La lettre juridique n°635 du 3 décembre 2015

La lettre juridique - Édition n°635

Éditorial

La quarantaine... pas si sereine

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 03 Décembre 2015


31 décembre... 1975, était adoptée la loi n° 75-1334, relative à la sous-traitance : loi pivot de l'économie immobilière, de notre industrie -à l'époque nationale, désormais internationalisée-. Cette loi n'a subi "qu'une douzaine" de modifications depuis son adoption ; ce qui au regard de la majorité des lois de la Vème République est plutôt faible pour être signalé. Mais à l'approche de ses quarante ans, sa sérénité, toute relative, est mise à mal par une proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, tant décriée, que le Sénat vient, le 18 novembre dernier, fait rarissime, ni plus ni moins de la rejeter alors qu'elle avait été votée par l'Assemblée nationale le 30 mars 2015.

Il est vrai que les dernières modifications législatives étaient relatives à quelques ajustements en matière de transport et de sous-traitance industrielle. Là, il s'agit tout de même "de responsabiliser les sociétés transnationales afin d'empêcher la survenance de drames en France et à l'étranger et d'obtenir des réparations pour les victimes en cas de dommages portant atteinte aux droits humains et à l'environnement", livre l'exposé des motifs de la proposition.

Ainsi, toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger, devrait établir et mettre en oeuvre de manière effective un plan de vigilance.

Ce plan comporterait les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d'atteintes aux droits de l'Homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu'elle contrôle, directement ou indirectement, ainsi que des activités de leurs sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie. Les mesures du plan viseraient également à prévenir les comportements de corruption active ou passive au sein de la société et des sociétés qu'elle contrôle.

Le non-respect de ces obligations engagerait la responsabilité de son auteur dans les conditions fixées aux articles 1382 et 1383 du Code civil. En outre, le juge pourrait prononcer une amende civile allant jusqu'à 10 millions d'euros.

Cette loi "affole" les grands groupes français, titrent les gazettes spécialisées. Ils craignent que cette loi, inédite, soit un handicap de plus à la compétitivité de leurs entreprises. Ils dénoncent également des obligations mal définies.

Pourtant les députés se défendent d'attenter au dynamisme de l'économie. Bien au contraire, ils pensent que renforcer la responsabilité des entreprises transnationales constitue aussi une réelle question de compétitivité de notre économie et de nos entreprises. "Tout comme il existe un dumping social, il existe un dumping sur les droits humains et sur les normes environnementales, avec les mêmes conséquences négatives". Il s'agit en fait d'une question de gestion des risques.

Pour les sénateurs, les choses ne sont pas si "angéliques". La commission a souscrit à l'objectif consistant à faire contribuer les grandes entreprises françaises à une meilleure protection des droits de l'Homme et des normes sociales et environnementales à l'étranger. Mais, après avoir souligné les graves insuffisances juridiques comme les problèmes de constitutionnalité du texte, ainsi que les risques économiques d'atteinte disproportionnée à la compétitivité des entreprises françaises et l'attractivité du territoire français, le rapporteur a indiqué que le niveau pertinent pour traiter les préoccupations abordées par ce texte était celui de l'Union européenne, à partir de la Directive du 22 octobre 2014 concernant la publication d'informations non financières par les grandes entreprises, laquelle comporte un principe de diligence raisonnable. En clair : la mise en oeuvre de cette responsabilité sociétale ne peut être orchestrée qu'au niveau européen, afin de ne pas entamer la compétitivité des multinationales françaises. De dumping social et environnemental... il n'en est pas fait mention dans le rapport d'information du Sénat.

Pourtant, le texte de la proposition de loi avait été revu et corrigé après quatre premières propositions ayant elles-mêmes été abandonnées. Ces textes visaient à instaurer, dans le Code de commerce, à la charge de toute entreprise, une obligation de vigilance, c'est-à-dire une obligation de prévenir tout dommage ou tout risque avéré de dommage sanitaire, environnemental ou d'atteinte aux droits fondamentaux, dans le cadre de ses activités, de celles de ses filiales ou de celles de ses sous-traitants. En cas de dommage, la responsabilité de l'entreprise était engagée, sauf à démontrer qu'elle n'était pas en mesure de le prévenir, en dépit de son devoir de vigilance. Etait également instituée, dans le Code civil, une présomption de responsabilité en cas de dommage causé non seulement par l'activité d'une entreprise, quelle que soit sa taille, mais aussi l'activité de ses filiales et sous-traitants, sauf à démontrer qu'elle avait pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir ce dommage. Etait enfin prévu un délit de manquement à l'obligation de vigilance. Un tel dispositif soulevait alors de très sérieuses difficultés d'ordre juridique et même constitutionnel, au regard du principe de responsabilité, à l'évidence, mais aussi du principe de légalité des délits et des peines. Le nouveau texte n'aura pas trouvé grâce non plus aux yeux sénatoriaux.

De l'avenir de cette proposition de loi, nul ne saurait gager. Le Gouvernement est lui-même "embarrassé" par l'initiative parlementaire. "La générosité, pour légitime qu'elle soit, ne doit pas conduire le législateur à méconnaître les exigences du droit"... et alors qu'il n'existe aucune législation nationale ayant une portée aussi large et donc de dispositif aussi ambitieux, dans les champs couverts, pour imposer par la loi aux entreprises un devoir de vigilance. Dans les législations étrangères, des régimes de responsabilité pénale existent pour les sociétés mères, pour des infractions précisément définies, avec présomption simple de responsabilité, généralement pour des faits de corruption. Ces textes n'ont pas toujours de portée extraterritoriale.

Peut-être que la loi du 31 décembre 1975 aurait pu souffler autrement et plus efficacement ses bougies -encore que la proposition de loi n'impactait pas directement la loi mais les donneurs d'ordre- en modernisant la sous-traitance, ne serait ce qu'en France. Des voix se lèvent depuis quelques années pour améliorer le dispositif quarantenaire et sur lequel sont rédigés encore les contrat de sous-traitance aujourd'hui. Et, cette modernisation ne passe pas, à l'heure actuelle, par un assouplissement mais par plus de contraintes pour que la sous-traitance soit profitable aux deux parties. Il s'agit d'empêcher les donneurs d'ordres de bloquer l'intégralité du paiement d'une facture lorsqu'il y a litige sur une petite partie du montant ; d'inclure de nouvelles clauses sur la propriété industrielle, pour éviter qu'un client n'utilise les propositions de ses fournisseurs pour fabriquer moins cher à l'étranger ; d'encadrer davantage les conditions de rupture des contrats pour ne pas fragiliser les sous-traitants ; et de raccourcir les délais entre les révisions de prix. Il conviendrait également, pour nombre d'acteurs, de revoir la question des délais de paiement au regard de la caractérisation de la vente parfaite. En application des règles classiques, la vente est parfaite dès lors que le sous-traitant et le donneur d'ordres sont d'accord sur une prestation et sur un prix ; du coup, le donneur d'ordre jouit de la propriété intellectuelle de la prestation avant même de l'avoir payée. Et comme il en est propriétaire, il peut exiger de son sous-traitant autant de modifications qu'il le souhaite, repoussant ainsi d'autant le moment de payer la facture.

Voilà donc les pistes de réflexion d'une révision sensible de la loi relative à la sous-traitance qui auraient les honneurs d'un anniversaire marquant ainsi l'âge de la maturité au service de la compétitivité nationale.

"Quarante ans, c'est la vieillesse de la jeunesse, mais cinquante ans, c'est la jeunesse de la vieillesse", écrivait Victor Hugo. Pas sûr que la compétitivité et la sécurité juridique de notre économie hautement assise sur la sous-traitance puissent attendre la cinquantaine pour paraître à nouveau "jeune" !

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Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Jurisprudence] Amiante : le Conseil d'Etat admet un partage de responsabilités Etat/entreprise, mais pour la période antérieure à 1977 seulement

Réf. : CE Contentieux, 9 novembre 2015, n° 342468 (N° Lexbase : A3631NWE) et n° 359548 (N° Lexbase : A3633NWH), publiés au recueil Lebon

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"

Le 04 Décembre 2015

"Paradoxalement, les victimes de l'amiante en France, tous systèmes d'indemnisation confondus, sont probablement celles qui, dans le monde, bénéficient des meilleurs conditions d'indemnisation, alors même que nous sommes le pays dans lequel la catastrophe de l'amiante a coûté le moins cher à ses responsables, la Sécurité sociale ayant finalement servi d'amortisseur" (1). Cette réflexion montre la dimension plurielle de l'amiante, qui doit être traitée en plusieurs termes : responsabilité, sanction, prévention, indemnisation. Jusqu'à présent, le contentieux était assez binaire, puisqu'il portait sur la faute de l'employeur au regard de ses obligations de sécurité (responsabilité, sanction, prévention) et les droits des salariés malades (réparation, y compris du préjudicie d'anxiété). Mais un autre contentieux est apparu à partir des années 1990, en partant du constat que l'amiante met en scène principalement deux acteurs, les entreprises (défaillantes dans leur obligation de sécurité de résultat) et les salariés (victimes d'une exposition à l'amiante) : il existe un troisième acteur, l'Etat, mis en cause pour ses défaillances et ses carences. Un contentieux s'est développé devant les juridictions administratives, progressivement et assez timidement, dans un premier temps (2), en 2004, le Conseil d'Etat a pris des positions fortes ; et dans un second temps, il a renforcé la responsabilité de l'Etat liée à ses absences de dispositions législatives et réglementaires, notamment dans les décisions du 9 novembre 2015 (3). L'idée générale, bien connue des publicistes, est qu'une carence, une inertie de l'administration, a vocation à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de la victime d'un dommage. L'intérêt (et l'originalité) des arrêts rapportés tient non seulement à la confirmation de la responsabilité de l'Etat (pour cause de carence normative), mais surtout à la réponse apportée par le Conseil d'Etat à la question du cumul de responsabilités, celle de l'Etat et celle des employeurs également. L'employeur, contre lequel la faute inexcusable a été reconnue, pour avoir manqué à son obligation de sécurité de résultat, peut-il se prévaloir d'une faute de la puissance publique, en ce que l'Etat aurait négligé d'adopter une réglementation propre à limiter les risques pour la santé de l'exposition des salariés aux poussières d'amiante ?
Le Conseil d'Etat ne donne pas de réponse globale, mais distingue deux hypothèses, selon que l'on se place avant ou après 1977 :

- avant l'entrée en vigueur du décret n° 77-949 du 17 août 1977 (N° Lexbase : L6563KSU), l'Etat est considéré comme défaillant car il n'a pas suffisamment agi. Revenant ainsi sur la jurisprudence (CE, 5° et 3° s-s-r., 18 avril 1984, n° 34967 N° Lexbase : A6452ALK), le Conseil d'Etat a fait droit à la requête et considéré que l'employeur, même en cas de faute inexcusable, peut se retourner contre l'Etat si ce dernier a contribué à la manifestation du dommage ;

- après 1977, la société C., est jugée entièrement et seulement responsable. L'entreprise n'a pas respecté la réglementation, commettant une faute d'une particulière gravité exonérant l'Etat.

La décision a été critiquée, car, selon l'association nationale des victimes de l'amiante, elle donnerait le droit pour un employeur condamné pour faute inexcusable "d'alléger sa facture, en se faisant rembourser une partie de l'indemnisation des préjudice" (4).

Résumé

Pour la période antérieure à 1977, en s'abstenant de prendre, entre le milieu des années soixante, période à partir de laquelle son personnel a été exposé à l'amiante, et 1977, des mesures propres à éviter ou du moins limiter les dangers liés à une exposition à l'amiante, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. L'employeur a commis une faute en s'abstenant de prendre des mesures de nature à protéger ses salariés.

La négligence des pouvoirs publics et celle de la société requérante ont toutes deux concouru directement au développement de maladies professionnelles liées à l'amiante par plusieurs salariés de cette société. Eu égard à la nature et à la gravité des fautes commises par la société requérante et par l'Etat, il sera fait une juste appréciation du partage de responsabilités en fixant au tiers la part de l'Etat.

Pour la période postérieure à 1977, la société n'établit pas que les maladies professionnelles développées par ses salariés du fait d'une exposition à l'amiante postérieure à 1977 trouveraient directement leur cause dans une carence fautive de l'Etat à prévenir les risques liés à l'usage de l'amiante à cette époque, pour les activités de la nature de celles qu'elle exerçait.

Commentaire

I - Carence fautive de l'Etat dans la prévention de l'amiante

La carence normative face à la nocivité connue de l'amiante, déjà très présente dans la littérature juridique (institutionnelle, législative, ...) est donc consacrée par le Conseil d'Etat. Les effets juridiques attachés à cette carence sont sévères, quoique classiques et connus, puisque le juge administratif a reconnu une responsabilité de la puissance publique.

A - Carence normative face à la nocivité connue de l'amiante

L'amiante a été doublement ignorée des pouvoirs publics : en tant qu'instance normative et au titre du contrôle de la législation. Cette carence normative face à la nocivité connue de l'amiante a été aggravée par la carence des caisses de Sécurité sociale. Et plus largement, des organismes sociaux ayant vocation à intervenir, s'agissant de l'amiante : les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), les caisses générales de Sécurité sociale (CGSS, dans les DOM) et la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France ; mais aussi l'inspection du travail (5) et la médecine du travail (6).

Pas de dispositifs d'interdiction de l'usage de l'amiante. Jusqu'au 1er janvier 1997, date de l'entrée en vigueur de l'interdiction totale de l'amiante, la France a préféré recourir à une politique dite d'"usage contrôlé" : une substance est connue et identifiée comme étant nocive et dangereuse, mais les pouvoirs publics, le législateur, en autorisent l'usage, pour autant qu'il soit encadré (exemples, nucléaire, benzène, amiante...).

Pourtant, l'Etat connaissait la nocivité de l'amiante. Cette nocivité a été posée et reconnue par de nombreuses instances, publiques, juridictionnelles :

- le Parlement a consacré de nombreux travaux, parfois très critiques à l'égard du pouvoir réglementaire et des entreprises (7) ;

- la Cour de cassation a reconnu, dans le corps même d'un de ses arrêts (8), qu'était, dès 1956, connu le rôle cancérigène de l'amiante et, dès 1964, déterminée la cause de l'asbestose inscrite au tableau des maladies professionnelles en sa version applicable en 1950 ;

- le Conseil d'Etat (arrêt rapporté) indique "les premières mesures de protection des travailleurs contre l'amiante ont été adoptées, en 1931, en Grande-Bretagne [...] des recommandations visant à limiter l'inhalation des poussières d'amiante ont été faites aux Etats-Unis à compter de 1946 [...] des études épidémiologiques menées à partir de données relevées, pour l'une, en Angleterre et, pour l'autre, en Afrique du sud, publiées en 1955 et 1960, ont mis en évidence le lien entre exposition à l'amiante et, respectivement, risque de cancer broncho-pulmonaire et risque de mésothéliome [...] un cas de mésothéliome diagnostiqué en France a été décrit en 1965 par le Professeur Turiaf dans une communication à l'Académie nationale de médecine". Le même constat avait été dressé dès 2004 (9) ;

- les travaux scientifiques, issu des domaines du droit (10) comme de la médecine, avaient clairement posé le caractère de nocivité et de dangerosité de l'amiante.

Sur le plan de la technique juridique, le constat que l'Etat, les institutions et autres organismes de protection sociale, le monde médical et les employeurs eux-mêmes, connaissaient la nocivité de l'amiante, n'est pas indifférent. En effet, la Cour de cassation déduit de cette connaissance, que se trouve rapportée la preuve que, ne pouvant ignorer les effets nocifs de l'amiante à l'époque des faits de la cause, l'employeur devait ou aurait dû, à raison de son obligation de sécurité de résultat à l'égard de son salarié, avoir conscience du danger couru par celui-ci et prendre corrélativement les mesures nécessaires pour l'en préserver (Cass. civ. 2, 3 février 2011, n° 09-16.364, F-D, préc.).

B - Effets juridiques attachés à cette carence : reconnaissance d'une responsabilité de la puissance publique

1 - Responsabilité partiellement admise

Le Conseil d'Etat a retenu, par ses quatre arrêts rendus en 2004, la responsabilité de l'Etat (CE, 2° s-s., 4 mars 2004, n° 241150, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3772DBC). Mais la nature de cette responsabilité diffère d'une affaire à l'autre.

Pour la période antérieure à 1977, le juge administratif a reproché à l'Etat de n'avoir pas pris les mesures nécessaires à l'évaluation du risque. Dans son arrêt n° 241150 (affaire "Bourdignon") (11), le Conseil d'Etat a retenu la responsabilité fondée sur les carences de l'Etat dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante. L'Etat a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Chargé de la prévention des risques professionnels, l'Etat aurait dû se tenir informé des dangers que peuvent courir les travailleurs, compte tenu des produits et substances qu'ils manipulent ou avec lesquels ils sont en contact, et d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer ces dangers. Si l'Etat a inscrit progressivement, à partir de 1945, sur la liste des maladies professionnelles, les diverses pathologies invalidantes voire mortelles, dues à l'exposition professionnelle à l'amiante, les autorités publiques n'ont entrepris, avant 1977, aucune recherche afin d'évaluer les risques pesant sur les travailleurs exposés aux poussières d'amiante, ni pris de mesures aptes à éliminer ou, tout au moins, à limiter les dangers liés à une telle exposition.

Pourtant, en l'espèce, cette responsabilité n'a pas donné lieu à réparation. En effet, le décès du salarié (société E.) était dû à l'inhalation des poussières d'amiante auxquelles il avait été exposé dans le cadre de son activité professionnelle, mais la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en admettant le caractère direct du lien de causalité entre la faute commise par l'Etat et le décès du salarié.

Pour la période postérieure à 1977, la carence fautive de l'Etat se situe sur un autre plan (affaires T. et X.). Dans le même sens, dans l'affaire n° 241152 (ministre de Emploi et de la Solidarité c/ T.), le Conseil d'Etat a retenu la responsabilité de l'Etat, du fait de ces carences dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante. L'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. En effet, des mesures ont été prises à partir de 1977 pour limiter les risques que faisait courir aux travailleurs l'inhalation de poussières d'amiante. Mais il n'est pas établi que ces mesures aient constitué une protection efficace pour ceux qui, comme M. X., travaillaient dans des lieux où se trouvaient des produits contenant de l'amiante. Enfin, aucune étude n'a été entreprise avant 1995 pour déterminer précisément les dangers que présentaient pour les travailleurs les produits contenant de l'amiante alors pourtant que le caractère hautement cancérigène de cette substance avait été confirmé à plusieurs reprises et que le nombre de maladies professionnelles et de décès liés à l'exposition à l'amiante ne cessait d'augmenter depuis le milieu des années cinquante.

Dans l'affaire n° 241153 (ministre de l'Emploi et de la Solidarité c/ X.), le Conseil d'Etat a admis que les autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels sont tenues de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle, compte tenu notamment des produits et substances qu'ils manipulent ou avec lesquels ils sont en contact, et d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer ces dangers. En l'espèce, si des mesures ont été prises à partir de 1977 pour limiter les risques que faisait courir aux travailleurs l'inhalation de poussières d'amiante, il n'est pas établi que ces mesures aient constitué une protection efficace pour ceux qui, comme M. C., travaillaient dans des lieux où se trouvaient des produits contenant de l'amiante. Aucune étude n'a été entreprise avant 1995 pour déterminer précisément les dangers que présentaient pour les travailleurs les produits contenant de l'amiante alors pourtant que le caractère hautement cancérigène de cette substance avait été confirmé à plusieurs reprises et que le nombre de maladies professionnelles et de décès liés à l'exposition à l'amiante ne cessait d'augmenter depuis le milieu des années cinquante.

Enfin, par l'affaire n° 241151 (12), le Conseil d'Etat s'est prononcé dans le même sens : malgré les mesures prises en la matière depuis 1977 et malgré la conformité de ces dernières aux directives communautaires, le Ministre de l'emploi et de la solidarité n'établissait pas que les autorités publiques avaient prévenu de manière adéquate, compte tenu des données scientifiques alors disponibles, les risques courus par les travailleurs exposés à des produits contenant de l'amiante. L'Etat n'a diligenté aucune étude avant 1995 afin de s'assurer que les mesures prises étaient adaptées au risque, connu et grave, que comportait une telle exposition.

2 - Responsabilité totalement admise

L'Etat a une obligation de réglementation des conditions de travail (spécialement, exposition des travailleurs aux poussières de l'amiante), mais il est également tenu de vérifier l'application de sa réglementation. Le Conseil d'Etat (arrêt rapporté), s'est prononcé en ce sens, s'agissant de la première, mais pas de la seconde obligation.

Carence normative et responsabilité de la puissance publique. Jusqu'à la publication du décret du 17 août 1977, relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la France a tardé à mettre en oeuvre des mesures réglementaires de prévention propres aux dangers de l'amiante. Ce constat, avancé par le Conseil d'Etat (arrêt rapporté), n'est pas inédit : le législateur (travaux parlementaires, supra) (13) en avait pleinement conscience, dans les années 2000.

Les seules dispositions prises portaient sur le Tableau n° 30 des maladies professionnelles (N° Lexbase : L3439IBY), qui, à trois reprises, a été modifié pour prendre en compte les effets cliniques de l'inhalation de poussières d'amiante :

- en 1945, apparition d'une nouvelle forme de silicose (la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières renfermant de l'amiante) (ordonnance n° 45-1724 du 3 août 1945) ;

- en 1950 (décret n° 50-1082 du 31 août 1950, complété par le décret n° 51-1215 du 3 octobre 1951), nouvelle forme de silicose reçoit le nom d'asbestose ;

- en 1976, le tableau s'enrichit de deux nouvelles maladies liées à l'amiante, le mésothéliome et le cancer broncho-pulmonaire (décret n° 76-37 du 5 janvier 1976).

En l'espèce (arrêt rapporté), pour la période antérieure à 1977, en s'abstenant de prendre, entre le milieu des années soixante, période à partir de laquelle son personnel a été exposé à l'amiante, et 1977, des mesures propres à éviter ou du moins limiter les dangers liés à une exposition à l'amiante, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

La solution est conforme à la jurisprudence développée par le Conseil d'Etat,

- dans le champ de l'amiante, la solution ayant déjà été retenue par un arrêt rendu le 3 mars 2004 (14), dans les mêmes termes et selon les mêmes modalités (en distinguant avant et après 1977) ;

- en matière de carence normative de l'Etat. Ainsi, dans le domaine du sang contaminé, le juge administratif a condamné l'Etat pour carence fautive dans l'exercice de son pouvoir de réglementation et de contrôle (15).

Insuffisance du contrôle. Si la réglementation propre à l'amiante a tardé à être mise en oeuvre, il existait des dispositions juridiques générales (et non propres à l'amiante) qui pouvaient être mises en place par les entreprises (par exemple, réglementation du 12 juin 1893 sur l'évacuation des poussières industrielles). Ces dispositions n'ont pas fait l'objet d'un contrôle par les services de l'Etat (inspection du travail, notamment) (16), s'agissant spécifiquement de l'amiante. Mais cette hypothèse, parallèle à la défaillance normative de l'Etat, n'est pas envisagée par le Conseil d'Etat (arrêt rapporté).

II - Carence fautive de l'employeur dans l'exécution de son obligation de sécurité

Si la solution retenue par le Conseil d'Etat, admettant la responsabilité de l'Etat pour cause de défaillance normative, était conforme (CE, 3 mars 2004, quatre arrêts, préc.), la réponse à la question du partage de responsabilité est plus attendue. Le concours de responsabilités de l'Etat et de l'employeur est une hypothèse concevable, mais ne produit pas les mêmes effets, selon que l'on se place avant ou après 1977 (décret du 17 août 1977, préc.).

A - Responsabilité de l'employeur

L'employeur, invoquant la carence des pouvoirs publics dans l'exercice de leur mission de prévention des risques professionnels jusqu'en 1996, a demandé à l'Etat de l'indemniser des préjudices subis du fait de cette faute et de la garantir des condamnations prononcées à son encontre, tendant au remboursement à l'assurance maladie des sommes versées au profit de certains de ses salariés atteints d'une maladie professionnelle liée à l'amiante. La cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 17 juin 2010, n° 09NT01120 N° Lexbase : A2556E88), confirmant le jugement du tribunal administratif de Caen, a rejeté sa demande.

1 - Avant 1977

La SAS C. utilisait de façon régulière et massive l'amiante. La société a fait partie des entreprises qui, dès cette période, connaissaient ou auraient dû connaître les dangers liés à l'utilisation de l'amiante (arrêt rapporté, cons. 11). Les employés de la société ont subi une forte exposition à l'amiante à compter de 1966, l'amiante étant floqué pour assurer l'isolation thermique des bateaux et lutter contre le risque d'incendie. Ils ne bénéficiaient d'aucune information ou protection particulière (arrêt rapporté, cons. 11). Le Conseil d'Etat en tire la conclusion que la société a ainsi commis une faute en s'abstenant de prendre des mesures de nature à protéger ses salariés.

2 - Après 1977

L'employeur a commis une faute, en recourant à l'amiante. Le Conseil d'Etat (arrêt rapporté, cons. 14) relève que certains salariés ont continué d'être exposés à l'amiante de façon ponctuelle lors de travaux d'entretien de bateaux floqués à l'amiante. La décision de ne plus utiliser de joints en amiante pour la construction de bateaux neufs n'a été prise qu'en 1996. C'est à partir de 1997 qu'il a été demandé aux armateurs de désamianter leurs navires avant l'intervention de ses salariés. La société continuait d'intervenir, au titre de la réparation navale, sur des navires susceptibles de contenir de l'amiante.

L'employeur ne peut se prévaloir d'une carence de l'Etat. L'employeur avance une argumentation peu convaincante, qui n'a d'ailleurs pas du tout convaincu le Conseil d'Etat (arrêt rapporté, cons. 15) : la société ne recourait, après 1977, qu'à des produits d'amiante tissé, respectant la norme maximale de deux fibres par centimètre cube ; les maladies professionnelles développées par ses salariés résultaient nécessairement de l'insuffisance de la réglementation adoptée par les pouvoirs publics avant l'entrée en vigueur de l'interdiction de la fabrication et de la transformation de l'amiante le 1er janvier 1997.

Le Conseil d'Etat relève, au contraire, que certains des salariés de l'entreprise, amenés à intervenir pour des réparations sur des bateaux garnis d'amiante, ont continué d'être exposés aux poussières d'amiante sans protection appropriée. Plusieurs jugements du tribunal des affaires de Sécurité sociale de la Manche ont mentionné le caractère inadapté des systèmes de ventilation utilisés, rejetant l'air dans l'espace de travail, et l'absence d'équipement de protection individuelle.

Bref, l'employeur n'établit pas que les maladies professionnelles que ses salariés ont développées du fait d'une exposition à l'amiante postérieure à 1977, trouveraient directement leur cause dans une carence fautive de l'Etat à prévenir les risques liés à l'usage de l'amiante à cette époque, pour les activités de la nature de celles qu'elle exerçait (arrêt rapporté, cons. 17).

B - Responsabilité de l'employeur, partagée avec celle de l'Etat

1 - Avant 1977

On se souvient (supra) que le Conseil d'Etat a reconnu :

- qu'en s'abstenant de prendre, entre le milieu des années soixante et 1977, des mesures propres à éviter ou du moins limiter les dangers liés à une exposition à l'amiante, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité (arrêt rapporté, cons. 10) ;

- la société a commis une faute en s'abstenant de prendre des mesures de nature à protéger ses salariés : l'entreprise utilisait de façon régulière et massive l'amiante ; dès cette période, l'entreprise connaissaient (ou auraient dû connaître) les dangers liés à l'utilisation de l'amiante ; ses salariés ont subi une forte exposition à l'amiante à compter de 1966, l'amiante étant floqué pour assurer l'isolation thermique des bateaux et lutter contre le risque d'incendie ; ils n'ont bénéficié d'aucune information ou protection particulière.

Bref, l'Etat comme l'entreprise de C. ont toutes deux concouru directement au développement de maladies professionnelles liées à l'amiante ; eu égard à la nature et à la gravité des fautes commises par la société et par l'Etat, le Conseil d'Etat a fait une juste appréciation du partage de responsabilités en fixant au tiers la part de l'Etat.

2 - Après 1977

Responsabilité de l'entreprise, liée à la carence fautive de l'Etat. Pour l'employeur, les maladies professionnelles développées par ses salariés ont résulté de l'insuffisance de la réglementation avant l'entrée en vigueur de l'interdiction de la fabrication et de la transformation de l'amiante le 1er janvier 1997. Cet argument développé par l'entreprise, indexant sa responsabilité à la carence fautive de l'Etat, n'a pas trouvé d'écho favorable au Conseil d'Etat.

Les juges administratifs (arrêt rapporté, cons. 14 et 15) ont, en effet, relevé que :

- l'amiante a été utilisé essentiellement par les soudeurs, sous forme de tapis ou de couvertures, jusqu'en 1984 ;

- certains salariés ont continué d'être exposés à l'amiante de façon ponctuelle lors de travaux d'entretien de bateaux floqués à l'amiante ; la décision de ne plus utiliser de joints en amiante pour la construction de bateaux neufs n'a été prise qu'en 1996 ;

- c'est à partir de 1997 qu'il a été demandé aux armateurs de désamianter leurs navires avant l'intervention de ses salariés. L'entreprise continuait d'intervenir, au titre de la réparation navale, sur des navires susceptibles de contenir de l'amiante ;

- certains de ses salariés, amenés notamment à intervenir pour des réparations sur des bateaux garnis d'amiante, ont continué d'être exposés aux poussières d'amiante sans protection appropriée ; qu'en particulier, plusieurs jugements du tribunal des affaires de Sécurité sociale de la Manche mentionnent le caractère inadapté des systèmes de ventilation utilisés, rejetant l'air dans l'espace de travail, et l'absence d'équipement de protection individuelle.

Bref (arrêt rapporté, cons. 17), l'employeur n'établit pas que les maladies professionnelles que ses salariés ont développées du fait d'une exposition à l'amiante postérieure à 1977 trouveraient directement leur cause dans une carence fautive de l'Etat à prévenir les risques liés à l'usage de l'amiante à cette époque, pour les activités de la nature de celles qu'elle exerçait : elle n'est pas fondée à mettre en cause la responsabilité de l'Etat.

En conclusion, avant 1977, l'Etat et l'employeur sont coresponsables ; après 1977, la responsabilité de l'Etat ne peut plus être mise en cause et l'employeur doit être tenu pour seul responsable de l'exposition de l'amiante. La solution est conforme à la jurisprudence du Conseil d'Etat (s'agissant de l'admission de la responsabilité de l'Etat) ; elle innove, s'agissant de l'articulation entre la responsabilité de l'Etat et celle des entreprises. Ce partage de responsabilité a déjà été critiqué (point de vue de l'Andeva, suggérant que le partage de responsabilité soit réservé aux hypothèses où la réglementation a été respectée. A contrario, lorsque la réglementation en vigueur a été bafouée, il n'y aurait pas lieu à un partage de responsabilité). Pourtant, son domaine est circonscrit, puisque le partage de responsabilité n'a été admis par le Conseil d'Etat que pour la période antérieure à 1977.


(1) Me Teissonnière, propos reproduits dans J. Le Garrec et J. Lemière, Rapport sur les risques et les conséquences de l'exposition à l'amiante, Tome I, p. 55-56.
(2) Ch. Guettier, L'Etat face aux contaminations liées à l'amiante, AJDA, 2001, p. 532 ; Ch. Guettier, La gestion administrative des risques en France, Ann. europ. adm. publ., t. XXIV, PUAM, 2002, p. 47 et s..
(3) LSQ, n° 16955, 13 novembre 2015 ; M. Touzeil-Divina, JCP éd. S, n° 48, 24 novembre 2015, act. 451, veille ; Amiante : la délicate question du partage de responsabilité entre l'employeur et l'Etat, AJDA 2015, 2116 ; F. Champeaux, La responsabilité de l'Etat dans le contentieux "amiante", SSL, n° 1699, 23 novembre 2015. V. décision du même jour, n° 359548.
(4) Association nationale des victimes de l'amiante (Andeva), Communiqué du 9 novembre 2015 (LSQ, n° 16955, 13 novembre 2015) : "aujourd'hui ce sont les Constructions mécaniques de Normandie, un chantier naval responsable d'une véritable hécatombe ouvrière, qui profitent de l'aubaine. Mais demain, cet arrêt risque de faire tâche d'huile. D'autres entreprises responsables de milliers de morts de l'amiante, voudront mettre le prix de leurs propres fautes à la charge des contribuables".
(5) R. Marié, Les modalités d'action des caisses de sécurité sociale en matière de prévention : entre incitation et sanction, SSL, n° 1655, supplément du 8 décembre 2014.
(6) S. Quinton-Fantoni, L'évolution des missions du médecin du travail, SSL, n° 1655, supplément du 8 décembre 2014.
(7) J. Le Garrec et J. Lemière, Rapport sur les risques et les conséquences de l'exposition à l'amiante, Tome I, p. 45, préc. ; G. Dériot et J.-P. Godefroy, Le drame de l'amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l'avenir, Rapport d'information Sénat, n° 37 (2005-2006), 26 octobre 2005, p. 42.
(8) Cass. civ. 2, 3 février 2011, n° 09-16.364, F-D (N° Lexbase : A3502GR7).
(9) CE Contentieux, 3 mars 2004, n° 241153 (N° Lexbase : A4306DB4), G. Delaloy, Amiante : le Conseil d'Etat confirme la responsabilité de l'Etat, Droit Administratif, n° 5, mai 2004, comm. 87 ; H. Arbousset, Amiante : la responsabilité de l'Etat est, enfin, reconnue par le Conseil d'Etat, D., 2004. 973 ; Ch. Guettier, L'amiante : une affaire d'Etat, RDSS, 2006, p. 202 ; G. Dériot et J.-P. Godefroy, Le drame de l'amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l'avenir, Rapport d'information Sénat, n° 37 (2005-2006), 26 octobre 2005, p. 99-102, préc.. V. aussi, dans le même sens, CE contentieux, 3 mars 2004, n° 241150 (N° Lexbase : A4303DBY) : "le caractère nocif des poussières d'amiante était connu depuis le début du XXème siècle et que le caractère cancérigène de celles-ci avait été mis en évidence dès le milieu des années cinquante, d'autre part, que, si les autorités publiques avaient inscrit progressivement, à partir de 1945, sur la liste des maladies professionnelles, les diverses pathologies invalidantes voire mortelles, dues à l'exposition professionnelle à l'amiante, ces autorités n'avaient entrepris, avant 1977, aucune recherche afin d'évaluer les risques pesant sur les travailleurs exposés aux poussières d'amiante, ni pris de mesures aptes à éliminer ou, tout au moins, à limiter les dangers liés à une telle exposition, la cour administrative d'appel s'est livrée à une appréciation souveraine des pièces du dossier qui, en l'absence de dénaturation, ne peut être utilement discutée devant le juge de cassation". Le Conseil d'Etat a rendu quatre arrêts le même jour : CE, 3 mars 2004, n° 241150 ; CE, 3 mars 2004, n° 241151 (N° Lexbase : A4304DBZ) ; aff. E. (supra) et aff. société S. (supra).
(10) Y. Saint-Jours, L'amiante : de la prévention négligée aux conséquences induites, Dr. ouvrier, 1999, p. 486.
(11) CE, 3 mars 2004, n° 241150, Publié au recueil Lebon, préc..
(12) V., en première instance, TA Marseille, 30 mai 2000, n° 97-5988, Cl. Esper, Responsabilité de l'Etat en matière d'amiante, Droit Administratif, n° 2, Février 2001, comm. 50.
(13) G. Dériot et J.-P. Godefroy, Le drame de l'amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l'avenir, Rapport d'information Sénat, n° 37 (2005-2006), 26 oct. 2005, p. 85-88, préc..
(14) CE, 3 mars 2004, n° 241152, préc..
(15) CE, 9 avril 1993, n° 69336 (N° Lexbase : A9435AME), Rec. CE, 1993, p. 110.
(16) J. Le Garrec et J. Lemière, Rapport, Tome I, préc., p. 47.

Décisions

CE Contentieux, 9 novembre 2015, n° 342468, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3631NWE)

Cassation, CAA Nantes, 17 juin 2010, n° 09NT01120 (N° Lexbase : A2556E88)

- CE Contentieux, 9 novembre 2015, n° 359548, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3633NWH)

Cassation, CAA Lyon, 22 mars 2012, n° 11LY02021 (N° Lexbase : A8003IP4)

Mots-clés : amiante ; responsabilité de l'Etat ; responsabilité de l'employeur ; partage de responsabilités (oui) ; carence de l'Etat (oui) ; carence de l'employeur (oui).

Liens base : (N° Lexbase : E3186ET8) et (N° Lexbase : E5447ACQ)

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Audiovisuel

[Brèves] Absence de portée absolue de l'obligation de respect du pluralisme des courants de pensée et d'opinion par un service radiophonique

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 27 novembre 2015, n° 374373, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9218NXP)

Lecture: 2 min

N0230BWG

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Le 04 Décembre 2015

Les prescriptions d'une convention conclue entre le CSA et l'exploitant d'un service radio, qui imposent au titulaire de l'autorisation de réserver un accès à l'antenne à différents courants de pensée et d'opinion, ne peuvent être légalement imposées à l'exploitant qui se donne pour vocation d'assurer l'expression d'un courant particulier d'opinion. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 27 novembre 2015 (CE 4° et 5° s-s-r., 27 novembre 2015, n° 374373, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9218NXP). Une association dispose de l'autorisation d'exploiter un service de radio, autorisation dont la délivrance, comme le prévoit la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication (N° Lexbase : L8240AGB), a été accompagnée de la conclusion d'une convention que doit respecter le titulaire de l'autorisation. A la suite de propos tenus à l'antenne, le CSA a estimé que l'association avait méconnu trois articles de sa convention : l'article 2-3, qui prévoit que le titulaire de l'autorisation veille au respect du pluralisme des courants de pensée et d'opinion, l'article 2-4, qui impose au titulaire de la convention de veiller à ne pas encourager des comportements discriminatoires à l'égard des personnes et l'article 2-10, qui lui impose de maîtriser son antenne. Par décision du 24 juillet 2013, le CSA a donc mis en demeure l'association de respecter les obligations prévues par ces trois articles. L'association a demandé au Conseil d'Etat d'annuler cette mise en demeure. Si celui-ci juge mal fondée la contestation contre la mise en demeure de respecter les articles 2-4 et 2-10 de la convention, en revanche, il annule la mise en demeure de respecter l'article 2-3 de la convention. Il juge que, lorsqu'il autorise l'exploitation d'un service de radio qui se donne pour vocation d'assurer l'expression d'un courant particulier d'opinion, le CSA ne peut légalement lui imposer de réserver un accès à l'antenne à différents courants de pensée et d'opinion. Le Conseil d'Etat en déduit que l'article 2-3 de la convention, qui implique une telle obligation, était illégal, et que la mise en demeure de respecter cet article est donc, elle aussi, illégale.

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Avocats

[Jurisprudence] Droit au libre choix de l'avocat : l'officier de police judiciaire doit informer de sa désignation l'avocat choisi par la personne placée en garde à vue

Réf. : Cass. crim., 21 octobre 2015, n° 15-81.032, F-P+B+I (N° Lexbase : A7680NTM)

Lecture: 13 min

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par Kaltoum Gachi, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Paris II

Le 03 Décembre 2015

L'arrêt du 21 octobre 2015, qui a été rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, rappelle l'importance du principe du libre choix de l'avocat dans l'hypothèse d'un éventuel conflit d'intérêts. L'article 63-3-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9629IPC), dont les deux derniers alinéas régissent cette question, prévoit que l'existence de ce conflit est appréciée par l'avocat qui, le cas échéant, fait demander la désignation de l'un de ses confrères. En tout état de cause, s'il y a une divergence d'appréciation, le problème est réglé par le Bâtonnier et non par l'officier de police judiciaire à peine de nullité. C'est ce qu'affirme clairement cette décision en soulignant que le refus d'informer l'avocat choisi emporte nécessairement nullité. L'article préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8532H4R), issu de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (N° Lexbase : L0618AIQ), précise que toute personne suspectée ou poursuivie a le droit "d'être assistée d'un défenseur". Le choix de ce défenseur est essentiel, comme l'illustre le présent arrêt rendu qui a offert l'occasion à la Chambre criminelle de la Cour de cassation de le rappeler en précisant les règles relatives au conflit d'intérêts.

En l'espèce, une personne, placée en garde à vue en mai 2014, avait notamment sollicité l'assistance d'un avocat de son choix et l'accès à l'entier dossier, en vain. Elle avait alors formé une requête en nullité en soulevant un certain nombre d'irrégularités. La chambre de l'instruction avait rejeté sa requête en considérant, en premier lieu, que son conseil avait eu accès à l'ensemble des pièces visées par l'article 63-4-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3162I3I), c'est-à-dire au procès-verbal établi de notification du placement en garde à vue, au certificat médical établi en application de l'article 63-3 du même code (N° Lexbase : L9745IPM), ainsi qu'aux éventuels procès-verbaux d'audition du suspect. Elle avait précisé que l'absence de communication à l'avocat de toutes les pièces du dossier n'était pas de nature à priver la personne d'un droit effectif et concret à un procès équitable dès lors que l'accès à ces pièces était garanti devant les juridictions d'instruction et de jugement et que la loi portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen du Conseil du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY), n'avait pas modifié cette absence de nécessité. Il était encore précisé que les dispositions précitées n'étaient pas incompatibles avec celles de l'article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). En second lieu -et c'est là le point essentiel qui sera développé ici- la chambre de l'instruction a été amenée à se prononcer sur la désignation de l'avocat lors du placement en garde à vue. Elle a rappelé qu'il résultait de l'article 63-3-1 du Code de procédure pénale que, dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à être assistée par un avocat de son choix mais que l'officier de police judiciaire ou le procureur de la République peuvent, en cas de conflits d'intérêts, saisir le Bâtonnier qui peut désigner un autre défenseur. Sur ce point, la chambre de l'instruction a entériné le refus par l'officier de police judiciaire d'informer l'avocat choisi en relevant que le suspect avait pu s'entretenir et être assisté par un avocat d'office pendant toute la durée de sa garde à vue dans le respect des dispositions légales et avait donc bénéficié tant au cours de sa garde à vue que lors de son interrogatoire de première comparution, d'une défense effective par deux avocats qui n'avaient formulé aucune observation. Elle en déduisait que l'irrégularité invoquée n'avait pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts du requérant.

Le mis en examen formait un pourvoi en cassation. A l'appui de ce pourvoi, il soulevait deux moyens, le premier étant relatif à la désignation de l'avocat et à l'accès au dossier tandis que le second avait trait à d'autres aspects notamment tirés de la violation de l'article 199 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2790KGG), qui prévoit que la défense doit avoir la parole en dernier. Si ce grief a emporté cassation en application d'une jurisprudence constante (Cass. crim., 28 mai 2002, n° 01-85.684, F-P+F N° Lexbase : A0023AZU, Bull. crim. n° 119 ; Cass. crim., 7 juillet 2005, n° 05-80.914, FP-P+F N° Lexbase : A9067DIN, Bull. crim., n° 202), c'est relativement au premier moyen que seront consacrés les présents développements. Précisément, aux termes de ce premier moyen, le demandeur au pourvoi soutenait, en substance, qu'en vertu du principe conventionnel du libre choix de l'avocat, l'avocat choisi par le gardé à vue était seul habilité par l'article 63-3-1 du Code de procédure pénale à constater un conflit d'intérêts et à demander la nomination d'un autre avocat et qu'en l'espèce ce n'était pas à l'officier de police judiciaire de décider mais au Bâtonnier qui pouvait désigner un autre avocat. Il faisait également valoir que l'équité du procès pénal commandait, tant selon les dispositions conventionnelles qu'européennes, que l'avocat ait accès, en temps utile, à tous les éléments nécessaires à l'organisation de la défense et que l'accès au dossier s'imposait au stade de l'enquête, stade crucial du procès pénal. Aussi, selon lui, en rejetant l'exception de nullité de la garde à vue et des actes subséquents tirée de l'absence de communication du dossier de l'enquête, la chambre de l'instruction avait violé les Directives 2013/48/UE du 22 octobre 2013, relative au droit d'accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L5328IYY) et 2012/13/UE et les articles 5 (N° Lexbase : L4786AQC) et 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Si ce dernier point est balayé, la question d'importance qui se posait ici revenait à s'interroger sur les conditions d'application de l'article 63-3-1 du Code de procédure pénale relative au conflit d'intérêts et sur la sanction de son éventuelle violation. Alors que la chambre de l'instruction avait exigé un grief, la Cour de cassation ne requiert pas une telle exigence et censure l'arrêt d'appel au visa de l'article précité en indiquant que, selon ce texte, "l'officier de police judiciaire doit informer de sa désignation l'avocat choisi par la personne placée en garde à vue, seul le Bâtonnier ayant qualité pour désigner un autre défenseur en cas de conflit d'intérêts" et "que le refus d'informer l'avocat choisi porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée". Après avoir rappelé les règles relatives au conflit d'intérêts (I), la Cour de cassation prend le soin de réaffirmer le principe du libre choix de l'avocat (II).

I - Les règles relatives au conflit d'intérêts

L'article de référence, au visa duquel la cassation est prononcée, est l'article 63-3-1 du Code de procédure pénale. Il faut en reprendre les termes (A) avant d'examiner la manière dont il a été appliqué en jurisprudence (B).

A - Le fondement textuel

Un seul article dans le Code de procédure pénale est destiné à régler la question du conflit d'intérêts. Il s'agit de l'article 63-1-1 du Code de procédure pénale qui pose, de manière générale, les règles de la désignation d'avocat lors de la garde à vue et spécifiquement, dans ses derniers alinéas, régit la question du conflit d'intérêts.

Ainsi, dès le début de cette mesure de contrainte, il est prévu que la personne peut demander à être assistée par un avocat, au besoin commis d'office. L'avocat est alors informé, par l'officier ou l'agent de police judiciaire, de la nature et de la date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête. Puis, les deux derniers alinéas de cet article précisent que "s'il constate un conflit d'intérêts, l'avocat fait demander la désignation d'un autre avocat. En cas de divergence d'appréciation entre l'avocat et l'officier de police judiciaire ou le procureur de la République sur l'existence d'un conflit d'intérêts, l'officier de police judiciaire ou le procureur de la République saisit le Bâtonnier qui peut désigner un autre défenseur". Il est également indiqué que "le procureur de la République, d'office ou saisi par l'officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire, peut également saisir le Bâtonnier afin qu'il soit désigné plusieurs avocats lorsqu'il est nécessaire de procéder à l'audition simultanée de plusieurs personnes placées en garde à vue".

Il résulte clairement de ces deux alinéas consacrés au conflit d'intérêts que c'est à l'avocat d'apprécier l'existence du conflit d'intérêts et, le cas échéant, de désigner un autre avocat. Toutefois, s'il existe une divergence d'appréciation entre l'avocat et l'officier de police judiciaire ou le procureur de la République sur l'existence de ce conflit, c'est au Bâtonnier de trancher.

Il paraît donc certain qu'il n'appartient ni à l'officier de police judiciaire, ni d'ailleurs à l'autorité judiciaire, de résoudre ou même de constater un conflit d'intérêts de nature à empêcher l'avocat d'exercer sa mission. La notion de conflit d'intérêts, de nature purement déontologique, ne peut être appréciée, ainsi que le rappellent explicitement les termes de la loi, que par l'avocat lui-même, voire par le Bâtonnier.

B - L'interprétation jurisprudentielle

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a, sur le fondement des dispositions de l'article 63-3-1 du Code de procédure pénale, jugé que le droit à l'assistance d'un avocat, dont est informé le suspect dès le début de la garde à vue, pouvait être exercé à tout moment durant la mesure. Selon elle, il se déduit de ces dispositions "que toute personne placée en garde à vue doit pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat dès qu'elle en fait la demande" (Cass. crim., 5 novembre 2013, n ° 13-82.682, F-P+B N° Lexbase : A2248KPX, Bull. crim., n° 213). Dans cette espèce, alors que l'individu avait initialement renoncé à être assisté d'un avocat, ce dernier avait changé d'avis lors d'une audition "sans qu'une suite soit donnée à cette demande". La Chambre criminelle a estimé qu'il appartenait à la chambre de l'instruction, "après avoir constaté que les auditions recueillies postérieurement au moment où le mis en examen avait sollicité l'assistance d'un avocat étaient irrégulières, de les annuler et, le cas échéant, d'étendre les effets de cette annulation aux actes dont elles étaient le support nécessaire". Elle a encore précisé que "la renonciation exprimée au début de la mesure ne fait pas obstacle à ce que la personne gardée à vue change d'avis durant son déroulement". Ainsi, selon un auteur, "aucune audition n'est donc plus possible et toute audition en cours doit cesser dès que la personne entendue a révoqué sa renonciation antérieure" (V. Lesclous, Droit pénal, n° 9, septembre 2014, chron., 8).

Dès lors que le gardé à vue exprime son souhait d'être assisté d'un avocat, c'est à l'officier de police judiciaire de procéder aux démarches qui s'imposent afin de faire intervenir l'avocat. La charge de la preuve de l'accomplissement de ces diligences pèse sur cet officier. Sur la base des anciennes dispositions légales, la Chambre criminelle avait considéré qu'"est irrégulière et porte atteinte aux droits de la personne gardée à vue, son audition poursuivie par les policiers après la vingtième heure accomplie, dès lors, qu'en dépit de sa demande, elle n'a pu s'entretenir avec un avocat à l'expiration de ce délai, et qu'aucun élément de la procédure ne justifie des diligences effectuées par l'officier de police judiciaire afin de lui permettre l'exercice de ce droit" (Cass. crim., 10 mai 2001, n° 01-81.441 N° Lexbase : A5695AT4, Bull. crim., n° 118). Elle avait approuvé l'arrêt ayant annulé une garde à vue duquel il ressortait que "les diligences accomplies par l'officier de police judiciaire pour satisfaire la demande de la personne gardée à vue [avaient] été insuffisantes, à défaut d'avoir appelé le second numéro attribué à l'avocat choisi par la personne" (Cass. crim., 23 juin 2004, n° 04-80.225, FS-D N° Lexbase : A9185NXH). Dans le même sens, la première chambre civile a jugé que la garde à vue encourt l'annulation dès lors "que le procès-verbal ne mentionne pas les diligences accomplies par l'officier de police judiciaire à la suite de la demande faite par l'intéressé pour s'entretenir avec l'avocat de permanence, dès le début de la garde à vue" (Cass. civ. 1, 6 mai 2009, n° 08-12.358, F-D N° Lexbase : A7544EGI). Elle a encore rappelé que "l'avocat désigné par [le gardé à vue] ou à défaut le Bâtonnier [doit] être informé de sa demande sans délai" (Cass. civ. 1, 23 février 2011, n° 09-70.155, F-D N° Lexbase : A7351GZB).

Dans tous les cas, les officiers ou agents de police judiciaire ont l'obligation d'acter précisément en procédure toutes leurs diligences, y compris le nombre d'appels passés et les numéros de téléphone composés. En l'espèce, ce sont ces règles relatives à l'information de l'avocat choisi qui avaient été méconnues par la chambre de l'instruction, conduisant la Chambre criminelle à réaffirmer l'importance du principe du libre choix de l'avocat.

II - La réaffirmation du principe du libre choix de l'avocat

Le principe du libre choix de l'avocat, qui est prévu tant pas les dispositions internes que conventionnelles (A), est ici réaffirmé avec une force particulière (B).

A - Un principe conventionnel

L'article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, qui énumère des garanties propres à l'accusé en matière pénale, dispose que "tout accusé a droit notamment à [...] c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent".

Selon la Cour européenne, "l'article 6 § 3 reconnaît à tout accusé le droit à l'assistance d'un défenseur de son choix" (CEDH, 25 septembre 1992, Req. 13611/88, § 29 N° Lexbase : A6435AWA). Ce droit a été très récemment affirmé (CEDH, 20 octobre 2015, Req. 25703/11 N° Lexbase : A9182NXD). Dans cette dernière affaire, après trois meurtres, un incendie volontaire et un vol à main armée, plusieurs suspects arrêtés avaient été conduits au poste de police. Pour l'un d'entre eux, sa mère, qui vivait en Italie, avait pris contact avec un avocat croate, qu'elle avait mandaté afin de défendre son fils. Celui-ci s'était présenté un peu plus d'une heure après l'arrestation au poste de police, mais les policiers lui avaient refusé l'accès au suspect, faute pour lui de présenter une procuration. L'avocat s'était à nouveau présenté au poste l'après-midi, après avoir obtenu une procuration du père du suspect, mais l'entrée lui avait, à nouveau, été refusée. Le suspect, de son côté, aucunement été informé que l'avocat avait cherché à le rencontrer, avait finalement demandé à être assisté par un avocat commis d'office. Interrogé en présence d'un avocat qu'il n'avait donc pas choisi, il avouait être l'auteur des infractions et était condamné. Il saisissait la Cour européenne des droits de l'Homme qui, statuant en Grande chambre, rappelait que l'accès à un avocat dès le premier interrogatoire est une des garanties du droit à un procès équitable et que le refus de laisser au justiciable le libre choix de son avocat est certes un problème moins grave que celui du refus de le laisser accéder à un avocat, mais qu'il devait être néanmoins justifié par des motifs pertinents et suffisants. Or, en l'espèce, la Cour européenne avait constaté que le suspect n'avait pas choisi l'avocat commis d'office en connaissance de cause et que les aveux obtenus dans ces conditions justifiait un constat de violation des articles 6 § 1 et 6 § 3 c) de la Convention.

C'est à la lumière de ce principe de libre choix du défenseur par la personne gardée à vue qu'a été appréhendé, à l'occasion de l'arrêt du 21 octobre 2015, l'article 63-3-1 du Code de procédure pénale. En censurant l'arrêt d'appel, la Chambre criminelle évite une condamnation qui aurait été inévitable devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Sa solution est d'autant plus justifiée qu'elle sanctionne sévèrement la violation de ces dispositions.

B - Un principe renforcé

On sait que le Conseil constitutionnel avait eu l'occasion d'affirmer que "la liberté, pour la personne soupçonnée, de choisir son avocat" ne peut être différée pendant la durée de sa garde à vue qu'"à titre exceptionnel" (Cons. const., décision n° 2011-223 QPC, du 17 février 2012, cons. n° 7 N° Lexbase : A9100MWX). A cette occasion, il a censuré les dispositions de l'article 706-88-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2768KGM) en ce qu'elles n'obligeaient pas à motiver la décision, ni ne définissaient les circonstances particulières de l'enquête ou de l'instruction et les raisons permettant d'imposer une telle restriction aux droits de la défense.

Si en vertu de l'article 63-3-1 du Code de procédure pénale, c'est bien à l'avocat contacté par l'officier de police judiciaire et sollicité pour une garde à vue qu'il revient de constater un conflit d'intérêts et, éventuellement de renvoyer à un autre avocat, le texte ne prévoit pas, en revanche, de sanction précise à la violation des règles qu'il édicte.

En l'espèce, la chambre de l'instruction avait considéré, pour rejeter la requête en nullité, que lors de son placement en garde à vue, l'officier de police judiciaire avait informé le suspect que l'avocat qu'il souhaitait avait été choisi par un autre suspect et que, avisé de la possibilité de désigner un autre avocat ou de solliciter un avocat d'office, il avait demandé l'assistance d'un avocat d'office. Elle avait également relevé qu'il avait pu s'entretenir et être assisté par un avocat d'office pendant toute la durée de sa garde à vue et dans le respect des dispositions légales en précisant qu'aucun avocat n'avait formulé aucune observation. Elle en avait alors déduit que l'irrégularité invoquée n'avait pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts du requérant. C'est considérer en tout état de cause que la preuve d'un grief était requise, à supposer la violation établie.

Toutefois, la Chambre criminelle, en cassant cet arrêt, a remis radicalement en cause cette solution. Elle a précisé que le refus d'informer l'avocat choisi portait nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée. Cette solution était prévisible car mettant à la charge de l'officier de police judiciaire une obligation d'informer, parfaitement justifiée tant au plan interne que conventionnel, l'avocat choisi.

newsid:450167

Avocats/Institutions représentatives

[Brèves] Clé de répartition d'une prime globale payée par l'Ordre au titre de l'assurance RCP : justification de traitement différent entre avocats libéraux et avocats salariés

Réf. : Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, n° 14-23.786, FS-P+B (N° Lexbase : A0704NYQ)

Lecture: 2 min

N0185BWR

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Le 03 Décembre 2015

Lorsqu'un barreau décide de souscrire collectivement, pour le compte de ses membres, une assurance couvrant leur responsabilité civile professionnelle, le conseil de l'Ordre peut répartir le coût de cette assurance entre l'ensemble de ses membres, quel que soit leur mode d'exercice de la profession. La décision déférée ne faisant de distinction ni entre les avocats exerçant à titre libéral, tenus d'acquitter personnellement une cotisation identique, ni entre ceux ayant la qualité de salariés, redevables d'une demi-cotisation payée par le cabinet qui les emploie, ce traitement différent est justifié par les situations différentes dans lesquelles ces avocats se trouvent. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu le 25 novembre 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, n° 14-23.786, FS-P+B N° Lexbase : A0704NYQ ; cf. en ce sens Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 97-22.401 N° Lexbase : A7772AHC, par lequel la Cour de cassation rappelle, d'abord, le pouvoir du conseil de l'Ordre d'imposer une police d'assurance collective couvrant la responsabilité civile professionnelle et, ensuite, que ce pouvoir s'étend à celui de répartir le coût entre les avocats à condition de se fonder sur "des critères respectant les principes d'équité et d'égalité entre les avocats"). En l'espèce, le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Narbonne a, par une délibération du 6 mars 2012, décidé que la prime globale payée par l'Ordre au titre de l'assurance responsabilité civile collective des avocats du barreau serait répartie entre tous les avocats inscrits au tableau au 1er janvier de l'année et que les avocats salariés non associés seraient redevables d'une demi-cotisation, dont le coût serait supporté par leur employeur. Me X, avocat associé d'une SCP, et celle-ci ont formé contre cette décision une réclamation, qui a été rejetée par le conseil de l'Ordre le 29 mai 2012. Par arrêt rendu sur renvoi après cassation (Cass. civ. 1, 22 janvier 2014, n° 13-10.185, F-D N° Lexbase : A9756MCC), la cour d'appel d'Aix-en-Provence a rejeté leurs recours (CA Aix-en-Provence, 26 juin 2014, n° 14/02838 N° Lexbase : A8736MRY). Ils ont alors formé un nouveau pourvoi. En vain. En effet, énonçant la solution précitée la Cour de cassation approuve la cour d'appel et rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9310ETY, N° Lexbase : E9290ETA et N° Lexbase : E0386EUT).

newsid:450185

Avocats/Responsabilité

[Brèves] Responsabilité de l'avocat et perte de chance : encore faut-il pouvoir justifier d'un préjudice direct et certain résultant de cette perte de chance

Réf. : Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, n° 14-25.109, F-P+B (N° Lexbase : A0822NY4)

Lecture: 2 min

N0290BWN

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Le 04 Décembre 2015

Pour pouvoir engager la responsabilité de l'avocat sur le fondement de la perte de chance d'obtenir une décision plus favorable, encore faut-il que le demandeur justifie d'un préjudice direct et certain résultant de la perte d'une chance raisonnable de succès de ses prétentions. Ce qui n'est pas le cas de l'action visant à voir écartée la solidarité entre les auteurs d'abus de confiance et de recel pour défaut de connexité de ces délits. Telle est la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 25 novembre 2015 (Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, n° 14-25.109, F-P+B N° Lexbase : A0822NY4 ; cf., sur la solidarité entre les auteurs d'abus de confiance et de recel Cass. crim., 27 octobre 1993, n° 92-83.386 N° Lexbase : A2927C48). En l'espèce par arrêt irrévocable du 10 juin 2010, une cour d'appel a déclaré M. X coupable du délit de recel et l'a notamment condamné à réparer l'entier préjudice subi par la victime, solidairement avec l'auteur du détournement par abus de confiance. Reprochant à son avocat Me Y., associé de la SCP Y., d'avoir omis, d'une part, de faire valoir que les conditions d'application de l'article 480-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9921IQI) n'étaient pas réunies en l'absence de lien de connexité entre les délits d'abus de confiance et de recel, et, d'autre part, de former un pourvoi contre l'arrêt du 10 juin 2010, M. X les a assignés en indemnisation. Pour indemniser M. X de la perte d'une chance d'obtenir une décision plus favorable, la cour d'appel de Montpellier énonce, dans son arrêt du 24 juillet 2014 (CA Montpellier, 24 juillet 2014, n° 12/01376 N° Lexbase : A6594MUR), que la juridiction pénale a statué en conformité avec une jurisprudence constante selon laquelle celui qui détourne et celui qui recèle doivent être condamnés solidairement à réparer l'intégralité du préjudice, sans égard pour la part de responsabilité personnelle de chacun, et retient que M. X n'avait qu'une probabilité minime de voir la chambre des appels correctionnels méconnaître cette jurisprudence et de voir casser cet arrêt pour violation de l'article 480-1 du Code de procédure pénale, de sorte qu'il a perdu une chance minime de voir réduire ses condamnations civiles et rejeter la demande de condamnation solidaire. Ce point de l'arrêt sera censuré par la Haute juridiction au visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) : en effet, en statuant ainsi, alors qu'il résultait que M. X ne justifiait pas d'un préjudice direct et certain résultant de la perte d'une chance raisonnable de succès de ses prétentions tendant à voir écarter la solidarité entre les auteurs d'abus de confiance et de recel pour défaut de connexité de ces délits, la cour d'appel a violé le texte susvisé (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E4316E7Y).

newsid:450290

Bancaire

[Brèves] Précisions sur le régime applicable aux sociétés de tiers-financement

Réf. : Décret n° 2015-1524 du 25 novembre 2015, précisant le périmètre des prestations des sociétés de tiers-financement mentionnées au 8 de l'article L. 511-6 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4802KRB)

Lecture: 1 min

N0252BWA

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Le 21 Septembre 2017

Un décret, publié au Journal officiel du 26 novembre 2015 (décret n° 2015-1524 du 25 novembre 2015, précisant le périmètre des prestations des sociétés de tiers-financement mentionnées au 8 de l'article L. 511-6 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L4802KRB), vient préciser le régime applicable aux sociétés de tiers-financement mentionnées au 8° de l'article L. 511-6 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3123KGR). Il prévoit que ces sociétés peuvent exercer une activité de crédit, après autorisation de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Cette dernière apprécie, pour autoriser l'activité de crédit, l'adéquation du programme d'activités de la société de tiers-financement, de son organisation, des règles de gestion qu'elle se donne et des moyens techniques et financiers dont elle dispose. Elle s'assure de la mise en place d'un dispositif de contrôle interne approprié aux opérations de crédit dont les composantes minimales sont précisées par décret. Le capital initial libéré de la société de tiers-financement ne peut être inférieur à 2 millions d'euros. L'ACPR assure également un contrôle permanent du respect d'un certain nombre de dispositions de nature à assurer la sécurité des emprunteurs dans les relations avec les sociétés de tiers-financement. Un arrêté, également publié au Journal officiel du 26 novembre 2015 (arrêté du 25 novembre 2015, pris en application des articles R. 518-73 à R. 518-74 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L4844KRT), précise les dispositions des articles R. 518-73 (N° Lexbase : L4867KRP) à R. 518-74 du Code monétaire et financier issues du décret, en ce qui concerne les compétences professionnelles dont doivent justifier les dirigeants des sociétés de tiers-financement et les obligations en matière de règles de gestion et de contrôle interne applicables aux sociétés de tiers-financement (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E4899A7L).

newsid:450252

Copropriété

[Brèves] Un syndicat de copropriétaires représenté par un syndic professionnel reste-t-il un non-professionnel au regard du droit de la consommation ?

Réf. : Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, 2 arrêts, n° 14-20.760 (N° Lexbase : A7762NXR) et n° 14-21.873 (N° Lexbase : A7764NXT), F-P+B+I

Lecture: 2 min

N0165BWZ

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Le 03 Décembre 2015

La représentation d'un syndicat de copropriétaires par un syndic professionnel ne lui fait pas perdre sa qualité de non-professionnel, en sorte qu'il peut bénéficier des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7822IZQ), nonobstant cette représentation. Tel est l'enseignement délivré par la première chambre civile de la Cour de cassation à travers deux arrêts en date du 25 novembre 2015, qui viennent ainsi mettre un terme à une divergence entre les cours d'appel de Versailles et de Paris (Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, deux arrêts, n° 14-20.760 N° Lexbase : A7762NXR et n° 14-21.873 N° Lexbase : A7764NXT, F-P+B+I). Dans la première affaire, une société avait conclu avec un syndic agissant en qualité de représentant de plusieurs syndicats de copropriétaires, divers contrats de prestations de services, renouvelables par tacite reconduction, sauf préavis donné par lettre recommandée avec demande d'avis de réception trois mois avant leur terme ; se prévalant des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la consommation, le syndic avait résilié ces contrats sans respecter le délai de préavis. Le prestataire avait assigné le syndic en paiement de dommages-intérêts au titre de leur inexécution. Pour accueillir cette demande, la cour d'appel de Versailles avait retenu que, si l'article L. 136-1 du code précité est applicable aux personnes morales, un syndicat de copropriétaires qui confie à un syndic professionnel le soin de négocier, conclure et assurer le suivi des contrats relatifs à la copropriété, ne saurait bénéficier d'une telle disposition. A tort, selon la Haute juridiction, qui censure le raisonnement des juges versaillais après avoir énoncé la solution précitée, au visa de l'article L. 136-1 précité et de l'article 1984 du Code civil (N° Lexbase : L2207ABD). Dans la seconde affaire, de manière identique, une société prestataire de services ayant contracté avec plusieurs syndicats de copropriétaires, chacun représenté par un syndic professionnel, avait assigné cette dernière afin d'obtenir sa condamnation à l'indemniser, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, du préjudice allégué résultant de la résiliation, le même jour, de chacun de ces contrats. La Cour suprême approuve, ici, les juges d'appel parisiens (CA Paris, Pôle 4, 2ème ch., 11 juin 2014, n° 12/20863 N° Lexbase : A4234MQU) qui, ayant relevé que le syndic professionnel, n'était pas intervenu à titre personnel mais en qualité de mandataire de chacun des syndicats de copropriétaires concernés, avaient retenu à bon droit que ces derniers devaient être considérés comme des non-professionnels pour l'application de l'article L. 136-1 du Code de la consommation. Et d'ajouter que ne constitue pas une condition d'application de ce texte, le fait pour un syndic professionnel d'être dûment mandaté par le syndicat des copropriétaires pour résilier le contrat conclu avec le prestataire de services (cf. l’Ouvrage "Droit de la copropriété" N° Lexbase : E5906ETW).

newsid:450165

Pénal

[Textes] L'état d'urgence réformé dans l'urgence

Réf. : Loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 (N° Lexbase : L2849KRX), prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 (N° Lexbase : L6821KQP) et renforçant l'efficacité de ses dispositions

Lecture: 16 min

N0179BWK

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par Guillaume Beaussonie, Professeur à l'Université Toulouse 1-Capitole, IEJUC (EA 1919) et Antoine Botton, Professeur à l'Université Toulouse 1-Capitole, IRDEIC (EA 4211)

Le 29 Janvier 2016

Une semaine après les terribles évènements du vendredi 13 novembre 2015, et dans le cadre d'un état d'urgence décrété dès le lendemain, la loi n° 2015-1501, prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions a été adoptée. Comme son nom l'indique, ce texte a un double objet : autoriser le prolongement de l'état d'urgence pour une durée de trois mois, au-delà des douze jours initiaux, ce que seul le législateur est compétent pour faire (1) ; réformer le régime alors applicable, afin d'en renforcer l'efficacité. Il ne s'agit sans doute que d'une étape, le Président de la République souhaitant, par ailleurs, que la Constitution soit modifiée afin d'intégrer un "régime constitutionnel d'état de crise" qui devrait notamment "permettre aux pouvoirs publics d'agir, conformément à l'état de droit, contre le terrorisme de guerre". Celui-ci s'ajouterait ou remplacerait les régimes respectivement prévus par les articles 16 (N° Lexbase : L0842AHN) et 36 (N° Lexbase : L0862AHE) de la Constitution, qui s'avèrent en l'occurrence inadaptés, le premier impliquant que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels soit interrompu, le second supposant un état de siège (2). Pour le moment, seul l'état d'urgence législatif est donc en cause, cette procédure étant régie par une loi déterminée durant la guerre d'Algérie que la Constitution de 1958 n'a cependant pas eu pour effet d'abroger (3) et que quelques textes adoptés sous son empire ont partiellement réformée (4). Malgré son caractère exceptionnel, le droit concerné est vivant, car il a déjà été mis en oeuvre à cinq reprises avant 2015 : trois fois durant la guerre d'Algérie (1955, 1958 et 1961), une fois en Nouvelle-Calédonie (1984) et une fois en 2005. A l'occasion de cette dernière mobilisation de l'état d'urgence, qui avait pour but de réagir à une vague d'émeutes urbaines essentiellement en Ile-de-France, le Conseil d'Etat a été saisi d'un recours visant principalement à tirer les conséquences de l'abrogation implicite de la loi de 1955 par la Constitution de 1958. Constatant, à l'inverse, la compatibilité entre Constitution et loi, le juge administratif a néanmoins précisé que le texte litigieux instaurait "un régime de pouvoirs exceptionnels [...] reposant [...] sur une extension limitée dans le temps et dans l'espace des pouvoirs des autorités civiles, sans que leur exercice se trouve affranchi de tout contrôle" (5). Tout l'enjeu de ce dispositif, que le système juridique ne récuse pas, semble donc se résumer à cela : à situation exceptionnelle (I), mesures exceptionnelles (II). I - Une situation exceptionnelle

L'article 1er de la loi de 1955 dispose d'abord que "l'état d'urgence peut être déclaré [...] soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique", ce que le Conseil d'Etat traduit comme étant "des situations de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui constituent une menace pour la vie organisée de la communauté nationale" (6).

Si nul ne conteste qu'un contexte d'attentats terroristes constitue un "péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public" -le quasi-consensus politique en témoigne-, l'imprécision du texte à cet égard n'est, de façon générale, absolument pas satisfaisante, puisqu'elle obscurcit le recours au dispositif qui, partant, risque d'être arbitraire.

Le risque apparaît d'autant plus fort que, contrairement à ce qui était prévu en 1955, ce n'est plus la représentation nationale qui est compétente pour constater l'état d'urgence, mais le chef de l'Etat seul (7). Au surplus, le contrôle éventuellement exercé par le Conseil d'Etat demeure assez lâche, celui-ci ayant eu l'occasion de préciser que "le Président de la République dispose d'un pouvoir d'appréciation étendu lorsqu'il décide de déclarer l'état d'urgence et d'en définir le champ d'application territorial" (8). La principale garantie paraît alors résider dans l'intervention du Parlement au stade de la prorogation de l'état d'urgence, deux pouvoirs se trouvant de la sorte confrontés, et le Conseil constitutionnel étant susceptible de censurer les dispositions de la loi adoptée. Toutefois, outre qu'une telle concurrence n'est que de papier en période de concordance de l'exécutif et du législatif -ce qui est la norme, dans la Vème République, encore plus depuis que les durées des mandats du Président et des parlementaires coïncident-, cela laisse 12 jours pendant lesquels il n'y a précisément point de confrontation et tout ce qui va avec...

Les mesures concernées par l'état d'urgence étant, pour la plupart, calquées sur celles qui s'inscrivent dans le cadre des procédures pénales dérogatoires (9), surtout depuis la loi du 20 novembre 2015, ne serait-il pas opportun de coordonner également leurs champs d'application ? Autrement dit, ne faudrait-il pas autoriser ces mesures dans un cadre répressif strictement défini, comme c'est déjà le cas aujourd'hui (10) et, par exception mais par extension, dans un cadre préventif pareillement défini, lorsque l'atteinte grave à l'ordre public n'a pas cessé ou menace de se reproduire ? L'exemple du terrorisme s'avère, de ce point de vue, particulièrement congru : incriminé par le livre IV du Code pénal, relatif aux "crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique", sa poursuite, son instruction et son jugement font l'objet de procédures dérogatoires en vertu du livre IV du Code de procédure pénale. Ces procédures correspondent, pour partie, à celles qui peuvent être décidées dans le cadre de l'état d'urgence, dans le but, cette fois, de prévenir d'autres actes terroristes. Faire clairement du terrorisme et de quelques autres situations gravement attentatoires ou menaçantes pour l'ordre public permettrait sans doute de renforcer le caractère exceptionnel de l'état d'urgence.

Dans la même idée, malgré l'étonnante souplesse dont fait preuve le Conseil constitutionnel à cet égard (11), l'autorité judiciaire ne devrait-elle pas demeurer seule la gardienne de toutes les libertés quelles qu'elles soient et, en conséquence, disposer d'une compétence exclusive pour assurer le contrôle de tous les actes décidés dans le cadre de l'état d'urgence ? Tel n'est pas le choix qui a été fait par le législateur, qui a décidé que les mesures concernées seraient "soumises au contrôle du juge administratif dans les conditions fixées par le Code de justice administrative, notamment son livre V" (12).

Le caractère exceptionnel de l'état d'urgence postule ensuite sa limitation dans le temps et dans l'espace. C'est l'objet des articles 1 à 4 de la loi du 3 avril 1955.

Du point de vue du temps, il est effectivement précisé, par l'article 2, que "la prorogation de l'état d'urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi" puis, par l'article 3, que "la loi autorisant la prorogation au-delà de douze jours de l'état d'urgence fixe sa durée définitive". La loi du 20 novembre 2015 proroge ainsi l'état d'urgence déclaré le 14 novembre 2015 pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre.

La fixation de la durée de l'état d'urgence appartient donc au Parlement qui, en l'occurrence, a "accordé" au Président de la République ce qu'il avait demandé. Quelques voix -et pas des moindres : Robert Badinter et Henri Leclerc, par exemple- se sont pourtant élevées pour dévoiler le danger d'une exception qui se pérennise mais, dans le bruit et la fureur ambiantes, elles se sont avérées inaudibles. Il appartiendra peut-être au Conseil constitutionnel, s'il est saisi a posteriori, d'apprécier la juste mesure de cette durée. On doute cependant qu'il censure une loi adoptée dans un tel consensus.

Dans la loi du 20 novembre 2015, il a été précisé par ailleurs qu'il pouvait être mis fin à l'état d'urgence avant l'expiration de ce délai par décret en conseil des ministres. En ce cas, ajoute le texte, il en est rendu compte au Parlement. Dans un contexte de recours plus polémique à ce régime, en 2005-2006, Jacques Chirac avait mis fin à l'état d'urgence avant le temps qui lui avait été imparti par le Parlement -trois mois déjà-.

L'article 4 de la loi de 1955 ajoute que "la loi portant prorogation de l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l'Assemblée nationale". L'état d'urgence apparaît assurément malvenu en cas de crise politique...

La fin de l'état d'urgence provoque bien évidemment la cessation immédiate des mesures prises dans ce cadre (13).

Du point de vue de l'espace, l'article 1er de la loi de 1955 dispose que "l'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d'outre-mer, des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 (14) de la Constitution (N° Lexbase : L0906AHZ) et en Nouvelle-Calédonie". L'article 2 de la loi de 1955 ajoute que c'est le décret qui constate l'état d'urgence qui "détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur" puis il précise que, "dans la limite de ces circonscriptions, les zones où l'état d'urgence recevra application seront fixées par décret".

Etrangement, l'article 15 de la loi de 1955 a, malgré une redondance qui a survécu à son toilettage par la loi de 2015, été maintenu. Il affirme ainsi, de façon semble-t-il superfétatoire, que "la présente loi, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015, prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions, est applicable sur l'ensemble du territoire de la République"...

Quoi qu'il en soit, la fixation du domaine de l'état d'urgence appartient donc à l'exécutif qui a la possibilité, de la sorte, d'adapter le régime applicable en fonction des besoins de chaque zone territoriale concernée. Le contrôle assuré par le Conseil d'Etat apparaît, sur ce point également, plutôt léger (15).

En application de ce qui précède, le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 a déclaré l'état d'urgence, à compter du 14 novembre 2015, "sur le territoire métropolitain et en Corse", emportant pour sa durée application du 1° de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, qui confère au ministre de l'Intérieur et aux préfets le pouvoir d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit. Le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 a étendu l'état d'urgence et les mesures concernées, à compter du 19 novembre 2015, au territoire des collectivités de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de La Réunion, de Mayotte, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

Enfin, la loi du 20 novembre 2015 a ajouté un article 4-1 à la loi du 3 avril 1955 en vertu duquel "l'Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l'état d'urgence" et "peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l'évaluation de ces mesures".

II - Des mesures exceptionnelles

La loi du 3 avril 1955, telle que réformée par celle du 20 novembre 2015, comprend un certain nombre de mesures exceptionnelles placées sous le seul contrôle du juge administratif. Au sein de ce régime d'urgence, les mesures d'assignation à résidence et de perquisition dérogatoire doivent, du fait de leur caractère particulièrement exceptionnel, être traitées (A) séparément des autres mesures (B).

A - Les mesures d'assignation à résidence et de perquisition dérogatoire

- L'assignation à résidence est régie par l'article 6 de la loi commentée. Le premier alinéa de cet article prévoit que "le ministre de l'Intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée [par décret] et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics [...]". Il est ici à noter que la loi du 20 novembre 2015 a, suivant le souhait du Gouvernement (16), considérablement étendu le domaine subjectif de cette assignation, ne la limitant plus à la seule "personne [...] dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics". Le soupçon sérieux à l'endroit d'une personne suffit donc dorénavant à son assignation à résidence.

Cette assignation à résidence peut être renforcée par trois types de mesure. Tout d'abord, le deuxième alinéa de l'article 6 prévoit que la personne assignée à résidence "peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'Intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures". Etant précisé dans ce même alinéa que, contrairement à certaines propositions émises au mépris de notre Constitution, cette assignation à résidence, serait-elle ainsi renforcée, ne pourra "en aucun cas [...] avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes" ainsi assignées.

Ensuite, le ministre de l'Intérieur peut, en outre, prescrire à l'assigné à résidence certaines mesures analogues à celles prévues en matière de contrôle judiciaire (17), à savoir : "l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour [...] la remise à ces services de son passeport ou de tout document justificatif de son identité ; [l'interdiction] de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics".

Enfin, le dernier alinéa de l'article 6, ajouté par la loi du 20 novembre 2015, prévoit un régime de placement sous surveillance électronique mobile de la personne assignée qui "a été condamnée à une peine privative de liberté pour un crime qualifié d'acte de terrorisme ou pour un délit recevant la même qualification puni de dix ans d'emprisonnement et a fini l'exécution de sa peine depuis moins de huit ans". La mise en oeuvre d'un tel régime, assurément le plus restrictif de la liberté d'aller et venir de la personne concernée, s'appuie donc, à l'instar notamment de la rétention de sûreté (18), sur une culpabilité juridictionnellement avérée de la personne concernée. Rendant au demeurant la personne localisable à distance sur l'ensemble du territoire national, le législateur a justement exclu sa soumission aux obligations de présentation périodique aux services de police ou de gendarmerie et de demeurer dans un lieu d'habitation déterminé.

- L'article 11 de la loi de 1955, substantiellement modifié par la loi de novembre 2015, donne pouvoir au ministre de l'Intérieur et au préfet d'ordonner des perquisitions dans les lieux pour lesquels il existe "des raisons sérieuses de penser" qu'ils sont fréquentés "par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics". Avant d'entrer dans le détail de ce régime dérogatoire de perquisition, il faut noter que son champ d'application subjectif est plus réduit que celui de l'assignation à résidence. En effet, sa mise en oeuvre requiert que le comportement "mena[çant] pour la sécurité et l'ordre publics" de la personne concernée soit avéré et non simplement suspecté comme en matière d'assignation, ce qui restreint nettement la portée de la disposition, si tant est cependant que l'autorité puis le juge administratifs s'en tiennent à la lettre de la disposition.

Une telle restriction du champ d'applicabilité de ces perquisitions pourrait néanmoins trouver une explication dans le caractère extrêmement dérogatoire -au droit commun de la procédure pénale (19)- de leur régime. Pour l'essentiel, la perquisition administrative étudiée emprunte effectivement son régime à la perquisition judiciaire la plus dérogatoire, à savoir celle exercée dans le cadre d'une enquête de flagrance pour une infraction de criminalité organisée (20). Comme elle, la perquisition étudiée peut concerner tout lieu, y compris un domicile, et ce, de jour comme de nuit. La seule limite à cette perquisition réside dans l'interdiction de la mener dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou de certaines professions (avocats, magistrats et journalistes) ; limite découlant, semble-t-il, de sa nature administrative (21).

B - Les autres mesures

Outre ces deux principales, la loi de 1955 comprend un certain nombre de mesures préventives : les unes déjà connues, les autres issues de la loi de novembre 2015.

- Au titre des mesures classiques, l'article 5 de la loi prévoit, tout d'abord, que le préfet d'un département concerné par l'état d'urgence a le pouvoir : "1° d'interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ; 2° d'instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; 3° d'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics". Il faut préciser que cette disposition d'origine de la loi de 1955 n'a subi aucune modification depuis lors.

L'article 8 de la loi confère ensuite au ministre de l'Intérieur et au préfet le pouvoir d'ordonner la "fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature". Dans une même perspective, l'article, dans son second alinéa, prévoit que ces mêmes autorités peuvent interdire "à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre". Ces fermetures et interdictions ayant, dans le contexte actuel, pour but principal de protéger la population de nouvelles attaques terroristes.

La plus connue de ces mesures originelles de la loi de 1955 consiste enfin dans la possibilité, pour le ministre de l'Intérieur et le préfet, d'ordonner la remise "des armes et des munitions, détenues ou acquises légalement". Cette disposition, qui n'avait subi jusqu'ici aucune réforme, a juste fait l'objet d'une mise à jour en novembre 2015, notamment concernant les catégories d'armes visées.

- La loi de novembre 2015 ne s'est toutefois pas contentée de toiletter les dispositions, par hypothèse, surannées d'une loi sexagénaire ; elle y a ajouté deux mesures.

En premier lieu, l'article 6-1 de la loi permet aujourd'hui la dissolution "par décret en conseil des ministres [des] associations ou groupements de fait qui participent à la commission d'actes portant une atteinte grave à l'ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent". Cette dissolution, dont les effets ne cesseront exceptionnellement (22) pas à la fin de l'état d'urgence (23), est pénalement garantie dans la mesure où toute action (ou organisation) de maintien ou de reconstitution d'un groupe dissous sera réprimée dans les conditions prévues par le Code pénal en matière de dissolution des groupes de combat (24).

En second lieu, le II de l'article 11 de la loi dote le ministre de l'Intérieur d'un pouvoir d'"interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie". En sorte que cette autorité se voit reconnaître la possibilité, avant toute condamnation sur le fondement de l'article 421-2-5 du Code pénal (N° Lexbase : L8378I43) (25), de faire cesser tout acte de provocation ou d'apologie du terrorisme, dès lors qu'il résulte d'une activité en ligne.

Les mesures exceptionnelles de la loi de 1955 ainsi recensées, il convient d'apporter deux précisions concernant leur régime.

D'une part, à l'exception -déjà relevée- de la dissolution de groupements, "les mesures prises en application de la loi cessent d'avoir effet en même temps que prend fin l'état d'urgence". Toutefois, cette cessation d'effet n'empêche pas, à l'évidence, aux actes réalisés sous l'égide de la loi de 1955, de produire des effets au-delà de la période d'état d'urgence. On pense bien sûr ici aux mesures de perquisition qui pourront donner lieu à des poursuites judiciaires.

D'autre part, certaines des obligations découlant des mesures d'urgence sont pénalement garanties. Déjà la loi de 1955 prévoyait une répression pénale en cas d'irrespect des décisions prises dans son cadre. Cela étant, cette répression était à la fois uniforme, puisqu'elle ne prévoyait aucune gradation répressive en considération de l'importance de l'obligation violée, et relativement clémente, les peines prévues consistant dans un emprisonnement allant de huit jours à deux mois et une amende allant de 11 à 3750 euros. La loi du 20 novembre 2015 rompt aussi bien avec l'uniformité de la répression qu'avec sa clémence.

En effet, l'article 13 de la loi relative à l'état d'urgence prévoit dorénavant trois seuils de peine, tous plus sévères que la précédente version :

- six mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende en cas d'irrespect des interdictions préfectorales de l'article 5, des fermetures d'établissements et des interdictions de réunion de l'article 8 et de l'ordre de remise d'armes de l'article 9 ;

- un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende en cas d'infraction aux modalités de renforcement de l'assignation à résidence : assignation au lieu d'habitation, obligation de présentation périodique aux services de police, remise du passeport, placement sous surveillance électronique mobile (loi n° 2015-1501, art. 6, 2ème et 5 derniers al.) (6) ;

- trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende en cas d'infraction à la mesure même d'assignation à résidence (loi n° 2015-1501, art. 6, al. 1er).

Dans le sens de la sévérité de cette répression, il faut également remarquer que les peines prévues dans les deux derniers cas sont susceptibles de se cumuler dans l'hypothèse d'une mesure d'assignation à résidence renforcée. Il suffit, pour s'en convaincre, de prendre l'exemple d'une personne violant son assignation à résidence, en quittant le secteur d'assignation, à une heure où elle était, en outre, astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par l'autorité administrative. Dans cette hypothèse, commettant deux faits infractionnels tout à fait distincts, la personne se trouvera en situation de concours réel d'infractions justifiant un cumul répressif.

Somme toute, l'étude de ces mesures exceptionnelles laisse apparaître leur caractère manifestement attentatoire à certains droits et libertés constitutionnellement et conventionnellement garantis. Il n'en demeure pas moins que le législateur a fait le choix de les soumettre au seul contrôle du juge administratif, ce qui appelle quelques brefs et conclusifs commentaires.

Rappelons, au préalable, que l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM) fait de l'autorité judiciaire la gardienne de la "liberté individuelle", ceci impliquant que toute atteinte à ladite liberté doit se réaliser sous l'autorité et le contrôle d'un magistrat de l'ordre judiciaire, qu'il appartienne au parquet ou au siège. Est-ce à dire que l'article 14-1 de la loi de 1955, prévoyant la compétence exclusive du juge administratif, violerait l'article 66 de la Constitution (26) ? Tout dépend, en réalité, de la conception que l'on développe de la "liberté individuelle".

Suivant une approche large, cette notion comprendrait droit à la sûreté, liberté d'aller et venir, droit au respect de sa vie privée, principe d'inviolabilité de son domicile, etc.. Selon une conception plus stricte, la "liberté individuelle" ne serait en cause qu'en cas de privation de liberté.

Or, cette dernière approche est celle expressément retenue par le Conseil constitutionnel depuis une décision du 16 juin 1999 (27). De sorte que l'attribution de la compétence matérielle au seul juge administratif ne contrevient a priori aucunement à l'article 66 de la Constitution, étant entendu que la loi de 1955 porte des atteintes importantes à un certain nombre de droits et libertés (liberté d'aller et venir et principe d'inviolabilité du domicile pour l'essentiel) sans jamais que la "liberté individuelle", au sens strict du terme, ne soit directement mise en cause.

Cela étant, si l'on peut ainsi raisonnablement augurer que le Conseil ne trouvera jamais rien à redire (28) concernant cette compétence exclusive du juge administratif, il faut néanmoins reconnaître qu'il a, nonobstant l'approche retenue en 1999, justifié parfois certaines atteintes graves aux droits et libertés autres que la liberté individuelle précisément par l'intervention d'une autorité judiciaire, voire d'un juge du siège. Tel fut le cas dans sa décision du 2 mars 2004 relative au texte de la future loi "Perben II" (N° Lexbase : L1768DP8) (29) au sein de laquelle il a effectivement fait de l'intervention de l'autorité judiciaire, pourtant gardienne de la seule "liberté individuelle", l'un des gages de constitutionnalité des perquisitions de nuit (30), des écoutes téléphoniques (31) ou encore des sonorisations et fixations d'images de certains lieux ou véhicules (32). Autant de mesures ne portant atteinte qu'au seul principe d'inviolabilité du domicile et/ou au droit au respect de sa vie privée.

Est-ce à dire que le Conseil réitérera une telle position s'agissant de la loi de 1955 ? Il faudra, pour cela, certainement que cesse l'état d'urgence, d'un point de vue tant juridique que sociétal.


(1) Loi du 3 avril 1955, art. 2 in fine et 3.
(2) Le second n'a jamais été mis en oeuvre durant la Vème République, le premier ne l'ayant été qu'une seule fois, à la suite d'ailleurs d'un état d'urgence : c'était en 1961, après la tentative de putsch des généraux à Alger.
(3) V. Cons. const., décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985, cons. n° 4 (N° Lexbase : A8109ACC) : "considérant que, si la Constitution, dans son article 36, vise expressément l'état de siège, elle n'a pas pour autant exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence pour concilier, comme il vient d'être dit, les exigences de la liberté et la sauvegarde de l'ordre public ; qu'ainsi, la Constitution du 4 octobre 1958 n'a pas eu pour effet d'abroger la loi du 3 avril 1955, relative à l'état d'urgence, qui, d'ailleurs, a été modifiée sous son empire". V. aussi CE référé, 21 novembre 2005, n° 287217 (N° Lexbase : A7382DLY).
(4) Ex. : ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960 ; ordonnance n° 2009-536 du 14 mai 2009, portant diverses dispositions d'adaptation du droit outre-mer (N° Lexbase : L1670IEL) ; loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (N° Lexbase : L0618AIQ) ; loi n° 2011-525, 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9) ; loi n° 2013-403, 17 mai 2013, relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral (N° Lexbase : L7927IWI).
(5) CE référé, 21 novembre 2005, n° 287217, préc., note 3.
(6) CE référé, 14 novembre 2005, n° 286835 (N° Lexbase : A6389DL9).
(7) L'ordonnance n° 60-732 du 15 avril 1960 a effectivement modifié l'article 2 de la loi de 1955 à cette fin.
(8) CE référé, 14 novembre 2005, n° 286835, préc., note 6.
(9) V. II.
(10) V. livre IV du Code de procédure pénale, spéc., titres XV à XIX.
(11) V. encore dernièrement, à propos de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015, relative au renseignement (N° Lexbase : L9309KBE), Cons. const., 23 juillet 2015, décision n° 2015-713 DC, cons. 16 à 22 (N° Lexbase : A9642NM3).
(12) Loi n° 55-385 du 3 avril 1955, nouvel art. 14-1. Sans grande surprise, les premières décisions rendues ne s'avèrent pas très exigeantes à l'endroit d'une mise en oeuvre pas toujours très nuancée, par les autorités compétentes, des mesures autorisées par l'état d'urgence...
(13) Loi n° 55-385 du 3 avril 1955, art. 14.
(14) V. à cet égard, Const., art. 72-3 (N° Lexbase : L1342A9L) : "la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint -Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l'article 73 (N° Lexbase : L0905AHY) pour les départements et les régions d'outre-mer et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l'article 73, et par l'article 74 (N° Lexbase : L0906AHZ) pour les autres collectivités".
(15) CE référé, 14 novembre 2005, n° 286835, préc. note 6. V. plus haut.
(16) Cf. exposé des motifs du projet de loi prorogeant l'application de la loi du 3 avril 1955, relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.
(17) C. proc. pén., art. 138 (N° Lexbase : L9534I3I).
(18) C. proc. pén., art. 706-53-13 (N° Lexbase : L7444IGS) et s..
(19) C. proc. pén., art. 56 (N° Lexbase : L3895IRP) et s. (enquête de flagrance) et 76 (N° Lexbase : L7225IMK) du même code (enquête préliminaire).
(20) C. proc. pén., art. 706-89 (N° Lexbase : L2785KGA).
(21) De telles perquisitions pouvant être menées dans un cadre judiciaire, il est vrai, sous condition (v. par ex., pour les avocats, C. proc. pén., art. 56-1).
(22) Le principe, contenu dans l'art. 14 de la loi de 1955, est que "les mesures prises en [son] application [...] cessent [...] d'avoir effet en même temps que prend fin l'état d'urgence".
(23) Loi du 3 avril 1955, art. 6-1, al. 3.
(24) Loi du 3 avril 1955, art. 6-1, al. 3, renvoyant ainsi aux articles 431-15 (N° Lexbase : L1994AMS) et 431-17 (N° Lexbase : L1950AM8) à 431-21 du Code pénal.
(25) Issu de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 (N° Lexbase : L8220I49) et incriminant les délits de provocations et d'apologie du terrorisme.
(26) Etant précisé que la loi du 20 novembre 2015 n'a pas été déférée au Conseil constitutionnel afin qu'il procède à un contrôle a priori de constitutionnalité.
(27) C. const., décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, cons., 20 (N° Lexbase : A8780AC8).
(28) A l'occasion d'éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité, permises par l'absence de saisine a priori du Conseil.
(29) Cons. const., décision n° 2004-492, du 2 mars 2004 (N° Lexbase : A3770DBA).
(30) Idem, cons. 46.
(31) Idem, cons. 59.
(32) Idem, cons. 64.

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Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Notion de résident en droit fiscal international et assujettissement effectif à l'impôt

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 370054, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3592NWX)

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public à la Faculté de droit, Université de Paris XIII, CERAP, Sorbonne/Paris/Cité, et Responsable du parcours Fiscalité européenne & internationale, Master 2 Droit européen & international

Le 03 Décembre 2015

La qualité de résident, au sens du droit fiscal international, est-elle subordonnée à l'assujettissement effectif à l'impôt ? Telle est la question centrale posée dans la présente affaire (CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 370054, publié au recueil Lebon). Et la réponse du juge de l'impôt est la suivante : les personnes non soumises à l'impôt concerné par la législation de l'Etat, à raison de leur statut ou de leur activité, ne peuvent être considérées comme assujetties. Au cas présent, un organisme de retraite des médecins ayant son siège en Allemagne perçoit, en 2000, des dividendes de sociétés françaises soumis à une retenue à la source de 25 %. Une telle retenue à la source découle de l'application du CGI, en la combinaison de l'article 119 bis 2 (N° Lexbase : L4671I77) et de l'article 187-1 (N° Lexbase : L0960IZL). L'organisme demande restitution partielle de cette retenue, sur le fondement de la Convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 (N° Lexbase : L6660BH7) ; en vertu de l'article 9 de cette Convention, le taux est seulement de 15 %. L'administration rejette les prétentions de l'organisme de retraite au motif qu'il n'est pas résident en Allemagne au sens de l'article 2 de la Convention ; l'organisme ne peut donc invoquer le texte international précité. Les juges du fond se montrent sensibles à l'argumentation de l'organisme. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 21 octobre 2010, n° 0703090) accorde la restitution partielle des retenues à la source, puis la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 4 avril 2013, n° 11VE00141 N° Lexbase : A9624MQI) rejette le recours formé par le ministre du Budget et des Comptes publics. Le Conseil d'Etat casse l'arrêt de la cour administrative d'appel pour erreur de droit. C'est à tort que la cour a jugé (selon le juge de cassation) que la Convention franco-allemande ne contenait aucune définition de la notion de résident subordonnant l'assujettissement à l'impôt dans un Etat au fait de ne pas être exonéré. Après avoir rappelé que les dispositions d'une convention internationale (ici l'article 2 de la Convention franco-allemande) "doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but" (référence implicite à l'article 31 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités), le juge adoube la position de la doctrine administrative quant à la notion de résident. Une société exonérée d'impôt ne peut être regardée comme méritant la qualité de résidente au sens d'une convention fiscale internationale. Le juge s'appuie sur la notion de résident pour éviter des cas de double exonération fiscale (I). Si cette lecture classique des dispositions d'une convention fiscale internationale semble relever du bon sens herméneutique, elle mérite néanmoins critique. Il est en effet loisible de soutenir, à l'instar de la cour administrative d'appel censurée pour erreur de droit, que la qualité de résident existe indépendamment de l'assujettissement effectif à l'impôt (II).

I - La notion de résident, un instrument de lutte contre la double exonération fiscale pour le Conseil d'Etat

Le Conseil d'Etat doit régler le hiatus entre droit national et droit international. D'un côté, une retenue à la source de 25 % découlant de l'application du CGI (combinaison des articles 119 bis 2 et 187-1) ; de l'autre, une retenue à la source de 15 % découlant de la Convention franco-allemande (article 9). Au centre du noeud fiscal, la notion de résident et de soumission, ou plutôt de non soumission, à l'impôt. En vertu de l'article 9 de la Convention franco-allemande, "les dividendes payés par une société qui est un résident d'un Etat contractant à un résident de l'autre Etat sont imposables dans cet autre Etat". Chaque Etat conserve certes le droit de percevoir l'impôt sur les dividendes par voie de retenue à la source ; mais ce prélèvement ne peut excéder 15 % du montant brut des dividendes.

Quant à la notion de résident, elle est visée à l'article 2, a du 4 du 1 de la Convention : par résident d'un Etat contractant, il faut entendre toute personne qui, en vertu de la législation, y est assujettie à l'impôt considéré en raison du domicile, de la résidence, du siège de direction ou de tout autre critère. Une fois mentionnées les différentes dispositions au coeur du litige, le Conseil d'Etat se réfère au principe herméneutique classique du droit international tel que posé dans la Convention de Vienne. Les stipulations de l'article 2 de la Convention franco-allemande "doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but". Cet article 2 emporte définition du champ d'application de la Convention eu égard à l'objet principal de celle-ci, objet principal qui est d'éviter les doubles impositions. De cela, le Conseil d'Etat déduit que les personnes non soumises à l'impôt concerné par la législation de l'Etat, à raison de leur statut ou de leur activité, ne peuvent être considérées comme assujetties. Le juge s'appuie encore sur l'article 25 b, 4 de la Convention allemande qui vise les organismes de placement collectif en valeurs mobilières : ces derniers peuvent bénéficier de certaines dispositions de la Convention quand bien même ils ne sont point assujettis à un impôt visé à l'article 1er la Convention (1). Il résulte de la combinaison de ces différentes dispositions conventionnelles que les personnes exonérées d'impôt dans un Etat ne peuvent être regardées comme assujetties à cet impôt au sens de l'article 2 de la Convention.

L'ultime conclusion juridictionnelle ne manque pas de tomber : de telles personnes, connaissant une telle situation fiscale, ne peuvent être regardées comme résidentes de l'Etat considéré en ce qui concerne l'application de la Convention. Un contribuable, à lire la décision du Conseil d'Etat, peut invoquer à bon droit les garanties inhérentes à un Traité seulement dans l'hypothèse où il est assujetti à l'impôt. On notera que le Conseil d'Etat ne s'appuie pas, pour rendre sa décision, sur les spécificités de la Convention franco-allemande. Le juge pouvait, comme le fait le ministre, s'appuyer sur le fait que la Convention franco-allemande (à la différence d'autres conventions, comme la Convention fiscale franco-américaine N° Lexbase : L5151IEI) ne prévoit aucune exonération au profit des organismes de retraite à but non lucratif (un avenant du 15 octobre 2008 comporte, certes, une clause prévoyant l'octroi du bénéfice de la Convention aux organismes de retraite des deux Etats, mais dans certaines proportions). Pour être résident, il faut donc être effectivement soumis à l'impôt (2). La philosophie fiscale qui sous-entend le raisonnement du Conseil d'Etat est centrée sur la notion "double non-imposition", ou plutôt sur la lutte contre la non double imposition. Les conventions fiscales n'ont pas pour objet de permettre les doubles non-impositions ; elles ont pour objet d'éviter les doubles impositions, ce qui conduit à la non-application de la Convention lorsqu'un contribuable n'est pas effectivement soumis à impôt.

II - La notion de résident, une qualité indépendante de l'assujettissement effectif à l'impôt selon les juges du fond

Ne fallait-il pas entériner la solution adoptée par la cour administrative d'appel de Versailles en 2013 ? Selon celle-ci, la caisse de prévoyance devait être qualifiée de résidente fiscale en Allemagne pour l'application de la Convention fiscale. Elle tire cette conclusion de sa lecture de l'article 2 de la Convention : on entend par "résident d'un Etat contractant toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère analogue". La qualité d'assujetti à l'impôt s'apprécie ainsi au regard de la loi de l'Etat dont la personne qui revendique le bénéfice de ses stipulations soutient être résident.

Or, les organismes de cette catégorie, comme en l'espèce, sont considérés comme assujettis à l'impôt de manière illimitée en vertu de dispositions expresses de la loi allemande. Certes, la loi allemande prévoit, sous certaines conditions, l'exonération de l'impôt ; pour autant, cela n'a pas pour conséquence de faire perdre aux organismes visés leur qualité d'assujetti à l'impôt de manière illimitée (position soutenue par l'administration fiscale allemande elle-même). L'Allemagne appartient donc à la catégorie d'Etats dans lesquels une personne est assujettie à l'obligation fiscale illimitée même si l'Etat ne lui applique pas l'impôt. La cour administrative d'appel se tourne vers la Convention fiscale franco-allemande pour constater que celle-ci ne contient aucune définition de la notion de résident subordonnant l'assujettissement à l'impôt dans un Etat contractant au fait de ne pas en être exonéré. Et s'il existe bien un objectif de lutte contre les doubles impositions poursuivi par la Convention, si cet objectif implique un assujettissement effectif à l'impôt, cela n'emporte pas de déroger aux règles énoncées par la Convention... Faute de stipulation expresse le prévoyant.

Ce raisonnement, celui de la cour administrative d'appel, semble plus logique que celui adopté par le Conseil d'Etat. A la lecture de la Convention, il convient de se tourner de prime abord vers la loi nationale visée, la loi allemande : dès lors que celle-ci prévoit, en des dispositions expresses, que les entités dont relève l'organisme sont assujetties à l'impôt de manière illimitée, l'exonération de l'impôt dont elles bénéficient n'induit pas la perte de qualité d'assujetti à l'impôt. Dans une décision du 20 octobre 2011 (CAA Lyon, 20 octobre 2011, n° 10LY01157 N° Lexbase : A6879NX3), la cour administrative d'appel de Lyon soulignait ceci : si une convention bilatérale conclue pour éviter les doubles impositions peut conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi nationale, elle ne peut pas, par elle-même, servir de base légale à une décision relative à l'imposition. La qualité de résident existe indépendamment de l'assujettissement effectif à l'impôt ; la qualité de résident ne se perd pas en raison d'une non sujétion à l'impôt qui peut n'être que temporaire. Le critère de l'assujettissement effectif à l'impôt ne saurait devenir le critère permettant de faire disparaître la qualité de résident. Une décision du 15 juin 1993 (CAA Paris, 15 juin 1993, n° 92PA00056 N° Lexbase : A9926BH4) de la cour administrative d'appel de Paris, relative à l'application de la Convention franco-britannique du 22 mai 1968 (N° Lexbase : L5161IEU), peut encore être citée : pour le juge, "Le fait qu'un citoyen britannique justifie avoir été soumis en Grande-Bretagne [...] à un impôt [...] ne suffit pas à établir sa qualité de résident du Royaume-Uni" (3). Parallélisme négatif et retour à notre affaire : si l'assujettissement à un impôt ne permet pas d'établir la qualité de résident, le non-assujettissement à un impôt ne doit pas conduire à la perte de la qualité de résident.

Le 9 novembre 2015, jour de l'arrêt présentement commenté, le Conseil d'Etat rend une décision adoptant un raisonnement identique à celui retenu dans l'affaire commentée (CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 371132, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3594NWZ) : interprétation des termes de la Convention franco-espagnole du 10 octobre 1995 (N° Lexbase : L6689BH9) conformément au sens ordinaire ; non-assujettissement à la Convention dans l'hypothèse où le requérant n'est pas soumis à l'impôt en cause par la loi de l'Etat visé ; censure de la cour administrative d'appel pour erreur de droit (CAA Versailles, 11 juin 2013, n° 12VE03166 N° Lexbase : A6599KKM). Cette dernière avait en effet estimé que les fonds de pension espagnol ne perdaient pas la qualité d'assujetti à l'impôt au sens de la Convention en étant soumis à l'IS espagnol. De la pratique à la théorie du droit fiscal international : ce qu'il faut conclure de tout cela est que le Conseil d'Etat se fonde sur l'intention présumée des parties aux conventions fiscales internationales. Le droit des traités étant un droit conventionnel, le juge s'appuie sur un raisonnement simple : les Etats ne peuvent pas vouloir instaurer un système de double exonération qui, par définition, serait préjudiciable à leurs intérêts budgétaires. Le problème de ce type de raisonnement est qu'il est libéral par essence au sens où il neutralise tout espace de non taxation au bénéfice des contribuables. Cela est d'autant plus critiquable que les méthodes d'interprétation usitées par le juge (l'herméneutique, mère de toutes les batailles) peuvent varier. S'agissant de l'interprétation de dispositions conventionnelles, il peut tantôt retenir une lecture littérale, tantôt une lecture centrée sur l'objet, tantôt une lecture téléologique. Est in fine posé en axiome le raisonnement suivant : "l'interprétation littérale du texte conventionnel ne saurait, en principe, et, sauf exception, vous conduire à encourager les cas de doubles exonération ce qui conduirait à un résultat absurde et déraisonnable par rapport au but du texte" (4). Le contribuable, un être juridique coincé dans les rets soit de l'insécurité, soit dans ceux de l'inévitable taxation ?


(1) Article 1er de la Convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 : "La présente Convention a pour but de protéger les résidents de chacun des Etats contractants contre les doubles impositions qui pourraient résulter de la législation de ces Etat en matière d'impôts prélevés directement sur le revenu".
(2) B. Castagnède, Précis de fiscalité internationale, PUF, 2015, p. 433.
(3) Cité par le rapporteur public s'agissant de l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon le 20 octobre 2011.
(4) Conclusions de Franck Locatelli, Revue de droit fiscal, 42, 2013, p. 41.

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Hygiène et sécurité

[Brèves] Sécurité et protection de la santé physique et mentale des travailleurs : vers une obligation de sécurité de moyen...

Réf. : Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-24.444, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A7767NXX)

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N0169BW8

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Le 03 Décembre 2015

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L8844ITQ) du Code du travail.
Telle est la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 25 novembre 2015 (Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-24.444, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7767NXX). En l'espèce, M. X a été engagé par la société Y en qualité de personnel navigant stagiaire. Son contrat de travail a été repris par la compagnie aérienne Z qui l'a promu en 2000 au poste de chef de cabine première classe sur les vols long-courrier. Le 24 avril 2006, alors qu'il partait rejoindre son bord pour un vol, il a été pris d'une crise de panique qui a donné lieu à un arrêt de travail. Il a saisi le 19 décembre 2008 la juridiction prud'homale aux fins de condamnation de son employeur à lui payer des dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité après les attentats du 11 septembre 2001. Il a été licencié le 15 septembre 2011 pour ne pas s'être présenté à une visite médicale prévue pour qu'il soit statué sur son aptitude à exercer un poste au sol.
La cour d'appel (CA Paris, 6 mai 2014, n° 11/07699 N° Lexbase : A7703MKI) l'ayant débouté de sa demande de dommages-intérêts, il s'est pourvu en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi sur ce point en précisant qu'appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et procédant aux recherches qui lui étaient demandées, la cour d'appel a constaté, d'une part que l'employeur, ayant pris en compte les événements violents auxquels le salarié avait été exposé, avait, au retour de New-York le 11 septembre 2001, fait accueillir celui-ci, comme tout l'équipage, par l'ensemble du personnel médical mobilisé pour assurer une présence jour et nuit et orienter éventuellement les intéressés vers des consultations psychiatriques, d'autre part que le salarié, déclaré apte lors de quatre visites médicales intervenues entre le 27 juin 2002 et le 18 novembre 2005, avait exercé sans difficulté ses fonctions jusqu'au mois d'avril 2006. Elle ajoute qu'ayant relevé que les éléments médicaux produits, datés de 2008, étaient dépourvus de lien avec ces événements dont il avait été témoin, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, propres et adoptés, dont elle a pu déduire l'absence de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, légalement justifié sa décision (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E3145ETN).

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Pénal

[Textes] L'état d'urgence réformé dans l'urgence

Réf. : Loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 (N° Lexbase : L2849KRX), prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 (N° Lexbase : L6821KQP) et renforçant l'efficacité de ses dispositions

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par Guillaume Beaussonie, Professeur à l'Université Toulouse 1-Capitole, IEJUC (EA 1919) et Antoine Botton, Professeur à l'Université Toulouse 1-Capitole, IRDEIC (EA 4211)

Le 29 Janvier 2016

Une semaine après les terribles évènements du vendredi 13 novembre 2015, et dans le cadre d'un état d'urgence décrété dès le lendemain, la loi n° 2015-1501, prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions a été adoptée. Comme son nom l'indique, ce texte a un double objet : autoriser le prolongement de l'état d'urgence pour une durée de trois mois, au-delà des douze jours initiaux, ce que seul le législateur est compétent pour faire (1) ; réformer le régime alors applicable, afin d'en renforcer l'efficacité. Il ne s'agit sans doute que d'une étape, le Président de la République souhaitant, par ailleurs, que la Constitution soit modifiée afin d'intégrer un "régime constitutionnel d'état de crise" qui devrait notamment "permettre aux pouvoirs publics d'agir, conformément à l'état de droit, contre le terrorisme de guerre". Celui-ci s'ajouterait ou remplacerait les régimes respectivement prévus par les articles 16 (N° Lexbase : L0842AHN) et 36 (N° Lexbase : L0862AHE) de la Constitution, qui s'avèrent en l'occurrence inadaptés, le premier impliquant que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels soit interrompu, le second supposant un état de siège (2). Pour le moment, seul l'état d'urgence législatif est donc en cause, cette procédure étant régie par une loi déterminée durant la guerre d'Algérie que la Constitution de 1958 n'a cependant pas eu pour effet d'abroger (3) et que quelques textes adoptés sous son empire ont partiellement réformée (4). Malgré son caractère exceptionnel, le droit concerné est vivant, car il a déjà été mis en oeuvre à cinq reprises avant 2015 : trois fois durant la guerre d'Algérie (1955, 1958 et 1961), une fois en Nouvelle-Calédonie (1984) et une fois en 2005. A l'occasion de cette dernière mobilisation de l'état d'urgence, qui avait pour but de réagir à une vague d'émeutes urbaines essentiellement en Ile-de-France, le Conseil d'Etat a été saisi d'un recours visant principalement à tirer les conséquences de l'abrogation implicite de la loi de 1955 par la Constitution de 1958. Constatant, à l'inverse, la compatibilité entre Constitution et loi, le juge administratif a néanmoins précisé que le texte litigieux instaurait "un régime de pouvoirs exceptionnels [...] reposant [...] sur une extension limitée dans le temps et dans l'espace des pouvoirs des autorités civiles, sans que leur exercice se trouve affranchi de tout contrôle" (5). Tout l'enjeu de ce dispositif, que le système juridique ne récuse pas, semble donc se résumer à cela : à situation exceptionnelle (I), mesures exceptionnelles (II). I - Une situation exceptionnelle

L'article 1er de la loi de 1955 dispose d'abord que "l'état d'urgence peut être déclaré [...] soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique", ce que le Conseil d'Etat traduit comme étant "des situations de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui constituent une menace pour la vie organisée de la communauté nationale" (6).

Si nul ne conteste qu'un contexte d'attentats terroristes constitue un "péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public" -le quasi-consensus politique en témoigne-, l'imprécision du texte à cet égard n'est, de façon générale, absolument pas satisfaisante, puisqu'elle obscurcit le recours au dispositif qui, partant, risque d'être arbitraire.

Le risque apparaît d'autant plus fort que, contrairement à ce qui était prévu en 1955, ce n'est plus la représentation nationale qui est compétente pour constater l'état d'urgence, mais le chef de l'Etat seul (7). Au surplus, le contrôle éventuellement exercé par le Conseil d'Etat demeure assez lâche, celui-ci ayant eu l'occasion de préciser que "le Président de la République dispose d'un pouvoir d'appréciation étendu lorsqu'il décide de déclarer l'état d'urgence et d'en définir le champ d'application territorial" (8). La principale garantie paraît alors résider dans l'intervention du Parlement au stade de la prorogation de l'état d'urgence, deux pouvoirs se trouvant de la sorte confrontés, et le Conseil constitutionnel étant susceptible de censurer les dispositions de la loi adoptée. Toutefois, outre qu'une telle concurrence n'est que de papier en période de concordance de l'exécutif et du législatif -ce qui est la norme, dans la Vème République, encore plus depuis que les durées des mandats du Président et des parlementaires coïncident-, cela laisse 12 jours pendant lesquels il n'y a précisément point de confrontation et tout ce qui va avec...

Les mesures concernées par l'état d'urgence étant, pour la plupart, calquées sur celles qui s'inscrivent dans le cadre des procédures pénales dérogatoires (9), surtout depuis la loi du 20 novembre 2015, ne serait-il pas opportun de coordonner également leurs champs d'application ? Autrement dit, ne faudrait-il pas autoriser ces mesures dans un cadre répressif strictement défini, comme c'est déjà le cas aujourd'hui (10) et, par exception mais par extension, dans un cadre préventif pareillement défini, lorsque l'atteinte grave à l'ordre public n'a pas cessé ou menace de se reproduire ? L'exemple du terrorisme s'avère, de ce point de vue, particulièrement congru : incriminé par le livre IV du Code pénal, relatif aux "crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique", sa poursuite, son instruction et son jugement font l'objet de procédures dérogatoires en vertu du livre IV du Code de procédure pénale. Ces procédures correspondent, pour partie, à celles qui peuvent être décidées dans le cadre de l'état d'urgence, dans le but, cette fois, de prévenir d'autres actes terroristes. Faire clairement du terrorisme et de quelques autres situations gravement attentatoires ou menaçantes pour l'ordre public permettrait sans doute de renforcer le caractère exceptionnel de l'état d'urgence.

Dans la même idée, malgré l'étonnante souplesse dont fait preuve le Conseil constitutionnel à cet égard (11), l'autorité judiciaire ne devrait-elle pas demeurer seule la gardienne de toutes les libertés quelles qu'elles soient et, en conséquence, disposer d'une compétence exclusive pour assurer le contrôle de tous les actes décidés dans le cadre de l'état d'urgence ? Tel n'est pas le choix qui a été fait par le législateur, qui a décidé que les mesures concernées seraient "soumises au contrôle du juge administratif dans les conditions fixées par le Code de justice administrative, notamment son livre V" (12).

Le caractère exceptionnel de l'état d'urgence postule ensuite sa limitation dans le temps et dans l'espace. C'est l'objet des articles 1 à 4 de la loi du 3 avril 1955.

Du point de vue du temps, il est effectivement précisé, par l'article 2, que "la prorogation de l'état d'urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi" puis, par l'article 3, que "la loi autorisant la prorogation au-delà de douze jours de l'état d'urgence fixe sa durée définitive". La loi du 20 novembre 2015 proroge ainsi l'état d'urgence déclaré le 14 novembre 2015 pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre.

La fixation de la durée de l'état d'urgence appartient donc au Parlement qui, en l'occurrence, a "accordé" au Président de la République ce qu'il avait demandé. Quelques voix -et pas des moindres : Robert Badinter et Henri Leclerc, par exemple- se sont pourtant élevées pour dévoiler le danger d'une exception qui se pérennise mais, dans le bruit et la fureur ambiantes, elles se sont avérées inaudibles. Il appartiendra peut-être au Conseil constitutionnel, s'il est saisi a posteriori, d'apprécier la juste mesure de cette durée. On doute cependant qu'il censure une loi adoptée dans un tel consensus.

Dans la loi du 20 novembre 2015, il a été précisé par ailleurs qu'il pouvait être mis fin à l'état d'urgence avant l'expiration de ce délai par décret en conseil des ministres. En ce cas, ajoute le texte, il en est rendu compte au Parlement. Dans un contexte de recours plus polémique à ce régime, en 2005-2006, Jacques Chirac avait mis fin à l'état d'urgence avant le temps qui lui avait été imparti par le Parlement -trois mois déjà-.

L'article 4 de la loi de 1955 ajoute que "la loi portant prorogation de l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l'Assemblée nationale". L'état d'urgence apparaît assurément malvenu en cas de crise politique...

La fin de l'état d'urgence provoque bien évidemment la cessation immédiate des mesures prises dans ce cadre (13).

Du point de vue de l'espace, l'article 1er de la loi de 1955 dispose que "l'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d'outre-mer, des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 (14) de la Constitution (N° Lexbase : L0906AHZ) et en Nouvelle-Calédonie". L'article 2 de la loi de 1955 ajoute que c'est le décret qui constate l'état d'urgence qui "détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur" puis il précise que, "dans la limite de ces circonscriptions, les zones où l'état d'urgence recevra application seront fixées par décret".

Etrangement, l'article 15 de la loi de 1955 a, malgré une redondance qui a survécu à son toilettage par la loi de 2015, été maintenu. Il affirme ainsi, de façon semble-t-il superfétatoire, que "la présente loi, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015, prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions, est applicable sur l'ensemble du territoire de la République"...

Quoi qu'il en soit, la fixation du domaine de l'état d'urgence appartient donc à l'exécutif qui a la possibilité, de la sorte, d'adapter le régime applicable en fonction des besoins de chaque zone territoriale concernée. Le contrôle assuré par le Conseil d'Etat apparaît, sur ce point également, plutôt léger (15).

En application de ce qui précède, le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 a déclaré l'état d'urgence, à compter du 14 novembre 2015, "sur le territoire métropolitain et en Corse", emportant pour sa durée application du 1° de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, qui confère au ministre de l'Intérieur et aux préfets le pouvoir d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit. Le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 a étendu l'état d'urgence et les mesures concernées, à compter du 19 novembre 2015, au territoire des collectivités de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de La Réunion, de Mayotte, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

Enfin, la loi du 20 novembre 2015 a ajouté un article 4-1 à la loi du 3 avril 1955 en vertu duquel "l'Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l'état d'urgence" et "peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l'évaluation de ces mesures".

II - Des mesures exceptionnelles

La loi du 3 avril 1955, telle que réformée par celle du 20 novembre 2015, comprend un certain nombre de mesures exceptionnelles placées sous le seul contrôle du juge administratif. Au sein de ce régime d'urgence, les mesures d'assignation à résidence et de perquisition dérogatoire doivent, du fait de leur caractère particulièrement exceptionnel, être traitées (A) séparément des autres mesures (B).

A - Les mesures d'assignation à résidence et de perquisition dérogatoire

- L'assignation à résidence est régie par l'article 6 de la loi commentée. Le premier alinéa de cet article prévoit que "le ministre de l'Intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée [par décret] et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics [...]". Il est ici à noter que la loi du 20 novembre 2015 a, suivant le souhait du Gouvernement (16), considérablement étendu le domaine subjectif de cette assignation, ne la limitant plus à la seule "personne [...] dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics". Le soupçon sérieux à l'endroit d'une personne suffit donc dorénavant à son assignation à résidence.

Cette assignation à résidence peut être renforcée par trois types de mesure. Tout d'abord, le deuxième alinéa de l'article 6 prévoit que la personne assignée à résidence "peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'Intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures". Etant précisé dans ce même alinéa que, contrairement à certaines propositions émises au mépris de notre Constitution, cette assignation à résidence, serait-elle ainsi renforcée, ne pourra "en aucun cas [...] avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes" ainsi assignées.

Ensuite, le ministre de l'Intérieur peut, en outre, prescrire à l'assigné à résidence certaines mesures analogues à celles prévues en matière de contrôle judiciaire (17), à savoir : "l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour [...] la remise à ces services de son passeport ou de tout document justificatif de son identité ; [l'interdiction] de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics".

Enfin, le dernier alinéa de l'article 6, ajouté par la loi du 20 novembre 2015, prévoit un régime de placement sous surveillance électronique mobile de la personne assignée qui "a été condamnée à une peine privative de liberté pour un crime qualifié d'acte de terrorisme ou pour un délit recevant la même qualification puni de dix ans d'emprisonnement et a fini l'exécution de sa peine depuis moins de huit ans". La mise en oeuvre d'un tel régime, assurément le plus restrictif de la liberté d'aller et venir de la personne concernée, s'appuie donc, à l'instar notamment de la rétention de sûreté (18), sur une culpabilité juridictionnellement avérée de la personne concernée. Rendant au demeurant la personne localisable à distance sur l'ensemble du territoire national, le législateur a justement exclu sa soumission aux obligations de présentation périodique aux services de police ou de gendarmerie et de demeurer dans un lieu d'habitation déterminé.

- L'article 11 de la loi de 1955, substantiellement modifié par la loi de novembre 2015, donne pouvoir au ministre de l'Intérieur et au préfet d'ordonner des perquisitions dans les lieux pour lesquels il existe "des raisons sérieuses de penser" qu'ils sont fréquentés "par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics". Avant d'entrer dans le détail de ce régime dérogatoire de perquisition, il faut noter que son champ d'application subjectif est plus réduit que celui de l'assignation à résidence. En effet, sa mise en oeuvre requiert que le comportement "mena[çant] pour la sécurité et l'ordre publics" de la personne concernée soit avéré et non simplement suspecté comme en matière d'assignation, ce qui restreint nettement la portée de la disposition, si tant est cependant que l'autorité puis le juge administratifs s'en tiennent à la lettre de la disposition.

Une telle restriction du champ d'applicabilité de ces perquisitions pourrait néanmoins trouver une explication dans le caractère extrêmement dérogatoire -au droit commun de la procédure pénale (19)- de leur régime. Pour l'essentiel, la perquisition administrative étudiée emprunte effectivement son régime à la perquisition judiciaire la plus dérogatoire, à savoir celle exercée dans le cadre d'une enquête de flagrance pour une infraction de criminalité organisée (20). Comme elle, la perquisition étudiée peut concerner tout lieu, y compris un domicile, et ce, de jour comme de nuit. La seule limite à cette perquisition réside dans l'interdiction de la mener dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou de certaines professions (avocats, magistrats et journalistes) ; limite découlant, semble-t-il, de sa nature administrative (21).

B - Les autres mesures

Outre ces deux principales, la loi de 1955 comprend un certain nombre de mesures préventives : les unes déjà connues, les autres issues de la loi de novembre 2015.

- Au titre des mesures classiques, l'article 5 de la loi prévoit, tout d'abord, que le préfet d'un département concerné par l'état d'urgence a le pouvoir : "1° d'interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ; 2° d'instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; 3° d'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics". Il faut préciser que cette disposition d'origine de la loi de 1955 n'a subi aucune modification depuis lors.

L'article 8 de la loi confère ensuite au ministre de l'Intérieur et au préfet le pouvoir d'ordonner la "fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature". Dans une même perspective, l'article, dans son second alinéa, prévoit que ces mêmes autorités peuvent interdire "à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre". Ces fermetures et interdictions ayant, dans le contexte actuel, pour but principal de protéger la population de nouvelles attaques terroristes.

La plus connue de ces mesures originelles de la loi de 1955 consiste enfin dans la possibilité, pour le ministre de l'Intérieur et le préfet, d'ordonner la remise "des armes et des munitions, détenues ou acquises légalement". Cette disposition, qui n'avait subi jusqu'ici aucune réforme, a juste fait l'objet d'une mise à jour en novembre 2015, notamment concernant les catégories d'armes visées.

- La loi de novembre 2015 ne s'est toutefois pas contentée de toiletter les dispositions, par hypothèse, surannées d'une loi sexagénaire ; elle y a ajouté deux mesures.

En premier lieu, l'article 6-1 de la loi permet aujourd'hui la dissolution "par décret en conseil des ministres [des] associations ou groupements de fait qui participent à la commission d'actes portant une atteinte grave à l'ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent". Cette dissolution, dont les effets ne cesseront exceptionnellement (22) pas à la fin de l'état d'urgence (23), est pénalement garantie dans la mesure où toute action (ou organisation) de maintien ou de reconstitution d'un groupe dissous sera réprimée dans les conditions prévues par le Code pénal en matière de dissolution des groupes de combat (24).

En second lieu, le II de l'article 11 de la loi dote le ministre de l'Intérieur d'un pouvoir d'"interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie". En sorte que cette autorité se voit reconnaître la possibilité, avant toute condamnation sur le fondement de l'article 421-2-5 du Code pénal (N° Lexbase : L8378I43) (25), de faire cesser tout acte de provocation ou d'apologie du terrorisme, dès lors qu'il résulte d'une activité en ligne.

Les mesures exceptionnelles de la loi de 1955 ainsi recensées, il convient d'apporter deux précisions concernant leur régime.

D'une part, à l'exception -déjà relevée- de la dissolution de groupements, "les mesures prises en application de la loi cessent d'avoir effet en même temps que prend fin l'état d'urgence". Toutefois, cette cessation d'effet n'empêche pas, à l'évidence, aux actes réalisés sous l'égide de la loi de 1955, de produire des effets au-delà de la période d'état d'urgence. On pense bien sûr ici aux mesures de perquisition qui pourront donner lieu à des poursuites judiciaires.

D'autre part, certaines des obligations découlant des mesures d'urgence sont pénalement garanties. Déjà la loi de 1955 prévoyait une répression pénale en cas d'irrespect des décisions prises dans son cadre. Cela étant, cette répression était à la fois uniforme, puisqu'elle ne prévoyait aucune gradation répressive en considération de l'importance de l'obligation violée, et relativement clémente, les peines prévues consistant dans un emprisonnement allant de huit jours à deux mois et une amende allant de 11 à 3750 euros. La loi du 20 novembre 2015 rompt aussi bien avec l'uniformité de la répression qu'avec sa clémence.

En effet, l'article 13 de la loi relative à l'état d'urgence prévoit dorénavant trois seuils de peine, tous plus sévères que la précédente version :

- six mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende en cas d'irrespect des interdictions préfectorales de l'article 5, des fermetures d'établissements et des interdictions de réunion de l'article 8 et de l'ordre de remise d'armes de l'article 9 ;

- un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende en cas d'infraction aux modalités de renforcement de l'assignation à résidence : assignation au lieu d'habitation, obligation de présentation périodique aux services de police, remise du passeport, placement sous surveillance électronique mobile (loi n° 2015-1501, art. 6, 2ème et 5 derniers al.) (6) ;

- trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende en cas d'infraction à la mesure même d'assignation à résidence (loi n° 2015-1501, art. 6, al. 1er).

Dans le sens de la sévérité de cette répression, il faut également remarquer que les peines prévues dans les deux derniers cas sont susceptibles de se cumuler dans l'hypothèse d'une mesure d'assignation à résidence renforcée. Il suffit, pour s'en convaincre, de prendre l'exemple d'une personne violant son assignation à résidence, en quittant le secteur d'assignation, à une heure où elle était, en outre, astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par l'autorité administrative. Dans cette hypothèse, commettant deux faits infractionnels tout à fait distincts, la personne se trouvera en situation de concours réel d'infractions justifiant un cumul répressif.

Somme toute, l'étude de ces mesures exceptionnelles laisse apparaître leur caractère manifestement attentatoire à certains droits et libertés constitutionnellement et conventionnellement garantis. Il n'en demeure pas moins que le législateur a fait le choix de les soumettre au seul contrôle du juge administratif, ce qui appelle quelques brefs et conclusifs commentaires.

Rappelons, au préalable, que l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM) fait de l'autorité judiciaire la gardienne de la "liberté individuelle", ceci impliquant que toute atteinte à ladite liberté doit se réaliser sous l'autorité et le contrôle d'un magistrat de l'ordre judiciaire, qu'il appartienne au parquet ou au siège. Est-ce à dire que l'article 14-1 de la loi de 1955, prévoyant la compétence exclusive du juge administratif, violerait l'article 66 de la Constitution (26) ? Tout dépend, en réalité, de la conception que l'on développe de la "liberté individuelle".

Suivant une approche large, cette notion comprendrait droit à la sûreté, liberté d'aller et venir, droit au respect de sa vie privée, principe d'inviolabilité de son domicile, etc.. Selon une conception plus stricte, la "liberté individuelle" ne serait en cause qu'en cas de privation de liberté.

Or, cette dernière approche est celle expressément retenue par le Conseil constitutionnel depuis une décision du 16 juin 1999 (27). De sorte que l'attribution de la compétence matérielle au seul juge administratif ne contrevient a priori aucunement à l'article 66 de la Constitution, étant entendu que la loi de 1955 porte des atteintes importantes à un certain nombre de droits et libertés (liberté d'aller et venir et principe d'inviolabilité du domicile pour l'essentiel) sans jamais que la "liberté individuelle", au sens strict du terme, ne soit directement mise en cause.

Cela étant, si l'on peut ainsi raisonnablement augurer que le Conseil ne trouvera jamais rien à redire (28) concernant cette compétence exclusive du juge administratif, il faut néanmoins reconnaître qu'il a, nonobstant l'approche retenue en 1999, justifié parfois certaines atteintes graves aux droits et libertés autres que la liberté individuelle précisément par l'intervention d'une autorité judiciaire, voire d'un juge du siège. Tel fut le cas dans sa décision du 2 mars 2004 relative au texte de la future loi "Perben II" (N° Lexbase : L1768DP8) (29) au sein de laquelle il a effectivement fait de l'intervention de l'autorité judiciaire, pourtant gardienne de la seule "liberté individuelle", l'un des gages de constitutionnalité des perquisitions de nuit (30), des écoutes téléphoniques (31) ou encore des sonorisations et fixations d'images de certains lieux ou véhicules (32). Autant de mesures ne portant atteinte qu'au seul principe d'inviolabilité du domicile et/ou au droit au respect de sa vie privée.

Est-ce à dire que le Conseil réitérera une telle position s'agissant de la loi de 1955 ? Il faudra, pour cela, certainement que cesse l'état d'urgence, d'un point de vue tant juridique que sociétal.


(1) Loi du 3 avril 1955, art. 2 in fine et 3.
(2) Le second n'a jamais été mis en oeuvre durant la Vème République, le premier ne l'ayant été qu'une seule fois, à la suite d'ailleurs d'un état d'urgence : c'était en 1961, après la tentative de putsch des généraux à Alger.
(3) V. Cons. const., décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985, cons. n° 4 (N° Lexbase : A8109ACC) : "considérant que, si la Constitution, dans son article 36, vise expressément l'état de siège, elle n'a pas pour autant exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence pour concilier, comme il vient d'être dit, les exigences de la liberté et la sauvegarde de l'ordre public ; qu'ainsi, la Constitution du 4 octobre 1958 n'a pas eu pour effet d'abroger la loi du 3 avril 1955, relative à l'état d'urgence, qui, d'ailleurs, a été modifiée sous son empire". V. aussi CE référé, 21 novembre 2005, n° 287217 (N° Lexbase : A7382DLY).
(4) Ex. : ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960 ; ordonnance n° 2009-536 du 14 mai 2009, portant diverses dispositions d'adaptation du droit outre-mer (N° Lexbase : L1670IEL) ; loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (N° Lexbase : L0618AIQ) ; loi n° 2011-525, 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9) ; loi n° 2013-403, 17 mai 2013, relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral (N° Lexbase : L7927IWI).
(5) CE référé, 21 novembre 2005, n° 287217, préc., note 3.
(6) CE référé, 14 novembre 2005, n° 286835 (N° Lexbase : A6389DL9).
(7) L'ordonnance n° 60-732 du 15 avril 1960 a effectivement modifié l'article 2 de la loi de 1955 à cette fin.
(8) CE référé, 14 novembre 2005, n° 286835, préc., note 6.
(9) V. II.
(10) V. livre IV du Code de procédure pénale, spéc., titres XV à XIX.
(11) V. encore dernièrement, à propos de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015, relative au renseignement (N° Lexbase : L9309KBE), Cons. const., 23 juillet 2015, décision n° 2015-713 DC, cons. 16 à 22 (N° Lexbase : A9642NM3).
(12) Loi n° 55-385 du 3 avril 1955, nouvel art. 14-1. Sans grande surprise, les premières décisions rendues ne s'avèrent pas très exigeantes à l'endroit d'une mise en oeuvre pas toujours très nuancée, par les autorités compétentes, des mesures autorisées par l'état d'urgence...
(13) Loi n° 55-385 du 3 avril 1955, art. 14.
(14) V. à cet égard, Const., art. 72-3 (N° Lexbase : L1342A9L) : "la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint -Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l'article 73 (N° Lexbase : L0905AHY) pour les départements et les régions d'outre-mer et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l'article 73, et par l'article 74 (N° Lexbase : L0906AHZ) pour les autres collectivités".
(15) CE référé, 14 novembre 2005, n° 286835, préc. note 6. V. plus haut.
(16) Cf. exposé des motifs du projet de loi prorogeant l'application de la loi du 3 avril 1955, relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.
(17) C. proc. pén., art. 138 (N° Lexbase : L9534I3I).
(18) C. proc. pén., art. 706-53-13 (N° Lexbase : L7444IGS) et s..
(19) C. proc. pén., art. 56 (N° Lexbase : L3895IRP) et s. (enquête de flagrance) et 76 (N° Lexbase : L7225IMK) du même code (enquête préliminaire).
(20) C. proc. pén., art. 706-89 (N° Lexbase : L2785KGA).
(21) De telles perquisitions pouvant être menées dans un cadre judiciaire, il est vrai, sous condition (v. par ex., pour les avocats, C. proc. pén., art. 56-1).
(22) Le principe, contenu dans l'art. 14 de la loi de 1955, est que "les mesures prises en [son] application [...] cessent [...] d'avoir effet en même temps que prend fin l'état d'urgence".
(23) Loi du 3 avril 1955, art. 6-1, al. 3.
(24) Loi du 3 avril 1955, art. 6-1, al. 3, renvoyant ainsi aux articles 431-15 (N° Lexbase : L1994AMS) et 431-17 (N° Lexbase : L1950AM8) à 431-21 du Code pénal.
(25) Issu de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 (N° Lexbase : L8220I49) et incriminant les délits de provocations et d'apologie du terrorisme.
(26) Etant précisé que la loi du 20 novembre 2015 n'a pas été déférée au Conseil constitutionnel afin qu'il procède à un contrôle a priori de constitutionnalité.
(27) C. const., décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, cons., 20 (N° Lexbase : A8780AC8).
(28) A l'occasion d'éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité, permises par l'absence de saisine a priori du Conseil.
(29) Cons. const., décision n° 2004-492, du 2 mars 2004 (N° Lexbase : A3770DBA).
(30) Idem, cons. 46.
(31) Idem, cons. 59.
(32) Idem, cons. 64.

newsid:450179

Procédure pénale

[Brèves] Publication d'une loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, validée par le Conseil constitutionnel

Réf. : Loi n° 2015-1556 du 30 novembre 2015, relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales (N° Lexbase : L1985KSC) et Cons. const., 26 novembre 2015, décision n° 2015-722 DC (N° Lexbase : A7769NXZ)

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N0214BWT

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Le 08 Décembre 2015

A été publiée, au Journal officiel du 1er décembre 2015, la loi n° 2015-1556 du 30 novembre 2015, relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales (N° Lexbase : L1985KSC). Ladite loi reprend et complète certaines des dispositions de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015, relative au renseignement (N° Lexbase : L9309KBE), qui avaient été déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 23 juillet 2015 (Cons. const., 23 juillet 2015, décision n° 2015-713 DC N° Lexbase : A9642NM3). Le nouveau texte prévoit la création d'un cadre juridique spécifique pour la surveillance des communications internationales, c'est-à-dire pour les communications dont au moins l'une des extrémités -émission ou réception- est située à l'étranger. Cette surveillance porte à la fois sur les données de connexion et les correspondances. Les autorisations, permettant ces surveillances, sont délivrées par le Premier ministre ou un de ses délégués. Le premier article de la loi insère ainsi dans le Code de la sécurité intérieure un article L. 854-1, article unique du chapitre IV du titre V du livre VIII, et modifie à la marge l'article L. 841-1 du même code (N° Lexbase : L4974KKG). Ce dernier est remanié pour faire écho au mode de saisine du Conseil d'Etat organisé par l'article L. 854-1 qui prévoit un mécanisme de recours filtré par la CNCTR (Commission nationale du contrôle des techniques de renseignement) pour éviter toute stratégie d'engorgement de la juridiction spécialisée par des acteurs étrangers souhaitant déstabiliser la politique de renseignement extérieur. L'article 2 de la loi modifie dans le même sens l'article L. 773-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L4989KKY). Saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution (N° Lexbase : L0890AHG), le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision du 26 novembre 2015 (Cons. const., 26 novembre 2015, décision n° 2015-722 DC N° Lexbase : A7769NXZ), que les nouveaux articles L. 854-1, L. 854-2, L. 854-5 et L. 854-9 du Code de la sécurité intérieure, tels qu'ils résultent de l'article 1er de la loi, sont conformes à la Constitution.

newsid:450214

Procédures fiscales

[Brèves] Absence d'incidence sur l'opposabilité des délais de recours dans le cas d'impositions versées sans émission d'un titre d'imposition

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 25 novembre 2015, n° 373128, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0957NY4)

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N0205BWI

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Le 04 Décembre 2015

Il résulte des articles R. 196-1 du LPF (N° Lexbase : L4380IXI) et R. 421-5 du CJA (N° Lexbase : L3025ALM) que l'absence de mention sur un avis d'imposition adressé par l'administration au contribuable du caractère obligatoire de la réclamation préalable, ainsi que des délais dans lesquels le contribuable doit exercer cette réclamation, fait obstacle à ce que les délais de réclamation lui soient opposables. En revanche, ces dispositions ne sont pas applicables lorsque le contribuable demande la restitution d'impositions versées par lui ou acquittées par un tiers sans qu'un titre d'imposition ait été émis. Dès lors, en l'espèce, la forclusion est opposable à la demande d'un contribuable résident à l'étranger tendant à la restitution des retenues à la source acquittées pour son compte par une société française qui lui avait versé des dividendes. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 25 novembre 2015 (CE 3° et 8° s-s-r., 25 novembre 2015, n° 373128, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0957NY4). Au cas présent, une SA (requérante) dont le siège social est situé au Grand-Duché de Luxembourg, a perçu des dividendes que lui a versés une société établie en France, dans le capital de laquelle elle détenait une participation inférieure à 5 %. Ces dividendes ont alors fait l'objet d'une retenue à la source en application du 2 de l'article 119 bis du CGI (N° Lexbase : L4671I77). Pour la Haute juridiction, qui a donné raison à l'administration fiscale, faute d'un titre d'imposition, la société requérante n'était pas fondée à soutenir qu'en l'absence de la mention des voies et délais de recours sur un tel titre, aucun délai de forclusion n'était opposable à sa demande tendant à la restitution de la retenue à la source acquittée spontanément, pour son compte, par la société française distributrice. Cette décision apporte des précisions quant à ce principe déjà énoncé dans un arrêt rendu en 2007 par le Conseil d'Etat (CE 9° s-s., 25 juillet 2007, n° 279500, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4775DX7) .

newsid:450205

Procédures fiscales

[Brèves] Introduction d'une requête au nom d'un contribuable : possibilité de régularisation en produisant le mandat après l'introduction de la requête

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 25 novembre 2015, n° 380456, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0970NYL)

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N0206BWK

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Le 10 Décembre 2015

Toute personne qui présente une requête au nom d'un contribuable et qui ne tient pas de ses fonctions ou de sa qualité le droit d'agir au nom d'autrui doit, en principe, à peine d'irrecevabilité, justifier de sa qualité pour agir avant l'introduction de la requête. Toutefois, une personne qui a introduit une requête sans justifier de sa qualité pour agir peut ensuite, tant que l'instruction n'est pas close, produire la ou les pièces de nature à justifier de cette qualité à la date où le juge statue et ainsi procéder à la régularisation de la requête. Tel est le principe dégagé par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 25 novembre 2015 (CE 3° et 8° s-s-r., 25 novembre 2015, n° 380456, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0970NYL). En l'espèce, le signataire de la demande, tendant à une décharge de rappels de TVA, présentée au nom de la société requérante devant le tribunal administratif, n'avait pas qualité pour représenter cette société anonyme à directoire. Si le signataire de la demande, directeur fiscal de la société, avait produit à la date d'introduction de cette demande un mandat émanant d'un membre du directoire, directeur financier de la société, il n'avait pas joint le pouvoir de représentation de la société donné à ce membre du directoire, qui n'était pas lui-même habilité à représenter la société, par le président du directoire. Néanmoins, pour la Haute juridiction, le signataire avait régularisé la procédure en signant un mémoire reprenant les conclusions de la demande. Il avait produit en cours d'instance devant le tribunal, avant la clôture de l'instruction, donc à un moment jugé opportun, d'une part, un mandat émanant d'un membre du directoire, et d'autre part, le pouvoir de représentation de la société donné à ce membre du directoire par le président du directoire. Cette décision vient confirmer la solution retenue dans un arrêt rendu en 2002 par le Conseil d'Etat (CE 3° et 8° s-s-r., 29 juillet 2002, n° 220728, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0739A47) .

newsid:450206

Rel. collectives de travail

[Brèves] Conformité à la Constitution des règles relatives aux modalités de répartition, entre les organisations syndicales de salariés, des crédits du fonds paritaire alloués à la mission liée au paritarisme

Réf. : Cons. const., décision n° 2015-502 QPC du 27 novembre 2015 (N° Lexbase : A9181NXC)

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N0189BWW

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Le 04 Décembre 2015

Sont conformes à la Constitution les dispositions du 1° de l'article L. 2135-13 du Code du travail (N° Lexbase : L6244IZB), relatives aux modalités de répartition, entre les organisations syndicales de salariés, des crédits du fonds paritaire alloués à la mission liée au paritarisme. Telle est la solution dégagée par le Conseil constitutionnel dans un arrêt rendu le 27 novembre 2015 (Cons. const., décision n° 2015-502 QPC du 27 novembre 2015 N° Lexbase : A9181NXC).
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 septembre 2015 par le Conseil d'Etat (CE 4° et 5° s-s-r., 14 septembre 2015, n° 389127 N° Lexbase : A9762NNU) d'une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions du 1° de l'article L. 2135-13 du Code du travail.
Les Sages ont, en premier lieu, écarté les griefs tirés de la méconnaissance du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) au motif qu'en prévoyant que les crédits du fonds paritaire sont répartis de manière uniforme entre les organisations syndicales de salariés, les dispositions contestées, loin de porter atteinte à la liberté syndicale et au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, mettent en oeuvre ces exigences constitutionnelles.
Ils ont, en second lieu, relevé que les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs ont pour objet la défense des droits et des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des salariés, pour les premières, et des employeurs, pour les secondes. La nature des intérêts que ces deux catégories d'organisations défendent les place dans une situation différente au regard des règles qui organisent le paritarisme de sorte qu'en prévoyant que le montant des crédits alloués aux organisations syndicales de salariés au titre de la mission liée au paritarisme est réparti de façon uniforme entre elles, alors même que d'autres règles sont prévues pour la répartition du montant des crédits alloués aux organisations professionnelles d'employeurs à ce titre, le législateur a traité différemment des situations différentes. La différence de traitement étant en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité .

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Rel. collectives de travail

[Brèves] Conformité à la Constitution des règles relatives aux modalités de répartition, entre les organisations syndicales de salariés, des crédits du fonds paritaire alloués à la mission liée au paritarisme

Réf. : Cons. const., décision n° 2015-502 QPC du 27 novembre 2015 (N° Lexbase : A9181NXC)

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Le 04 Décembre 2015

Sont conformes à la Constitution les dispositions du 1° de l'article L. 2135-13 du Code du travail (N° Lexbase : L6244IZB), relatives aux modalités de répartition, entre les organisations syndicales de salariés, des crédits du fonds paritaire alloués à la mission liée au paritarisme. Telle est la solution dégagée par le Conseil constitutionnel dans un arrêt rendu le 27 novembre 2015 (Cons. const., décision n° 2015-502 QPC du 27 novembre 2015 N° Lexbase : A9181NXC).
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 septembre 2015 par le Conseil d'Etat (CE 4° et 5° s-s-r., 14 septembre 2015, n° 389127 N° Lexbase : A9762NNU) d'une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions du 1° de l'article L. 2135-13 du Code du travail.
Les Sages ont, en premier lieu, écarté les griefs tirés de la méconnaissance du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) au motif qu'en prévoyant que les crédits du fonds paritaire sont répartis de manière uniforme entre les organisations syndicales de salariés, les dispositions contestées, loin de porter atteinte à la liberté syndicale et au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, mettent en oeuvre ces exigences constitutionnelles.
Ils ont, en second lieu, relevé que les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs ont pour objet la défense des droits et des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des salariés, pour les premières, et des employeurs, pour les secondes. La nature des intérêts que ces deux catégories d'organisations défendent les place dans une situation différente au regard des règles qui organisent le paritarisme de sorte qu'en prévoyant que le montant des crédits alloués aux organisations syndicales de salariés au titre de la mission liée au paritarisme est réparti de façon uniforme entre elles, alors même que d'autres règles sont prévues pour la répartition du montant des crédits alloués aux organisations professionnelles d'employeurs à ce titre, le législateur a traité différemment des situations différentes. La différence de traitement étant en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité .

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Responsabilité administrative

[Chronique] Chronique de droit de la responsabilité administrative - Décembre 2015

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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 03 Décembre 2015

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit de la responsabilité administrative rédigée par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE). Cette chronique débutera par l'étude d'un arrêt rendu le 27 juillet 2015 par la Haute juridiction administrative à l'occasion duquel elle apporte des précisions relatives à la prise en compte des charges fixes d'exploitation pour la réparation du préjudice commercial subi par une exploitation agricole (CE 4° et 5° s-s-r., 27 juillet 2015, n° 372410, mentionné aux tables du recueil Lebon). Sera étudiée, ensuite, une décision du 5 octobre 2015 concernant l'appréhension du lien de causalité dans le régime de responsabilité du fait de lois adoptées en méconnaissance des engagements internationaux de la France (CE, 1° et 6° s-s-r., 5 octobre 2015, n° 371832, publié au recueil Lebon). Cette chronique se clôturera sur un arrêt du 14 octobre 2015 par lequel le Conseil d'Etat précise les conditions d'engagement de la responsabilité d'une commune en cas de délivrance d'un certificat d'urbanisme erroné (CE 4° et 5° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 375538, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Prise en compte des charges fixes d'exploitation pour la réparation du préjudice commercial subi par une exploitation agricole (CE 4° et 5° s-s-r., 27 juillet 2015, n° 372410, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0778NN7 ; cf. l’Ouvrage "Responsabilité administrative" N° Lexbase : E3798EU9)

A l'occasion de l'arrêt n° 372410 du 27 juillet 2015, le Conseil d'Etat apporte d'utiles précisions concernant l'application du principe de réparation intégrale concernant un préjudice de perte de recettes commerciales.

A la suite du blocage de ses camions de collecte de lait par des attroupements intervenus entre le 21 et le 25 mai 2009, la société X avait fait condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices subis en application des dispositions alors en vigueur de l'article L. 2216-3 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8738AAU). On rappellera ici que la loi du 16 avril 1914, sur la responsabilité spéciale des communes, avait créé un régime de responsabilité sans faute, sur le fondement de la notion de "risque social" au bénéfice des victimes de dommages occasionnés lors de rassemblements et d'attroupements. En application de ce texte, c'est la responsabilité de plein droit des communes qui devait être recherchée devant le juge judiciaire. Mais par la suite, la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat (N° Lexbase : L4726AQ4), avait transféré la charge de la responsabilité sur l'Etat, la loi n° 86-29 du 9 janvier 1986, portant dispositions diverses relatives aux collectivités locales, prévoyant ensuite la compétence du juge administratif pour connaître des litiges occasionnés par des rassemblements ou des attroupements. Ce sont ces textes qui ont été codifiés à l'article L. 2216-3 du Code général des collectivités territoriales qui prévoit que "l'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens". Il faut toutefois relever que ces dispositions, applicables en l'espèce, ont été abrogées par l'ordonnance n° 2012-351 du 12 mars 2012, relative à la partie législative du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L3779ISR), et recodifiées à l'article L. 211-10 du Code de sécurité intérieure (N° Lexbase : L5211ISS) actuellement en vigueur.

L'application des ces dispositions aux circonstances de la présente affaire ne posait pas de difficultés notables. A l'occasion d'un arrêt du 3 février 2012, la cour administrative d'appel de Nantes avait ainsi considéré que l'action de blocage à l'origine des préjudices subis par la société X "s'est produite dans le cadre du mouvement de revendication collective des producteurs de lait en mai et juin 2009 [...] dans les circonstances de l'espèce, ces agissements, qui constituent un délit commis à force ouverte, résultent d'un attroupement ou d'un rassemblement précisément identifiés au sens des dispositions précitées de l'article L. 2216-3 du Code général des collectivités territoriales" (1).

Si l'admission de la responsabilité de l'Etat ne pose pas de difficultés notables, il en va tout autrement, en revanche, concernant la question de l'évaluation du préjudice subi. Comme le juge civil, le juge administratif doit "faire du dommage une évaluation telle qu'elle assure à la victime l'entière réparation du préjudice" (2), ce qui ne manque pas de poser un certain nombre de difficultés. Tel est le cas, en l'espèce, concernant un préjudice financier représenté par des pertes de revenus professionnels. Le principe de réparation de ce préjudice est certes admis, et cela quel que soit le type d'activité professionnelle en cause. Il en résulte qu'une perte de salaire (3), une perte de revenus agricoles (4) ou, comme en l'espèce, le préjudice commercial subi par une société sont normalement réparés.

La question qui se posait dans la présente affaire était toutefois plus précise puisqu'elle concernait l'évaluation d'un préjudice lié à la perte de revenus commerciaux, et la prise en compte des difficultés rencontrée par l'entreprise pour couvrir ses charges fixes. Le Conseil d'Etat rappelle que la réparation intégrale de son préjudice commercial supposait que la société soit replacée dans la situation qui aurait été la sienne si l'interruption de sa production suite au blocage de ses camions ne s'était pas produite. Ainsi, "en vue d'assurer cette réparation, il incombait aux juges du fond de lui accorder une indemnité correspondant aux pertes de recettes qu'elle avait subies, diminuées des charges qu'elle n'avait pas eu à exposer et augmentées, le cas échéant, des charges supplémentaires provoquées par l'interruption de son activité". Il s'agira, de cette façon, d'assurer "la réparation du préjudice résultant de l'impossibilité de couvrir les charges fixes par des recettes d'exploitation et, le cas échéant, du préjudice résultant d'une perte de bénéfice". Or, tous ces éléments n'avaient pas été pris en compte par la cour administrative d'appel de Nantes. En effet, les juges du fond avaient considéré que la société n'était pas en droit d'obtenir réparation au titre de l'impossibilité de couvrir ses charges fixes. Par ailleurs, la cour avait déterminé le montant de l'indemnité mise à la charge de l'Etat par référence à la seule perte d'une marge, dont elle n'avait définit ni la nature ni les éléments de calcul. En conséquence, le Conseil d'Etat annule le jugement contesté et il décide de renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Nantes.

  • L'appréhension du lien de causalité dans le régime de responsabilité du fait de lois adoptées en méconnaissance des engagements internationaux de la France (CE, 1° et 6° s-s-r., 5 octobre 2015, n° 371832, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8937NSS ; cf. l’Ouvrage "Responsabilité administrative" N° Lexbase : E3768EU4)

A l'occasion du célèbre arrêt d'Assemblée "Gardedieu" du 8 février 2007 (5), le Conseil d'Etat avait admis que "la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée [...] en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France". Ce sont les contours de ce régime de responsabilité -qui a vocation à s'appliquer y compris en cas de violation des principes généraux du droit de l'Union européenne (6)- qui sont précisés par la juridiction administrative suprême dans son arrêt n° 371832 du 5 octobre 2015.

L'essentiel des questionnements autour de l'arrêt "Gardedieu" concerne la nature du régime de responsabilité qu'il inaugure, et plus précisément la nature du fait générateur conditionnant l'engagement de la responsabilité de l'Etat législateur. Dans ses conclusions sur cet arrêt, le commissaire du Gouvernement Derepas avait considéré qu'il s'agissait ici d'un régime de responsabilité sui generis -c'est-à-dire ni un régime de responsabilité pour faute, ni un régime de responsabilité sans faute- alors qu'il s'agit pourtant bien de sanctionner l'Etat législateur qui n'a pas rempli ses obligations au regard de la hiérarchie des normes qui s'impose à lui. L'arrêt "Gardedieu" établit donc bien -sans s'y référer- un régime de responsabilité pour faute de l'Etat législateur que le juge, pour des raisons plus historiques et politiques que juridiques, est bien embarrassé de reconnaître comme tel. On ne voit d'ailleurs pas comment un régime de responsabilité peut être autre chose qu'un régime de responsabilité pour faute ou sans faute. En effet, si ce n'est pas une faute qui conditionne l'engagement de la responsabilité de l'Etat, cet engagement doit alors être conditionné par un autre fait générateur qui est alors nécessairement non fautif.

L'arrêt du 5 octobre 2015 traite moins de la question du fait générateur de la responsabilité de l'Etat législateur, qui ne pose pas de difficultés notables en l'espèce, que de celle du lien de causalité entre ce fait générateur et le préjudice dont il est demandé réparation. Dans cette affaire, la société X avait contesté devant le juge judiciaire un redressement infligé par l'URSSAF au motif de l'illégalité de l'agrément de l'agent qui avait procédé à son contrôle. Son pourvoi avait été rejeté par la Cour de cassation par un arrêt du 8 novembre 2006, au motif que les contrôles de l'URSSAF qui seraient contestés par ce moyen ont été validés par l'article 73 de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003, de financement de la Sécurité sociale pour 2004 (N° Lexbase : L9699DLS) (7). Mais par la suite, par un arrêt du 25 novembre 2010 (8), la Cour européenne des droits de l'homme, saisie par la même société, a jugé que la France avait violé l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) en adoptant cette loi de validation. A la suite de cette condamnation de la France, la société a saisi les juridictions administratives en demandant la condamnation de l'Etat en application de la jurisprudence "Gardedieu". Mais si le Conseil d'Etat considère que la méconnaissance des engagements internationaux de la France est ici caractérisée, il considère, en revanche, qu'il n'existe pas de lien de causalité directe entre la violation de la CESDH par la loi et le préjudice dont il est demandé réparation par la société "du fait du rejet par le juge judiciaire de sa demande de décharge des sommes qui lui ont été réclamées à la suite" de son redressement. Le Conseil d'Etat considère en effet que la Cour de cassation "ne s'était pas prononcée sur les conséquences à tirer de l'agrément d'un agent de contrôle par une autorité qui, bien qu'agissant en vertu d'une délégation de signature irrégulière, aurait pu être régulièrement habilitée à cette fin et présentait toutes les apparences, pour l'URSSAF qui sollicitait l'agrément de ses agents, de l'autorité compétente". Par ailleurs, il ne pouvait être considéré, au vu de la jurisprudence de la Cour de cassation, que la société requérante "aurait, par l'effet de l'article 73 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2004, été privée d'une chance sérieuse d'obtenir l'annulation par les juridictions judiciaires du redressement décidé à son encontre". En somme, ce n'est pas la déclaration d'inconventionnalité de la loi du 18 décembre qui est à l'origine du préjudice subi par la société requérante. En conséquence, la demande d'indemnisation formée par la société X est rejetée.

  • Limitation de la responsabilité d'une commune en cas de délivrance d'un certificat d'urbanisme erroné et d'imprudence commise par l'acquéreur (CE 4° et 5° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 375538, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3715NTR ; cf. l’Ouvrage "Responsabilité administrative" N° Lexbase : E3727EUL)

Dans son arrêt n° 375538 du 14 octobre 2015, le Conseil d'Etat précise les conditions d'engagement de la responsabilité d'une commune en cas de délivrance d'un certificat d'urbanisme erroné. La société requérante avait obtenu du maire de la commune un certificat d'urbanisme positif. Elle a ensuite acquis le terrain concerné par un acte notarié mais elle s'est vu refuser le permis de construire en raison de risques d'inondation. La SCI a alors recherché la responsabilité de la commune mais sa demande a été rejetée par la cour administrative d'appel de Bordeaux par un arrêt du 14 novembre 2013 (9). La cour a en effet considéré que la société avait commis une imprudence fautive de nature à exonérer la commune de sa responsabilité, en n'introduisant pas dans l'acte de vente du terrain une condition suspensive relative à l'obtention du permis de construire.

Rappelons d'abord que la principale fonction du certificat d'urbanisme consiste à informer le demandeur sur la situation d'un terrain au regard des règles d'urbanisme applicables au jour de la signature du certificat. Surtout, comme le précise l'article L. 410-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3418HZM), "lorsqu'une demande d'autorisation ou une déclaration préalable est déposée dans le délai de dix-huit mois à compter de la délivrance d'un certificat d'urbanisme, les dispositions d'urbanisme, le régime des taxes et participations d'urbanisme ainsi que les limitations administratives au droit de propriété tels qu'ils existaient à la date du certificat ne peuvent être remis en cause à l'exception des dispositions qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique".

Toutefois, le certificat d'urbanisme ne confère par lui-même aucune autorisation particulière. Comme l'a notamment précisé le Conseil d'Etat dans un arrêt "Ministre de l'Environnement et du Cadre de vie c/ SCI Provence" du 28 janvier 1981, "le certificat [...] n'a pas le caractère d'une autorisation concernant une construction, installation ou opération" (10). Comme l'a relevé le commissaire du Gouvernement Didier Chauvaux dans ses conclusions sur l'arrêt "SA France travaux" du 11 février 2004, "le certificat positif ne confère pas au constructeur la certitude que les dispositions mentionnées sont celles au regard desquelles son projet sera examiné lorsqu'il demandera un permis de construire" (11). Ainsi, par exemple, l'obtention d'un certificat d'urbanisme concernant une parcelle boisée ne saurait avoir pour effet de supprimer l'obligation d'obtenir une autorisation préalable de défrichement conformément aux dispositions législatives en vigueur (12). De même, pour citer un cas d'espèce similaire à celui commenté, il a été jugé qu'un certificat positif mais erroné, parce que le terrain concerné était situé en zone inondable, ne confère pas de droit à un permis de construire (13).

A l'évidence, la délivrance d'un certificat d'urbanisme erroné constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration. Il en va ainsi lorsque consécutivement à l'obtention d'un certificat positif, le permis de construire est refusé. Toutefois, la responsabilité de l'administration ne sera engagée que si le préjudice dont il est demandé réparation a son origine directe dans les mentions du certificat d'urbanisme incriminé. Cette solution a été retenue, par exemple, dans une affaire où le certificat avait reconnu le caractère constructible d'un terrain, alors qu'il constituait un espace remarquable au sens des articles L. 146-6 (N° Lexbase : L3326KGB) et R. 146-1 (N° Lexbase : L8640IUK) du Code de l'urbanisme et qu'il était donc inconstructible (14). Cependant, la responsabilité de l'administration peut être exclue ou limitée dans les hypothèses où il apparaît qu'une faute à également été commise par le pétitionnaire. Tel est le cas, en particulier, s'il s'agit d'un professionnel de l'immobilier. Il en va ainsi d'une société dont l'objet statutaire porte sur "toutes opérations immobilières" à propos d'un certificat d'urbanisme positif concernant un terrain classé en zone naturelle (15). Pour les juges, l'acquéreur de ce terrain avait commis une imprudence constitutive d'une faute qui, dans les circonstances de l'espèce, exonère à hauteur de 40 % la responsabilité de la commune. Une solution comparable a été retenue dans une affaire où les juges ont estimé que l'insuffisance de la desserte d'une parcelle était manifeste ce qui aurait dû attirer l'attention des requérants, professionnels de l'immobilier, qui ne pouvaient en ignorer les particularités alors même que la commune leur avait délivré un certificat d'urbanisme positif. Dans cette affaire, les imprudences commises sont constitutives de fautes qui exonèrent pour moitié la commune de sa responsabilité (16).

La situation soumise au Conseil d'Etat est légèrement différente, puisque ce qui est reproché au pétitionnaire, c'est un manque de prudence caractérisé par l'absence d'insertion, dans le contrat de vente de la parcelle, d'une condition suspensive relative à l'obtention d'un permis de construire. Les juges du fond avaient considéré que cette imprudence était constitutive d'une faute de nature à exonérer totalement la commune de sa responsabilité. Le Conseil d'Etat ne partage toutefois pas cette analyse puisqu'il considère, dans la lignée de sa jurisprudence antérieure, que cette faute a pour seul effet de limiter la responsabilité de la commune.


(1) CAA Nantes, 2ème ch., 3 février 2012, n° 11NT00628 (N° Lexbase : A5755IHM).
(2) CE, 21 mars 1947, n° 80338 (N° Lexbase : A4304B8W), Rec. p. 123.
(3) CE, 20 juillet 1938, Grivault, Rec. p. 703.
(4) CE, 23 février 1968, n° 68976 (N° Lexbase : A5755B8N), Rec. p. 138.
(5) CE, Ass., 8 février 2007, n° 279522 (N° Lexbase : A2006DUT), Rec. p. 78, AJDA 2007, chron. F. Lénica et J. Boucher, Dr. adm., 2007, étude 7, M. Gautier et F. Melleray, JCP éd. A, 2007, 2083, note C. Broyelle, RFDA, 2007, p. 631, concl. F. Derepas, p. 525, note D. Pouyaud et p.789, note M. Canedo-Paris.
(6) CE 1° et 6° s-s-r., 23 juillet 2014, n° 354365, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7254MU9), AJDA, 2014, p. 2538, note C. Broyelle, Dr. adm., 2015, 9, note G. Eveillard, LPA, 2 octobre 2014, p. 6, note M.-Ch. Rouault, RFDA, 2014, p. 1178, concl. A. Lallet, note A. Blandin.
(7) JO, 19 décembre 2003.
(8) CEDH, 25 novembre 2010, Req. 20429/07 (N° Lexbase : A3325GLQ), AJDA, 2011, p. 889, chron. L. Burgorgue-Larsen.
(9) CAA Bordeaux, 1ère ch., 14 novembre 2013, n° 12BX01322 (N° Lexbase : A9203NX7).
(10) CE, 28 janvier 1981, n° 17245 (N° Lexbase : A5582AKX), Rec. tables, p. 967.
(11) CE, 11 février 2004, n° 212855 (N° Lexbase : A3363DB8), BJDU, 2004, n° 1, p. 35, concl. D. Chauvaux, Constr.-urb., 2004, 85, note Ph. Benoît-Cattin.
(12) CE, 19 novembre 1999, n° 190076 (N° Lexbase : A4066AWI).
(13) CAA Nantes, 2ème ch., 22 avril 2003, n° 01NT01245 (N° Lexbase : A2664NYC), BJDU, 2004, n° 1, p. 74.
(14) CAA Marseille, 1ère ch., 1er avril 2004, n° 98MA00204 (N° Lexbase : A4267DG7).
(15) CAA Nancy, 1ère ch., 6 mars 2008, n° 07NC00216 (N° Lexbase : A4264D73).
(16) CAA Paris, 4ème ch., 5 mars 1996, n° 93PA00118 (N° Lexbase : A8109BHS).

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Sociétés

[Chronique] Chronique de droit des sociétés - Décembre 2015

Lecture: 23 min

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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre de l'Institut du droit des affaires et du Centre de droit économique (EA 4224)

Le 03 Décembre 2015

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de droit des sociétés de Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre de l'Institut du droit des affaires et du Centre de droit économique (EA 4224) (1). L'auteur a sélectionné plusieurs arrêts. D'abord, des arrêts relatifs aux sociétés à risque illimité : un sur une l'obligation aux dettes sociales des associés de SCI (Cass. com., 13 octobre 2015, n° 11-20.746, F-P+B), un autre sur l'associé de SNC qui ne saurait être salarié (Cass. soc., 14 octobre 2015, n° 14-10.960, FS-P+B), un autre, enfin, sur un groupement foncier agricole mettant en exergue la force des statuts (Cass. com., 29 septembre 2015, n° 14-12.561, F-D). Vient ensuite une décision sur l'article 1843-4 du Code civil et l'erreur grossière (Cass. com., 29 septembre 2015, n° 14-15.767, F-D), puis la question sensible de la transmission du bénéficie de la garantie de passif à un sous-cessionnaire (Cass. com., 20 octobre 2015, n° 14-17.896, F-D), celle de la rupture brutale de relations commerciales établies avec des sociétés d'un même groupe (Cass. com., 6 octobre 2015, n° 14-19.499, FS-P+B), et, enfin, la contestation d'une exclusion d'une SPFPL d'une SELAS d'avocats avec la problématique de la compétence juridictionnelle (CA Amiens, 5 novembre 2015, n° 15/03236).

L'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 octobre 2015, publié au bulletin (2), est intéressant à plus d'un titre. Il concerne l'obligation aux dettes sociales à laquelle sont soumis les associés de SCI qui est une société à risque illimité. Ainsi, conformément à l'article 1857, alinéa 1er du Code civil (N° Lexbase : L2054ABP), "à l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements".

L'affaire opposait une SCI à une banque auprès de laquelle elle avait contracté un prêt de presque 95 000 euros en vue de réaliser des opérations immobilières. La SCI ayant cessé, à partir de novembre 1991, de s'acquitter régulièrement des échéances de ce prêt, la banque lui a notifié la déchéance du terme le 27 juin 1997, puis lui a fait délivrer un commandement aux fins de saisie immobilière, procédure qui a été radiée le 17 mars 1999. La SCI ayant été mise en liquidation judiciaire le 9 février 2006, la banque a déclaré sa créance puis a assigné l'un des associés en paiement. Condamné par la cour d'appel, l'associé a formé un pourvoi en cassation. Il faisait d'abord valoir que l'action du prêteur était prescrite au regard de l'article L. 110-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L5548AIC) qui posait une prescription décennale dans les actes mixtes (pour mémoire, ce délai a été porté à cinq ans par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I ; C. com., art. L. 110-4 N° Lexbase : L4314IX3), c'est-à-dire dans les actes conclus entre un commerçant -la banque- et un non-commerçant, la SCI ici. Il est vrai qu'en l'espèce il s'agissait bel et bien d'un acte mixte, soumis donc en principe à ladite prescription.

La Cour de cassation rejette, toutefois, cette argumentation au motif que l'admission irrévocable d'une créance au passif de la liquidation judiciaire d'une société civile rend cette créance définitivement consacrée dans son existence et son montant à l'égard des associés, sans que ceux-ci, tenus à l'égard des tiers indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social, puissent se prévaloir de la prescription éventuelle de la créance. Autrement dit, si prescription il y a, elle ne peut être invoquée par les associés en raison de leur obligation aux dettes sociales. Seule la société pourrait l'invoquer. On avoue ne pas être franchement convaincu par cette position. L'obligation aux dettes sociales des associés ne devrait pas pouvoir empêcher les associés assignés en paiement de soulever des moyens de défense, des exceptions que la société pourrait elle-même avancer, excepté le cas où de telles exceptions seraient trop personnelles à la société. Or la prescription est une exception inhérente à la dette que l'associé doit pouvoir invoquer nous semble-t-il. Certainement que le fait que la créance ait été définitivement admise au passif de la procédure n'a pas plaidé en ce sens. L'admission définitive d'une créance au passif de la procédure collective de l'emprunteur est en effet interruptive de prescription (3).

Surtout, si l'associé de SCI a une obligation personnelle aux dettes sociales, étant donné qu'il n'est pas le cocontractant de la banque, il ne peut pas être considéré comme subissant un préjudice personnel. Dès lors, et c'est la seconde portée de cet arrêt, ledit associé ne pouvait pas non plus soutenir que la banque engageait sa responsabilité dès lors que sa condamnation résultait d'une faute du prêteur à savoir le versement de fonds nonobstant la non-réalisation des garanties prévues au contrat. Au contraire, juge la Cour de cassation, le préjudice subi par l'associé de société civile assigné en paiement d'une dette de prêt de la société qui résulte, non d'une faute délictuelle du prêteur, mais directement de la défaillance de la SCI dans le remboursement du prêt et de son obligation corrélative de supporter les pertes sociales en sa qualité d'associée, ne présente pas le caractère personnel de nature à justifier de sa part une action en responsabilité contre le prêteur. L'obligation aux dettes sociales des associés de SCI est donc très forte, si forte qu'elle empêche l'associé assigné en paiement d'opposer au créancier la prescription que la SCI aurait pu opposer ou d'agir en responsabilité contre le créancier. On peut enfin se poser la question de savoir si la troisième chambre civile de la Cour de cassation aurait eu la même position que la Chambre commerciale. On pense que oui dans la mesure où l'obligation aux dettes sociales des associés de société civile est une règle d'ordre public que rien ou presque ne peut perturber, sous réserve du moins de respecter le préalable des vaines et préalables poursuites (4) ou, comme ici en cas de liquidation judiciaire, la déclaration de créance qui dispense le créancier d'établir que le patrimoine social est insuffisant pour le désintéresser (5), déclaration que la banque avait faite.

Dernière observation : c'est la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui était compétente en l'occurrence compte tenu du caractère commercial des opérations immobilières. Ce qui revient à poser l'éternelle question des SCI ayant un objet commercial, que notre droit admet, mais pour combien de temps encore...

L'arrêt, commenté par le professeur Deen Gibirila dans ces colonnes (6), est simplement mentionné dans cette chronique pour mémoire, compte tenu de son importance. C'est à notre connaissance la première fois que la Cour de cassation pose aussi nettement le principe : parce qu'il est commerçant, conformément à l'article L. 221-1, alinéa 1er du Code commerce (N° Lexbase : L5797AIK), l'associé de SNC ne peut pas être salarié, contrairement par exemple au gérant non-associé de SNC. Tous ceux qui constituent des SNC doivent avoir cette solution évidente à l'esprit car tôt ou tard se posera la question des rémunérations et des différents régimes (vieillesse, maladie, etc.) des associés, bref du statut juridique, fiscal et social des intéressés. La question peut se poser, par exemple, pour un couple qui décide de reprendre un tabac : si la forme sociétaire est choisie, ce ne pourra être qu'une SNC et, celle-ci ne pouvant être unipersonnelle, les époux seront nécessairement associés. Or, il peut être opportun que l'un des deux époux dispose d'un statut de salarié, plus confortable à bien des égards que celui de commerçant indépendant. Mais, pour ce faire, il faut penser en amont à ne pas constituer de SNC. Sinon, si la société a été constituée, soit il faudra la dissoudre, soit il faudra y faire entrer un nouvel associé pour respecter l'exigence de deux associés minimum, pour pouvoir en faire sortir l'un des deux époux. Dans un cas comme dans l'autre, on regrettera de ne pas avoir anticipé la problématique. Ou alors, il faudra se contenter du statut d'indépendant pour les deux associés.

  • Les héritiers de l'associé décédé d'un GFA ont droit à la valeur des droits sociaux, ou la distinction du titre et de la finance, nonobstant la présence d'une clause d'exhérédation (Cass. com., 29 septembre 2015, n° 14-12.561, F-D N° Lexbase : A5485NSX ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E3977ETH)

L'arrêt n'est pas publié au Bulletin, ce qui se comprend puisqu'il rappelle une solution établie. Il n'en reste pas moins intéressant en ce qu'il revient sur la distinction du titre et de la finance dans le cadre d'un groupement foncier agricole, dont le régime est proche des SCI et SCEA, du moins concernant la question de l'héritage des parts en valeur.

En l'occurrence, une dame décède après avoir institué pas moins de vingt-quatre membres de sa famille légataires universels de ses biens tout en prévoyant un codicille testamentaire excluant celui de ses héritiers qui contesterait, après concertation, le partage présenté par le notaire ainsi que toute estimation chiffrée des biens légués que celui-ci aurait fait réaliser par un expert. Sa succession comportait des parts d'une GFA. Les associés survivants du GFA, un des héritiers de la défunte et son épouse refusent d'agréer les autres héritiers de ladite défunte en qualité d'associés. Se prévalant des statuts du GFA, les héritiers non agréés assignent en paiement de leur quote-part du GFA l'héritier qui refuse l'agrément, lequel héritier demande reconventionnellement à que les héritiers non agréés soient exclus de l'héritage. La cour d'appel d'Amiens statue en faveur du paiement de leur quote-part aux héritiers non agréés.

L'associé récalcitrant forme un pourvoi en cassation e soutenant, principalement, qu'en cas de décès de l'associé d'un GFA, les héritiers non agréés par les associés survivants n'ont pas la qualité d'associés et n'ont donc pas qualité pour demander l'exécution des statuts de ce groupement.

Cet argument est rejeté : "mais attendu qu'en cas de décès de l'associé d'un GFA, ses héritiers ou légataires, s'ils ne deviennent pas associés, ont droit à la valeur des parts sociales de leur auteur, qui doit être payée par les nouveaux titulaires des parts ou la société elle-même ; qu'ayant constaté qu'en application des clauses statutaires du GFA, en cas de décès de l'un des associés, la société continuait avec les associés survivants et les ayants droit de l'associé décédé, sous réserve de leur agrément, et ayant relevé que celui-ci avait été refusé aux consorts [concernés], la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant tiré de l'attribution de la qualité d'associé aux légataires universels de l'associée décédée, a pu retenir que leur action était recevable dès lors qu'ils avaient intérêt à agir ; que le moyen n'est pas fondé".

En effet, en vertu de l'article 1870, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L2067AB8), disposition spécifique aux sociétés civiles (SCI, SCEA, etc.), applicable également aux GFA, "la société n'est pas dissoute par le décès d'un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu'ils doivent être agréés par les associés". Or, précisément, les statuts du GFA stipulaient pareille clause de continuation avec les survivants (7). Ainsi disaient-ils : "en cas de décès d'un associé, la société continue entre les associés survivants et les héritiers, ayants droit de l'associé décédé, et éventuellement son conjoint survivant commun en biens à condition que lesdits héritiers, ayants droit et conjoint soient agréés comme associés par la majorité des associés survivants représentant la moitié au moins du capital social [...]. Si l'agrément est refusé les associés jouissent d'un droit de rachat des parts dans les conditions fixées sous le paragraphe 3 ci-après mais ce rachat doit porter sur la totalité des parts dont l'associé décédé était propriétaire".

Par conséquent, dans la mesure où les héritiers n'avaient pas été agréés par les associés survivants et puisqu'ils ne pouvaient pas être associés, ils avaient droit au remboursement des droits sociaux acquis en valeur du fait du décès de la dame. Au regard des statuts du GFA, celui-ci n'était pas dissout, il continuait avec les associés survivants qui devaient acheter les droits sociaux des héritiers non agréés. Une telle solution s'inscrit parfaitement dans la ligne jurisprudentielle admettant l'indemnisation des héritiers non agréés en tant qu'associés, conformément à la distinction classique du titre et de la finance (8), et a été rappelée dans un arrêt du même jour rendu à propos d'une société civile d'exploitation agricole (9). Le refus d'agrément empêche les héritiers de devenir associés, ce qui par exemple les prive du droit de vote (10), mais pas de celui de participer aux assemblées (11). En revanche, le refus d'agrément a pour effet de les doter de la possibilité de pouvoir réclamer le remboursement des parts sociales héritées en valeur. Il résulte, en effet, des 1870 et 1870-1 (N° Lexbase : L2068AB9) du Code civil qu'en cas de refus d'agrément opposé par les autres associés, les héritiers d'un associé décédé ont droit à la valeur des parts de leur auteur, laquelle doit leur être payée par les nouveaux titulaires des parts ou par la société elle-même si celle-ci les a rachetées en vue de leur annulation.

Toutefois, et c'est sans nul doute sur ce point que l'arrêt est le plus intéressant, le de cujus avait, avant son décès, tenter de modifier les statuts du GFA et ce, en prévoyant une clause d'exhérédation. Ainsi, la testatrice avait exprimé, dans son codicille du 30 mai 1998, que "si hélas, l'un ou l'autre de ses héritiers venait à contester, après concertation, le partage présenté par le notaire (à ce jour Maître [G.]) et refuser telle ou telle estimation chiffrée par les experts désignés par le notaire, il serait exclu de l'héritage". Fort de cette clause, l'associé opposant pensait pouvoir déshériter les héritiers non agréés en tant qu'associés. Il est certes vrai qu'aux termes de l'article 900 du Code civil (N° Lexbase : L0040HP8), une clause pénale privant de ses droits dans une succession un héritier qui conteste les dispositions testamentaires est réputée non-écrite lorsqu'elle tend à assurer l'exécution de celles portant atteinte à l'ordre public. Cependant, cet héritier encourt les effets de la clause si sa contestation est jugée infondée (12). La question était ici de savoir si une telle clause pouvait s'opposer aux statuts du GFA. La Cour de cassation estime que non : "mais attendu qu'après avoir retenu que le de cujus n'avait pu, par sa seule volonté, modifier les statuts du GFA, dont il résultait que les héritiers n'ayant pas été agréés avaient droit au paiement de la valeur de leurs parts sociales, la cour d'appel, [...], a retenu à bon droit que [l'associé opposant] n'était pas fondé à se prévaloir du codicille pour priver les héritiers de leurs droits dans la succession". Admettre l'opposabilité de la clause aux héritiers non agréés reviendrait à admettre la modification des statuts du GFA par la seule volonté de la testatrice. Le caractère collectif qui ressort de l'adoption des statuts du GFA est donc plus fort que les desiderata du de cujus. L'antinomie existant entre les statuts du GFA, d'un côté, et la clause d'exhérédation, d'un autre, privait cette clause d'efficacité. Néanmoins, on peut se demander s'il ne serait pas possible de faire produire plein à cette clause -à condition de ne pas porter atteinte à l'ordre public- dans le cas où la volonté du de cujus rejoindrait celle de la collectivité des associés. En ce cas, plus rien ne semble faire obstacle à l'applicabilité de la clause. Encore faudrait-il que les deux stipulations se rejoignent, ce qui obligerait à priver les héritiers non agréés en tant qu'associés de leurs droits sociaux en valeur. Or, il ne nous paraît pas possible de priver contractuellement les héritiers d'un associé décédé de la valeur des parts de leur auteur en raison de la rédaction des articles 1870 et 1870-1 du Code civil. Au delà, l'exclusion des héritiers ou de certains d'entre eux pose le problème de l'évaluation des droits sociaux, notamment de la date à laquelle il faut se placer (13), évaluation qui sera déterminée conformément à l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L8956I34) (14).

  • Application de l'article 1843-4 du Code civil et absence d'erreur grossière (Cass. com., 29 septembre 2015, n° 14-15.767, F-D N° Lexbase : A5623NS3 ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E9598ASB)

L'ordonnance du 31 juillet 2014 (ordonnance n° 2014-863 N° Lexbase : L1321I4P) a profondément modifié la rédaction de l'article 1843-4 du Code civil, à commencer par l'obligation désormais pour l'expert nommé de respecter la méthode stipulée par les parties dans les statuts ou dans un pacte (15). Ce texte permet aux parties de demander la désignation d'un expert en cas de désaccord (16) sur le prix d'une cession de droits sociaux. Le rapport de l'expert est difficilement contestable, sauf erreur grossière du sachant.

C'est précisément ce que des cessionnaires plaidaient. En l'espèce, en vertu d'un pacte d'actionnaire prévoyant une possibilité de rachat des titres par détermination de leur valeur à dire d'expert, au jour de la levée de l'option, des cessionnaires avaient souhaité acquérir des titres d'une société. La cession ayant été déclarée parfaite par un jugement du 23 novembre 2007, une expertise a été ordonnée en application de l'article 1843-4 du Code civil. Critiquant le rapport pour les conditions dans lesquelles il avait pris en compte les obligations convertibles en actions et les provisions pour risques et charges, les cessionnaires en avaient demandé l'annulation. Pour l'essentiel, ils estimaient que la date d'évaluation choisie par l'expert, qui était la date de levée d'option, n'était pas bonne et qu'en conséquence l'expert avait commis une erreur grossière.

Mais la Cour de cassation, conformément à sa jurisprudence qui ne reconnaît pas facilement cette erreur grossière, rejette leur demande, au terme d'une motivation détaillée : "mais attendu que l'expert désigné en application de l'article 1843-4 du Code civil a toute latitude pour déterminer la valeur des actions selon les critères qu'il juge opportuns ; qu'après avoir relevé que l'expert s'était expliqué sur les modalités de son évaluation, précisant la méthode qu'il avait choisie en indiquant les motifs pour lesquels il excluait certaines d'entre elles, et qu'il avait longuement répondu aux dires des parties, explicitant les raisons pour lesquelles il n'admettait pas de considérer les obligations convertibles au même titre que les actions et avait écarté les provisions pour risques, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'expert a exactement appliqué l'article 1843-4 du Code civil en faisant cette évaluation, conformément aux termes du pacte d'actionnaire, à la date de la cession, soit celle de la levée de l'option ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu son office et n'avait pas à procéder aux recherches invoquées aux deuxième et quatrième branches, que ses constatations rendaient inopérantes, a pu retenir que l'expert-comptable n'avait commis aucune erreur grossière d'estimation ; que le moyen n'est pas fondé [...]".

Plusieurs observations. D'abord, la date retenue par l'expert a été celle de la date de la cession, ici de la levée d'option. Visiblement, elle n'était pas favorable aux cessionnaires. Elle est pourtant celle qui prévaut en la matière, la jurisprudence considérant que la valeur des parts sociales doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits (17).
Ensuite, les faits sont antérieurs à l'ordonnance du 31 juillet 2014 ayant modifié l'article 1843-4 du Code civil. Pour autant, si l'affaire était jugée sous l'empire de la nouvelle mouture de ce texte, la solution serait la même quant à la date d'évaluation du prix de cession. A ce propos, même si les faits sont antérieurs à la réforme, n'aurait-il pas fallu appliquer la nouvelle rédaction ? (18). Certes, la cession était antérieure à ladite réforme. Il n'empêche que les effets légaux d'un contrat sont régis par la loi en vigueur à la date où ils se produisent. Toutefois, la date retenue par l'expert étant celle du 6 novembre 2006, c'était bel et bien l'ancienne rédaction qui s'appliquait, ce qui explique également que la Cour de cassation juge que "l'expert désigné en application de l'article 1843-4 du Code civil a toute latitude pour déterminer la valeur des actions selon les critères qu'il juge opportuns". Par ailleurs, la cession avait été déclarée parfaite par un jugement du 23 novembre 2007. De deux choses l'une. Soit elle est parfaite et alors les parties doivent s'exécuter : le cédant doit vendre et les cessionnaires doivent payer le prix. Soit elle n'est pas parfaite, en raison d'un désaccord ou d'une contestation, et alors en effet les parties peuvent demander à un expert qu'il détermine le prix, élément essentiel du contrat de vente. Enfin, dans l'évaluation du prix, l'expert n'avait pas entendu prendre en compte les obligations convertibles, "il n'admettait pas de considérer les obligations convertibles au même titre que les actions et avait écarté les provisions pour risques". Cependant, comme le pourvoi l'indiquait, "les obligations convertibles en actions donnent accès au capital ; qu'il en résulte que leur évaluation ne peut se faire à la valeur comptable d'émission, mais en relation avec la valeur économique des actions". Les OCA peuvent en effet être des titres donnant accès au capital, à condition néanmoins qu'elles soient converties. Tant qu'elles ne le sont pas, elles restent des titres de créance (19), qui ne donnent pas accès au capital. Si bien que l'on peut comprendre la position de l'expert de ne pas prendre en compte des valeurs qui ne sont que potentielles et soumises certainement au respect de plusieurs conditions.

  • Circulation de la garantie de passif stipulée intuitu personae (Cass. com., 20 octobre 2015, n° 14-17.896, F-D (N° Lexbase : A0168NUR ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E0637EU7)

L'arrêt n'est pas publié au Bulletin. Il est de rejet. Pour autant, il doit être mentionné. Il concerne, en effet, une importante question de droit des sociétés, celle de la circulation des garanties de passif dans les cessions de titres (20). Les garanties de passif, sous toutes leurs formes, peuvent circuler, c'est-à-dire être transmises tant activement que passivement. Activement, le créancier initial -le cessionnaire- peut en effet "offrir" sa créance de garantie, par exemple, en cas de revente des titres acquis ou encore s'il est absorbé dans le cadre d'une fusion-acquisition. Passivement, le débiteur initial -le cédant- peut être cédé et, avec cette cession, transférer la charge de la garantie sur le sous-acquéreur. Toutefois, dans toutes ces hypothèses de circulation, encore faut-il prévoir ou avoir prévu dans le contrat -de cession, de fusion, etc.- et/ou dans la garantie elle-même la possibilité d'une telle circulation. Dans le cas contraire, un contentieux se nouera à coup sûr sur la transmission de la garantie de passif, comme dans cette affaire dont voici les faits et la solution.

A l'occasion d'une cession de participation dans une société d'expertise comptable, il avait été stipulé que "le cédant s'engageait à maintenir la valeur des parts cédées et, en conséquence, à dédommager le cessionnaire, au prorata de leur nombre, de tout amoindrissement de la valeur de l'actif ou de tout accroissement du passif de la société survenant postérieurement mais ayant une origine antérieure à la cession". Rien n'était dit ou écrit, dans le contrat de cession ou ailleurs, sur l'éventuel transfert de cette garantie en cas de revente des parts. Le cessionnaire avait revendu les parts acquises et ce, au moyen d'une simple cession de créance de l'article 1690 du Code civil (N° Lexbase : L1800ABB (21). Dans un arrêt du 9 octobre 2012, abondamment commenté, la Cour de cassation avait validé le procédé, estimant que "l'absence de stipulation, dans l'acte de cession initial, d'une faculté de transmission de la garantie contractuelle ne faisait pas par elle-même obstacle à ce que le bénéficiaire de celle-ci cède la créance en résultant au sous-acquéreur de ses droits sociaux" (22). En d'autres termes, le sous-cessionnaire avait la possibilité d'assigner le cédant d'origine en exécution de la garantie qu'il avait consentie. Mais la Cour de cassation, dans la présent arrêt, qui intervient après le pourvoi contre l'arrêt de renvoi, refuse finalement la transmission, au motif que, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la commune intention des parties que la cour d'appel a, par une décision motivée, retenu que lors de la conclusion du premier contrat de cession de titres, entre le cédant initial et le premier cessionnaire, l'identité de ce dernier avait été la condition déterminante du consentement du cédant, ce dont il résultait que l'acte avait été conclu en considération de la personne du cessionnaire et que la clause de garantie de valeur avait été consentie au seul profit de celui-ci. Comme le pourvoi le soulignait, il est certes vrai que la cession de parts sociales portait en elle-même la faculté de transmettre à un tiers, cessionnaire en second, les engagements pris par le cédant en premier. Toutefois, cette faculté était contrariée par la considération de la personne.

Le message de la Cour de cassation est clair : si une GAP peut se transmettre au sous-acquéreur, même sans l'accord du cédant initial, encore faut-il que la personne du premier cessionnaire n'ait pas été essentialisée au point d'en constituer une condition déterminante du contrat de cession et surtout de la garantie, au point d'être devenue, en somme, une cession intuitu personae. En ce cas, seul un accord du cédant initial pourra autoriser que la garantie soit transmise au sous-acquéreur, accord qui, par définition, ne devrait pas être obtenu puisque le cédant a pris la peine, initialement, de réserver sa garantie à son cessionnaire. Le contrat de cession, et plus encore celui de la GAP, doivent absolument envisager la question de la circulation de la garantie. En outre, si les parties souhaitent que la garantie circule, il faut que le bénéficiaire en soit la société cessionnaire. De la sorte, en cas de cession, par exemple, du capital de la société cessionnaire, même intégrale, le sous-acquéreur restera garanti par le cédant initial. Si la société cessionnaire est absorbée, en revanche, dans le cadre d'une fusion-acquisition, ce raisonnement ne tient pas.

Deux sociétés appartenant à un groupe industriel avaient rompu sans préavis, l'une en juin 2009 l'autre en octobre de la même année, leurs relations avec un fournisseur qui les approvisionnait depuis cinq ans. A la suite de l'action du cocontractant éconduit, la cour d'appel de Paris (23) avait estimé que celui-ci avait droit à un préavis de rupture d'un an compte tenu des circonstances suivantes : les sociétés avaient noué concomitamment des relations commerciales avec lui et les avaient rompues la même année pour des motifs similaires, et ces ruptures cumulées avaient nécessairement amplifié les conséquences qui en résultait pour le fournisseur. Surtout, les juges parisiens considéraient que la durée du préavis devait être appréciée en tenant compte du chiffre d'affaires global réalisé par le fournisseur avec ces sociétés qui avaient entretenu avec celui-ci une relation commerciale sur une même période, sur des produits identiques et des quantités similaires, chiffre d'affaires qui avait atteint environ 10 %, étant précisé au surplus que le fournisseur avait dû, sur une même période, pallier la perte de deux clients avec lesquels il avait un chiffre d'affaires conséquent.

Mais, la Cour de cassation casse cette décision, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code commerce (N° Lexbase : L1769KGM) : "qu'en se déterminant ainsi, alors qu'elle avait relevé que les sociétés [du groupe], bien qu'appartenant à un même groupe et ayant la même activité, étaient deux sociétés autonomes qui avaient entretenu avec la société [fournisseur] des relations commerciales distinctes, la cour d'appel, qui n'a pas constaté qu'elles avaient agi de concert, n'a pas donné de base légale à sa décision". La Cour de cassation a déjà jugé que la durée du préavis nécessaire pour rompre l'une de ces relations s'appréciait par référence à la seule durée de celle-ci, sans tenir compte de la durée des autres relations (24). Ici cependant, la durée des relations entretenues avec les deux sociétés était identique, le fournisseur invoquant surtout une prise en compte globale du volume d'activité perdu. Or, la Cour de cassation rappelle que les relations commerciales établies par une entreprise avec plusieurs sociétés d'un même groupe doivent être appréciées individuellement et non globalement. Mais c'est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation réserve l'hypothèse où ces sociétés ont agi de concert. Apparemment, selon la décision commentée, la preuve d'un tel concert ne peut pas résulter de seules similitudes dans les relations nouées et dans les circonstances de leur rupture. Mais le concert est possible. Voilà qui ouvre assurément une brèche à l'encontre du groupe de sociétés dont certaines sociétés auraient rompu abusivement des relations commerciales établies et pourraient en conséquence être sanctionnées pour cette brutalité. La solution s'inscrit, nous semble-t-il, dans un mouvement plus général de reconnaissance d'un vrai droit des groupes, du moins du groupe de sociétés qui disposent de ses propres solutions jurisprudentielles. Le groupe est reconnu, par exemple, en droit du travail. Il l'est également en droit des procédures collectives, par exemple avec la jurisprudence relative au co-emploi. Il n'y a pas de raison que sur le terrain de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce il n'ait pas non plus sa spécificité. Même si le groupe n'a pas la personnalité morale, et même si les sociétés du groupe sont juridiquement indépendantes les unes des autres, leurs liens économiques et financiers en font des entités qui doivent être appréhendées globalement. En outre, le fait que le législateur reconnaisse, depuis peu, la responsabilité de la mère du fait de sa ou ses fille(s), plaide encore en ce sens. Le groupe de sociétés, qui pourrait encore être reconnu dans l'hypothèse d'un soutien abusif de crédit d'un banquier envers un ou plusieurs société(s), voire dans le cadre du nouveau crédit inter-entreprises créé par la loi "Macron" du 6 août 2015 (loi n° 2015-990 N° Lexbase : L4876KEC), semble prêt à faire émerger un droit qui lui est propre.

  • Litige opposant un avocat à une société de participation financière de profession libérale : compétence du TGI (CA Amiens, 5 novembre 2015, n° 15/03236 N° Lexbase : A8935NUH ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E2580EQM)

Voilà une SELAS d'avocats, ayant pour associés des avocats personnes physiques et une SPFPL. A la suite de l'exclusion de la SPFPL de la SELAS, la société holding initie un contentieux, estimant que la décision d'exclusion était irrégulière au regard des statuts de la SELAS. Immédiatement la question est posée de la compétence juridictionnelle. Quel juge est compétent pour trancher cette question ? Le tribunal de commerce ne l'est pas car étant donné qu'il s'agit d'une SEL, c'est le TGI qui l'est, conformément à l'article L. 721-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L7626HNR), aux termes duquel les tribunaux civils sont seuls compétents pour les sociétés constituées conformément à la loi du 31 décembre 1990 (loi n° 20-1258 N° Lexbase : L3046AIN) (25). La difficulté vient toutefois, d'une part, de ce qu'il s'agit d'une société d'avocats, d'où peut-être la compétence du Bâtonnier, juge ici du premier degré, d'autre part, et surtout, de ce qu'il s'agit également d'une société holding. Or, même si les SPFPL d'avocats doivent être obligatoirement inscrites auprès d'un barreau, elles ne sont pas des structures d'exercice. En conséquence de quoi, elles n'exercent pas la profession d'avocat. Dès lors, le Bâtonnier étant seulement compétent pour connaître des litiges relatifs à l'exercice professionnel (26), ce qui exclut tout litige étranger à cet exercice, la cour d'appel précise, à juste titre selon nous, que ce litige ne constitue pas un différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel au sens des articles 21 et 179-1 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) et du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), étant précisé également que le règlement intérieur national de la profession d'avocat prévoit le recours au bâtonnier en cas de litiges entre associés ou à raison de l'exercice au sein d'une structure et précise la procédure de l'arbitrage du bâtonnier (27). Un tel litige opposant des avocats personnes physiques à une société de participation financière de profession libérale relève donc de la compétence du tribunal de grande instance. C'est la première fois à notre connaissance qu'une telle solution est adoptée, d'où son importance, même s'il ne s'agit que d'un arrêt d'appel.


(1) bastien.brignon@univ-amu.fr ou bastien.brignon@free.fr.
(2) Obligations aux dettes sociales de l'associé de société civile : questions de prescription et de responsabilité du créancier prêteur de deniers, Lexbase Hebdo n° 441 du 22 oct. 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N9589BUP) ; Dalloz actualité, 29 octobre 2015, obs. X. Delpech.
(3) Cass. com., 5 décembre 2006, n° 05-11.761, FS-P+B (N° Lexbase : A8301DSA), Bull. civ. IV, n° 238 ; D., 2007, p. 229 : "ayant constaté que la créance dont une personne s'est portée caution a été admise définitivement, en l'absence de tout recours, au passif de la liquidation judiciaire de la société, une cour d'appel retient exactement que l'admission au passif a entraîné la substitution de la prescription trentenaire à la prescription décennale et que cette interversion des prescriptions est opposable à la caution".
(4) Sur laquelle cf., par ex., CA Pau, 22 septembre 2015, n° 15/3524 (N° Lexbase : A4815NPZ), V. Téchené, Mise en oeuvre de l'obligation aux dettes sociales d'un associé de société civile : l'exigence de vaines et préalables poursuites, Lexbase Hebdo n° 439 du 8 octobre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N9316BUL).
(5) Cass. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, P+B+R+I (N° Lexbase : A3178DWM), J.-B. Lenhof, Vaines poursuites de la société civile en difficulté : la Cour de cassation met fin à la poursuite infernale (ou faut-il liquider la société avant de s'occuper du sort des associés ?), Lexbase Hebdo n° 265 du 21 juin 2007 - édition privée (N° Lexbase : N5644BBN).
(6) D. Gibirila,L'incompatibilité entre la qualité d'associé en nom collectif et celle de salarié, Lexbase Hebdo n° 444 du 19 novembre 2015 - édition affaires N° Lexbase : N9951BU4) ; v. égal., Dalloz actualité, 19 novembre 2015, obs. W. Fraisse ; S. Tourneaux, Un associé commerçant tenu aux dettes sociales ne peut être salarié de la société, Lexbase Hebdo n° 632 du 5 novembre 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N9728BUT).
(7) B. Saintourens, Rép. commercial, Société civile, Dalloz, mars 2012 (actualité : juin 2015), n° 177.
(8) Cass. com., 17 juin 2008, deux arrêts, n° 06-15.045, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2140D97) et n° 07-14.965, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2228D9E), D., 2008, p. 1818, obs. A. Lienhard ; D., 2009, p. 1772, chron. M. Laroche ; Rev. sociétés, 2008, p. 826, note J.-F. Barbièri ; RTDCom., 2008, p. 588, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Dr. et patr., mai 2009, p. 104, obs. D. Poracchia ; J.-B. Lenhof, Perte de la qualité d'associé et remboursement des droits sociaux dans les sociétés civiles, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 (N° Lexbase : N6457BGA).
(9) Cass. com., 29 septembre 2015, n° 14-16.142, F-D (N° Lexbase : A5555NSK).
(10) Cass. civ. 3, 8 juillet 2015, n° 13-27.248, FS-P+B (N° Lexbase : A7794NMM), Dr. sociétés, n° 11, novembre 2015, comm. 189, note R. Mortier ; Bull. Joly Sociétés, novembre 2015, p. 585, note J.-P. Garçon ; Option finance, 19 octobre 2015, n° 1337, p. 24, note M. Trécan ; Gaz. Pal., 27 septembre 2015, n° 270 à 272, p. 13, note B. Dondero ; Ann. loyers, septembre 2015, pp. 73-74, obs. B. Brignon ; Ch. Lebel, L'agrément de l'héritier du gérant-associé décédé est parfois obligatoire, Lexbase Hebdo n° 435 du 10 septembre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N8908BUH).
(11) Par exemple, l'article R. 323-41 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L6081AEX), qui permet aux héritiers non encore agréés d'un associé de GAEC décédé de participer aux délibérations de l'assemblée générale du groupement, ne déroge pas, en ce qui concerne le droit sur les bénéfices, aux dispositions de droit commun de l'article 1870-1 du Code civil (N° Lexbase : L2068AB9) : Cass. com., 14 décembre 2004, F-P+B (N° Lexbase : A4600DE4), Bull. civ. IV, n° 230, Defrénois, 2005, 902, obs. H. Hovasse.
(12) Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 04-16.461 FS-P+B (N° Lexbase : A2794DUZ), Bull. civ. I, n° 74 ; RTDCiv., 2008, p. 134, obs. M. Grimaldi.
(13) D. Gibirila, Droit des sociétés, 5ème éd., Ellipses, 2015, n° 367 ; B. Saintourens, Rép. commercial, Société civile, Dalloz, mars 2012 (actualité : juin 2015), n° 162.
(14) B. Saintourens, Rép. commercial, Société civile, Dalloz, mars 2012 (actualité : juin 2015), n° 178.
(15) D. Gibirila, Droit des sociétés, préc., n° 368.
(16) De "contestation" dispose expressément le texte, ancien comme nouveau.
(17) D. Gibirila, Droit des sociétés, préc., n° 368, p. 251, note de bas de page 7 et les références citées.
(18) Sur l'application dans le temps de la nouvelle rédaction du texte V., N. Borga, L'application dans le temps du nouvel article 1843-4 du Code civil, D., 2014, p. 2359.
(19) C. mon. fin., art. L. 213-5 (N° Lexbase : L9898DYA) et s..
(20) D. Poracchia, Le rayonnement des garanties conférées dans les cessions de titres de sociétés, Gaz. Pal., 20 mai 2010, n° 140, p. 77.
(21) Sans l'accord donc du cédant initial.
(22) Cass. com., 9 octobre 2012, n° 11-21.528, F-P+B (N° Lexbase : A3455IUI), BRDA, 22/12 inf. 2 ; D., 2012, p. 3020, obs. X. Delpech, et note N. Borga ; JCP éd. E, 2012, 1654, note P. Mousseron ; Dr. sociétés, 2013, n° 2, note R. Mortier ; Rev. sociétés, 2013, p. 344, note B. Fages ; Dr. et patrimoine, mai 2013, p. 97, obs. D. Poracchia ; RTDF, janvier 2013, p. 100, note D. Poracchia ; Bull. Joly Sociétés, janvier 2013, p. 10, note A. Couret et B. Dondero ; RDC, 2013/2, p. 568, note J. Klein.
(23) CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 30 janvier 2014, n° 12/02755 (N° Lexbase : A3057MDL)
(24) Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-11.329, FS-D (N° Lexbase : A1076NGX), BRDA, 9/15 inf. 20 ; Cass. com., 23 octobre 2012, n° 11-22.383, F-D (N° Lexbase : A0620IWU), cités in BRDA, 20/2015, inf. 18.
(25) Cass. civ. 2, 6 mai 1997, n° 95-11.857 (N° Lexbase : A0340ACL) ; Dr. sociétés, 1997, comm. 132, note D. Vidal ; Bull. Joly Sociétés, 1997, § 355, p. 989, note J.-J. Daigre ; JCP éd. E, 1997, II, 983, note Th. Bonneau.
(26) Ce qui exclut tout litige étranger à cet exercice : cf. CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 13 décembre 2011, n° 11/08350 (N° Lexbase : A2801H8A).
(27) RIN, art. 14.5 (N° Lexbase : L4063IP8).

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Sociétés

[Brèves] Rapport de gestion : modification des informations relatives aux délais de paiement que les sociétés dont les comptes annuels sont certifiés par un commissaire aux comptes doivent fournir

Réf. : Décret n° 2015-1553 du 27 novembre 2015, pris pour l'application de l'article L. 441-6-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5085KRR)

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Le 03 Décembre 2015

Un décret, publié au Journal officiel du 29 novembre 2015 (décret n° 2015-1553 du 27 novembre 2015, pris pour l'application de l'article L. 441-6-1 du Code de commerce N° Lexbase : L5085KRR), vient modifier la partie réglementaire du Code de commerce afin de rendre plus transparentes et plus pertinentes les informations établies par les sociétés en matière de délais de paiement. Ainsi, les sociétés présentent dans leur rapport de gestion :
- pour les fournisseurs, le nombre et le montant total hors taxe des factures reçues non réglées à la date de clôture de l'exercice dont le terme est échu, ce montant étant ventilé par tranches de retard et rapporté en pourcentage au montant total des achats hors taxe de l'exercice ;
- pour les clients, le nombre et le montant total hors taxe des factures émises non réglées à la date de clôture de l'exercice dont le terme est échu ; ce montant est ventilé par tranches de retard et rapporté en pourcentage au chiffre d'affaires hors taxe de l'exercice.
Par dérogation, la société peut présenter, en lieu et place de ces informations le nombre et le montant hors taxe cumulé des factures reçues et émises ayant connu un retard de paiement au cours de l'exercice et la ventilation de ce montant par tranche de retard. Elle les rapporte aux nombre et montant total hors taxe des factures, respectivement reçues et émises dans l'année. Les retards sont déterminés à partir des délais de paiement contractuels, ou en l'absence de délais contractuels spécifiques, des délais légaux applicables. Si les sociétés excluent les factures relatives à des dettes et créances litigieuses ou non comptabilisées, elles l'indiquent en commentaire et mentionnent le nombre et le montant total des factures concernées. Les tableaux utilisés pour présenter les informations sont établis selon un modèle fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie. Enfin, les commissaires aux comptes doivent attester, dans leur rapport, de la sincérité des informations sur les délais de paiement et de leur concordance avec les comptes annuels et présentent leurs observations, le cas échéant. Ces dispositions s'appliqueront aux comptes afférents aux exercices ouverts à compter du 1er juillet 2016 .

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