposait, en vertu de la loi, d'un pouvoir discrétionnaire. En effet, selon la jurisprudence, lorsque le vice dont paraît atteint l'acte administratif n'est en réalité que la simple conséquence d'une stricte application d'une disposition législative, c'est la loi et elle seule qui est en cause. Il en est ainsi en matière d'excès de pouvoir (33) comme en matière de plein contentieux : dans un tel cas, la responsabilité de l'Etat ne peut, alors, être engagée (nous sommes, en effet, dans le cas où le juge administratif ne peut contester la loi puisque aucune norme internationale n'est méconnue), puisque le préjudice en cause résulte de l'exercice par l'administration d'une compétence qui procédait de la loi elle-même (34). Cette solution nous semble transposable à la méconnaissance par la loi d'une norme internationale : en ce cas, en effet, même si un acte administratif s'est interposé entre la loi et la norme internationale, c'est la responsabilité de l'Etat du fait de la loi inconventionnelle qui devra s'appliquer dans la mesure où la disposition réglementaire n'était que la simple conséquence de l'intervention de la loi. Cette solution est, donc, de nature à limiter l'application de la théorie du règlement-écran et à faire de la responsabilité de l'Etat du fait de la loi inconventionnelle une responsabilité d'application plus fréquente que la traditionnelle responsabilité du fait des lois issue de la décision "La Fleurette".

II. Le régime créé par le Conseil d'Etat, qui a vocation à s'appliquer au droit communautaire, confirme le refus de la Haute Assemblée de s'affranchir du principe de séparation des pouvoirs

A. Un régime qui a vocation à s'appliquer au droit communautaire

1) La jurisprudence de la CJCE en matière de réparation des préjudices issus de la violation des dispositions communautaires

Dans le célèbre arrêt "Francovich et Bonifaci", la CJCE a considéré que "le droit communautaire impose le principe selon lequel les Etats membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables". La Cour a, ensuite, précisé que "les conditions de fond et de forme, fixées par les diverses législations nationales en matière de réparation des dommages, ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation" (point 43). La Cour a, ainsi, posé comme conditions du droit à réparation que le résultat prescrit par la disposition communautaire comporte l'attribution de droits au profit des particuliers, que le contenu de ces droits puisse être identifié sur la base de ces dispositions et, enfin, qu'il existe un lien de causalité entre la violation de l'obligation incombant à l'Etat et le dommage subi par les personnes lésées. La Cour a, enfin, indiqué que c'était "dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incomb[ait] à l'Etat de réparer les conséquences du préjudice causé".

2) Les principes gouvernant l'engagement de la responsabilité de l'Etat à raison de la méconnaissance d'une disposition communautaire

Ainsi que le souligne D. Simon, deux principes d'"équivalence juridictionnelle" et d'"effectivité minimale" (35) s'imposent aux Etats membres. Le premier impose une égalité de traitement entre droit conféré par la règle communautaire et droit conféré par la règle nationale. Le second est lié à l'effectivité du droit à réparation et constitue une application du principe plus général selon lequel le droit national doit assurer la réalisation effective de tout droit conféré par le droit communautaire (36). Pour autant, la jurisprudence de la CJCE consacre l'autonomie institutionnelle et procédurale des droits nationaux dans la définition des conditions de mise en oeuvre des voies de droit permettant d'obtenir réparation. En d'autres termes, si le principe d'une action juridictionnelle en indemnité découle des exigences du droit communautaire, ce sont les règles procédurales de droit interne qui trouvent à s'appliquer.

L'engagement de la responsabilité de l'Etat est, par ailleurs, fonction du pouvoir d'appréciation dont dispose le législateur national (37). Ainsi, dans le cas où celui-ci ne dispose pas d'un large pouvoir d'appréciation dans un domaine régi par le droit communautaire, toute violation de la règle communautaire est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat. En revanche, lorsque le législateur dispose d'un large pouvoir d'appréciation, sa responsabilité ne peut être engagée que s'il a "méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s'imposent à l'exercice de ses pouvoirs" (points 45, 47 et 55), ce que la Cour qualifie de "violation suffisamment caractérisée" (points 51 et 55). Soulignons que cet examen des marges d'appréciation dont dispose l'Etat est également appliquée par le juge administratif français (38).

B. Le refus du Conseil d'Etat de s'affranchir du principe de séparation des pouvoirs

1) La création d'un régime de responsabilité pour faute était-elle possible ?

Selon une jurisprudence bien établie, toute décision illégale est, en principe, fautive, quelle que soit la nature de l'illégalité qui l'entache, c'est-à-dire que cette illégalité soit externe (39) ou interne (40). Ainsi, un acte contraire à une norme juridique supérieure, et pour ce motif entaché d'illégalité, est constitutif d'une faute (41). Or, selon L. Dubouis, "ce que le juge français admet lorsque la violation incombe au pouvoir exécutif, l'article 55 [...] l'autorise à le faire lorsque la loi ou l'absence de loi est en cause puisqu'il consacre la supériorité sur la loi de la règle internationale ou communautaire" (42). Dans la mesure, donc, où l'article 55 (N° Lexbase : L1320A9R), loin de se borner à autoriser le juge à déclarer qu'une loi ne s'applique pas à une situation déterminée, autorise et contraint celui-ci à déclarer l'inopposabilité ou l'inapplicabilité de la loi, la Constitution érige en fait le juge en "censeur de la loi" et "lui impose d'exercer tous les pouvoirs que comporte cette fonction" (43). L'article 55 de la Constitution peut, ainsi, être interprété comme habilitant le juge administratif, non seulement à apprécier la conventionnalité d'une loi, mais encore à engager la responsabilité d'un législateur qui, en ayant méconnu les obligations internationales de l'Etat, a commis une faute (44). La combinaison des jurisprudences "Driancourt" et "Nicolo" permet, donc, de considérer que toute méconnaissance du droit international par le législateur est constitutive d'une faute, et qu'une telle faute est de nature à engager la responsabilité de l'Etat. R. Chapus le résume ainsi : "apprécier une loi comme n'étant pas compatible avec une norme qui lui est supérieure (et qu'elle devait respecter), c'est en faire ressortir l'irrégularité. En d'autres termes, c'est reconnaître que le législateur (et il ne faut pas hésiter devant la simplicité excessive du terme) a commis une faute. C'est ainsi que, dans l'hypothèse ici considérée, la consécration de la responsabilité de l'Etat pour faute du législateur est concevable" (45).

Plusieurs juridictions se sont d'ailleurs "aventurées" sur ce terrain. Par un arrêt rendu en formation plénière (46), la cour administrative d'appel de Paris, après avoir relevé que le préjudice invoqué résultait de la "situation illicite" (47) née du maintien en vigueur de la loi antérieure, nonobstant l'intervention de la sixième Directive communautaire relative à la TVA, a ainsi reconnu la responsabilité pour faute de l'Etat dans l'exercice du pouvoir législatif. Plus récemment, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand s'est rallié à la jurisprudence de la CJCE en considérant "qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions [article 55 de la Constitution et article 10 du Traité instituant la Communauté européenne N° Lexbase : L5101BCW] que l'Etat est susceptible d'engager sa responsabilité sur le fondement d'une faute du pouvoir législatif du fait de l'adoption de lois qui ne seraient pas compatibles avec les stipulations d'un Traité ou accord international régulièrement ratifié ou approuvé". Par sa généralité et son fondement "interne" (l'article 55 de la Constitution), une telle solution serait bien évidemment transposable à l'ensemble des engagements internationaux souscrits par la France.

2) Le refus du Conseil d'Etat de s'affranchir du principe de séparation des pouvoirs et d'une interprétation stricte de l'article 55 de la Constitution

Si la loi n'est désormais plus incontestable, l'immunité dont elle bénéfice devant le juge ordinaire résulte, désormais, non plus d'une auto-limitation ou "auto-censure" de ce juge, mais des dispositions de la Constitution qui réservent le contrôle de la constitutionnalité des lois au seul Conseil constitutionnel, lequel n'intervient, en outre, qu'antérieurement à la promulgation de la loi, ce qui conserve à la loi promulguée son caractère incontestable, étant rappelé que le contrôle de conventionnalité aboutit, non pas, à l'invalidation de la loi incompatible avec le Traité, mais "seulement" à son inapplication. L'on peut, donc, penser qu'il "n'appartient pas au juge, a fortiori au juge ordinaire, de remettre en cause un principe qui résulte, en définitive, de notre ordre constitutionnel que seul le pouvoir constituant est fondé, s'il l'entend ainsi, à modifier" (48). C'est pourquoi, s'il est loisible au juge administratif de reconnaître que l'administration a commis une faute en méconnaissant des stipulations internationales (lorsque cette méconnaissance a engendré un préjudice), il ne lui est pas possible, en vertu du principe de séparation des pouvoirs qui lui impartit d'appliquer la loi, de s'ériger en censeur de celle-ci. L'automaticité de la jurisprudence "Driancourt" et l'application aveugle du principe de hiérarchie des normes (illégalité=faute, donc méconnaissance d'une norme supérieure=faute) s'en trouvent, ainsi, annihilées. Il ressort, à cet égard, des conclusions du commissaire du Gouvernement, que la décision "Gardedieu" est essentiellement fondée sur la teneur de l'habilitation conférée au juge ordinaire par l'article 55 de la Constitution. En d'autres termes, la décision "Gardedieu" est une application de la décision "Nicolo" et non un ralliement du Conseil d'Etat aux jurisprudences de la CJCE et de la CEDH qui imposent aux autorités nationales de réparer le préjudice né de la méconnaissance par la loi nationale des stipulations du TUE et de la CESDH. Or, selon le commissaire du Gouvernement, "aucune norme" n'habilite le juge à procéder à la qualification d'un comportement fautif de la part du législateur "dès lors que sont en cause les pouvoirs respectifs de l'autorité juridictionnelle et du pouvoir législatif", l'article 55 de la Constitution, qui, certes, habilite le juge à constater l'inconventionnalité de la loi, ne l'habilitant, cependant pas, "à qualifier une telle inconventionnalité d'acte fautif". Au total, c'est donc bien en vertu de l'ordre juridique interne, au sommet duquel se trouve la Constitution et, notamment, son article 55, que le Conseil d'Etat consent à écarter la loi contraire aux Traités (décision "Nicolo") et à réparer le préjudice né de cette contrariété (décision "Gardedieu"). C'est pourquoi cette dernière décision peut être considérée comme l'une des conséquences de la subtile solution dégagée par la décision "Sarran" (49) et confirmée par la décision "Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres" rendue le même jour que la décision "Gardedieu".

3) Une solution conforme aux droits européen et communautaire

Rappelons, d'abord, que, selon la CEDH, c'est aux Etats eux-mêmes qu'il appartient de réparer les conséquences des violations du droit issu de la Convention : c'est, donc, seulement lorsqu'une telle réparation par l'Etat auteur du dommage est impossible que la Cour peut procéder elle-même à l'indemnisation de la victime (50). De même, selon la CJCE, la mission de protéger les droits conférés aux particuliers, en mettant en jeu de façon effective la responsabilité de l'Etat, est dévolue au juge national en tant qu'"organe d'un Etat membre" (51), celui-ci n'exerçant donc pas une compétence communautaire. Par ailleurs, il est vrai que, dans la plupart des pays européens, la responsabilité du législateur du fait du préjudice né de la méconnaissance des engagements internationaux est généralement une responsabilité objective et rarement une responsabilité pour faute (52). Plus généralement, ni la CEDH, ni la CJCE, n'ont imposé aux Etats membres de consacrer un régime de responsabilité pour faute du législateur : à cet égard, si la jurisprudence "La Fleurette" était contraire à la jurisprudence de ces deux Cours et au droit issu de la CESDH et du TUE, ce n'était pas parce qu'elle consacrait un régime de responsabilité sans faute du législateur, mais parce qu'elle subordonnait la mise en oeuvre de ce régime à des conditions beaucoup trop restrictives qui aboutissaient à une quasi-immunité législative. Or, la solution consacrée par la décision "Gardedieu" emprunte au régime de responsabilité pour faute le principe de la réparation universelle (tout préjudice légitime causé directement par une loi inconventionnelle doit être réparé) et intégrale (sous réserve des causes de limitation applicables à tout litige de plein contentieux) du préjudice. Enfin, soulignons qu'à la différence de la solution du tribunal administratif de Clermont-Ferrand retenant une responsabilité pour faute du législateur, la solution du Conseil d'Etat retenant une responsabilité objective de celui-ci n'est pas limitée aux cas de violations suffisamment caractérisées du droit communautaire et ne s'appuie pas sur la nécessité pour le juge de s'assurer que le législateur disposait ou non d'une marge d'appréciation pour appliquer ce droit. C'est dire que, toujours dans la ligne de la jurisprudence "Nicolo" qui fonde le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit communautaire sur l'article 55 de la Constitution, et non sur la spécificité de ce droit au regard du droit international classique, telle qu'elle a été affirmée par la jurisprudence de la CJCE, le Conseil d'Etat ne réserve pas au droit communautaire un traitement différent de celui du droit international, puisque, dans les deux cas, il considère qu'une simple violation par le législateur des engagements internationaux souscrits par la France suffit à engager la responsabilité de l'Etat, nonobstant la circonstance que le législateur dispose d'un large pouvoir d'appréciation en la matière. Ce faisant, le Conseil d'Etat crée un régime de responsabilité finalement plus libéral que celui défini par la CJCE puisque, d'une part, toute méconnaissance par le législateur national du droit communautaire est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat et puisque, d'autre part, peu importe que la norme communautaire ait ou non pour objet de conférer des droits aux victimes.

Au total, le fait de traiter le droit communautaire comme le droit international classique, si choquant aux yeux des défenseurs de la spécificité de ce droit, aboutit à en assurer une protection plus complète et plus effective que celle souhaitée par le juge communautaire. En l'espèce, le droit communautaire gagne, donc, à être assimilé au droit international classique.

Conclusion
En jugeant que, de même qu'un acte administratif méconnaissant une Convention internationale est illégal et, par suite, constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, une loi méconnaissant une telle Convention est également de nature à engager cette responsabilité, le Conseil d'Etat comble un vide juridictionnel auquel l'extrême rigueur du régime de responsabilité sans faute du fait des lois inauguré par la décision "La Fleurette" ne pouvait remédier. Pour autant, en se fondant sur une conception littérale de l'article 55 de la Constitution et sur le rôle et la compétence impartie à l'autorité judiciaire par la Constitution, ce qui est pleinement justifié puisque c'est bien la Constitution qui détermine la place du droit international dans l'ordre juridique national (53), le Conseil d'Etat refuse de considérer que le législateur puisse être fautif. A cet égard, si le commissaire du Gouvernement L. Derepas a tenu à souligner que le régime de responsabilité créé par la décision "Gardedieu" n'était ni un régime de responsabilité sans faute ni un régime de responsabilité pour faute, la troisième voie de responsabilité qu'il a, ainsi, souhaité consacrer nous paraît assez fragile. Il nous semble, en effet, qu'en refusant de considérer que le législateur puisse être fautif, le Conseil d'Etat a, en fait, créé un régime de responsabilité sans faute débarrassé des strictes conditions d'application fixées par la décision "La Fleurette". En bref, l'existence d'un "entre-deux" entre la faute et l'absence de faute nous semble illusoire : soit il y a faute, soit il n'y a pas faute et, en l'espèce, il faut bien admettre que, pour le Conseil d'Etat, il n'y a pas de faute, de la part du législateur, à méconnaître une Convention internationale. Dans ses conclusions, L. Derepas indique, certes, qu'il existe des régimes de responsabilité ne relevant ni du régime de responsabilité pour faute ni du régime de responsabilité sans faute. Toutefois, l'exemple qu'il cite à cet égard (le régime de réparation des préjudices causés par les attroupements et rassemblements issu de l'article L. 2216-3 du CGCT N° Lexbase : L8738AAU) nous semble être, en fait, un régime de responsabilité sans faute (54). C'est donc bien un nouveau régime de responsabilité sans faute du fait des lois qu'a créé la décision "Gardedieu". Cela est, d'ailleurs, totalement cohérent avec le fait que le Conseil d'Etat se refuse, en vertu du principe de séparation des pouvoirs qui lui interdit de censurer l'oeuvre du Parlement, à juger que le législateur commet une faute lorsqu'il méconnaît une norme de rang supérieur à la loi.

Par ailleurs, en confirmant la décision "Sarran" le jour même où il décidait de créer un régime spécifique de responsabilité du fait des lois en matière de méconnaissance des Conventions internationales et en s'appuyant sur l'article 55 de la Constitution (55), le Conseil d'Etat a clairement exclu que la responsabilité de l'Etat puisse être engagée à raison de la méconnaissance d'une telle Convention par le pouvoir constituant tout en maintenant l'interdiction de principe qui empêche le juge administratif de contrôler la constitutionnalité des lois (56).

Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)


(1) CE Assemblée, 8 février 2007, n° 279522, M. Gardedieu, à paraître au Recueil : AJDA 2007 p. 279 ; AJDA 2007, p. 585, chronique Lenica et Boucher ; JCP éd. A n° 7 du 12 février 2007, p. 4.
(2) Cf., en particulier, CE Assemblée, 28 février 1992, n° 87753, Société Arizona Tobacco Products (N° Lexbase : A5378ARM), au Recueil p. 78 : AJDA 1992, p. 210, conclusions Laroque ; Dalloz 1993 SC, p. 141, observations Bon et Terneyre). Cette décision a abandonné la jurisprudence "Alivar" (CE Assemblée, 23 mars 1984, n° 24832, Ministre du commerce extérieur c/ Société Alivar N° Lexbase : A3758ALR au Recueil p. 128 : AJDA 1984, p. 396, note Genevois ; AJDA 1985, p. 536) qui considérait qu'une disposition réglementaire prise pour un motif d'intérêt général et méconnaissant une norme communautaire n'était pas pour autant fautive.
(3) CE Assemblée, 14 janvier 1938, n° 51704, SA des produits laitiers "La Fleurette" (N° Lexbase : A9868B7M), au Recueil p. 25 : Sirey 1938, 3, p. 25, conclusions Roujou note Laroque ; Dalloz 1938, 3, p. 41, conclusions Roujou note Rolland ; RDP 1938, p. 87, conclusions Roujou note Jèze ; GAJA n° 53.
(4) CE, 11 janvier 1838, Duchâtelet, au Recueil p. 7 ; CE 5 février 1875, Moroge, au Recueil p. 89.
(5) En effet, pour le Conseil d'Etat, et selon les termes de Laferrière, "La loi [était] un acte de souveraineté et le propre de la souveraineté est de s'imposer à tous sans qu'on puisse réclamer d'elle aucune compensation. Le législateur peut seul apprécier, d'après la nature et la gravité du dommage, d'après les nécessités et les ressources de l'Etat, s'il doit accorder cette compensation. Les juridictions ne peuvent l'allouer à sa place" (nous soulignons).
(6) Ce qui signifie que le législateur doit avoir refusé de faire supporter le préjudice par les victimes de la loi, notamment, lorsque l'activité de celles-ci n'avait pas un caractère répréhensible, contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre public.
(7) CE Section, 22 novembre 1957, Compagnie de navigation Fraissinet, au Recueil p. 635.
(8) CE, 14 janvier 1938, Compagnie générale de grande pêche, au Recueil p. 23 : législation interdisant la contrebande d'alcool à destination des Etats-Unis, contrebande à laquelle se livrait avec grand profit la société requérante. CE, 1er mars 1940, Société Chardon, au Recueil p. 82 : répression de fraudes alimentaires.
(9) CE, 6 janvier 1956, Manufacture d'armes et de cycles, au Recueil p. 3 : contrôle de la fabrication des armes à feu établi en vue de protéger leurs utilisateurs contre les dangers d'une fabrication défectueuse. CE Assemblée, 8 janvier 1965, n° 59604, Société des Etablissements Aupinel (N° Lexbase : A5363B7R), au Recueil p. 15 : contrôle du transport et de la commercialisation des spiritueux en vue de lutter contre la fraude sur les alcools et de contribuer, ainsi, à la sauvegarde de la santé publique.
(10) CE Assemblée, 30 mars 1966, n° 50515, Compagnie générale d'énergie radio-électrique (N° Lexbase : A0632B9B), au Recueil p. 257 : AJDA 1966, p. 350, chronique Puissochet et Lecat ; Dalloz 1966, p. 582, note Lachaume ; JCP 1967, n° 15000, note Dehaussy ; RDP 1966, p. 774, conclusions Bernard et, p. 995, note Waline. Selon le considérant de principe : "la responsabilité de l'Etat est susceptible d'être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de Conventions conclues par la France avec d'autres Etats et incorporées régulièrement dans l'ordre juridique interne, à la condition d'une part que ni la Convention elle-même ni la loi qui en a éventuellement autorisé la ratification ne puissent être interprétées comme ayant entendu exclure toute indemnisation et d'autre part que le préjudice dont il est demandé réparation soit d'une gravité suffisante et présente un caractère spécial".
(11) La restriction tenant à l'existence d'un intérêt général prééminent faisant obstacle à l'indemnisation était d'ailleurs quelque peu contradictoire avec la décision "La Fleurette" qui était fondée sur la proposition qu'une charge créée dans un intérêt général mais ne pesant que sur un seul devait être supportée par la collectivité (note C.M., sous CE, 31 mai 1961, Compagnie française des cuirs, au Recueil p. 358 ; AJDA 1962, II, p. 64) : autrement dit, l'intérêt général était à la fois le critère conférant un caractère indemnisable au dommage et un critère justifiant l'absence de toute indemnisation.
(12) CE Section, 13 octobre 1978, n° 04644, Perthuis (N° Lexbase : A9625B7M), au Recueil p. 370 : Dalloz 1979, p. 81, note Bon ; JCP 1980, n° 19382, note Joly ; RDP 1979, p. 1197 (législation imposant des choix et soumettant à autorisation l'exploitation des centres d'insémination artificielle du bétail). Cf. aussi CE, 10 janvier 1992, n° 81428, Commune de Blanquefort (N° Lexbase : A5066AR3) : Dalloz 1993, SC, p. 143, observations Bon et Terneyre ; DF 1992, p. 1158, conclusions Gaeremynck (conséquences défavorables pour une commune du mécanisme de solidarité financière intercommunale institué par la loi insusceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de principe d'égalité devant les charges publiques).
(13) Cf., par exemple, CJCE, 25 février 1988, aff. C-331, 376 et 378/85, SA Les fils de J. Bianco (N° Lexbase : A8036AU8), au Recueil p. 1114.
(14) "Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties".
(15) CEDH, 31 octobre 1995, Req. 18/1992/363/437, Papamichalopoulos et autres c/ Grèce, série A n° 330-B (N° Lexbase : A8373AWZ) : AFDI 1995, p. 503, chronique Coussirat-Coustère, RTDH 1997, p. 477, note Beernaert.
(16) CEDH, 3 juillet 1995, Req. 23/1993/418/497, Heintrich c/ France, série A n° 230-A (N° Lexbase : A6630AWH) ; CEDH 28 mai 2002, Req. 33202/96, Beyeler c/ Italie (N° Lexbase : A7593AYU).
(17) CEDH, 31 octobre 1995, Papamichalopoulos et autres c/ Grèce, précité.
(18) Rappelons que le monisme se distingue du dualisme selon lequel le droit international n'a de valeur dans l'ordre interne que s'il y a été introduit par un acte juridique qui en assure la réception, ce qui signifie que la norme internationale perd, alors, dans l'ordre interne, sa spécificité pour ne prendre que la valeur de cet acte de réception. Le système dualiste prévaut aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Japon.
(19) Avis consultatif de la Cour permanente de justice internationale (CPJI) du 4 février 1932 sur le traitement des nationaux polonais dans le territoire de la ville de Dantzig, série A/B n° 44 p. 24.
(20) Sentence arbitrale du 14 septembre 1872, affaire dite de l'Alabama. CPJI avis du 13 septembre 1928, Usine de Chorzow, série A n° 17.
(21) CJCE, 16 décembre 1960, aff. C-6/60, Humblet (N° Lexbase : A2332AWB), au Recueil p. 1128. Cf. aussi le célèbre arrêt du 19 novembre 1991, aff. C-6/90 et C-9/90, Francovich et Bonifaci (N° Lexbase : A5783AYT), au Recueil p. 5357 ; AJDA 1992, p. 143, note Le Mire.
(22) CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-224/01, Gerhard Köbler (N° Lexbase : A6934C9P), au Recueil p. 10239. Cf. aussi Cass. com., 21 février 1995, n° 93-15.387, United Distillers France (N° Lexbase : A8289ABM), Europe mai 1995, comm. AR et DS n° 172 : mise en jeu de la responsabilité de l'Etat du fait d'instructions adressées au Parquet par le Garde des Sceaux en violation de l'autorité de la chose jugée par un arrêt de la CJCE.
(23) CJCE, 5 mars 1996, précité, points 33 et 34. Cf., en matière de droit international, CPJI avis du 19 août 1929, Zones franches du pays de Gex et de Savoie, série A n° 22 ; CPJI avis du 31 juillet 1930, question des Communautés gréco-bulgares, série B n° 17 p. 32.
(24) CJCE, 21 février 1991, aff. C-143/88 et C-92/89, Zuckerfabrik (N° Lexbase : A4510AWX), au Recueil p. I-415 et CJCE 5 mars 1996, précité.
(25) CEDH, 16 avril 2002, Req. 36677/97, Société Jacques Dangeville c/ France (N° Lexbase : A5395AYH).
(26) CE, 20 octobre 1989, n° 108243, Nicolo (N° Lexbase : A1712AQH), au Recueil p. 190, conclusions Frydman ; RFDA 1989, p. 818, conclusions Frydman.
(27) En ce sens, cf. G. Alberton, Le législateur français transgressant le droit international pourra-t-il demeurer encore longtemps irresponsable ?, AJDA 2006, p. 2155.
(28) Conclusions sous CE Assemblée, 28 février 1992, Société Arizona Tobacco Products, précité, au Recueil p. 78 : AJDA 1992 p. 219.
(29) CJCE, 5 mars 1996, précité. C'est pourquoi la règle de droit anglais subordonnant la responsabilité de la Couronne à la preuve d'un abus de pouvoir dans l'exercice d'une fonction publique (misfeasance in public office) ne peut être opposée à l'exercice du droit à réparation. De même, est incompatible avec les exigences du droit communautaire la règle classique de droit allemand de la responsabilité selon laquelle la réparation est conditionnée par l'existence d'une faute intentionnelle ou d'une négligence grave de la part de l'organe de l'Etat auquel le manquement est imputable (point 79 de la décision de la CJCE).
(30) Chambre des Lords britannique : arrêt du 28 octobre 1999, Regina v. Secretary of State for Transport, ex parte Factortame Ltd and Others ; Cour constitutionnelle allemande, arrêt du 24 octobre 1996. Notons, toutefois, que la Cour de cassation belge, dans un arrêt du 28 septembre 2006, a sanctionné la faute du législateur à raison de la violation de la CESDH.
(31) Cf. L. Dubouis, La responsabilité de l'Etat législateur pour les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire, RFDA 1992, p. 1.
(32) Pour une application de cette solution, cf. TA Paris, 7 mai 2004, Association France nature environnement, AJDA 2004 p. 1878 note Saulnier-Cassia et CAA Paris, 23 janvier 2006, n° 04PA01092, Société Groupe Salmon Arc-en-Ciel (N° Lexbase : A1494DQE), AJDA 2006 p. 766 (selon le commissaire du Gouvernement L. Helmlinger : "le débat sur la responsabilité de l'Etat législateur est, pour l'essentiel, un faux débat dès lors que, comme l'a fait le Conseil d'Etat dans l'affaire des tabacs, la responsabilité peut être fondée sur l'illégalité des mesures d'exécution prises en application d'une loi méconnaissant des dispositions communautaires").
(33) CE Assemblée, 26 novembre 1976, n° 97328, au Recueil p. 507.
(34) CE, 8 janvier 1960, Laiterie Saint-Cyprien, au Recueil p. 10. Cf. aussi CE, 24 octobre 1984, Société Claude Publicité précité.
(35) D. Simon, La responsabilité de l'Etat saisie par le droit communautaire, AJDA 1996, p. 491.
(36) Cf., par exemple, le droit à une protection juridictionnelle effective : CJCE, 15 mai 1986, aff. C-222/84, Johnston (N° Lexbase : A7291AHI), au Recueil p. 1651.
(37) CJCE, 5 mars 1996, précité.
(38) CE Section, 12 mai 2004, n° 236834 Société Gillot (N° Lexbase : A2102DCT), au Recueil p. 221 : AJDA 2004, p. 1487, note Deguergue ; RFDA 2004, p. 1021, conclusions Séners.
(39) Illégalité tenant à l'incompétence de l'auteur de l'acte : CE, 11 mars 1949, Société des Grands Moulins du Nord, au Recueil p. 118. Illégalité tenant à l'irrégularité de la procédure suivie : CE, 19 mai 1976, n° 98264 Ministre de la Santé c/ SA du Château de Neuvecelle (N° Lexbase : A3172B8Y), aux Tables p. 1112.
(40) Illégalité tenant à une erreur d'appréciation : CE Section, 26 janvier 1973, n° 84768, Driancourt (N° Lexbase : A7586B8H), au Recueil p. 78 : AJDA 1973, p. 245, note Cabanes et Léger. Décision abandonnant la théorie de l'erreur d'appréciation non fautive.
(41) CAA Lyon, 28 juillet 2005, n° 99LY02601, Meyer (N° Lexbase : A1353DLP), au Recueil p. 629, AJDA 2005, p. 2143.
(42) Ibid. p. 9.
(43) L. Dubouis, La responsabilité de l'Etat législateur pour les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire et son incidence sur la responsabilité de la Communauté, RFDA 1996, p. 588.
(44) G. Alberton, La responsabilité de l'Etat au regard du droit communautaire, RFDA 1997, p. 1038 et Le législateur français transgressant le droit international pourra-t-il demeurer encore longtemps irresponsable ?, AJDA 2006, p. 2161.
(45) Droit administratif général, tome I, n° 1519 2°).
(46) CAA Paris Plénière, 1er juillet 1992, n° 89PA02498, Société Jacques Dangeville (N° Lexbase : A8546A8Z), AJDA 1992, p. 768, note Prétot.
(47) Il est vrai que la Cour n'utilise pas le mot "faute". Toutefois, il n'est pas excessif de considérer que le terme "situation illicite" en est un synonyme.
(48) X. Prétot, note sous CAA Paris Plénière, 1er juillet 1992, Société Jacques Dangeville précité, AJDA 1992 p. 770.
(49) Rappelons que, selon cette décision (CE Assemblée, 30 octobre 1998, n° 200286, M. Sarran et M. Levacher N° Lexbase : A8519ASC : AJDA, p. 962, chronique Raynaud et Fombeur ; RFDA 1998, p. 1081, conclusions Maugüé ; Dalloz 2000, Jur., p. 152, note Aubin), d'ailleurs cohérente avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Cons. const., 19 novembre 2004, n° 2004-505 DC N° Lexbase : A9156DDH, JO du 24 novembre 2004 p. 19885 : AJDA 2005, p. 211, note Chamussy et Dord), la suprématie conférée aux engagements internationaux sur les lois par l'article 55 de la Constitution ne peut, dans l'ordre interne, être étendue aux dispositions de la Constitution elle-même. Autrement dit, le Conseil d'Etat refuse de contrôler la conventionnalité des dispositions constitutionnelles et écarte la thèse de la supériorité absolue du droit international sur les normes internes, fussent-elles constitutionnelles, thèse clairement défendue par la CJCE (cf. CJCE, 17 décembre 1970, aff. C-11/70, Internationale Handelsgesellschaft N° Lexbase : A6635AUB, au Recueil p. 1135). Pour le Conseil d'Etat, les dispositions constitutionnelles sont, donc, par nature, supérieures aux Traités.
(50) CEDH, 31 octobre 1995, Papamichalopoulos et autres c/ Grèce, précité.
(51) CJCE 9 mars 1978, Simmenthal, précité.
(52) Cf. à cet égard, Schockweiler, Wivenes et Godart, Le régime de la responsabilité extra-contractuelle du fait d'actes juridiques dans la Communauté européenne, RTDE 1990, pp. 52 à 54. Cf. supra I. B. 1), note 52.
(53) D'une part, en optant pour un système moniste ou dualiste, d'autre part, en fixant les procédures applicables à la négociation, la signature, la ratification et l'entrée en vigueur des Traités. Ce n'est, donc, qu'en vertu de la Constitution que le Traité trouve à s'appliquer en droit interne.
(54)Cf., en ce sens, les conclusions de C. Bergeal à la RDFA 1999, p. 1210, sous CE, 30 juin 1999, n° 190038, Foucher (N° Lexbase : A5433AXI), Dalloz 2000, somm. 259, observations Bon et de Béchillon. Selon elle, "Il n'est pas douteux que la responsabilité à raison des attroupements est une responsabilité sans faute". Cf. aussi CE, Avis 20 février 1998, n° 189185, Société Etudes et Construction de sièges pour l'automobile et autres (N° Lexbase : A6525ASH), au Recueil p. 60 : RFDA 1998, p. 584, conclusions Arrighi de Casanova ; JCP 1998, II.10062, note Moniolle ; AJDA 1998, p. 1029, note Poirot-Mazères ; Dalloz 2000, somm. 259, observations Bon et de Béchillon. Selon cet avis : "Lorsque les conditions d'application de cet article ne sont pas réunies, la responsabilité de l'Etat peut être engagée sur le fondement des principes généraux de la responsabilité sans faute si le dommage indemnisable présente le caractère d'un préjudice anormal et spécial".
(55) Rappelons que cet article n'accorde aux "Traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés" une autorité supérieure que par rapport "aux lois", et non à la Constitution, donc. Par ailleurs, l'article 54 de la Constitution établit une hiérarchie favorable à celle-ci puisqu'il prévoit qu'un Traité qui lui est contraire ne peut être ratifié à moins d'une révision de la Constitution.
(56) CE Section, 6 novembre 1936, Arrighi, au Recueil p. 966 et CE, 5 janvier 2005, n° 257341, Mlle Deprez et Baillard (N° Lexbase : A2306DGI), au Recueil p. 1 : AJDA 2005, p. 845, note Burguorgue-Larsen. Ce, même si la solution consistant à constater l'abrogation implicite d'une loi dont le contenu était devenu incompatible avec une disposition constitutionnelle qui lui était postérieure (CE Assemblée, 16 décembre 2005, n° 259584, Ministre des Affaires sociales et Syndicat national des huissiers de justice N° Lexbase : A0979DM9, au Recueil p. 570 : AJDA 2006, p. 357, chronique Landais et Lenica ; RFDA 2006, p. 41, conclusions Stahl) avait pu être interprété comme l'annonce d'un possible revirement de jurisprudence (cf. en ce sens G. Alberton, Le législateur français transgressant le droit international pourra-t-il demeurer encore longtemps irresponsable ?, AJDA 2006, p. 2162) alors même que le considérant de principe est très clair : "s'il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la conformité d'un texte législatif aux dispositions constitutionnelles en vigueur à la date de sa promulgation, il lui revient de constater l'abrogation, fût-elle implicite, de dispositions législatives qui découle de ce que leur contenu est inconciliable avec un texte qui leur est postérieur, que celui-ci ait valeur législative ou constitutionnelle". Il faut, donc, distinguer l'abrogation, qui est le simple résultat de la succession de normes dans le temps, de l'inconstitutionnalité qui résulte de la contradiction entre la Constitution et une norme qui lui est postérieure.

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