Le Quotidien du 15 septembre 2025

Le Quotidien

Actualité

[Podcast] Place de Droit a 10 ans.

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N2876B3W

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Le 12 Septembre 2025

Depuis 2015, Place de Droit explore, analyse et partage l’actualité juridique autrement. Pour célébrer cette première décennie, nous avons réuni notre communauté autour d’un moment fort : regards croisés, échanges, souvenirs… et un toast au droit vivant.

► La présentation par Jacques Bouyssou, Avocat associé, secrétaire général de Paris Place de Droit, à retrouver sur Youtube.

 

 

 

 

newsid:492876

Actualité judiciaire

[A la une] Affaire Bygmalion : La Cour de cassation se penchera, le 8 octobre, sur le pourvoi formé par Nicolas Sarkozy

Lecture: 4 min

N2877B3X

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par Axel Valard

Le 12 Septembre 2025

On en oublierait presque qu’il y a eu deux élections présidentielles depuis. Mais la justice n’a pas encore totalement soldé le scrutin élyséen de 2012 qui a abouti à la victoire de François Hollande sur Nicolas Sarkozy. La Cour de cassation a annoncé, lundi 8 septembre, qu’elle examinerait, le 8 octobre, le pourvoi formé par Nicolas Sarkozy dans l’affaire Bygmalion. Dans le multiple lot des dossiers visant l’ancien chef de l’État, celui-ci s’est conclu par sa condamnation, en appel, en février 2024, à une peine d’un an de prison dont six mois ferme.

Un dossier qui n’est donc pas totalement clôturé et dont les conséquences pourraient encore être douloureuses pour l’ancien Président de la République qui n’a pas coupé les ponts avec le milieu, en témoigne le rendez-vous qu’il a offert dans ses bureaux au tout nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, jeudi 11 septembre.

Peu après sa condamnation pour « financement illégal de campagne électorale », Nicolas Sarkozy avait formé un pourvoi en cassation. La plus haute instance judiciaire française a donc annoncé qu’elle examinerait ce pourvoi le 8 octobre. Mais en formation restreinte. Composée de trois magistrats seulement, cette formation est réservée aux pourvois qui « posent une question juridique dont la réponse paraît s’imposer » et qui ne « sont manifestement pas de nature à entraîner une cassation », indique le site de la Cour. Autrement dit, il y a peu de chances que Nicolas Sarkozy obtienne gain de cause après avoir échoué en première instance puis, en appel, à faire valoir son innocence dans cette affaire.

En tant que candidat, il avait « bénéficié » du système de double facturation.

Dans ce dossier financier, les investigations ont mis à jour un système de double facturation par l’UMP lui permettant de dépasser le plafond des dépenses autorisées pour un candidat à l’élection présidentielle de 2012. Limitées normalement à 22,5 millions d’euros, les dépenses du président-candidat Sarkozy avaient atteint près de 43 millions d’euros. Pour que cela ne se voie pas, l’UMP avait facturé à la société Bygmalion l’organisation de conventions fictives pour le parti. Ici, une conférence sur la pêche. Là, un colloque sur l’Europe. Des événements bidon donc qui n’ont jamais eu lieu et qui étaient, sur le papier, simplement destinés à absorber le coût de vrais meetings de campagne du candidat de la droite.

Contrairement aux nombreux co-prévenus qui l’ont accompagné lors des procès, Nicolas Sarkozy n’a jamais été mis en cause pour avoir pensé, organisé ou mis en place ce système de double facturation. Mais il a été condamné pour en avoir bénéficié. En tant que candidat, c’est lui qui a signé le compte de campagne, résultat de la martingale politico-financière.

La menace d’un nouveau bracelet électronique pour lui.

Très actif lors des deux procès, et vitupérant à la barre parfois de façon théâtrale, Nicolas Sarkozy avait contesté « vigoureusement toute responsabilité pénale », dénonçant « des mensonges » et des « fables ». Mais cela ne l’avait pas empêché d’être condamné. D’une peine d’un an de prison ferme prononcée en première instance, la justice était simplement passée à un an de prison dont six mois avec sursis en appel.

Si elle venait à être confirmée par la Cour de cassation le 8 octobre prochain, cette peine pourrait conduire l’ancien chef de l’État à porter, à nouveau, un bracelet électronique, lui qui en a été équipé en début d’année, en sanction du dossier dit des « écoutes de Paul Bismuth ». Âgé désormais de 70 ans, Nicolas Sarkozy attend aussi d’être fixé, le 25 septembre, par le tribunal judiciaire de Paris dans le dossier du présumé financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007 et pour lequel le parquet national financier a requis une peine de sept ans de prison à son encontre. Non, l’ancien Président de la République n’en a définitivement pas fini avec la justice.

newsid:492877

Domaine public

[Focus] Les ports confrontés à l'élaboration invisible du droit et à la fiction juridique

Lecture: 16 min

N2878B3Y

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par Robert Rézenthel, docteur en droit

Le 12 Septembre 2025

Mots clés : ports • aménagement • construction • domaine public • façade maritime

Le titre de la présente étude peut paraître énigmatique, voire à la limite du canular, et pourtant le droit n'est pas toujours écrit, et certaines situations sont soumises au droit de manière invisible. Les ports n'échappent pas à ce contexte. En effet, certaines décisions de justice  concernant l'aménagement des ports ou leur exploitation sont prises selon des critères imprécis et le justiciable ne connaît pas nécessairement le raisonnement tenu par les juges pour rendre leur décision. Actuellement, la démarche n'est pas facile à accomplir car les études sur les rapports entre la psychologie et le droit portent essentiellement sur le comportement des justiciables. En revanche, la démarche intellectuelle des juges, des élus, des fonctionnaires n'a pas donné lieu à des analyses approfondies.


 

I. L'invisibilité de l'élaboration du droit 

Il paraît surprenant d'invoquer l'invisibilité de l'élaboration du droit s'agissant de la loi, les travaux parlementaires et les avis du Conseil d'État sur les projets de loi sont accessibles au public. Il en va de même pour les décisions du Conseil constitutionnel, et les études d'impact sur les projets de loi prescrites par la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 N° Lexbase : L0275IEW.

Pour les ordonnances, le rapport au Président de la République est publié au Journal officiel, mais il n'est pas toujours suffisant pour interpréter certaines dispositions de l'ordonnance.

Pour les décrets, peu d'entre eux font l'objet d'un rapport rendu public, et les visas n'ont qu'un caractère indicatif [1].

La question qui se pose consiste à savoir comment se crée la règle de droit ou la décision de justice. L'élaboration d'une règle de droit ou d'une décision de justice répond nécessairement à un objectif. La jurisprudence concernant le port de « Portout » est particulièrement intéressante à étudier.

En l'espèce, un port de plaisance a été aménagé au bord du lac du Bourget dans un espace naturel que la cour administrative d'appel a estimé protégé en raison de sa nature, de l'intérêt pour le site et de sa localisation géographique.

Le Conseil d'État a jugé que : « la cour a souverainement apprécié, sans commettre de dénaturation, que compte tenu de la nature et de l'emprise des constructions envisagées, consistant dans la réalisation, sur une emprise totale de 16 000 m², d'aires de jeux et de loisirs et d'un bassin de 4 500 m² d'une capacité de 60 bateaux de plaisance, l'ensemble s'accompagnant de la création d'aires de stationnement et de la construction d'un pavillon à usage de capitainerie et bloc sanitaire, l'aménagement litigieux ne pouvait être regardé comme un aménagement léger » [2].

Il poursuit : « pour déterminer que l'aménagement litigieux était implanté dans un espace remarquable et un milieu nécessaire au maintien des équilibres biologiques au sens des dispositions précitées de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme, la cour a relevé que le projet, situé sur le territoire de la commune de Chindrieux à proximité de l'extrémité nord du lac du Bourget au bord du canal de Savières, était implanté dans une partie naturelle du site inscrit du lac du Bourget défini en application de la loi du 2 mai 1930 relative à la protection des monuments naturels et des sites, que le secteur de ‘Portout’ ne présentait pas un caractère urbanisé, qu'il n'avait fait l'objet d'aucune altération du fait de l'activité humaine et, au surplus, qu'il était inscrit dans les périmètres d'une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) et d'une zone importante pour la conservation des oiseaux (ZICO)... le terrain d'assiette du projet d'aménagement n'était pas situé à proximité d'une zone urbanisée, mais s'inscrivait dans une zone naturelle sans aucune construction formant un ensemble homogène ».

Cette décision prise sur le fondement de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme abrogé implique la transcription d'une perception environnementale du site par les juges. L'expression d'une émotion va ensuite se concrétiser dans une appréciation juridique d'un magistrat qui va se confronter à la collégialité. La décision rendue est susceptible d'appel, procédure qui permet de confronter la perception des premiers juges aux seconds.

En l'espèce, la décision semblait ne semblait pas contestable sur ce point tant les éléments d'appréciation étaient clairement encadrés par la loi. La partie invisible de la préparation de cette décision est restreinte quant à la détermination de l'illégalité de l'aménagement touristique. En revanche, elle est plus importante sur l'élaboration de la mesure déterminant les effets de cette décision.

Après avoir constaté que l'ensemble de l'aménagement « n'entrait pas dans le champ des exceptions à l'inconstructibilité des espaces remarquables prévues pour les aménagements légers », le Conseil d'État a considéré que la Cour n'a pas omis de procéder à un contrôle du bilan de l'opération s'agissant de l'autorisation d'installation et de travaux attaquée, la légalité d'une telle autorisation n'étant pas par elle-même subordonnée à ce qui ces travaux présentent un caractère d'utilité publique ».

Il est donc décidé que la protection des espaces remarquables sur le littoral l'emportait sur les projets d'aménagement présentant un caractère d'utilité publique. Cette priorité ne relevait pas d'un texte mais de la volonté des juges qui ont considéré que « le motif tiré de l'absence d'utilité publique du projet présentait un caractère surabondant ». Il s'agit d'un choix inspiré des textes comme la Directive (CE) 79/409 du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages N° Lexbase : L9378AUU, mais également de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral N° Lexbase : L7941AG9, dont l'article 1er impose la protection des équilibres biologiques et écologiques, ainsi que la préservation des sites et paysages et du patrimoine [3]. La conciliation de la protection et la mise en valeur de l'environnement avec le développement économique et le progrès social, résultant de l'article 6 de la Charte de l'environnement [4] n'a semble-t-il pas été examinée dans le processus décisionnel de la Haute juridiction. Il faut cependant reconnaître que l'application de cette disposition n'a pas été évoquée par les parties à l'instance.

L'aménagement en cause comportant un port de plaisance ayant été jugé illégal, le Conseil d'État a considéré [5] qu'en cas d'illégalité de la réalisation d'un ouvrage public, les juges doivent examiner la situation en droit et en fait, et rechercher si une régulation est possible. Avant d'ordonner la démolition de l'ouvrage, il convient d'apprécier les inconvénients qu'une telle décision représenterait pour son propriétaire et si la mesure n'entraînerait pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

Aucun texte n'envisage de régler une telle difficulté, les juges sont donc conduits à porter une appréciation subjective sur la situation. Comme l'a souligné dans une autre instance, Clément Malverti, rapporteur public devant le Conseil d'État « il est toujours périlleux pour un juriste positiviste d'identifier l'essence d'une réalité qui existerait indépendamment de toute décision » [6].

La jurisprudence admet à présent que certains vices résultant de l'illégalité d'une situation peuvent être régularisés [7] sous réserve le cas échéant d'une modification du projet [8] sans en apporter un grand bouleversement. Ici encore, le juge doit réaliser une analyse subjective, c'est-à-dire que sa démarche  intellectuelle demeure invisible.

C'est toujours le cas pour l'appréciation des inconvénients que pourrait supporter le propriétaire des lieux, et pour l'éventualité d'une atteinte excessive à l'intérêt général. Sur ce dernier point, la mesure du caractère excessif de l'atteinte n'est pas facile à établir. Pour le Conseil d'État, «  une différence de traitement entre des situations comparables est justifiée dès lors qu'elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c'est-à-dire lorsqu'elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné » [9].

La jurisprudence ne simplifie pas son interprétation, car outre le caractère excessif, elle sanctionne  parfois une situation « manifestement excessive » [10], ou « manifestement disproportionnée » [11]. Aucun critère n'est défini pour faciliter cette appréciation.

Quant à l'intérêt général susceptible d'être atteint, il s'agit d'une notion aux contours incertains. Le Conseil d'État lui a consacré une étude détaillée dans laquelle il précise : « La vitalité de la notion d'intérêt général vient néanmoins de ce qu'elle n'a pas de contenu préétabli. Il faut, à tout moment, préciser ses contours et faire valider, par des procédures démocratiques, les buts retenus comme étant d'intérêt général » [12].

Ultérieurement, la Haute juridiction reconnaît dans une étude sur « Sécurité juridique et complexité du droit » [13] les difficultés à maitriser la matière juridique.

Dans l'instance [14] concernant le sort du port de « Portout », le Conseil d'État a estimé que « la suppression de cet ouvrage ne portait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la cour a relevé que si la navigation de plaisance occupe une place dans l'économie touristique locale, il ne ressortait pas des pièces du dossier que l'aménagement en cause serait indispensable à l'exercice de cette activité de loisirs, et que, eu égard à l'intérêt public qui s'attache au maintien de la biodiversité et à la cessation de l'atteinte significative portée à l'unité d'un espace naturel fragile, la suppression de cet ouvrage, qui peut être effectuée pour un coût modéré, n'entraîne pas, même si son installation a représenté un coût financier, d'atteinte excessive à l'intérêt général ; que la cour a ajouté que les mesures proposées par la Communauté d'agglomération du lac du Bourget, consistant dans une modification des critères d'accueil des bateaux, une réduction de l'emprise du parc de stationnement ainsi qu'une participation « en compensation » à la création d'une réserve naturelle sur un autre site ne sauraient assurer la satisfaction de l'intérêt public ».

Les juges du Palais-Royal ont approuvé la décision de la cour administrative d'appel en considérant qu'elle n'avait dénaturé les faits en relevant que l'aménagement en cause n'était pas indispensable à l'exercice de la navigation de plaisance, et que le remisage des bateaux pouvait être effectué à sec.

L'appréciation souveraine des juges du fond est un principe nécessaire, mais qui suscite souvent de l'incertitude sur l'interprétation de la solution retenue. Parmi les énigmes que recèlent la jurisprudence et les textes, il y a « la fiction juridique ».

II. Les ports et la fiction juridique

Le doute fait partie de l'analyse juridique, certains rapporteurs publics devant le Conseil d'État allant jusqu'à affirmer l'existence de « sérieux doutes » [15], et les hésitations pour les juges du fond [16].

Bien que l'expression « fiction juridique » ne soit pas utilisée expressément dans les décisions de justice, les rapporteurs publics devant le Conseil d'État s'y réfèrent fréquemment depuis au moins deux décennies. Ainsi, le caractère provisoire des ordonnances rendues par le juge des référés contractuel relève assez largement de la fiction juridique [17]. C'est le cas également pour un délégué syndical déchargé de service qui est réputé en position d'activité dans le service [18]. Pour Anne Iljic, « L’obligation de transmission constitue une fiction juridique en vertu de laquelle, au  sein de l’administration publique prise comme un tout, l’autorité incompétente est réputée avoir transmis sans délai la demande à l’autorité compétente » [19].

Parmi les exemples les plus courants de « fiction juridique »,  on peut citer la création de personnes morales [20], ou l'effet rétroactif de l'annulation d'un acte administratif  [21].

Dans quelles circonstances les ports sont-ils confrontés à une fiction juridique ? C'est le cas de la régularisation d'une concession d'endigage qui avait été annulée par le juge administratif [22]. C'est ainsi que pour éviter la procédure de l'instruction mixte [23] à l'échelon central, les aménageurs du projet de Port-Deauville avaient dissocié l'aménagement du port de celui du terre-plein réalisé par des travaux d'endigage. L'annulation de la concession fondée sur l'interdiction de la technique dite du « saucissonnage » a été prononcée alors que les travaux étaient pratiquement achevés. Cette pratique consiste « à fractionner une même opération en plusieurs volets faisant chacun l'objet d'une déclaration d'utilité publique distincte, afin notamment de jouer sur les effets de seuils » [24].

En vue de la régularisation de l'opération de construction de « Port-Deauville », un avis de l'assemblée  générale du Conseil d'État statuant en formation administrative a considéré [25] que l'enquête publique n'avait pas pu conserver sa valeur à la suite de l'annulation du projet, et qu'en conséquence il était recommandé à l'État,  et ce, alors que les travaux étaient pratiquement achevés, de réaliser une nouvelle enquête comportant l'étude d'impact. Cette démarche correspond bien à une fiction juridique puisqu'en principe, cette étude doit être réalisée avant le début des travaux. L'article R. 122-1 du Code de l'environnement N° Lexbase : L8351K98 dispose que « L'étude d'impact préalable à la réalisation du projet est réalisée sous la responsabilité du ou des maîtres d'ouvrage ».

La fiction peut se manifester en d'autres circonstances. Si la loi définit le domaine public maritime naturel et artificiel, le juge administratif considère que les terrains gagnés sur la mer par des travaux d'endiguement font toujours partie du domaine public naturel [26], sauf s'il existe une concession à charge d'endigage régulière opérant un transfert de propriété ou un déclassement du domaine public. S'agissant de Port-Deauville, il a été jugé [27] que l'annulation de la concession d'endigage a entraîné l'annulation du transfert de propriété des terrains gagnés sur la mer et qu'il y avait lieu de conséquence d'annuler l'assujettissement de l'ancien concessionnaire à la taxe foncière et de la mettre à la charge de l'État propriétaire du domaine public maritime naturel.

Pour la réalisation de travaux d'extension portuaire « côté mer », il a été jugé que «  la zone destinée à recevoir l'extension du port de Royan est une zone portuaire au sens des dispositions précitées, même si elle n'est pas comprise dans l'emprise actuelle du port » [28]. Cette anticipation de l'espace portuaire a été envisagée afin de clarifier l'application des dispositions relatives aux travaux portuaires. Elle peut résulter d'une décision ministérielle de classement dans le domaine public portuaire de terrains appartenant à une collectivité publique en vue de leur aménagement à cette fin [29].

Le déclassement du domaine public n'entraîne pas automatiquement un changement de nature juridique des contrats d'occupation conclus avant l'application de cette procédure. Pour le Tribunal des conflits, « sauf disposition législative contraire, la nature juridique d'un contrat s'apprécie à la date à laquelle il a été conclu » [30]. Ainsi, les contrats d'occupation du domaine public portuaire ne changent pas de nature juridique après le déclassement des terrains d'assiette, ils se poursuivent en tant que contrats administratifs, pour qu'il en aille autrement, il faut les résilier et conclure des contrats d'occupation de droit privé. Cette pratique intervient dans certains ports afin de retenir des investisseurs importants.

L'une des situations juridiquement fictives que connaissent les ports est le régime de l'eau dans ses bassins. En effet, l'eau de la mer ne fait pas partie du domaine public maritime [31], en revanche, quand elle entre dans les ports, elle fait partie du domaine public portuaire [32] et se trouve protégée par la police de la grande voirie. Parfois, des travaux d'endiguement réalisés à des fins portuaires ont pour effet, sans l'intervention d'un acte de classement, d'inclure les terrains exondés dans le domaine public artificiel [33]

Enfin, il y a une jurisprudence administrative applicable à l'ensemble du territoire, y compris bien entendu dans les ports, il s'agit du régime juridique des ponts qu'ils soient routiers ou ferroviaires. En effet, tandis que l'article 552 du Code civil N° Lexbase : L3131ABL dispose que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous », le juge administratif considère qu'ils ont le régime juridique des voies dont ils assurent la continuité [34]. Selon le Conseil d'État  « les ponts ne constituent pas des éléments accessoires des cours d'eau ou des voies ferrées qu'ils traversent mais sont au nombre des éléments constitutifs des voies dont ils relient les parties séparées de façon à assurer la continuité du passage ; que, par suite, un pont supportant une route départementale appartient à la voirie départementale » [35].

Conclusion.

Le cheminement intellectuel se concrétise au niveau du résultat. La démarche est invisible, ce qui rend parfois son aboutissement difficilement compréhensible. Quant à la fiction, c'est une création de l'imagination, dans les cas concernant les ports elle utilise l'irréel pour faciliter le réel, comme par exemple la régularisation d'un aménagement économiquement et socialement utile à l'intérêt général.

La science juridique dispose suffisamment de ressources sans qu'il soit nécessaire de recourir à des sciences occultes pour régler des litiges.


[1] L'absence de certains visas dans un décret est sans influence sur sa légalité (CE, 11 juillet 2001, n° 219494 N° Lexbase : A5543AUT).

[2] CE, 20 mai 2011, n° 325552 N° Lexbase : A0315HSH.

[3] Ce texte de l'article 1er de la loi est désormais repris à l'article L. 321-1 du Code de l'environnement N° Lexbase : L8799K8E.

[4] Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement N° Lexbase : O4198ARW. Ce texte a une valeur constitutionnelle (Cons. const., décisions n° 2008-564 DC du 19 juin 2008 N° Lexbase : A2111D93 et n° 2014-394 QPC du 7 mai 2014 N° Lexbase : A8792MKT).

[5] CE, 15 mai 2025, n° 493392 N° Lexbase : A460209C ; CE, 25 juin 2024, n° 487915 N° Lexbase : A13775LL.

[6] C. Malverti, conclusions (arianeweb) sous CE, 13 juin 2024, n° 470886 N° Lexbase : A94065HT.

[7] CE, 25 janvier 2023, n° 448911 N° Lexbase : A20559AD.

[8] CE, 19 juillet 2022, n° 449111 N° Lexbase : A25878CS.

[9] CE, 19 juillet 2024, n° 467621 N° Lexbase : A27835SU.

[10] CE, 17 mars 2025, n° 492664 N° Lexbase : A617267Q ; CE, 22 juillet 2025, n° 495231 N° Lexbase : B0783AZZ ; CE, 31 décembre 2024, n° 488380 N° Lexbase : A48826PI.

[11] CE, 24 juillet 2024, n° 489976 N° Lexbase : A54605TE.

[12] L'intérêt général, in Rapport public 1999, notamment page 261, Études et documents n° 50, La documentation française (1999).

[13] Sécurité juridique et complexité du droit, in Rapport public 2006, p. 223 à 337, Études et documents n° 57, La documentation française (2006).

[14] CE, 20 mai 2011, n° 325552 N° Lexbase : A0315HSH.

[15] C. Beaufils, conclusions (arianeweb) sous CE, 16 juillet 2025, n° 495941, 497605 et 498251 N° Lexbase : B6955AXU ; Mme D. Pradines, conclusions (arianeweb) sous CE, 28 octobre 2024, n° 491057N° Lexbase : A89206CD.

[16] N. Labrune, conclusions (arianeweb)  sous CE, 9 juin 2023, n° 462649 N° Lexbase : A09509Z9 ; V. Villette, conclusions (arianeweb) sous CE, 15 juillet 2020, n° 436276 N° Lexbase : A20793RG.

[17] N. Labrune, conclusions (arianeweb) sous CE, 5 avril 2024, n° 489280 N° Lexbase : A95842ZY.

[18] Mme S. Roussel, conclusions (arianeweb) sous CE, 30 décembre 2021, n° 445128 N° Lexbase : A42857H8.

[19] Mme A. Iljic, conclusions (arianeweb) sous CE, 5 avril 2019, n° 416542 N° Lexbase : A2929YBY ; cf. CRPA, art. L. 114-2 N° Lexbase : L1788KNK.

[20] Mme A. Bretonneau, conclusions (arianeweb) sous CE, 7 novembre 2018, n° 408101 N° Lexbase : A6377YKE.

[21] V. Daumas, conclusions  (arianeweb) sous CE, 11 décembre 2015, n° 386441 N° Lexbase : A2059NZ9.

[22] CE Ass., 29 décembre 1978, n° 95260 N° Lexbase : A2663AIH.

[23] La procédure d'instruction mixte a été instaurée par la loi n° 52-1265 du 29 novembre 1952 et le décret n° 55-1064 du 4 août 1955, elle a été abrogée par l'ordonnance n° 2003-902 du 19 septembre 2003 N° Lexbase : L5290DSQ et le décret n° 2003-1205 du 18 décembre 2003 N° Lexbase : L2361MUY ; C. Enckell, Requiem pour l'instruction mixte, AJDA, 2004 p. 209.

[24] A. Lallet, conclusions (arianeweb) sous CE Ass., 12 avril 2013, n° 342409 N° Lexbase : A0988KCL.

[25] CE, avis, 22 mars 1979, n° 324.455.  

[26] CE, 16 novembre 1977, n° 01786 N° Lexbase : A1411B8R.

[27] CE, Sect. 26 juillet 1991, n° 51086 N° Lexbase : A8980AQN.

[28] CE, 29 décembre 1993, n° 148567 N° Lexbase : A7945AM9.

[29] CE, 17 décembre 2003, n° 236827 N° Lexbase : A7975GBY.

[30] T. confl., 4 juillet 2016, n° 4055, N° Lexbase : A4262RWR.

[31] R. Rézenthel et F. Pitron note sous CE, 27 juillet 1984, n° 45338 N° Lexbase : A7112ALY, AJDA, 1985 p. 47.

[32] CE Sect., 2 juin 1972 N° Lexbase : A1705B7B, Rec. p. 407, AJDA, 1972, p. 646, concl. M. Rougevin-Baville

[33] CE, avis, 16 octobre 1980, n° 327.217.

[34] R. Rézenthel, Les ponts, des ouvrages d'art mal connus, Lexbase, 5 décembre 2024 N° Lexbase : N1184B3A.

[35] CE, 31 octobre 2014, n° 370718, N° Lexbase : A4977MZD.

newsid:492878

Filiation

[Observations] Contestation d’un acte de notoriété constatant une possession d’état contredisant une filiation établie

Réf. : Cass. civ. 1, 2 juillet 2025, n° 24-11.220, FS-B N° Lexbase : B6746APK

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N2783B3H

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par Margot Musson, Maître de conférences à l'Université de Limoges

Le 12 Septembre 2025

Mots-clés : filiation • acte de notoriété • acte de naissance • parents • enfants

Un acte de notoriété constatant la possession d’état ne peut faire l’objet d’un recours mais sa validité ou la possession d’état qu’il constate peuvent être contestées par une action contentieuse. Est nul l’acte de notoriété constatant une possession d’état dressé en présence d’une filiation légalement établie qu’il contredit.


 

Une femme est née en 1972 et sa filiation a été établie à l’égard de sa mère et de l’époux de celle-ci. Elle a obtenu en 2018 la délivrance judiciaire d’un acte de notoriété constatant la possession d’état d’enfant avec un homme décédé en 2017, la compétence notariale en la matière relevant d’une loi postérieure (loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC). L’acte et la filiation paternelle qu’il établit ont été mentionnés en marge de son acte de naissance. Un an après, le fils de l’homme à l’égard duquel la filiation de la requérante a été établie a formé une action en annulation, subsidiairement en inopposabilité, de l’acte de notoriété. Il invoque l’impossibilité pour le juge de délivrer un acte de notoriété établissant un lien de filiation venant contredire un lien de filiation légalement et précédemment établi : la délivrance en l’espèce de cet acte a conduit la requérante initiale à voir établie à son égard une double filiation paternelle.

Par un arrêt du 9 novembre 2023, la cour d’appel de Montpellier a rejeté sa demande pour irrecevabilité, au motif qu’un acte de notoriété ne peut faire l’objet d’un recours selon l’article 317 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 mars 2009 précitée. Le fils a formé un pourvoi en cassation. Il estime que le tribunal d’instance ayant délivré l’acte a commis un excès de pouvoir, en raison de l’existence d’une filiation paternelle préexistante que vient contredire la nouvelle filiation établie par possession d’état, et qu’un tel acte devrait toujours pouvoir faire l’objet d’un recours en nullité.

Par un arrêt du 2 juillet 2025, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle rejette le moyen du pourvoi, en confirmant que l’acte de notoriété ne peut faire l’objet d’un recours : il est dépourvu de caractère juridictionnel car il ne fait que prouver une possession d’état. Mais elle relève d’office un moyen tiré de la fausse application par la cour d’appel de l’article 317 du Code civil N° Lexbase : L7273LP3 : la validité d’un acte de notoriété ou de la possession d’état qu’il constate peuvent faire l’objet d’une action contentieuse en contestation. Statuant au fond, elle annule l’acte de notoriété car il constate une possession d’état à l’égard d’un homme alors que la requérante initiale disposait déjà d’une filiation paternelle légalement établie qui n’a pas été anéantie.

Sur la contestabilité de l’acte

Le dernier alinéa de l’article 317 du Code civil, dans son ancienne formulation, se contentait de rejeter tout recours contre un acte de notoriété constatant une possession d’état ; il était silencieux sur une éventuelle action contentieuse en contestation de sa validité. Seule une contestation de la filiation établie par la possession d’état constatée par un acte de notoriété est expressément prévue par l’article 335 du Code civil N° Lexbase : L5810IC8.

La Cour de cassation rejette à raison le moyen tiré d’un possible recours en nullité, en apportant une importante précision sur la nature non juridictionnelle de l’acte de notoriété. Or, seule une décision juridictionnelle peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (F. Ferrand, Rép. proc. civ., « Appel, Droit d’appel », n° 315).

Sur l’action contentieuse, la Cour de cassation l’a déjà admis pour cause de prescription ou forclusion de l’acte (Cass. civ. 1re, 14 octobre 2009, n° 08-14.430, F-D N° Lexbase : A0849EME ; Cass. civ. 1re, 23 février 2011, n° 10-13.685, F-D N° Lexbase : A7385GZK), sans attendu de principe. L’apport essentiel de l’arrêt du 2 juillet 2025 réside dans l’affirmation claire de la possibilité d’engager une action contentieuse en contestation de la validité d’un acte de notoriété. Elle distingue à ce titre l’instrumentum (l’acte) et le negotium (la possession d’état que l’acte constate).

Sur l’annulation de l’acte

La constatation de la possession d’état par un acte notarié entraîne l’établissement de la filiation, laquelle est mentionnée en marge de l’acte de naissance de l’enfant (C. civ., art. 317, al. 4). Or, l’article 320 du Code civil N° Lexbase : L8822G9M pose un principe chronologique : tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait.

Le juge saisi d’une demande de délivrance d’un acte de notoriété doit refuser de le dresser en présence d’une filiation légalement établie qui n’a pas été valablement contestée (Circ. DACS, n° 2006-13, du 30 juin 2006, Circulaire de présentation de l'ordonnance n° 759-2005, du 4 juillet 2005, portant réforme de la filiation N° Lexbase : L8645H3L). À défaut, lors de l’apposition de la mention marginale relative à l’acte de notoriété, l’officier de l’état civil qui constate la nouvelle filiation contradictoire doit en référer au ministère public qui informe la personne pour qu’elle agisse en contestation de cette filiation ou la conteste lui-même (Circ. DACS, NOR : JUSC1119808C, du 28 octobre 2011, relative aux règles particulières à divers actes de l'état civil relatifs à la naissance et à la filiation N° Lexbase : L1448KML). En attendant une telle contestation, la possession d’état est privée d’effet (Cass. civ. 1, 3 septembre 2024, n° 24-11.220, F-B N° Lexbase : A35405XE).

La Cour de cassation décide en l’espèce de statuer au fond afin de mettre fin à cette situation dans laquelle les deux garde-fous – le juge et l’officier d’état civil – ont été défaillants. Par application du principe chronologique de l’article 320 du Code civil, l’acte de notoriété est annulé. La demanderesse initiale aurait dû préalablement contester le lien de filiation paternelle établie à l’égard du mari de sa mère pour en obtenir l’annulation et, par la suite, réclamer la délivrance d’un acte de notoriété constatant la possession d’état en cause.

                                                                                

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Procédure prud'homale

[Observations] L'interruption de prescription par la saisine prud'homale : distinction entre créances salariales et indemnitaires selon leur nature juridique

Réf. : Cass. soc., 25 juin 2025, n° 23-19.887, FS-B N° Lexbase : B6294AM3

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par Antoine Montant, Avocat

Le 12 Septembre 2025

► L'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 25 juin 2025, apporte des précisions sur l'application des règles de prescription en droit du travail. La Cour confirme que la nature juridique de la créance détermine le délai de prescription applicable. Les créances salariales (comme les heures supplémentaires) relèvent de la prescription triennale, tandis que les créances indemnitaires (comme l'indemnité pour non-respect du repos compensateur) sont soumises à la prescription biennale. L'arrêt précise également que l'interruption de prescription par la saisine prud'homale vise toutes les demandes relatives au même contrat de travail. Elle ne peut pas faire renaître des droits définitivement éteints.

Cette décision renforce la sécurité juridique et invite les salariés à ne pas différer leur saisine pour préserver leurs créances.

La décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 25 juin 2025 s’inscrit dans une certaine continuité. Celle relative au contentieux de la prescription des créances nées de la relation de travail. La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 N° Lexbase : L0394IXU, réformant profondément les délais de prescription applicables, a posé nombre de questions sur la qualification des créances (salaires, indemnités, dommages-intérêts) et la détermination du délai applicable et surtout sur l’effet interruptif de la saisine prud’homale [1].

Cet arrêt illustre la problématique de la combinaison, dans un même litige, des demandes salariales et indemnitaires, et interroge la portée concrète de l’interruption de la prescription par la saisine du conseil de prud’hommes.

1. Les faits et le litige [2]

Les faits. M. X. a été engagé en septembre 2010 par la société Lidl en qualité de cadre, au forfait en jours. La relation de travail a pris fin par un licenciement, notifié le 18 novembre 2013. La contestation de la validité de la convention de forfait et la réclamation de diverses sommes (heures supplémentaires, indemnité pour non-respect du repos compensateur, indemnité pour atteinte au droit à la santé et à la vie familiale) ont été introduites devant la juridiction prud’homale le 18 février 2016.

La cour d’appel de Colmar [3] a déclaré toutes les demandes prescrites, au motif que le délai applicable de prescription avait expiré avant la saisine, le salarié a alors formé un pourvoi en cassation.

Le litige. La question centrale porte sur la qualification des demandes (créance salariale ou indemnitaire) et sur le régime de prescription applicable à chacune, en tenant compte de l’articulation des nouveaux délais issus de la loi du 14 juin 2013. Comme l’a déjà souligné la Chambre sociale, « la nature de la créance détermine la prescription applicable » [4].

2. Analyse critique et apports jurisprudentiels

La Cour précise les modalités d'application de la loi du 14 juin 2013, réformant la prescription des créances salariales, notamment le principe selon lequel « les demandes en paiement des créances salariales exigibles postérieurement au 18 février 2011 n'étaient pas prescrites ».

Et la solution rendue repose sur la dissociation fondamentale des créances selon leur nature, en cohérence avec le principe déjà dégagé par la Chambre sociale [5], et conformément à une jurisprudence désormais établie : « l’interruption de la prescription ne s’étend d’une action à une autre que si les deux actions, dans une même instance, concernent l’exécution du même contrat de travail », mais ne peut faire revivre une prescription acquise [6].

La Cour de cassation procède à une cassation partielle, distinguant selon la nature des créances en cause.

Confirmation pour l'indemnité de repos compensateur obligatoire. La Haute juridiction confirme l'irrecevabilité de l'action concernant l'indemnité pour non-respect du droit au repos compensateur obligatoire. Elle précise que cette indemnité, ayant « la nature de dommages-intérêts et portant sur l'exécution du contrat de travail », relève de la prescription biennale de l'article L. 1471-1 du Code du travail N° Lexbase : L8076LG9.

La demande en indemnisation du non-respect du repos compensateur est, quant à elle, réputée avoir la nature de dommages-intérêts découlant de l’exécution du contrat [7]. Elle relève donc du délai de deux ans de l’article L. 1471-1 du Code du travail. En l’espèce, la prescription biennale ayant expiré au 18 novembre 2015 (soit deux ans après le licenciement), la saisine survenue le 18 février 2016, même interruptive, n’a pu faire renaître le droit éteint.

Cassation pour les heures supplémentaires. En revanche, la Cour casse la décision concernant l'action en contestation de la convention de forfait et en paiement d'heures supplémentaires, considérant que la prescription avait été interrompue par la saisine du conseil de prud'hommes le 18 février 2016.

La demande en paiement d’heures supplémentaires, qualifiée de créance salariale, est soumise à la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du Code du travail N° Lexbase : L0734IXH. En application de la jurisprudence constante [8], la saisine prud’homale interrompt valablement le cours de cette prescription, avec un effet rétroactif pour toutes demandes relevant de l’exécution du même contrat [9].

Cette interprétation garantit qu'un salarié qui engage une première action en justice bénéficie d'une protection temporelle étendue. Concrètement, si ce salarié formule par la suite de nouvelles demandes, elles profitent du même « arrêt du temps » que sa première action, à condition qu'elles concernent le même contrat de travail.

Cela signifie que le salarié n'a pas à s'inquiéter de voir ses droits s'éteindre par l'écoulement du temps (prescription) pour ces nouvelles demandes, dès lors qu'elles sont liées à l'exécution de son contrat de travail initial.

Synthèse des principes dégagés. La Cour rappelle que « la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée », il convient de distinguer :

  • les créances salariales proprement dites (prescription triennale : C. trav., art. L. 3245-1) ;
  • les créances indemnitaires liées à l'exécution du contrat (prescription biennale : C. trav., art. L. 1471-1).

Fondement de la distinction opérée par la cour et apport par rapport à la jurisprudence antérieure. La jurisprudence visée confirme la nécessité d’une analyse concrète de la nature de la créance pour déterminer le délai applicable. Cette exigence s’applique ici dans le contexte des conventions de forfait en jours, tout en précisant que les demandes indemnitaires en perte de repos relèvent du délai de deux ans - solution déjà retenue concernant les dommages-intérêts pour travail dissimulé ou violation des durées maximales de travail.

Apports sur la portée de l’interruption de prescription par la saisine prud’homale. L’apport de l’arrêt du 25 juin 2025 réside dans l’explicitation de la règle d’unicité d’instance, déjà affirmée par la Haute Cour, toutes les actions relatives à l’exécution du même contrat voient leur prescription interrompue dès l’introduction de l’instance, même si elles sont articulées postérieurement. Néanmoins, cette interruption ne saurait profiter à des actions définitivement éteintes, conformément au principe d’ordre public selon lequel « une prescription achevée ne peut être interrompue ».

Conséquences pratiques. Cette clarification renforce la sécurité juridique pour les parties. Elle incite les salariés à ne pas différer la saisine prud’homale, la seule manière de préserver le bénéfice de l’interruption à l’égard de toutes les créances rattachées au contrat. Cela exige une analyse rigoureuse des délais à chaque type de créance invoquée, afin d’éviter la forclusion attachée à l’acquisition définitive de la prescription.

3. Perspectives et interrogations persistantes

La solution dégagée invite à s’interroger sur la possible adaptation entre les délais de prescription dans des situations « hybrides ». Par exemple, la multiplicité de créances ou la découverte différée de droits liés au forfait en jours.

Cet arrêt apporte une clarification sur la structuration des règles de prescription en droit du travail, en réaffirmant que c’est la nature juridique de la créance qui prime, tout en énonçant rigoureusement les effets de l’interruption résultant de la saisine prud’homale.

Sa portée jurisprudentielle est confirmée par les récentes décisions de la Chambre sociale, garantissant aux praticiens une meilleure maîtrise du risque contentieux et une anticipation accrue des stratégies procédurales, tant pour le salarié que pour l’employeur.


[1] Ce contentieux est fondé sur les articles L. 3245-1 N° Lexbase : L0734IXH et L. 1471-1 N° Lexbase : L8076LG9 du Code du travail, l’article 2241 du Code civil N° Lexbase : L7181IA9, ainsi que la jurisprudence de la Chambre sociale sur l’effet de l’introduction de l’instance prud’homale (v. notamment Cass. soc., 30 juin 2021, n° 18-23.932, FS-B N° Lexbase : A21214Y9 ; Cass. soc., 27 mars 2019, n° 17-23.314, FS-P+B N° Lexbase : A7290Y77 ; Cass. soc., 15 mars 2018, n° 17-10.325, F-P+B N° Lexbase : A2138XHN).

[2] Repères chronologiques : 18 novembre 2013 : licenciement ; 18 novembre 2015 : extinction du délai biennal (créance indemnitaires au titre du repos compensateur) ; 18 février 2016 : saisine prud’homale (interruption de prescription uniquement effective pour les créances n’ayant pas déjà atteint ce terme).

[3] CA Colmar, 16 mai 2023, n° 21/02255 N° Lexbase : A284693S.

[4] Cass. soc., 12 février 2025, n° 23-10.806, FS-B N° Lexbase : A55866UG.

[5] Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-14.543, FS-B N° Lexbase : A20744YH.

[6] Cass. soc., 15 septembre 2021, n° 19-24.011, FS-B N° Lexbase : A916844C.

[7] Cass. soc., 4 septembre 2024, n° 23-10.520, FS-B N° Lexbase : A35375XB.

[8] Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-10.202, FP-P+B N° Lexbase : A2519MI7.

[9] C. trav., art. R. 1452-6 N° Lexbase : L0932IAR.

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