CE 1/4 ch.-r., 16-07-2025, n° 495941
B6955AXU
Référence
1° Sous le n° 495941, par une requête, un mémoire en réplique et un autre mémoire, enregistrés les 13 juillet et 31 décembre 2024 puis le 2 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 6 juin 2024 par laquelle le président de l'université de Rouen-Normandie a refusé de l'inscrire sur la liste des candidats dont la nomination a été proposée, au titre de la voie temporaire d'accès par promotion interne au corps des professeurs des universités, au poste de professeur des universités en sciences de gestion et du management ouvert par cette université ;
2°) d'enjoindre au président de l'université de Rouen Normandie d'examiner à nouveau sa candidature dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
2° Sous le n° 497605, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 5 septembre 2024 et le 27 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 9 août 2024🏛 du président de la République en tant qu'il nomme M. C B au poste de professeur des universités en sciences de gestion et du management au titre de la voie temporaire d'accès par promotion interne au corps des professeurs des universités.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 2021-1722 du 20 décembre 2021🏛 ;
- le décret n° 2023-172 du 9 mars 2023🏛 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er juillet 2025, présentée par l'université de Rouen-Normandie ;
1. Il ressort des pièces des dossiers que Mme A, maîtresse de conférences en sciences de gestion et du management, affectée à l'université de Rouen-Normandie, a présenté sa candidature, par la voie temporaire d'accès par promotion interne au corps des professeurs des universités, au poste de professeur des universités en sciences de gestion et du management ouvert par cette université. Sous le numéro 495941, Mme A demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 6 juin 2024 par laquelle le président de l'université de Rouen-Normandie a refusé de l'inscrire sur la liste des candidats dont la nomination a été proposée à ce titre. Sous le numéro 497605, Mme A demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du président de la République du 9 août 2024 en tant qu'il nomme M. B au poste en litige.
2. Les requêtes par lesquelles Mme A demande l'annulation de la décision du président de l'université de Rouen-Normandie du 6 juin 2024 et du décret du président de la République du 9 août 2024 présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur le cadre juridique :
3. Aux termes de l'article L. 523-1 du code général de la fonction publique : " Afin de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent, outre l'accès par concours interne, une proportion de postes qui peuvent être proposés aux fonctionnaires ou aux agents des organisations internationales intergouvernementales pour une nomination suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel, donnant lieu à l'établissement d'une liste d'aptitude dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière ; / 2° Liste d'aptitude établie par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle des candidats. Sans renoncer à son pouvoir d'appréciation, l'autorité chargée d'établir la liste d'aptitude tient compte des lignes directrices de gestion prévues au chapitre III du titre Ier du livre IV. / Les statuts particuliers peuvent prévoir l'application de ces deux modalités, sous réserve qu'elles bénéficient à des candidats placés dans des situations différentes. "
4. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er du décret du 20 décembre 2021🏛 créant une voie temporaire d'accès au corps des professeurs des universités et aux corps assimilés : " Il est créé, au titre des années 2021 à 2025, une voie temporaire d'accès par promotion interne au corps des professeurs des universités au bénéfice des maîtres de conférences régis par le décret du 6 juin 1984🏛 susvisé. " Les dispositions du I de l'article 4 du même décret, dans sa rédaction issue du décret du 9 mars 2023🏛 relatif à la voie temporaire d'accès au corps des professeurs des universités et aux corps assimilés, prévoient que " Chaque année, le conseil d'administration de chaque établissement répartit, soit par section soit au niveau de deux sections d'un même groupe de disciplines, les possibilités de promotions arrêtées conformément aux dispositions de l'article 3 sur proposition du chef d'établissement et dans le respect des priorités nationales " et que " Les dossiers de candidature sont () examinés par la section compétente du Conseil national des universités () / Après avoir entendu deux rapporteurs membres du corps des professeurs des universités (), le collège compétent pour le corps des professeurs des universités () rend deux avis sur le dossier du candidat. L'un des avis porte sur l'aptitude professionnelle et l'autre sur les acquis de son expérience professionnelle en prenant en compte, dans chaque cas, son investissement pédagogique, la qualité de son activité scientifique et son investissement dans des tâches d'intérêt collectif. Chacun des deux avis est soit très favorable, soit favorable, soit réservé () / Les dossiers ainsi complétés par les avis du collège compétent sont adressés au chef de l'établissement d'affectation de l'agent, qui les communique aux comités de promotion de l'établissement créés à cet effet ". S'agissant de la composition de ce comité de promotion, les deux premiers alinéas du II du même article 4 du décret disposent que " Chaque comité de promotion relatif à un ou plusieurs postes ouverts dans une ou deux sections d'un même groupe de disciplines est présidé par un professeur des universités ou un membre d'un corps assimilé. Il doit comprendre en sus a minima quatre membres du corps des professeurs des universités () dont au moins deux membres de chaque discipline pour laquelle une ou plusieurs candidatures ont été déclarées recevables. Le président et les membres du comité de promotion, qui peuvent être extérieurs à l'établissement, sont désignés par le conseil académique ou par l'organe compétent pour exercer les attributions mentionnées au IV de l'article L. 712 6-1 du code de l'éducation, en formation restreinte aux professeurs d'université et aux membres des corps assimilés. / La composition du comité de promotion est rendue publique avant le début de ses travaux ". Le troisième alinéa du même II de l'article 4 du décret énonce ensuite que " Chaque comité de promotion rend deux avis sur le dossier de chaque candidat. L'un des avis porte sur l'aptitude professionnelle et l'autre sur les acquis de leur expérience professionnelle en prenant en compte, dans chaque cas, à la fois leur investissement pédagogique, la qualité de leur activité scientifique et leur investissement dans des tâches d'intérêt collectif. Chacun des deux avis est soit très favorable, soit favorable, soit réservé. ". Il est ensuite prévu, au III puis au IV de l'article 4 du décret, que " Dans la limite de quatre candidats par emploi ouvert à cette voie d'accès par promotion interne, les candidats ayant reçu les avis les plus favorables par les instances consultatives mentionnées au troisième alinéa du I et au II du présent article sont entendus par le comité de promotion () " et que " A l'issue des auditions, le comité de promotion établit, pour chaque possibilité de promotion, les comptes rendus de chacune des auditions et les adresse au chef d'établissement, accompagnés de la liste classée par ordre alphabétique des candidats auditionnés. / L'audition a pour objet d'éclairer la décision du chef de l'établissement sur la motivation du candidat et sur son aptitude à exercer les missions et responsabilités dévolues aux membres du corps des professeurs des universités ou des corps assimilés () ". Au terme de cette procédure, selon les trois derniers alinéas du IV de l'article 4 du décret : " Le chef de l'établissement établit la liste des candidats dont la nomination est proposée dans l'un des corps mentionnés à l'article 1er. / La nomination, prononcée par décret du président de la République, prend effet au 1er septembre de l'année au titre de laquelle elle est prononcée. / Les motifs pour lesquels leur candidature n'a pas été retenue sont communiqués par le chef de l'établissement aux candidats qui en font la demande. " Enfin, le V du même article 4 du décret dispose que " Cette procédure de promotion met en œuvre les principes et critères édictés par les lignes directrices de gestion en application de l'article 12 du décret du 29 novembre 2019🏛 susvisé, notamment en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, en tenant compte de la part respective des femmes et des hommes dans les disciplines concernées () ".
5. Il résulte des dispositions citées aux points 3 et 4 que, dans le cadre de la procédure de promotion interne de maîtres de conférences dans le corps des professeurs des universités résultant du décret du 20 décembre 2021🏛, tel que modifié par le décret du 9 mars 2023, d'une part, le Conseil national des universités, après avoir entendu deux rapporteurs, puis le comité de promotion, auquel le chef de l'établissement a préalablement communiqué les dossiers de candidature complétés par les avis du Conseil national des universités, rendent chacun, successivement, deux avis sur le dossier des candidats, l'un sur leur aptitude professionnelle et l'autre sur les acquis de leur expérience professionnelle, en prenant en compte, pour chacun de ces avis, l'investissement pédagogique, la qualité de l'activité scientifique et l'investissement dans des tâches d'intérêt collectif, d'autre part, le comité de promotion, après avoir entendu les candidats ayant eu les avis les plus favorables, dans la limite de quatre, afin d'éclairer leur motivation et leur aptitude à exercer les missions et responsabilités dévolues aux membres du corps des professeurs des universités, établit les comptes rendus de chacune des auditions et les adresse au chef d'établissement, accompagnés de la liste classée par ordre alphabétique des candidats auditionnés. Le chef d'établissement dresse ensuite la liste des candidats dont la nomination est proposée dans le corps des professeurs des universités, au vu de l'ensemble de ces éléments et en tenant compte, sans pour autant renoncer à son pouvoir d'appréciation, des principes et critères fixés par les lignes directrices de gestion édictées par le ministre chargé de l'enseignement supérieur et par les autorités compétentes de l'université, le principe d'indépendance des enseignants-chercheurs s'opposant toutefois à ce qu'il use de ce pouvoir d'appréciation en se fondant sur des motifs étrangers à l'administration de l'université, telle en particulier la qualification scientifique des candidats évaluée par le Conseil national des universités et le comité de promotion. Enfin, la nomination intervient par décret du président de la République.
Sur la légalité de la décision du président de l'université refusant d'inscrire Mme A sur la liste des candidats dont la nomination a été proposée :
6. En premier lieu, il est constant que les avis du comité de promotion sur le dossier de chaque candidat ont été rendus alors que les avis du Conseil national des universités ne lui avaient pas été communiqués. Or, ainsi qu'il a été dit au point 5, les avis du Conseil national des universités doivent être communiqués au comité de promotion avant que celui-ci ne rende ses propres avis sur le dossier de chaque candidat, conformément aux dispositions du I de l'article 4 du décret du 20 décembre 2021🏛 citées au point 4. Par suite, Mme A est fondée à soutenir que la décision du président de l'université qu'elle attaque est entachée d'irrégularité à ce titre.
7. En second lieu, il résulte des dispositions du IV de l'article 4 du décret du 20 décembre 2021, citées au point 4, que le comité de promotion, après avoir entendu les candidats ayant reçu les avis les plus favorables, afin d'éclairer leur motivation et leur aptitude à exercer les missions et responsabilités dévolues aux membres du corps des professeurs des universités, établit les comptes rendus de chacune des auditions et les adresse au chef d'établissement, accompagnés de la liste classée par ordre alphabétique des candidats auditionnés, ainsi qu'il a été dit au point 5. En l'espèce, il est constant que, si le comité de promotion a adressé au président de l'université de Rouen-Normandie la liste classée par ordre alphabétique des trois candidats auditionnés, il n'a adressé au président de cette université aucun compte rendu de ces auditions. Par suite, Mme A est fondée à soutenir que la décision du président de l'université qu'elle attaque est également entachée d'irrégularité à ce titre.
8. Les irrégularités relevées aux deux points précédents ayant chacune privé la requérante d'une garantie, Mme A est, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, fondée à demander l'annulation de la décision du président de l'université de Rouen-Normandie du 6 juin 2024 refusant de l'inscrire sur la liste des candidats dont la nomination était proposée.
Sur la légalité du décret du président de la République en tant qu'il nomme M. B au poste en litige :
9. L'annulation de la décision du président de l'université de Rouen-Normandie emporte, par voie de conséquence, l'annulation du décret du président de la République du 9 août 2024, en tant qu'il nomme M. B au poste de professeur des universités en sciences de gestion et du management à l'université de Rouen-Normandie. Mme A est ainsi fondée à en demander l'annulation.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. L'exécution de la présente décision implique nécessairement, si l'emploi de poste de professeur des universités en sciences de gestion et du management ouvert par la voie de promotion interne au sein de l'université de Rouen-Normandie est maintenu, de reprendre la procédure au moment où le comité de promotion doit émettre ses avis sur le dossier de chaque candidat. Il y a donc lieu d'enjoindre à l'université de Rouen-Normandie de reprendre la procédure à cette étape dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
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Article 1er : La décision du président de l'université de Rouen-Normandie du 6 juin 2024 et le décret du président de la République du 9 août 2024 en tant qu'il nomme M. B au poste de professeur des universités en sciences de gestion et du management à l'université de Rouen-Normandie sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à l'université de Rouen-Normandie, si l'emploi de poste de professeur des universités en sciences de gestion et du management ouvert par la voie de promotion interne est maintenu, de reprendre la procédure au moment où le comité de promotion doit émettre ses avis sur le dossier de chaque candidat, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme D A, à M. C B, à l'université de Rouen-Normandie, à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et au Premier ministre.
Nos 495941, 497605