La lettre juridique n°252 du 15 mars 2007

La lettre juridique - Édition n°252

Éditorial

Adieu Walras, les théoriciens de la "concurrence imparfaite" au chevet de la clause de non-concurrence

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N3328BAI

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


A la manière des naturalistes, fervents de l'école classique des économistes des XVIIIème et XIXème siècles, nous avions déjà pu, dans ces colonnes, faire remarquer l'incongruité de la clause de non-concurrence en droit du travail, intervenant dans une sphère entreprenariale pour laquelle les vertus de la concurrence sont, sans cesse, louées (et contrôlées par les autorités administratives indépendantes), aux fins de dynamisme et de développement économiques. Un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 7 mars dernier nous interpelle, également, lorsqu'il énonce que le montant de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence (car nul n'ignore plus, depuis 2002, que la clause sans contrepartie est nulle) ne peut dépendre uniquement de la durée d'exécution du contrat, ni son paiement intervenir avant la rupture. S'il n'est pas question, bien entendu et ici, de discuter l'analyse juridique des juges suprêmes, force est de constater que les conséquences de cette décision font montre de peu de pragmatisme économique. Nul ne peut remettre en cause l'idée selon laquelle le fait de limiter l'employabilité d'un ancien salarié lui cause nécessairement un préjudice, qui comme tout préjudice, se doit d'être indemnisé. Durant les premières années jurisprudentielles du principe de contrepartie financière à la clause de non-concurrence, la règle avait ceci de générale, que l'employeur pouvait proposer au salarié une indemnité calculée selon des éléments objectifs, quels qu'ils soient, et versée durant le contrat, comme à l'exécution de la clause, à partir du moment où le montant de l'indemnité n'était pas dérisoire et où elle était parfaitement identifiable contractuellement. La latitude ainsi laissée à l'employeur revêtait, à notre sens, un certain réalisme de l'entreprise. Car de deux choses l'une ; soit le salarié ne dispose pas d'une compétence propre à l'entreprise, et ne constitue pas une véritable valeur ajoutée pour son développement, et la clause sera, le plus souvent, levée ; soit le salarié, par son expérience dans l'entreprise, par sa formation continue promue et financée par son employeur, présente cette compétence essentielle sur le secteur d'activité concernée, et l'entreprise opposera la clause de non-concurrence afin de ne pas voir le fruit de son investissement en matière de ressources humaines bénéficier à ses concurrents. Si, comme le souligne le Professeur Christophe Radé, il est pertinent que le calcul de l'indemnité prenne en compte, comme le précise également la Haute juridiction, d'autres éléments que la seule durée d'exécution du contrat, est-il erroné de rappeler que la compétence, et donc la valeur sur le marché de l'emploi, du salarié se bonifie avec le temps, et que plus la durée d'exécution du contrat de travail est longue, plus sa valeur accroît, et plus l'indemnité doit être élevée ; le salarié disposant progressivement d'une capacité accrue d'employabilité dans le même secteur d'activité. Ainsi, cette "ancienneté" du salarié dans l'entreprise constitue de facto l'élément le plus pertinent en faveur du calcul de l'indemnité. Par ailleurs, concernant les modalités de paiement de l'indemnité compensatrice d'une clause de non-concurrence, l'arrêt de la Cour de cassation demeure ambigu, comme le rapporte le Professeur Christophe Radé, et demandera des éclaircissements à venir. Mais, si cette jurisprudence déclare, effectivement, nulle la contrepartie versée avant la fin du contrat, le caractère excessif de cette affirmation pourrait jouer finalement contre les intérêts mêmes du salarié. N'en déplaise aux économistes de l'école néoclassique, la concurrence pure et parfaite est une situation hypothétique qui ne se rencontre pratiquement jamais dans la réalité, et l'employeur préfèrera verser une indemnité de non-concurrence chaque mois à son salarié pour lui témoigner de sa valeur et l'encourager à une exécution de bonne foi de son contrat de travail, plutôt que de le sanctionner, a posteriori, en lui opposant une clause de non-concurrence et en lui versant une indemnité d'inactivité. Avec cette première modalité de paiement de l'indemnité, la clause de non-concurrence joue pleinement et le salarié aura pu bénéficier immédiatement de ce complément de salaire, qui indirectement l'encourage à la fidélité envers l'entreprise. Car après tout, c'est l'entreprise qui prend ainsi un risque en cas de non-respect par le salarié de sa clause de non-concurrence... le recouvrement de créance pour défaut d'exécution n'étant jamais chose aisée...

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Fiscalité financière

[Jurisprudence] Les modalités d'application de l'avoir fiscal et du précompte déclarées incompatibles avec la liberté de circulation des capitaux

Réf. : TA Versailles, 7ème ch., 21 décembre 2006, n° 0204040, Société Accor (N° Lexbase : N3301BAI)

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés

Le 07 Octobre 2010


Une société mère française a revendiqué la restitution des sommes payées au titre du précompte mobilier assis sur les distributions de dividendes perçues au cours des années 1999, 2000 et 2001 de ses sociétés filiales établies dans d'autres Etats membres de l'Union européenne.

Le tribunal administratif de Versailles, devant lequel cette revendication a été portée, a accueilli sans équivoque cette dernière en jugeant que le "système de l'avoir fiscal et du précompte, [...], constituent une restriction à la libre circulation des capitaux qui ne peut trouver sa justification dans le principe de territorialité de l'impôt et la préservation de la cohérence du système fiscal français et qui, en conséquence, est contraire aux stipulations des articles 56 (N° Lexbase : L5667BCR) et 58 du Traité instituant la Communauté européenne".

L'examen de la décision nécessite, préalablement, le rappel du système français de l'avoir fiscal et du précompte, appliqué de 1965 à 2004 (loi n° 65-566 du 12 juill. 1965 ; CGI, art. 158 bis N° Lexbase : L2613HLD et 158 ter N° Lexbase : L2615HLG anciens), avant son abrogation par la loi de finances n° 2003-1311 pour 2004 (N° Lexbase : L6348DM3).

Aux termes des dispositions de l'article 158 bis ancien du CGI, les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué par les sommes qu'elles perçoivent de la société, et par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le trésor.

Le crédit d'impôt qui est reçu en paiement de l'impôt, est, aux termes de ces mêmes dispositions, égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société, et ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire.

Aux termes de l'article 216 du même code (N° Lexbase : L3998HLN), les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères, visés à l'article 145 du CGI (N° Lexbase : L1879HNW), touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges.

Lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (CGI, art. 219 1 al. 2 N° Lexbase : L1902HNR) cette société est tenue, aux termes de l'ancien article 223 sexies du CGI (N° Lexbase : L4295HLN), d'acquitter un précompte égal au crédit d'impôt (CGI, art. 158 bis 1 ancien) dû au titre des distributions ouvrant droit au crédit d'impôt quels qu'en soient les bénéficiaires.

Enfin, lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies du CGI, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôt et avoirs fiscaux attachés aux produits de participations, visées à l'article 145 du CGI, encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus (CGI, art. 146, al. 2 N° Lexbase : L2272HLQ).

L'avoir fiscal a donc pour objectif de prévenir la double imposition des bénéfices des sociétés distribués aux actionnaires.

Toutefois, ce système ne s'appliquait qu'uniquement en faveur des dividendes perçus par les sociétés mères de leurs filiales installées en France et non à ceux perçus par ces mêmes sociétés mères pour leurs filiales installées dans un autre pays membre de l'Union européenne.

Ces dernières sociétés mères se trouvaient donc désavantagées par rapport aux premières.

Le système français organisait une "dichotomie" selon que les dividendes provenaient de filiales françaises ou de filiales ayant leur siège dans un autre Etat membre de la Communauté.

En effet, les sociétés assujetties à l'impôt sur les sociétés en France qui perçoivent des dividendes de leurs filiales installées dans un autre pays membre de l'Union européenne se trouvaient soumises au précompte mobilier sans avoir le bénéfice de l'avoir fiscal.

Cette situation résultait de ce que le législateur avait considéré que la filiale établie à l'étranger n'étant pas imposée en France, sa société mère française bénéficiaire des dividendes qu'elle lui avait versés ne pouvait bénéficier de l'avoir fiscal.

Cette situation avait pour effet, non seulement, de les dissuader d'investir leurs capitaux dans les sociétés ayant leur siège dans un autre Etat membre, mais également, de dissuader leurs actionnaires d'investir leurs capitaux dans des sociétés ayant des filiales situées dans un autre Etat membre.

Enfin, à l'égard des sociétés établies dans d'autres Etats membres, la législation relative à l'avoir fiscal et au précompte produit, également, un effet restrictif en ce qu'elle constitue à leur encontre un obstacle à la collecte de capitaux en France, dans la mesure où les revenus de ces capitaux sont fiscalement traités de manière moins favorable que les dividendes distribués par les sociétés établies en France.

Une telle situation, portant une différenciation dans le traitement des modalités de l'imposition en France des dividendes selon qu'ils proviennent de sociétés filiales établies en France ou dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, ne pouvait qu'être soumise à l'examen de sa conformité au regard des dispositions du Traité instituant la Communauté européenne.

Il est rappelé que, si les impôts directs relèvent de la compétence des Etats membres, ceux-ci doivent l'exercer dans le respect du droit communautaire et s'abstenir de toute "discrimination ostensible ou dissimulée fondée sur la nationalité ou le siège" (CJCE, 15 janvier 2002, aff. C-55/00, Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS), Rec. p. I-413, point 32 N° Lexbase : A8474AX7 ; CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96, Imperial Chemical Industries plc (ICI) c/ Kenneth Hall Colmer (Her Majesty' s Inspector of Taxes), Rec. p. I-4695, point 19 N° Lexbase : A0410AW4 ; CJCE, 14 février 1995, aff. C-279/93, Finanzamt Köln-Altstadt c/ Roland Schumacker, Rec. p. I-225, point 21 N° Lexbase : A1803AWP).

La Cour de justice examine donc les dispositions de droit interne au regard des libertés instituées par le Traité et, notamment, celle portant sur la liberté de circulation des capitaux visée à l'article 56 du Traité CE (CJCE, 6 juin 2000, aff. C-35/98, Staatssecretaris van Financiën c/ B.G.M. Verkooijen N° Lexbase : A1828AWM).

Ainsi, aux termes de l'article 56 du Traité instituant la Communauté européenne, "toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites".

Toutefois, aux termes de l'article 58, paragraphe 1, de ce Traité, "l'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres [...] a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où les capitaux sont investis [...] b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale".

Le juge français de l'impôt a considéré, dans cette affaire, que la mise en oeuvre des dispositions précitées du CGI constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée par l'article 56 du Traité CE, que les principes de territorialité et de cohérence fiscale ne sauraient justifier.

La décision se trouve inspirée par l'arrêt "Manninen" (CJCE, 7 septembre 2004, aff. C-319/02, Petri Manninen N° Lexbase : A2692DD3) lequel, selon les conclusions du commissaire du Gouvernement, "peut être regardé à notre sens comme condamnant les dispositifs d'avoir fiscal en vigueur dans d'autres Etats membres, dont la France [...] ; le législateur français tirant d'ailleurs les conséquences de cet arrêt, a remplacé le régime de l'avoir fiscal par un abattement de 50 % sur les dividendes distribués par les sociétés ayant leur siège dans un Etat membre de l'Union européenne" (loi de finances n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, art. 93-I-A, abrogeant à compter du 1er janvier 2005, les articles 158 bis et 158 ter du CGI).

L'administration ne saurait, en effet, se prévaloir, en premier lieu, à l'appui des dispositions du 1er § du a) de l'article 58 précité du Traité, du principe de territorialité (CJCE, 15 mai 1997, aff. 250/95, Futura Participations SA et Singer N° Lexbase : A0119AWC), en soutenant que la situation d'une société mère française ayant une filiale dont le siège social se situerait en France ne serait pas dans la même situation qu'une société mère dont la filiale est établie dans un autre Etat membre.

Le juge de l'impôt, sur ce premier point, rappelle qu'une telle discrimination ne saurait être justifiée au regard de ce principe, dans la mesure où au contraire, à son sens, "les actionnaires, en l'espèce les sociétés mères, assujetties à l'impôt à titre principal en France se trouvent dans une situation comparable, qu'elles perçoivent des dividendes d'une société établie dans cet Etat membre ou d'une société établie dans un autre Etat membre de l'Union européenne, au regard du principe de territorialité de l'impôt, en présence d'une règle fiscale ayant pour objet de prévenir une double imposition des bénéfices distribués".

Il doit être souligné que, dans l'affaire "Marks et Spencer" (CJCE, 13 décembre 2005, aff. C-446/03, Marks & Spencer plc c/ David Halsey (Her Majesty's Inspector of Taxes) N° Lexbase : A9386DL9), l'Avocat général, dans ses conclusions, rappelait que "le principe de territorialité fiscale n'est pas un principe d'autarcie fiscale".

Ainsi, toujours selon toujours le juge de l'impôt, la législation fiscale française ne saurait être considérée comme une conséquence de la mise en oeuvre du principe de territorialité, visé par les stipulations du a) du paragraphe 1 de l'article 58 précité, lesquelles doivent, au demeurant, aux termes de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, faire l'objet d'une interprétation stricte, dès lors qu'elles constituent une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux.

L'administration ne saurait, en second lieu, se prévaloir de l'argumentation selon laquelle la discrimination ainsi relevée se trouverait justifiée par la nécessité de maintenir la cohérence du système fiscal français (CJCE, 28 janvier 1992, aff. C-204/90, Hanns-Martin Bachmann c/ Etat belge N° Lexbase : A9890AUT).

Le juge de l'impôt, sur ce second point, rappelle "qu'eu égard à l'objectif poursuivi, à savoir prévenir une double imposition, la législation française, en ce qu'elle exclut les dividendes perçus de filiales ayant leur siège dans un autre Etat membre du bénéfice de l'avoir fiscal tout en les soumettant au précompte mobilier, n'apparaît pas nécessaire, contrairement à ce que soutient l'administration fiscale, à la cohérence du système fiscal français dès lors que l'objectif poursuivi peut également être atteint en octroyant le bénéfice de l'avoir fiscal aux dividendes distribués par les filiales ayant leur siège dans un autre Etat membre de l'Union européenne ; qu'au surplus, il n'existe pas d'obstacle de principe à ce que le calcul de l'avoir fiscal, s'agissant des dividendes précités, tienne compte de l'impôt effectivement acquitté par la filiale dans l'Etat membre où elle a son siège".

Cette motivation n'est pas sans rappeler celle de la Cour de justice dans l'affaire "Manninen", selon laquelle une argumentation fondée sur la nécessité de sauvegarder la cohérence du système d'un régime fiscal "doit être examinée au regard de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause" (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, Hughes de Lasteyrie du Saillan, point 67 N° Lexbase : A5001DBT).

Selon la Cour, dans cette affaire (point 48), l'objectif d'élimination de la double imposition des bénéfices distribués sous forme de dividendes poursuivi par la législation fiscale finlandaise, pouvait "être atteint en octroyant l'avoir fiscal également en faveur des bénéfices ainsi distribués par les sociétés suédoises aux personnes assujetties à l'impôt à titre principal en Finlande".

La cohérence du régime fiscal finlandais ne pouvait être assurée, selon la Cour, que pour autant que "la corrélation entre l'avantage fiscal consenti en faveur de l'actionnaire et l'impôt dû au titre de l'impôt sur les sociétés est maintenu".

Il s'ensuit que l'octroi d'un avoir fiscal à un actionnaire détenant des actions d'une société suédoise qui se trouve assujettie à titre principal à l'impôt finlandais, qui serait calculé en fonction de l'impôt dû par la société suédoise au titre de l'impôt sur les sociétés en Suède, "ne mettrait pas en cause la cohérence du régime fiscal finlandais et constituerait une mesure moins restrictive pour la libre circulation des capitaux que celle prévue par la réglementation fiscale finlandaise".

Par ailleurs, toujours selon la Cour, dans la même affaire (point 49), le fait que l'avoir fiscal soit octroyé aux dividendes versés par des sociétés établies dans un autre Etat membre entraînerait pour la Finlande une réduction de ses recettes fiscales, ne peut être considéré "comme une raison impérieuse d'intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure contraire" à une liberté fondamentale (CJCE, 6 juin 2000, aff. C-35/98, Staatssecretaris van Financiën c/ BGM Verkooijen, Rec. p. I-4071, point 59 N° Lexbase : A1828AWM ; CJCE, 3 octobre 2002, aff. C-136/00, Rolf Dieter Danner, Rec. p. I-8147, point 56 N° Lexbase : A8951AZK ; CJCE, 21 novembre 2002, aff. C-436/00, X c/ Riksskatteverket, Rec. p. I-10829, point 50 N° Lexbase : A0406A78).

C'est cette démarche que le tribunal administratif de Versailles a intégrée, au cas d'espèce, en écartant les tentatives de justification de la discrimination organisée par le système français de l'avoir fiscal et du précompte.

Là encore, l'influence de l'arrêt "Manninen" précité s'est fait sentir, lequel, il convient de souligner, rappelait (point 43) pour qu'un argument fondé sur une justification du régime fiscal national puisse prospérer, "il faut que soit établie l'existence d'un lien direct entre l'avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé" (CJCE, 14 novembre 1995, aff. C-484/93, Peter Svensson et Lena Gustavsson c/ Ministre du Logement et de l'Urbanisme, Rec. p. I-3955, point 18 N° Lexbase : A7474AHB ; CJCE, 27 juin 1996, aff. C-107/94, P. H. Asscher c/ Staatssecretaris van Financiën, Rec. p. I-3089, point 58 N° Lexbase : A1787AW4 ; CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96, Imperial Chemical Industries plc (ICI) c/ Kenneth Hall Colmer (Her Majesty' s Inspector of Taxes), Rec.p. I-2651, point 29 ; CJCE, 28 octobre 1999, aff. C-55/98, Skatteministeriet c/ Bent Vestergaard, Rec. p. I-7641, point 24 N° Lexbase : A0580AWE ; CJCE, 21 novembre 2002, aff. C-436/00, X c/ Riksskatteverket, Rec. p. I-10829, point 52).

En conclusion, on notera que l'intérêt de ce jugement à ce jour risque de se trouver limité pour les contribuables qui, dans une situation analogue, n'ont pas engagé d'action contentieuse. En effet, les dispositions modifiées des alinéas 3 et 4 de l'article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L5858HIS) précisent que, lorsque la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, comme au cas particulier, a été révélée par une décision juridictionnelle du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation ou de la Cour de justice des Communautés européennes, l'action en restitution des sommes versées ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue. Or, la décision du tribunal administratif de Versailles n'est pas au nombre des décisions prises par une Haute cour, comme le Conseil d'Etat, et le délai de droit commun de réclamation (LPF, art. R. 196-1 N° Lexbase : L6486AEX) est, aujourd'hui, expiré.

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Marchés publics

[Jurisprudence] Les suites de la nullité d'un marché public : le sort des conclusions indemnitaires

Réf. : CAA Marseille, 6ème ch., 4 décembre 2006, n° 04MA01042, SAS Onet Services (N° Lexbase : A9079DTG)

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N3153BAZ

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Le 07 Octobre 2010

1- Quelles conséquences faut-il tirer de la nullité d'un marché public ? Voilà une interrogation classique du droit des contrats administratifs qui ne cesse de préoccuper les collectivités publiques et leurs cocontractants. En raison de la complexité des règles présidant à leur conclusion, mais aussi de la tendance actuelle à ériger la contestation contentieuse en une arme économique, les contrats administratifs sont, en effet, aujourd'hui plus qu'hier, sujets "à une certaine fragilité juridique" (1). Il faut dire aussi que la nullité d'un contrat, constatée par le juge administratif, est plus qu'un accident ; c'est "une sorte de coup de tonnerre dans un ciel contractuel apparemment serein" pour reprendre l'expression du commissaire du Gouvernement Henri Savoie (2). Contrairement à la résiliation qui ne produit des effets que pour l'avenir, elle possède un caractère rétroactif qui se traduit par un anéantissement des relations contractuelles, les parties étant censées n'avoir jamais contracté et n'avoir jamais été tenues par les obligations nées du contrat (3). Se pose, alors, la délicate question de savoir quelles voies de droit peuvent être exploitées par les parties pour demander au juge le versement des sommes auxquelles elles prétendent, qu'il s'agisse de celles correspondant aux dépenses engagées pour exécuter le contrat avant le constat judiciaire de sa nullité ou de celles correspondant au préjudice résultant de cette même nullité. 2- En témoigne l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Marseille le 4 décembre 2006 dans l'affaire mettant aux prises la SAS Onet Services et le département des Bouches-du-Rhône (4). En l'espèce, la société précitée avait obtenu en 1999 le marché public de nettoyage de locaux du département pour un montant annuel de 2,430 millions de francs (soit 370 000 euros). Mais, à la suite de la demande du préfet qui avait constaté une irrégularité dans le déroulement de la procédure de mise en concurrence (la collectivité avait très maladroitement organisé une réunion d'information avant la date limite de réception des dossiers de consultation et avait divulgué des renseignements de nature à porter atteinte au libre jeu de la concurrence et au principe d'égalité des candidats à un marché public), l'attribution du marché a été retirée et son exécution interrompue. La société a alors saisi le tribunal administratif de Marseille aux fins d'indemnisation du préjudice résultant de ce retrait, mais son recours a été rejeté au motif que la société requérante se bornait à invoquer la rupture abusive d'un contrat qui ne pouvait faire naître d'obligations entre les parties compte tenu de sa nullité. En appel, la SAS Onet Services a formulé une demande d'indemnité fondée, d'une part, sur l'enrichissement sans cause qui serait résulté pour le département des Bouches-du-Rhône des prestations qu'elle a exécutées et, d'autre part, sur la faute que la collectivité territoriale aurait commise en passant le contrat litigieux dans des conditions irrégulières. Appliquant la jurisprudence "Société Citécable Est" du Conseil d'Etat (5), la cour administrative d'appel de Marseille a considéré, dans l'arrêt commenté, que les actions en responsabilité quasi-contractuelle et en responsabilité quasi-délictuelle intentées par la société requérante étaient recevables, alors même qu'elles ont été présentées pour la première fois en appel et qu'elles ne sont pas des moyens d'ordre public (I). Statuant ensuite au fond, les juges marseillais ont rejeté la demande d'indemnisation formulée au titre de l'enrichissement sans cause et accueilli celle fondée sur la faute quasi-délictuelle commise par le département (II).

I- La recevabilité des actions en responsabilité quasi-contractuelle et en responsabilité quasi-délictuelle

3- Si les voies de droit offertes aux contractants sont nombreuses (A), leur articulation repose sur des règles solidement établies qui visent à réparer au plus juste le préjudice qu'ils ont subi du fait de la nullité de leur contrat (B).

A- La pluralité des actions offertes aux cocontractants

4- Les parties à un contrat administratif ont plusieurs moyens d'actions leur permettant d'obtenir devant le juge le paiement d'indemnités auxquelles elles estiment avoir droit. Leur première possibilité consiste tout naturellement à saisir le juge administratif d'une action en responsabilité contractuelle, laquelle vise à contraindre les parties à réparer les préjudices découlant de la méconnaissance des obligations nées du contrat. L'une des caractéristiques essentielles de cette responsabilité contractuelle est son caractère attractif ou absorbant : les parties ne peuvent rechercher leur responsabilité respective que dans le cadre de leur contrat et il leur est donc impossible d'intenter une action en responsabilité extracontractuelle pour régler un litige qui a une origine contractuelle (6). C'est sur ce terrain exclusif de la responsabilité contractuelle que s'était placée la SAS Onet Services devant le tribunal administratif de Marseille pour obtenir réparation du préjudice lié à la rupture du marché par le département. Seulement, la déclaration de nullité du contrat litigieux a anéanti les chances de succès de la société requérante sur ce terrain car la recherche de la responsabilité contractuelle de la collectivité publique est conditionnée, comme on l'a dit, par l'existence d'un contrat valide.

5- Il ne restait plus, alors, à la société requérante qu'à utiliser une autre voie de droit pour obtenir gain de cause. L'une d'entre elles est celle de l'action en responsabilité quasi-contractuelle (7) et elle renvoie en réalité à trois catégories distinctes : l'action en répétition de l'indu, la gestion d'affaires et l'enrichissement sans cause, seule cette dernière nous intéressant ici (8). Trouvant sa source dans le droit romain, cette action est aujourd'hui pleinement admise par la jurisprudence administrative qui ne manque pas de s'inspirer des solutions consacrées par la Cour de cassation dans le silence du Code civil (9). Par son arrêt de section du 14 avril 1961, "Ministre de la Reconstruction et du Logement c/Société Sud-Aviation", le Conseil d'Etat l'a même érigée au rang de principe général du droit et elle est le pendant d'un autre principe général du droit, celui selon lequel on ne saurait condamner une personne publique à payer une somme qu'elle ne doit pas (10). L'action de in rem verso peut être engagée pour régler les conséquences indemnitaires de relations bilatérales d'échange de "pur fait" (11) ce qui renvoie en pratique à deux grandes hypothèses. Dans la première, il s'agit de reconnaître l'enrichissement sans cause d'une personne ayant bénéficié de prestations réalisées en dehors de toute base conventionnelle mais reposant néanmoins sur l'apparence d'une relation contractuelle (12). Dans la seconde, qui était directement en cause dans notre affaire, il s'agit d'utiliser l'action de in rem verso pour régler les conséquences indemnitaires découlant de la nullité d'un contrat. On sait, en effet, que les causes de nullité des contrats administratifs sont nombreuses et bien souvent décelées alors que le contrat a reçu un commencement d'exécution, voire a déjà été entièrement exécuté. Dans ce cas, le cocontractant de l'administration se trouve dans l'impossibilité d'invoquer devant le juge une quelconque créance contractuelle, le contrat nul étant censé n'avoir jamais existé, et l'équité commande bien évidemment qu'il soit justement indemnisé.

6- Pour obtenir une réparation complète, le cocontractant doit placer son action sur le terrain de la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle en demandant au juge administratif de constater que la nullité du contrat soit la conséquence d'une faute commise par l'administration (13). Dès lors que toute illégalité commise par l'administration est fautive (en matière contractuelle au moins (14)) et engage la responsabilité de son auteur (15), il n'y a en effet aucune raison de ne pas autoriser la victime à compléter son action en responsabilité quasi-contractuelle par une action en responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle.

B- L'articulation entre les différentes voies de droit

7- La combinaison entre les trois voies de droit évoquées, responsabilité contractuelle, quasi-contractuelle et délictuelle ou quasi-délictuelle, dans le cas de la nullité d'un contrat administratif repose sur les règles suivantes. Tout d'abord, et c'est une solution classique, la déclaration de nullité du contrat fait obstacle à ce que le cocontractant de l'administration puisse saisir le juge administratif d'une action en responsabilité contractuelle (supra n°4). Ensuite, rien n'interdit au cocontractant de compléter son action en responsabilité quasi-contractuelle (afin d'obtenir le remboursement des sommes utiles à l'administration, mais indûment perçues) d'une action en responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle (pour obtenir réparation du préjudice liée à la faute commise par l'administration). Ce principe de la combinaison entre les deux actions est clairement rappelé par la cour administrative d'appel de Marseille dans l'arrêt du 4 décembre 2006 : "le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité est fondé à réclamer, en tout état de cause, le remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers de laquelle il s'était engagé ; que dans le cas où la nullité du contrat résulte, comme en l'espèce, d'une faute de l'administration, il peut en outre prétendre à la réparation du dommage imputable à cette faute et le cas échéant, demander à ce titre, le paiement du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat". Le cumul des deux actions rencontre, cependant, une limite importante : la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle de la collectivité ne peut être retenue que si "le remboursement à l'entreprise de ses dépenses utiles [au titre de l'enrichissement sans cause] ne lui assure pas une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procuré". Cela signifie en d'autres termes que l'action en responsabilité quasi-délictuelle ne doit pas être utilisée par l'ex-cocontractant de l'administration pour s'enrichir aux dépens de la collectivité (16).

8- Ce cumul de responsabilités est d'autant plus favorable aux intérêts des anciens cocontractants de l'administration que le Conseil d'Etat considère, depuis son arrêt "Société Citécable Est" du 20 octobre 2000, que les conclusions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle et sur la responsabilité quasi-contractuelle sont recevables même si elles sont présentées pour la première fois en appel. Cette solution déroge aux règles classiques de la procédure administrative contentieuse. On sait qu'en principe la juridiction administrative d'appel ne peut statuer que sur les conclusions présentées aux juges de première instance et qu'elle doit donc rejeter comme irrecevables les conclusions nouvelles. Cela interdit donc au demandeur de première instance d'invoquer en appel des moyens se rattachant à une cause juridique distincte des moyens soulevés en première instance, sauf s'il s'agit de moyens d'ordre public invocables en tout état de cause. Appliquée à la matière contractuelle, cette règle signifiait avant l'arrêt "Société Citécable Est" que le cocontractant de l'administration ayant saisi le juge en première instance sur le fondement de la responsabilité contractuelle ne pouvait pas, en appel, se placer sur le terrain de la responsabilité extracontractuelle, sachant que ni l'action en responsabilité quasi-délictuelle ni l'action en responsabilité quasi-contractuelle ne sont d'ordre public. Pour classique qu'elle soit, cette solution pouvait heurter car il arrivait très souvent en pratique qu'un requérant ayant agi sur le terrain de la responsabilité contractuelle se voyait opposer la nullité du contrat par le juge (laquelle peut être soulevée d'office) et ne pouvait pas prolonger son action contentieuse devant le juge d'appel en invoquant l'enrichissement sans cause et la faute de la collectivité. Il lui restait, alors, ce qui était une perte de temps regrettable et une cause d'encombrement des juridictions, à saisir à nouveau le juge de première instance de conclusions fondées sur ces deux causes juridiques. Par son arrêt précité du 20 octobre 2000, le Conseil d'Etat a corrigé ces inconvénients en affirmant que "lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d'office, la nullité du contrat, les contractants peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause que l'application du contrat frappé de nullité a apporté à l'un d'eux ou de la faute consistant, pour l'un d'eux, à avoir passé un contrat nul, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles". La cour administrative d'appel de Marseille reprend à son compte ce considérant de principe en y ajoutant que les actions en responsabilité quasi-délictuelle et quasi-délictuelle sont recevables même dans l'hypothèse où la déclaration de nullité du contrat fait suite à une demande formulée par l'un des contractants en première instance. Cette précision est importante car, en l'espèce, le département des Bouches-du-Rhône avait riposté à l'action en responsabilité contractuelle dirigée contre lui en invoquant la nullité du contrat. Il y avait donc un point commun entre l'affaire jugée par la cour administrative d'appel de Marseille et celle jugée par le Conseil d'Etat : l'action en nullité a été utilisée dans les deux cas par l'une des parties comme une sorte de moyen de défense pour se délier de ses obligations contractuelles. Mais il y avait également une différence qui aurait pu justifier une solution distincte : alors que la nullité du contrat avait été invoquée pour la première fois en appel dans l'affaire "Société Citécable Est" (ce qui portait à croire que la nullité avait véritablement été découverte à ce stade et non avant), elle avait été soulevée par le département des Bouches-du-Rhône dès le stade de la première instance dans le litige l'opposant à la SAS Onet Services. Et, dès lors que cette dernière avait connaissance des risques pesant sur le contrat au premier stade de la procédure contentieuse, le juge administratif aurait pu considérer que sa demande fondée sur la responsabilité quasi-contractuelle et quasi-délictuelle du département était irrecevable en appel faute d'avoir été invoquée plus tôt. Une telle solution n'était pas totalement à exclure : la cour administrative d'appel de Nancy avait opté en ce sens dans un arrêt du 4 décembre 2003 (17) à propos d'une société qui avait maintenu son action sur le seul terrain de la responsabilité contractuelle devant le tribunal administratif alors que celui-ci lui avait clairement indiqué qu'il était susceptible de soulever le moyen d'ordre public tiré de la nullité du contrat. En se ralliant à la position du Conseil d'Etat, les juges marseillais ont, certainement, été sensibles au fait qu'il fallait simplifier les règles applicables en la matière et qu'il n'était sans doute pas bon d'ajouter une exception à la "jeune" jurisprudence "Société Citécable Est".

II- L'exercice des deux actions en responsabilité quasi-contractuelle et en responsabilité quasi-délictuelle

9- Bien que jugeant les deux actions de la société requérante en responsabilité quasi-contractuelle et quasi-délictuelle recevables, la cour administrative d'appel de Marseille ne leur a pas réservé le même sort au fond. Alors que les conclusions fondées sur l'enrichissement sans cause ont été rejetées (A), celles exercées sur le terrain de la faute quasi-délictuelle ont été retenues (B).

A- Le rejet au fond de l'action en responsabilité quasi-contractuelle du département

10- Si le juge administratif fait preuve d'une certaine souplesse en admettant qu'un ex-cocontractant puisse mener de concert, y compris pour la première fois en appel, une action en responsabilité quasi-délictuelle et une action en responsabilité quasi-contractuelle, il veille toutefois à ce que le souci de protection des cocontractants de l'administration n'excède pas les limites de l'équité. Il attache, en effet, une grande importance au respect des conditions d'engagement de la responsabilité quasi-contractuelle de la collectivité publique. A l'enrichissement du débiteur poursuivi doit correspondre un appauvrissement corrélatif du titulaire de l'action, aucune cause juridique ne doit expliquer l'enrichissement (absence de tout contrat valide, par exemple, ou d'une quelconque obligation légale ou réglementaire à la charge du créancier) et l'appauvrissement (absence de faute ou d'intention libérale du créancier) et aucune autre voie de droit ne doit permettre au débiteur de faire valoir ses prétentions. En l'espèce, les faits ne prêtaient pas à discussion : alors que la société requérante invoquait les prestations de nettoyage réalisées sur la période courant du 1er septembre 1999 au 15 mars 2000, l'instruction a fait apparaître qu'elles avaient été payées. Par ailleurs, concernant la période courant du 16 mars au 22 mai 2000, les juges marseillais ont établi qu'elle n'avait "effectué aucune prestation de nature à établir que les dépenses qu'elle a exposées auraient été utiles au département des Bouches-du-Rhône".

11- S'il ne présente, en lui-même, aucune nouveauté fondamentale sur les conditions d'engagement de la responsabilité quasi-contractuelle, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille permet de rappeler que les exigences du juge administratif sont très fortes. La jurisprudence récente en témoigne. Dans l'arrêt "Me Malmezat Prat" lu le 24 novembre 2006 (18), le Conseil d'Etat était saisi du litige opposant la communauté urbaine de Bordeaux (la CUB) à la Société pour la concession du métro et du réseau de bus de l'agglomération bordelaise (la Société MB2). Plus précisément, après avoir confié par contrat à la Société MB2 la mission de préparer le projet de traité de concession du futur métro et du réseau de bus, l'établissement public de coopération intercommunale avait fini par abandonner son projet initial de concession de métro à Bordeaux. Saisi par la CUB d'une action en résiliation, le tribunal administratif de Bordeaux a déclaré nulle ladite convention dans un premier jugement avant de condamner l'établissement public à payer une indemnité à la Société MB2 dans une seconde décision. Estimant qu'elle ne couvrait pas l'intégralité de son préjudice, le mandataire de cette dernière, placée en liquidation judiciaire, a saisi la cour administrative d'appel de Bordeaux qui a rejeté son recours au motif que l'abandon du projet de réalisation d'un métro faisait obstacle à ce qu'elle obtienne, au titre de l'enrichissement sans cause, une indemnisation de la totalité de ses dépenses. En cassation, le Conseil d'Etat a validé ce raisonnement en prenant soin d'indiquer qu'il fallait distinguer la question de la consistance des prestations exécutées par l'ex-cocontractant de celle de leur utilité pour l'administration. Alors que les dépenses engagées par l'ex-cocontractant doivent être évaluées au moment où elles sont exécutées, leur utilité pour l'administration doit être appréciée par le juge administratif "à la date à laquelle il statue en tenant compte éventuellement de l'évolution des travaux ou du projet depuis leur exécution". Ce décalage dans l'appréciation des deux conditions d'engagement de la responsabilité quasi-contractuelle a pour conséquence directe d'exclure l'indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause en cas d'abandon du projet par l'administration, les dépenses engagées par son ex-cocontractant devenant inutiles du fait de cet abandon. Ne sont pas susceptibles de changer cet état de fait la circonstance que le projet aurait été abandonné pour des considérations étrangères à l'intérêt général ou que les dépenses ont été engagées par l'ex-cocontractant en vue d'assurer une exécution complète du contrat déclaré nul. La seule solution est, alors, pour l'ancien contractant de saisir le juge administratif d'une action en responsabilité quasi-délictuelle. Ce n'est que dans l'hypothèse, sans doute assez rare en pratique, où la renonciation au projet trouve sa source dans les difficultés révélées par les études effectuées par l'ex-cocontractant que ce dernier peut prétendre à une indemnité sur le fondement de l'enrichissement sans cause de la personne publique.

12- Dans l'hypothèse où toutes les conditions d'engagement de la responsabilité quasi-contractuelle de l'administration sont réunies, le juge administratif prend garde à ne pas indemniser son ancien cocontractant plus qu'il ne le faut. L'action en répétition de l'enrichissement sans cause ne peut pas être utilisée pour réparer l'intégralité du préjudice subi par le partenaire de la personne publique du fait du constat de la nullité du contrat, elle peut seulement être activée pour contraindre l'administration à payer les sommes correspondant aux prestations réalisées par son cocontractant et qui lui ont été utiles.

B- La reconnaissance de la responsabilité quasi-délictuelle du département

13- Les exigences du juge administratif relatives à la réalisation des conditions nécessaires à l'engagement de la responsabilité quasi-contractuelle de la collectivité publique étant particulièrement fortes, il est judicieux pour l'ancien cocontractant d'ajouter à sa demande d'indemnisation fondée sur l'enrichissement sans cause une action en responsabilité quasi-délictuelle. Elle lui permettra dans le meilleur des cas d'obtenir un complément d'indemnisation à condition, toutefois, que l'indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée (19). Elle lui permettra, ensuite, dans le pire des scénarii (autrement dit lorsque l'enrichissement sans cause n'est pas constitué) de prétendre à une indemnisation des conséquences liées à la faute commise par l'administration. Tel était le cas dans l'affaire "SAS Onet Services". Le département des Bouches-du-Rhône avait, à l'évidence, commis une faute en organisant, dans le cadre de la procédure d'appel d'offres, une réunion d'information au cours de laquelle les candidats invités ont bénéficié d'informations, alors que les dossiers de consultation avaient continué à lui être adressés. Sans surprise, la cour administrative d'appel de Marseille a vu, dans l'organisation de cette réunion, une atteinte au libre jeu de la concurrence et au principe d'égalité des candidats à un marché public et a conclu à l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle du département.

14- Se posait, alors, la question du préjudice indemnisable. Selon une jurisprudence bien établie (20), "il appartient au cocontractant de l'administration qui entend obtenir l'indemnisation du préjudice que lui a causé la faute commise par cette administration en signant un contrat entaché de nullité, de justifier de la réalité de son préjudice, et notamment des dépenses et des charges qu'il a supportées pour exécuter ce contrat ainsi que de la perte de bénéfice". La SAS Onet Services ayant produit devant la cour divers courriers attestant de l'immobilisation de son personnel pendant une période de neuf semaines, les juges ont estimé que le préjudice subi par elle s'élevait à 301 835,71 francs (soit 46 014,56 euros). Toutefois, le département des Bouches-du-Rhône n'a été condamné qu'à régler les trois quarts de cette somme (soit 34 510,92 euros). Si la faute quasi-délictuelle était bien constituée et le lien de causalité entre la faute et le préjudice établi (21), la cour administrative d'appel de Marseille a mis en évidence que la SAS Onet Services avait elle-même commis une faute de nature à atténuer la responsabilité du département (22). La société requérante avait, en effet, participé à la réunion d'informations organisée par la collectivité territoriale et tout porte à croire qu'elle avait pu y glaner des renseignements qui lui ont permis par la suite de remporter le marché. Pour cette raison, les juges marseillais ont estimé que le département n'était responsable qu'à hauteur de 75 % du préjudice subi par la SAS Onet Services.

François Brenet
Maître de Conférences en droit public à l'Université de Tours


(1) H. Savoie, conclusions sur CE, 20 octobre 2000, n° 196553, Société Citécable Est (N° Lexbase : A9119AH9), RFDA 2001, p. 359 et spéc. p. 364.
(2) H. Savoie, conclusions précitées, RFDA 2001, p. 367.
(3) D. Pouyaud, La nullité des contrats administratifs, LGDJ 1991, BDP, tome 158.
(4) CAA Marseille, 4 décembre 2006, n° 04MA01042, SAS Onet Services, Dr. Adm. 2007, comm. 4, O. Guillaumont.
(5) CE, 20 octobre 2000, Société Citécable Est, précité, Rec. 457, RFDA 2001, p. 359, concl. H. Savoie, RDP 2001, p. 376, obs. C. Guettier.
(6) CE 3° et 5° s-s-r., 1er décembre 1976, n° 98946, Berezowski (N° Lexbase : A1417B7M), Rec. 521.
(7) F. Moderne, Les quasi-contrats administratifs, Sirey, 1995.
(8) Sur ce quasi-contrat administratif, voir G. Bayle, L'enrichissement sans cause en droit administratif, LGDJ 1973 ; C. Moniolle, Enrichissement sans cause, Encyclopédie Dalloz, Responsabilité de la puissance publique.
(9) C. cass., 19 juin 1892, D. 1892, I, 596.
(10) CE, 9 mars 1971, Sieur Mergui, Rec. 235 ; concl. M. Rougevin-Baville, RDP 1972, p. 234, note M. Waline.
(11) H. Savoie, conclusions précitées, p. 362.
(12) CE 3° et 8° s-s-r., 25 octobre 2004, n° 249090, Commune du Castellet N° Lexbase : A6708DDS : RJEP 2005, n° 617, p. 69, concl. E. Glaser ; CMP 2004, n° 258, comm. J.-P. Piétri ; CT-Intercommunalité janvier 2005, n° 9, comm. L. Erstein. Dans cette affaire, le Conseil d'Etat a reconnu l'enrichissement sans cause de la commune du Castellet qui avait bénéficié des prestations offertes par un syndicat intercommunal alors qu'aucun contrat ne les liait.
(13) CE 2° et 6° s-s-r., 19 avril 1974, n° 82518, Société Entreprises Louis Segrette (N° Lexbase : A3000B8M), Rec. 1052.
(14) Tel n'est pas le cas en matière de loi inconventionnelle comme en a décidé récemment le Conseil d'Etat : CE, 8 février 2007, n° 279522, M. Gardedieu (N° Lexbase : A2006DUT).
(15) CE, 26 janvier 1973, n° 84768, Ville de Paris c/ Sieur Driancourt (N° Lexbase : A7586B8H), Rec. 78, concl. M. Gentot.
(16) Pour un rappel de cette limite : CE, 20 octobre 2000, Société Citécable Est, précité ; CE, 2° et 7° s-s-r., 16 novembre 2005, n° 262360, M. Auguste c/ Commune de Nogent-sur-Marne (N° Lexbase : A6287DLG) : Rec. 507 ; BJCP 2006, n° 45, p. 128, concl. D. Casas ; CP-ACCP mai 2006, note A. Claeys ; RJEP-CJEG 2006, p.122, note C. Guettier.
(17) CAA Nancy, 4 décembre 2003, n° 02NC00012, SA GMEP (N° Lexbase : A4588DA8) : Rec. CE, p. 866 et p. 858. Décision citée par D. Chabanol, J.-P. Jouguelet et F. Bourrachot, Le régime juridique des marchés publics, Le Moniteur, 4ème édition, 2004, p. 255.
(18) CE, 2° et 7° s-s-r., 24 novembre 2006, n° 268129, Me Malmezat Prat (N° Lexbase : A7594DS3) : Contrats Marchés publ. 2007, comm. 9, W. Zimmer ; Dr. Adm, 2007, n° 22.
(19) CE, 16 novembre 2005, M. Auguste c/ Commune de Nogent-sur-Marne, précité.
(20) CE, 24 novembre 2006, Me Malmezat Prat, précité.
(21) Pour un exemple dans lequel ce lien de causalité n'est pas établi, voir CE, 9 février 1968, n° 69949, Canaut (N° Lexbase : A6261B7Z), Rec. 105.
(22) Par exemple : CE, 13 juillet 1968, n° 70932, Stoskopf (N° Lexbase : A9489B7L), Rec. 460 ; CE, 11 février 1972, n° 79402, OPHLM du Calvados (N° Lexbase : A7771B7X), AJDA 1972, p. 245, concl. E. Guillaume.

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Responsabilité

[Jurisprudence] Responsabilité du transporteur aérien et distinction de la garde de la structure et de la garde du comportement

Réf. : Cass. civ. 1, 27 février 2007, n° 03-16.683, M. Gérard Voillemier, FS-P+B (N° Lexbase : A4068DU9)

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N3229BAT

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Le 07 Octobre 2010

La responsabilité du transporteur aérien, qui donne lieu, à certaines conditions, à l'application des dispositions spéciales du Code de l'aviation civile, n'exclut pas, pour autant, la mise en oeuvre du droit commun de la responsabilité civile et, en l'occurrence, de la responsabilité du fait des choses inanimées de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS). Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, à paraître au Bulletin, en date du 27 février dernier, en constitue, d'ailleurs, un exemple, d'autant plus intéressant qu'il renvoie à la distinction de la garde de la structure et de la garde du comportement, dont on sait qu'elle a suscité et continue de susciter quelques difficultés d'application. En l'espèce, à la suite d'un accident au cours duquel un aéronef, appartenant à l'aéroclub de Bastia, s'était écrasé, les trois passagers, qui ont été blessés lors de l'accident, ont assigné en réparation de leur préjudice le pilote, d'une part, et l'aéroclub, d'autre part.

Sur le premier moyen du pourvoi, la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir rejeté la demande d'indemnisation formée contre le pilote au motif que, dans le cas particulier d'un transport gratuit, la mise en oeuvre de la responsabilité suppose que la victime rapporte la preuve d'une faute du pilote, qui doit être, au sens de l'article L. 321-4 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L4195AWB), une faute inexcusable. Or, précisément, la cour d'appel, qui avait constaté, après expertise, que la "décision prise par le pilote s'analysait en une mauvaise appréciation de la manoeuvre à opérer compte tenu des conditions météorologiques du vol, a pu en déduire l'existence d'une faute dont elle a fait une appréciation par rapport au comportement d'un pilote normalement avisé et prudent", mais elle a considéré qu'elle "ne constituait pas une faute inexcusable, soit une faute délibérée impliquant la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable".

On rappellera simplement, ici, que l'article L. 322-3 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L5745HD7), qui dispose que la responsabilité du transporteur est régie par les dispositions de la Convention de Varsovie, prévoit une limitation de cette responsabilité, ce que redit d'ailleurs la Cour de cassation en l'espèce. Encore faut-il, bien entendu, que le transport au cours duquel l'accident s'est produit puisse être qualifié de transport aérien au sens de l'article L. 310-1 (N° Lexbase : L4189AW3) du même code, texte aux termes duquel "le transport aérien consiste à acheminer d'un point d'origine à un point de destination des passagers, des marchandises ou de la poste". Et l'on sait que la qualification de transport aérien est parfois discutée et a donné lieu à quelques décisions remarquées. Ainsi par exemple la première chambre civile de la Cour de cassation a eu l'occasion, on s'en souvient, de considérer que le baptême de l'air en parapente, deltaplane ou ULM constitue bien un transport aérien, de telle sorte que doit s'appliquer la limitation légale de responsabilité (1). La solution était, il faut le dire, assez prévisible puisqu'il avait non seulement déjà été jugé que constitue un transport aérien un vol en ULM, avec pilote et passager, dont l'objet principal est le déplacement d'un aérodrome à un autre (2), tout comme le vol en ULM consistant en une promenade aérienne (3), mais encore parce que la Haute juridiction avait déjà décidé que la qualification de transport aérien devait être retenue dans le cas d'un baptême de l'air en parapente biplace, nonobstant le caractère circulaire du déplacement, l'engin étant un aéronef (4). Toujours est-il que, dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt de la première chambre civile du 27 février dernier, la qualification de transport aérien ne faisait cette fois aucun doute. Aussi bien la limitation de responsabilité devait-elle logiquement jouer, à supposer que la responsabilité puisse, tout de même, valablement être mise en oeuvre. Or, à ce titre, l'article L. 322-3 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L5745HD7) précise que "sauf stipulations conventionnelles contraires, la responsabilité du transporteur effectuant un transport gratuit ne sera engagée, dans la limite prévue ci-dessus, que s'il est établi que le dommage a pour cause une faute imputable au transporteur ou à ses préposés", faute qui, contrairement à ce qu'exige l'article L. 321-4, n'était pas en l'espèce inexcusable. A défaut d'avoir pu obtenir réparation de leur préjudice du pilote lui-même, les victimes de l'accident avaient en outre assigné l'aéroclub en responsabilité.

Le second moyen du pourvoi faisait précisément grief aux premiers juges d'avoir également rejeté la demande des victimes à l'encontre de l'aéroclub alors que, selon elles, d'une part, l'aéroclub serait responsable sur le fondement de la responsabilité générale du fait d'autrui du fait dommageable du pilote, et, d'autre part, l'aéroclub aurait commis une faute en confiant le vol à un pilote inexpérimenté. La Cour de cassation rejette le pourvoi et approuve la cour d'appel d'avoir considéré, après avoir fait valoir qu'il n'était pas contesté que le pilote n'agissait pas ici en qualité de préposé de l'aéroclub, que "la responsabilité de l'aéroclub ne pouvait être recherchée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil qu'en sa qualité de gardien de la structure de l'appareil". Or, l'enquête ayant révélé que l'appareil était en parfait état de vol à son décollage, la cour d'appel "en a justement déduit que la responsabilité de [l'aéroclub] ne pouvait être retenue sur ce fondement".

L'arrêt est intéressant à plus d'un titre :

D'abord, en effet, en affirmant que la responsabilité de l'aéroclub "ne pouvait être recherchée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil qu'en sa qualité de gardien de la structure de l'appareil", il exclut la possibilité que sa responsabilité puisse être recherchée sur le terrain de la responsabilité générale du fait d'autrui dont on sait pourtant que, depuis sa consécration par le désormais célèbre arrêt "Blieck" (5), elle n'a cessé de gagner du terrain, notamment pour s'étendre aux associations sportives ou de loisirs (6).

Ensuite, l'arrêt se réfère à la distinction, au sein de la notion de garde, entre la garde de la structure et la garde du comportement, distinction d'origine doctrinale que la jurisprudence a à quelques reprises mise en oeuvre (7).

Enfin, en écartant la responsabilité de l'aéroclub en tant que gardien de la structure au motif que l'appareil était en parfait état, l'arrêt confirme l'idée selon laquelle la responsabilité du gardien de la structure suppose que puisse être établie l'existence d'un vice de la chose et, de proche en proche, une faute du gardien, soit dans la fabrication même de la chose, soit dans l'entretien de celle-ci qui lui incombe.

Autrement dit, à travers la distinction de la garde de la structure et de la garde du comportement, on voit resurgir non seulement des distinctions entre les choses (ayant un dynamisme propre ou non, dangereuses ou non, viciées ou non) qui avaient été refoulées par l'arrêt "Jand'heur" (8), mais aussi l'idée même de faute dans une responsabilité qui se veut pourtant objective. Preuve que le droit français a bien du mal à s'abstraire de l'idée de faute...

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 01-20.778, M. Nicolas Brenneur-Boyne c/ M. Orhan Mete, FP-P+B (N° Lexbase : A7385DL4) et nos obs., Limitation légale de la responsabilité contractuelle du transporteur aérien, Lexbase Hebdo n° 193 du 8 décembre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N1612AKW).
(2) Cass. civ. 1, 7 mars 2000, n° 97-15.045, Mme Clément c/ M. Rabanier et autres (N° Lexbase : A5187AWZ), Bull. civ. I, n° 85.
(3) Cass. civ. 1, 3 juillet 2001, n° 00-10.437, Société anonyme Axa global risks c/ Mme Odile Petit, épouse Lescoffit (N° Lexbase : A1093AUZ), Bull. civ. I, n° 206, Resp. civ. et assur. 2001, n° 330, note Vaillier.
(4) Cass. civ. 1, 19 octobre 1999, n° 97-14.759, Caisse primaire d'assurance maladie du Var c/ M. Sarrat et autres (N° Lexbase : A5184AWW), Bull. civ. I, n° 287 et Cass. civ. 1, 3 juillet 2001, précité.
(5) Ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231, Consorts Blieck (N° Lexbase : A0285AB8).
(6) Cass. civ. 2, 22 mai 1995, n° 92-21.871, Union sportive du personnel électricité gaz de Marseille c/ Fédération française de rugby et autres (N° Lexbase : A5655CIB), Bull. civ. II, n° 155, JCP éd. G, 1995, II, 22550, note J. Mouly, RTD civ. 1995, p. 899, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 3 février 2000, n° 98-11.438, Association Amicale sportive et culturelle d'Aureilhan c/ M. Dubarry et autre (N° Lexbase : A5426AWU), Bull. civ. II, n° 26, JCP éd. G, 2000, II, 10316, note J. Mouly ; Cass. civ. 2, 20 novembre 2003, n° 02-13.653, M. Jean-Philippe Le Grouiec c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2103DA7), et nos obs., La mise en oeuvre de la responsabilité du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil suppose que le fait dommageable soit fautif, Lexbase Hebdo n° 98 du 11 décembre 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N9686AAY), D. 2003, p. 3009, RTD Civ. 2004, p. 106, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 21 octobre 2004, n° 03-17.910, Association sportive Bleuets Labatutois section rugby c/ Groupama (CRAMA) du Sud-Ouest, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6522DDW), Bull. civ. II, n° 477, et nos obs., La Cour de cassation enfonce le clou et réaffirme l'exigence d'une faute de l'auteur du dommage pour engager la responsabilité du fait d'autrui, Lexbase Hebdo n° 141 du 4 novembre 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N3374ABL) ; comp., pour une association de loisirs, Cass. civ. 2, 12 décembre 2002, n° 00-13.553, Société Axa assurances IARD c/ Mlle Nathalie Yvon, FS-P+B (N° Lexbase : A4005A44), Bull. civ. II, n° 289, (association de majorettes).
(7) Cass. civ. 1, 5 janvier 1956, n° 56-02.126, Bouloux, Mme Lathus c/ Société l'Oxygène liquide et autres (N° Lexbase : A2013AWH), GAJC, 11ème éd., n° 196, et les réf. citées ; Cass. civ. 1, 12 novembre 1975, n° 74-10.386, Société Générale des Eaux de Vittel c/ Dame Loriot (N° Lexbase : A7204CKZ), JCP 1976, II, 18479, note G. Viney ; Cass. civ. 2, 4 juin 1984, Consorts Moussard c/ Société parisienne de boissons gazeuses S.P.B.G. et autres (N° Lexbase : A0604C8U), Gaz. Pal. 1984, 2, 634, note F. Chabas ; Cass. civ. 2, 13 décembre 1989, n° 87-14.990, Consorts Allais c/ Société British Leyland France et autres (N° Lexbase : A2935AH8), Bull. civ. II, n° 222 ; voir cep., refusant la distinction entre garde de la structure et garde du comportement aux cigarettes fumées par un fumeur, Cass. civ. 2, 20 novembre 2003, n° 01-17.977, Mme Lucette Gourlain c/ société Seita, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1842DAH), Bull. civ. II, n° 355 et nos obs., Le tabac et la responsabilité civile : la Cour de cassation tranche !, Lexbase Hebdo n° 97 du 4 décembre 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N9647AAK).
(8) Cass. réunies, 13 février 1930, veuve Jeandheur c/ Société anonyme "Aux Galeries Belfortaises" (N° Lexbase : A8927C87), Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd. par F. Terré et Y. Lequette, Dalloz, 2000, n° 193.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Indemnité compensatrice de non-concurrence : la fin des versements anticipés ?

Réf. : Cass. soc., 7 mars 2007, n° 05-45.511, Société Publications Pierre Johanet, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6024DUN)

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Le 07 Octobre 2010

Depuis les arrêts ayant redéfini les conditions de validité des clauses de non-concurrence en 2002 et qui ont, notamment, ajouté l'exigence d'une contrepartie financière, le contentieux qui émerge devant la Cour de cassation a logiquement changé de nature. Alors que les premiers arrêts concernaient essentiellement l'annulation de clauses purement et simplement dépourvues de contrepartie, les derniers arrêts concernent, désormais, le montant de cette contrepartie. Un arrêt rendu le 7 mars 2007 apporte une nouvelle précision : le montant de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ne peut dépendre uniquement de la durée d'exécution du contrat (1), ni son paiement intervenir avant la rupture (2).
Résumé

Le montant de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ne peut dépendre uniquement de la durée d'exécution du contrat, ni son paiement intervenir avant la rupture.

Décision

Cass. soc., 7 mars 2007, n° 05-45.511, Société Publications Pierre Johanet, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6024DUN)

Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 11 octobre 2005, n° 04/38541, Société Publications Pierre Johanet c/ Mme Michelle Hardy N° Lexbase : A2104DLI)

Textes concernés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. trav., art. L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI).

Mots-clefs : clause de non-concurrence ; contrepartie financière ; montant ; modalités de versement.

Liens bases : ; .

Faits

1. Mme Hardy a été engagée à compter du 10 juin 1996 par la société Pierre Johanet et fils éditeurs en qualité de VRP. Par avenant du 10 février 1998, elle a été nommée, à effet du 1er février 1998, directrice de la clientèle, responsable de la prospection et du développement. Son contrat de travail, non modifié sur ce point par l'avenant, comportait une clause de non-concurrence d'une durée de 2 ans pour une ancienneté supérieure à 5 ans qui stipulait : "cette clause correspond à 7 % de votre salaire et se trouve incluse dans votre fixe et dans les taux de commissions exprimés ci-dessus".

Mme Hardy, licenciée le 27 février 2002, a saisi la juridiction prud'homale, notamment, d'une demande de dommages-intérêts pour avoir respecté la clause de non-concurrence nulle.

2. La cour d'appel de Paris a condamné la société Publications Pierre Johanet, qui vient aux droits de la société Pierre Johanet et fils éditeurs, à payer à Mme Hardy la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour nullité de la clause de non-concurrence et l'a déboutée de sa demande en remboursement de la contrepartie de la clause de non-concurrence.

Solution

1. "La contrepartie financière de la clause de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié qui, après rupture du contrat de travail, est tenu d'une obligation qui limite ses possibilités d'exercer un autre emploi ; [...] son montant ne peut dépendre uniquement de la durée d'exécution du contrat ni son paiement intervenir avant la rupture".

"Qu'il en résulte que la cour d'appel a, à bon droit, annulé la clause litigieuse".

2. "Par ces motifs : rejette le pourvoi ; condamne la société Publications Pierre Johanet aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL), condamne la société Publications Pierre Johanet à payer à Mme Hardy la somme de 2 500 euros".

Commentaire

1. Le montant de la contrepartie financière

  • Exigence d'une contrepartie financière

La Cour de cassation exige, depuis 2002, que la clause de non-concurrence soit, à peine de nullité, assortie d'une contrepartie financière (1). A l'occasion de la redéfinition des nouvelles conditions de validité de ces clauses, la Cour de cassation avait affirmé "qu'une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives", puis avait rappelé, quelques semaines plus tard, que la clause devait permettre au salarié "de retrouver un emploi conforme à son expérience professionnelle" (2). C'est cette dernière exigence que rappelle, en premier lieu, l'arrêt commenté : "la contrepartie financière de la clause de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié qui, après rupture du contrat de travail, est tenu d'une obligation qui limite ses possibilités d'exercer un autre emploi" (3).

  • Détermination du montant de la contrepartie

Très tôt, la question du montant exigé de cette contrepartie s'est posée. Dans un certain nombre d'hypothèses, ce montant est fixé par accord collectif. Certes, cela ne signifie pas que ce montant conventionnel est suffisant, mais cette présence est de nature à limiter le contentieux. Ce montant conventionnel s'appliquera y compris si les parties ont, dans le contrat de travail du salarié, renvoyé à l'accord collectif pour déterminer le régime de la clause (4).

A défaut de fixation conventionnelle, seul un accord des parties est de nature à sauver la clause stipulée, à l'origine, sans contrepartie financière ; l'employeur ne peut pas, en effet, l'imposer au salarié, car il s'agirait alors d'une modification unilatérale du contrat de travail (5).

  • Office du juge

L'appréciation du montant de la contrepartie relève logiquement du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (6).

La Cour de cassation a simplement pris la peine de préciser que le montant de clause ne devait pas être dérisoire, faute de quoi il serait assimilé à un défaut de contrepartie justifiant l'annulation de la clause (7). Cette solution a été reprise par la cour d'appel de Bordeaux, qui a affirmé que "la validité de la contrepartie financière n'est pas conditionnée par l'exigence d'une équivalence entre son montant et celui du salaire versé pendant la durée de la clause de non concurrence, il suffit que cette contrepartie ne soit pas dérisoire" (8).

Les montants considérés comme dérisoires correspondent, par exemple, à un vingtième du salaire mensuel (9), même à un dixième (10) ; un sixième a, en revanche, été considéré comme suffisant (11).

  • Détermination de la méthode

Si la Cour de cassation renvoie au pouvoir souverain des juges du fond pour déterminer le montant de la contrepartie, elle entend, toutefois, contrôler les critères et la méthode utilisés pour y parvenir. La Cour avait déjà eu l'occasion de préciser que les juges du fond peuvent s'inspirer du montant de la clause pénale stipulée par les parties en cas de violation de son obligation par le salarié (12).

C'est, toutefois, la première fois qu'elle se prononce aussi nettement pour écarter une méthode. On saura, désormais, que "son montant ne peut dépendre uniquement de la durée d'exécution du contrat".

Cette solution est pleinement justifiée car de très nombreux paramètres doivent être pris en considération, qui tiennent compte de l'ampleur des atteintes apportées à la liberté du salarié, tant en matière de zone géographique concernée, de durée de la clause, que des fonctions visées. On regrettera, toutefois, que la Cour de cassation ne soit pas allée, ici, un peu plus loin en donnant aux juges du fond, et plus largement aux justiciables et à leurs conseils, les autres éléments à prendre en compte.

2. L'avenir des clauses de paiement anticipé

  • Modalités de paiement de l'indemnité compensatrice

Les parties peuvent prévoir deux modalités de paiement de l'indemnité compensatrice. Une première, largement utilisée, consiste à attendre l'expiration du contrat de travail et la mise en oeuvre de la clause pour verser mensuellement la contrepartie financière au salarié. Une seconde consiste à verser au salarié une somme qui s'ajoute au salaire mensuel pendant l'exécution de son contrat de travail. Cette seconde méthode présente, pour l'employeur, l'avantage de ne pas avoir ultérieurement l'impression de "payer le salarié à ne rien faire", mais présente l'inconvénient de le priver de moyen de pression si le salarié venait à violer la clause, car il ne pourrait lui opposer l'exception d'inexécution : en cas de violation avérée de la clause, l'employeur serait, par ailleurs, contraint de poursuivre le salarié en justice pour lui réclamer le remboursement des sommes, ce qui n'est guère pratique.

Cette dernière méthode ne posait pas de véritable problème avant les arrêts rendus le 10 juillet 2002, car le salarié ne pouvait prétendre, en toute hypothèse, au paiement d'une indemnité compensatrice. Mais, désormais, ce droit existe, et cette méthode peut conduire à verser des indemnités dérisoires.

  • Portée de l'arrêt

Reste à déterminer la signification exacte de l'autre partie de la formule adoptée par la Cour de cassation et selon laquelle "son paiement [ne peut] intervenir avant la rupture". Deux interprétations peuvent, en effet, en être proposées.

La première consiste à interpréter ensemble les deux éléments de la phrase et à considérer que la seule raison qui conduit à condamner la méthode du paiement anticipé est qu'elle peut conduire à verser au salarié une indemnité dérisoire.

La seconde consiste, quant à elle, à séparer les deux éléments de la phrase et conduit à affirmer que, désormais, la Cour de cassation considère que le paiement anticipé de la contrepartie financière ne peut valablement intervenir et que l'employeur ne dispose plus que de la possibilité d'attendre le commencement d'exécution de la clause pour la verser au salarié.

Si cette seconde interprétation devait être retenue, elle entraînerait des conséquences qui nous semblent excessives. Les clauses devraient, tout d'abord, être annulées pour défaut de contrepartie financière, puisque le paiement anticipé ne peut en tenir lieu. Par ailleurs, l'employeur pourrait réclamer au salarié le remboursement des sommes versées qui se trouveraient ainsi privées de cause, sauf à procéder à une éventuelle compensation avec la contrepartie que l'employeur devrait verser au salarié après la rupture du contrat de travail.

On le comprend aussitôt, l'application "à la lettre" de la prohibition d'un paiement anticipé poserait, sans doute, plus de problèmes qu'elle n'en règlerait. Il conviendrait donc de ne pas prendre la formule au pied de la lettre mais, simplement, de vérifier si, compte tenu de l'importance de la clause, les sommes déjà perçues par le salarié sont suffisantes ou non, quitte à annuler partiellement la clause, ou à condamner l'employeur à verser au salarié un complément d'indemnités tenant compte des sommes déjà versées.

Christophe Radé
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale


(1) Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, M. Fabrice Salembier c/ Société La Mondiale, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1225AZE) ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.387, M. Jean-Paul Barbier c/ Société Maine Agri, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1227AZH) ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 99-43.334, M. Alain Moline c/ Société MSAS cargo international, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0769AZI) ; lire nos obs., Clauses de non-concurrence : l'emprise des juges se confirme, Lexbase Hebdo n° 41 du 3 octobre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N4139AAK).
(2) Cass. soc., 18 septembre 2002, n° 99-46.136, Société Go sport c/ Mme Josette Petit, FP-P (N° Lexbase : A4510AZ3) ; Dr. soc. 2002, p. 997, obs. R. Vatinet.
(3) Egalement, Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-45.365, Société française de service (Sodexho), F-P (N° Lexbase : A1157DTZ) ; et les obs. de S. Martin-Cuenot, Automaticité de l'indemnisation du salarié lié par une clause de non-concurrence qui vient limiter sa liberté du travail, Lexbase Hebdo n° 243 du 11 janvier 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7240A9Z) : "Mais attendu que la cour d'appel a constaté que la clause litigieuse, qui constituait une atteinte certaine et importante à la liberté de travail du salarié, avait limité ses possibilités de retrouver un emploi sur place".
(4) Cass. soc., 10 mars 2004, n° 02-40.108, M. Stéphane Lorand c/ Société JP Girardeau, F-P+B (N° Lexbase : A4929DB8) ; Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-48.599, M. Daniel Persyn, F-D (N° Lexbase : A3341DSK).
(5) Cass. soc., 7 juillet 1998, n° 96-45.047, M. Roig c/ Mme Dorandeu et autre, publié (N° Lexbase : A4639AGW) ; JCP éd. G, 1998, II, 10196, note C. Puigelier ; Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 96-41.845, M. Domenech c/ M. Lebert, publié (N° Lexbase : A4584AGU) ; Cass. soc., 17 octobre 2000, n° 98-42.018, M. Demard c/ Centre de gestion et de comptabilité agricole de la Gironde, publié (N° Lexbase : A7681AHX) ; Dr. soc. 2000, p. 1147, obs. J. Savatier ; QE n° 16810 de M. Le Nay Jacques, JOANQ 21 avril 2003 p. 3074, min. Aff. Soc., Trav. et Solid., réponse publ. 16 mars 2004, 12ème législature (N° Lexbase : L0322DYL) ; lire nos obs., Clause de non-concurrence et contrepartie financière défaillante - le ministre du Travail botte en touche, Lexbase Hebdo n° 117 du 22 avril 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1334ABZ).
(6) Cass. soc., 22 mars 2006, n° 04-45.546, Mlle Louisa Bouaicha c/ Société Aseca-Orfac, FS-P+B (N° Lexbase : A8034DNU) ; Dr. soc. 2006, p. 688, obs. J. Mouly.
(7) Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-46.721, Société Comasud, FS-P+B (N° Lexbase : A3326DSY) ; lire les obs. de G. Auzero, Une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence équivaut à une absence de contrepartie, Lexbase Hebdo n° 238 du 30 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2412A99) ; également, CA Paris, 18ème ch., sect. D, 29 juin 2004, n° 03/38770, Madame Catherine Even c/ Société Demoniak (N° Lexbase : A2578DDT).
(8) CA Bordeaux, 5ème ch., 12 janvier 2006, n° 05/01458, M. Arnaud Cleyzac c/ SA Régionale de Prestations (N° Lexbase : A6311DN3).
(9) CA Paris, 18ème ch., sect. E, 10 février 2006, n° 04/37672, SA Patcom c/ Melle Besson (N° Lexbase : A3897DNN).
(10) Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-46.721, Société Comasud, FS-P+B (N° Lexbase : A3326DSY).
(11) CA Bordeaux, 12 janvier 2006, ch. soc., sect. C, n° 05/01458, M. Arnaud Cleyzac c/ SA Régionale de prestations, préc.
(12) Cass. soc., 29 avril 2003, n° 01-42.026, Société Scopie c/ Mme Nadège Faure, publié ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 1257183, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. soc., 29-04-2003, n\u00b0 01-42.026, publi\u00e9, Rejet.", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A0274B7B"}}).

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Rel. collectives de travail

[Questions à...] La discrimination syndicale : questions à... Sophie Berthault Guérémy, avocate au Barreau de Bordeaux, Compagnie Juridique

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N3276BAL

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par Propos recueillis par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


L'implication syndicale des salariés donne souvent lieu à des contentieux devant les juridictions. Parce qu'ils occupent une place particulière dans l'entreprise, les salariés exerçant une mission syndicale doivent être protégés. Bien souvent cependant, leur activité syndicale les empêche d'être aussi productifs que leurs collègues non syndiqués, et les salariés concernés montent alors au créneau, espérant rétablir l'égalité. Pour faire le point sur la délicate question de la discrimination syndicale, nous avons choisi, cette semaine, d'interroger Sophie Berthault Guérémy, avocate au Barreau de Bordeaux, Compagnie Juridique.

Lexbase : Quels sont les salariés protégés contre la discrimination syndicale ?

Sophie Guérémy : Font l'objet d'une protection spécifique contre toute forme de discrimination syndicale tous les salariés ayant une activité syndicale. Ainsi, il faut que soit caractérisée l'appartenance syndicale du salarié pour que ce dernier jouisse d'une protection spécifique. En pratique, sont donc bénéficiaires de cette protection les salariés exerçant un mandat de délégué syndical et les salariés syndiqués. Ne sont pas visés par cette protection les délégués du personnel et les membres élus du comité d'entreprise s'ils ne sont pas rattachés à un syndicat.

En outre, la protection commence à jouer dès que le salarié est syndiqué. Elle s'applique de son embauche jusqu'à son départ de l'entreprise.

Lexbase : Quels sont les textes applicables en matière de discrimination ?

Sophie Guérémy : Le socle juridique de la discrimination syndicale est relativement solide puisque l'on trouve, en la matière, des textes aussi bien à l'échelle européenne que nationale. Sur le plan communautaire, sont applicables la convention internationale du travail n° 87 de l'OIT, la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et une Directive du Conseil de l'Union européenne du 27 novembre 2000 (Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4).

Sur le plan national, sont applicables le Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU), repris par le préambule de la Constitution de 1958, les articles L. 411-5 (N° Lexbase : L6307ACL), L. 412-1 (N° Lexbase : L6326ACB), L. 412-2 (N° Lexbase : L6327ACC), L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8) ainsi que les articles 225-1 (N° Lexbase : L3332HIA) et 225-2 (N° Lexbase : L0449DZN) du Code pénal. De plus, l'employeur doit respecter le principe "A travail égal, salaire égal".

Lexbase : Par rapport à qui peut-il y avoir discrimination et comment celle-ci se manifeste-t-elle ?

Sophie Guérémy : La comparaison est effectuée par rapport à des salariés placés dans la même situation que le salarié qui s'estime victime de discrimination, qui ont la même qualification, la même ancienneté et qui exercent des fonctions similaires dans l'entreprise. La discrimination se manifeste, généralement, dans le déroulement de la carrière du salarié concerné ; celui-ci peut ne bénéficier d'aucune évolution de carrière, percevoir une rémunération moindre ou, encore, être lésé en matière d'avantages sociaux ou de formation.

Lexbase : Existe-t-il un type d'entreprises où l'on rencontre plus souvent des affaires de discrimination ?

Sophie Guérémy : Les grandes entreprises sont le plus souvent concernées. En effet, l'effectif requis pour qu'un délégué syndical puisse être désigné est de 50 salariés au moins. En outre, les syndicats sont généralement mieux implantés dans les grands groupes que dans les petites et moyennes entreprises. Certaines grandes entreprises concluent, d'ailleurs, des accords conventionnels de réaménagement des rattrapages, dont l'objectif est d'anticiper les risques de procès dans l'entreprise. Il s'agit, plus précisément, d'accords transactionnels dans lesquels l'employeur constate un différentiel de rémunération au préjudice du salarié titulaire d'un mandat syndical, après avoir établi un panel de références en comparaison avec des salariés placés dans des fonctions identiques. S'il s'avère qu'une différence est constatée, il est proposé le versement de la somme déterminée, après étude du panel et destinée à compenser cette différence. Il s'agit d'une tentative de transaction hors procédure de licenciement ou mise à la retraite. Les difficultés vont naître si le salarié refuse de signer cette transaction et décide de saisir les juridictions.

Lexbase : Quelle a été l'évolution du régime de la preuve en matière de discrimination syndicale ?

Sophie Guérémy : Depuis un arrêt du 28 mars 2000 (Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-45.258, M. Fluchère et autres c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF) N° Lexbase : A6368AGX), la Cour de cassation retient une solution que nous estimons juste et structurée en matière de preuve de la discrimination syndicale. Il appartient au salarié syndicaliste, qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire, de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement et il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au syndicaliste, d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur l'appartenance à un syndicat. Autrement dit, le salarié doit établir un panel de comparaisons avec ses collègues placés dans la même situation, ayant la même qualification, la même ancienneté et exerçant des fonctions similaires. A l'employeur d'établir, ensuite, que ces différences de traitement reposent sur un motif objectif. A défaut, ce dernier sera condamné pour discrimination syndicale.

La preuve est allégée pour le salarié. L'employeur, quant à lui, doit apporter la preuve difficile de ce que la différence de traitement repose sur des éléments objectifs. La différence de traitement devra être justifiée par des motifs d'ordre strictement professionnels. Ce mode de preuve a, d'ailleurs, été repris à l'article L. 122-45, alinéa 4, du Code du travail. L'employeur ne peut pas invoquer l'indisponibilité du salarié pour justifier la différence de traitement. Il doit établir, pour justifier ce différentiel, que le salarié exerçant une mission syndicale est moins performant que ses collègues non impliqués dans la vie syndicale de l'entreprise et placés dans la même situation. Or, la frontière est ici ténue et le dérapage vite arrivé... L'employeur doit donc rester vigilant.

Il doit nécessairement s'appuyer sur des éléments objectifs (ancienneté, performance). Cependant, les salariés titulaires d'un mandat syndical sont, de fait, placés dans une situation différente de celle des autres salariés, puisqu'ils bénéficient d'un crédit d'heures et sont donc moins disponibles que les autres. Il faudrait, par conséquent, envisager un réaménagement du statut des salariés exerçant une mission syndicale, tenant compte de la période du mandat.

Lexbase : Que pensez-vous de l'application de la prescription trentenaire à la discrimination syndicale ?

Sophie Guérémy : La Cour de cassation retient, depuis longtemps, l'application de la prescription trentenaire de droit commun à l'action en réparation d'un préjudice résultant d'une discrimination syndicale. Le principe a été rappelé dans une décision hautement publiée du 15 mars 2005 (Cass. soc., 15 mars 2005, n° 02-43.560, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A2741DHY ; lire les obs. de Ch. Radé, L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale se prescrit par trente ans, Lexbase Hebdo n° 161 du 31 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N2499AIE). Des arrêts plus anciens, mais non publiés au Bulletin, excluaient déjà l'application de la prescription quinquennale à l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale (Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-43.472, Société Renault véhicules industriels c/ Mme Micheline Bujard, inédit N° Lexbase : A9860ATD ; dans le même sens, Cass. soc., 30 janvier 2002, n° 00-45.266, Société Peugeot Citroën automobiles (PCA) c/ M. Jean-Claude Travel, F-D N° Lexbase : A8781AXI). Une proposition de loi du 15 octobre 2003 visait à réduire à 5 ans la prescription applicable aux actions en justice fondées sur une discrimination syndicale, mais celle-ci n'a pas abouti à ce jour.

Or, l'application de la prescription de droit commun, de 30 ans, est, selon nous, inique. En effet, le salarié réclame toujours un rattrapage de salaires ainsi que des dommages-intérêts, réparant, le plus souvent, un préjudice moral. Il conviendrait donc, ici, de procéder à une ventilation des sommes et d'appliquer, d'une part, la prescription quinquennale des salaires de l'article L. 143-14 du Code du travail (N° Lexbase : L5268AC4) aux rattrapages des salaires proprement dit et, d'autre part, la prescription trentenaire de droit commun de l'article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY) aux dommages-intérêts. De plus, la preuve est concrètement très difficile à rapporter pour l'employeur. Tout d'abord, le travail de récupération des pièces et documents s'avère excessivement fastidieux sur une aussi longue période. En outre, il est possible qu'il se heurte à une impossibilité définitive de retrouver certains documents. Il lui sera, de ce fait, très difficile de retracer le déroulement de carrière du salarié concerné.

Lexbase : Que pensez-vous de l'arrêt récent de la Chambre criminelle qui permet au salarié d'agir à la fois sur le terrain de la discrimination et sur celui du harcèlement moral pour sanctionner des mêmes agissements ? (Cass. crim., 6 février 2007, n° 06-82.601, F-P+F N° Lexbase : A3111DUR)

Sophie Guérémy : La discrimination syndicale et le harcèlement moral doivent être bien distingués, la première affecte l'évolution de la carrière du salarié et le second consiste en des pressions et agissements répétés dont peut être victime un salarié et qui conduisent à une dégradation de ses conditions de travail. Dans le cas soumis à la Cour de cassation, l'appartenance syndicale du salarié était source de brimades, et reconnue en tant que telle comme harcèlement moral. Les mêmes faits étaient, également, reconnus comme constitutifs d'infraction d'entrave à l'exercice du droit syndical.

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Procédure pénale

[Jurisprudence] L'appréciation judiciaire de la demande de mise en liberté à l'aune d'un régime procédural complexe

Réf. : Cass. crim., 9 janvier 2007, n° 06-87.705, Fritz N., F-P+F (N° Lexbase : A6976DTK)

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N3264BA7

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Le 07 Octobre 2010

De nature pourtant exceptionnelle (1), le maintien du mis en examen à la disposition de la justice reste une mesure prépondérante dans notre procédure pénale. Fréquemment ordonnée, cette dernière a fait l'objet de la sagacité du législateur, et ce jusqu'à rendre son régime sophistiqué voire erratique. Dans l'espèce rapportée (2), une personne accusée de viol aggravé avait fait l'objet, durant la procédure d'instruction préparatoire, d'une ordonnance de mise en détention provisoire (3). En vue d'écourter son placement auprès de la maison d'arrêt de Meaux, l'accusé avait, fin avril 2006, formé une demande, auprès du juge d'instruction, de mise en liberté. La demande ayant été sans réponse, ce dernier formula, à nouveau, ladite demande, cette fois, devant la chambre de l'instruction. Refusant d'examiner la première demande et de lui donner un quelconque effet du fait qu'elle était adressée à une juridiction incompétente, la chambre de l'instruction ne statua que sur la seconde demande pour la rejeter en raison de la dangerosité de l'accusé issue, notamment, de son statut de récidiviste. L'accusé forma alors un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la chambre de l'instruction en excipant l'absence de réponse lors de sa première demande de mise en liberté, la détention provisoire avait alors eu lieu sans titre entre lesdites demandes. La Cour de cassation approuva la décision rendue par la chambre de l'instruction au motif que le juge d'instruction, destinataire de la première demande de mise en liberté, n'était plus compétent lors de sa réception. Ce faisant la demande n'ayant pas été adressée à la juridiction compétente, elle ne pouvait emporter d'effets juridiques. L'inexistence des actes de procédure, pourtant délaissée en procédure civile (4), reste d'actualité en procédure pénale comme en témoigne le présent arrêt (I), ce qui traduit une appréciation stricte, de la part des juridictions pénales, des règles jalonnant la détention provisoire et plus précisément, sa cessation (II).

I. Absence d'effets juridiques d'une demande de mise en liberté adressée à une juridiction incompétente

Selon le Code de procédure pénale, la détention provisoire ne saurait excéder une durée raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité (5).

Aussi, le détenu, ou son avocat (6), dispose de la faculté de demander au juge d'instruction, à tout moment, une mise en liberté, à charge pour lui de prendre l'engagement de se représenter à tous les actes de la procédure et de tenir le juge informé de tous ses déplacements (7). Le juge de l'instruction ainsi saisi d'une telle demande devra statuer au plus vite sur la question comme l'a précisé la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 25 mars 1985 (8).

Ce principe démontre bien la volonté du législateur d'octroyer à la personne provisoirement détenue, la possibilité de s'adresser à un juge pour statuer sur sa demande, à toute hauteur de la procédure (9).

Or, en l'espèce, le problème qui se posait était que, lors de la saisine du juge d'instruction d'une demande de mise en liberté, ce dernier n'était plus compétent et ce du fait qu'il avait rendu une ordonnance de mise en accusation la veille de la réception de ladite demande.

L'incompétence du juge d'instruction, en l'espèce, faisait donc obstacle à l'efficacité de la demande de mise en liberté.

En effet, à peine d'irrecevabilité, toute demande de mise en liberté doit être formée soit par déclaration au greffe de la juridiction d'instruction saisie du dossier, déclaration constatée et datée par le greffier et signée par l'avocat du demandeur (10) ; soit par une déclaration, signée par le demandeur, auprès du chef de l'établissement pénitentiaire, que celui-ci constate, date et signe et adresse sans délai, en original ou en copie, au greffier de la juridiction saisie du dossier (11).

On le voit, dans ces deux cas, la saisine de la juridiction compétente figure au sein des conditions de recevabilité de la demande de mise en liberté.

Le juge d'instruction ayant été dessaisi de l'affaire par l'effet d'une ordonnance de renvoi, on comprend le raisonnement de la chambre de l'instruction, raisonnement repris par la Cour de cassation.

Pour autant, quelques interrogations subsistent.

Dans la présente affaire, aucune déclaration d'incompétence, ni aucune décision d'irrecevabilité n'a été rendue par le juge d'instruction. Tout se passe comme si la première demande de mise en liberté formulée par le détenu n'avait jamais existé. On retrouve, en filigrane, la notion d'inexistence, disparue en procédure civile, dont nous faisions état dans nos propos introductifs. Finalement, le Code de procédure pénale n'aurait presque aucun besoin de recourir à la question de la recevabilité lorsque la demande est adressée à une juridiction incompétente étant donné que la jurisprudence tend à considérer que celle-ci n'a alors jamais existé.

Plus encore, on constate, toujours dans une optique processuelle, que, si en procédure civile, une demande formée devant une juridiction incompétente produit des effets juridiques (12), en procédure pénale de telles conséquences sont rejetées.

Une deuxième interrogation, aux frontières de la procédure à strictement parler, provient de la modalité de saisine du juge d'instruction de la demande de mise en liberté.

En effet, le détenu, dans l'espèce rapportée, avait opté pour la deuxième modalité à savoir une déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire. Le fait que l'erreur, c'est-à-dire la saisine d'une juridiction incompétente, soit imputable au manque de diligences de l'administration pénitentiaire et non du justiciable lui-même, devrait avoir une incidence sur le cours de la procédure et, plus précisément, sur la sanction à laquelle a été exposé le détenu.

En revanche, on ne peut qu'approuver le raisonnement de la chambre de l'instruction et de la Cour de cassation venant à considérer que la période de détention provisoire comprise entre les deux demandes de mise en liberté était légalement fondée.

En effet, il s'agit là d'une lecture fidèle et d'une interprétation stricte de l'article 148-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5550DY9), subordonnant la remise d'office en liberté du détenu au non-respect des délais de réponse des juridictions, délais ne commençant à courir qu'à compter de la saisine de la juridiction compétente.

Par conséquent, le détenu ayant saisi une juridiction incompétente, il ne pouvait prétendre à une quelconque possibilité de remise en liberté d'office.

La Cour de cassation refuse donc tout effet juridique à la première demande de mise en liberté formulée par le détenu, mais accepte d'étudier la seconde demande et ce au regard d'une interprétation plus ou moins fidèle des exigences législatives.

II. La compétence quasi-exclusive de la chambre de l'instruction après la clôture de l'instruction

Lorsque l'accusé ou le mis en examen a été maintenu en détention, il conserve la faculté de demander sa mise en liberté à tout moment jusqu'à sa comparution devant la cour d'assises. L'instruction étant clôturée à ce stade de la procédure, la loi a transféré la compétence du juge d'instruction et du juge de la liberté et de la détention.

La loi du 15 juin 2000 (13) a alors prévu que la chambre de l'instruction aurait toujours compétence pour connaître des demandes de mise en liberté, tandis que la cour d'assise gardait une compétence similaire, mais uniquement concernant les demandes formées durant la session au cours de laquelle l'accusé demandeur doit comparaître (14).

La demande obéit alors, à peine d'irrecevabilité (15), aux règles précédemment évoquées.

En l'espèce, la seconde demande de mise en liberté formulée par le détenu était bien adressée à la chambre de l'instruction et pouvait, donc, à ce titre être examinée.

A ce stade, on comprend donc bien que pour être recevable, et même être examinée, la première demande de mise en liberté aurait dû être dirigée vers la chambre de l'instruction étant donné que l'instruction préparatoire avait prit fin avec l'ordonnance de mise en accusation.

Plus encore, la saisine de la chambre de l'instruction intervenait aux dires de l'arrêt à un second titre.

Selon la Cour de cassation, la chambre de l'instruction pouvait être saisie directement dès lors qu'il n'avait pas été statué sur la demande de mise en liberté dans les délais prévus par l'article 148 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5548DY7) (16).

Pour autant, malgré une analyse fidèle des dispositions du Code de procédure pénale opérée par la cour, une telle remarque peut étonner.

La jurisprudence précise, en effet, que la personne mise en examen n'est pas recevable à saisir la chambre de l'instruction en application des dispositions de l'article 148, alinéa 5, du Code de procédure pénale, lorsque la demande de mise en liberté laissée sans réponse par le juge d'instruction et le juge des libertés et de la détention était elle-même irrecevable faute d'avoir été présentée dans les formes prévues par les articles 148-6 et 148-7 précités (17).

Or, nous l'avons vu, ces articles érigent en condition la saisine d'une juridiction compétente ce qui n'était pas le cas en l'espèce concernant la première demande.

Il est alors possible de se demander si cette possibilité de saisine directe n'était pas finalement fermée au détenu qui ne pouvait saisir la chambre de l'instruction que par application du principe général évoqué précédemment.

Quoiqu'il en soit, la seconde demande de mise en liberté était bien valable au regard des règles procédurales et le détenu était donc en droit de solliciter sur ce point la chambre de l'instruction, ce que n'a pas manqué de souligner la Cour de cassation.

En revanche, il convient, dans un souci d'exhaustivité, de s'attarder sur le fond de la décision rendue par la chambre de l'instruction et plus précisément sur la motivation du rejet de la demande de mise en liberté.

En cas de rejet d'une demande de mise en liberté, le juge des libertés et de la détention ou la chambre de l'instruction doivent respecter une exigence de "surmotivation" (18) lorsque la détention accomplie dépasse un an en matière criminelle (19) ce qui était le cas en l'espèce.

Le législateur exige que l'ordonnance comporte "les indications particulières qui justifient en l'espèce la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure".

Ainsi, la Cour de cassation se livre à une appréciation et à un contrôle très strict de cette exigence de motivation particulière (20).

Or, en l'espèce, on ne saurait prétendre que la chambre de l'instruction se soit pleinement livrée à cette exigence de motivation supplémentaire, notamment, en ce qui concerne l'appréciation et la mention du délai d'achèvement de la procédure.

Un tel moyen aurait sûrement eu plus de chance de prospérer devant la Cour régulatrice...

Olivier Falga
Allocataire de recherche - Université Paris XI
Chargé d'enseignement - Université Paris I


(1) C. proc. pén., art. 137 (N° Lexbase : L3484AZ3).
(2) Cass. crim., 9 janvier 2007, n° 06-87.705, Fritz N., F-P+F.
(3) Sur le placement en détention : J. Leblois-Happe, Le placement en détention provisoire, AJP Dalloz, 2003, p.9.
(4) Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 03-20.026, Société Hollandais Kinetics Technology international BV (KTI) et autres, P+B+R+I ([A4252DQK]), et nos obs., Coup d'arrêt à la notion d'inexistence en procédure civile, Lexbase Hebdo n° 231 - édition privée générale (N° Lexbase : N3808ALM).
(5) C. proc. pén., art. 144-1 (N° Lexbase : L3502AZQ).
(6) Evidement, le juge d'instruction peut se saisir d'office de la question comme en dispose l'article 147 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3510AZZ), de même le procureur de la République peut aussi demander la mise en liberté du détenu provisoire en vertu de l'article précité.
(7) C. proc. pén., art. 148 (N° Lexbase : L5548DY7).
(8) Cass. crim., 25 mars 1985, n° 85-90.523 (N° Lexbase : A3562AA8) : "La loi a confié à la conscience du juge d'instruction le soin d'ordonner la communication dans le plus bref délai de la demande de mise en liberté".
(9) C. proc. pén., art. 148-1 (N° Lexbase : L3512AZ4).
(10) C. proc. pén., art. 148-6, al. 1er (N° Lexbase : L3517AZB).
(11) C. proc. pén., art. 148-7 (N° Lexbase : L4018DGW).
(12) Voir l'article 2246 du Code civil (N° Lexbase : L2534ABH) et l'important arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 novembre 2006 (Cass. mixte, 24 novembre 2006, n° 04-18.610, M. Marcel Goetz c/ M. François Chatoux, P+B+R+I N° Lexbase : A5176DSI).
(13) Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (N° Lexbase : L0618AIQ).
(14) C. proc. pén., art. 148-1, alinéa 2, (N° Lexbase : L3512AZ4) ; la doctrine considérant d'ailleurs que "selon la lettre du texte, la chambre de l'instruction demeure compétente pour statuer sur la demande déposée juste avant ladite session, alors même que celle-ci a, entre-temps, commencé", S. Guinchard, J. Buisson, Procédure pénale, 3ème éd., 2005, Litec, n° 1678, p. 805.
(15) Cass. crim., 26 septembre 1986, n° 86-93.821, Pedro S. (N° Lexbase : A5874AAS).
(16) Et ce en vertu de l'alinéa 5 dudit article.
(17) Cass. crim., 19 novembre 2002, n° 02-86.030 (N° Lexbase : A1721A4I).
(18) Expression empruntée à MM. les Professeurs Guinchard et Buisson, op cit..
(19) C. proc. pén., art. 145-3 (N° Lexbase : L3507AZW).
(20) Voir pour exemple Cass. crim., 6 août 1997, n° 97-82.955, Eric S. (N° Lexbase : A3552CGN).

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