Le Quotidien du 14 mai 2025

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[Veille] Famille Patrimoine Personnes – Actualité mensuelle (avril 2025)

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par Anne-Lise Lonné-Clément, Rédactrice en chef

Le 15 Mai 2025

Mots-clés : autorité parentale • enlèvement international d'enfant • DVH • partenaire de la mère biologique • retrait de l'autorité parentale • abandon de famille • divorce • prestation compensatoire • droit international privé • loi sénégalaise • loi camerounaise • ordre public international • filiation • tierce opposition • indivision • partage • attribution préférentielle • entreprise agricole • indemnité d'occupation • juge commis pour surveiller les opérations de partage • désignation d'un expert • majeurs protégés • agrément des MJPM • assistance du curateur • nationalité • hospitalisation sans consentement • déclaration d'appel • placement en UMD • successions • libéralités • assurance vie • fraude paulienne • enrichissement injustifié • succession vacance

La revue Lexbase Famille Patrimoine Personnes (FPP), vous propose de retrouver dans un plan thématique, une sélection de l’actualité jurisprudentielle et normative, en droit des personnes et de la famille, classée par matières sous plusieurs thèmes/mots-clés.

À noter la présence de quelques décisions rendues au mois de mars 2025, qui n’avaient pas été relevées dans la précédente veille de mars 2025.


 

Sommaire

I. Autorité parentale

II. Divorce

III. Droit international privé

IV. Filiation

V. Indivision/Partage

VI. Majeurs protégés

VII. Nationalité

VIII. Soins psychiatriques sans consentement

IX. Successions-Libéralités


I. Autorité parentale

♦ Enlèvement international d’enfant – Titularité du droit de garde

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 24-20.497, F-D N° Lexbase : A76650QX : la cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, que, selon la loi moldave, les parents exerçaient conjointement l'autorité parentale sur leurs deux enfants, de sorte que le père était également titulaire du droit de garde. Elle a constaté, par motifs adoptés, que, par décision du 2 février 2022, la direction pour la protection des droits de l'enfant du secteur de Ac (Moldavie) avait fixé un calendrier de rencontres des enfants avec leur père et estimé qu'il n'était pas contesté que celui-ci avait sollicité un exercice effectif de son droit de garde octroyé selon ces modalités par les autorités moldaves et que la mère ne pouvait décider unilatéralement de déplacer les enfants à l'étranger sans l'accord de leur père. Ayant ainsi fait ressortir que le père exerçait effectivement son droit de garde, la cour d'appel, qui, n'étant saisie d'aucune exception au retour sur le fondement de l'article 13 a) de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980, n'était tenue ni de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ni de répondre à des conclusions inexistantes à ce titre, a répondu pour le surplus aux conclusions prétendument délaissées et légalement justifié sa décision.

♦ Refus d’octroi d’un droit de visite et d’hébergement à l’ex-partenaire de PACS de la mère biologique – Droit au respect de la vie privée et familiale – Appréciation souveraine des juges du fond

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 23-11.544, F-D N° Lexbase : A75020QW : Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 7 avril 2022, Req. 19511/16️, Callamand c/ France N° Lexbase : A39737TC, § 38), que le rejet d'une demande fondée sur l'article 371-4, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L8011IWM, tendant à obtenir un droit de visite et d’hébergement d’un enfant, formée par une femme qui a construit avec la mère légale un projet parental commun sans que sa filiation soit juridiquement établie, étant susceptible d'avoir des conséquences radicales sur le droit au respect de la vie privée et familiale de celle-ci, en ce qu'il met fin à sa relation avec l'enfant, il appartient au juge, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, de mettre en balance les intérêts éventuellement concurrents. Il doit, notamment, montrer par son raisonnement que les préoccupations relatives à l'intérêt supérieur de l'enfant sont d'une telle importance par rapport à l'intérêt du demandeur à au moins maintenir un contact avec celui-ci, qu'il est justifié, au titre de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de rejeter intégralement cette demande. En l’espèce, la cour a notamment mis en avant la fragilisation des liens affectifs qui avaient pu exister entre l’enfant et la mère d’intention, du fait de la virulence des conflits et de l'absence de contacts réguliers entre elles, et l'intérêt de l'enfant à ne pas voir raviver les rivalités dont elle faisait l'objet. Ayant ainsi mis en balance les différents droits et intérêts en présence, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, estimé que l'intérêt supérieur de l'enfant commandait de rejeter la demande formée par la mère d’intention sur le fondement de l'article 371-4, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L8011IWM, et a ainsi légalement justifié sa décision.

♦ Retrait de l’autorité parentale – Motivation de la décision par le juge

Cass. crim., 26 mars 2025, n° 24-82.966, F-D N° Lexbase : A33710D9 : la décision, prise en application de l'article 378 du Code civil N° Lexbase : L8778MLP, de retrait de l'autorité parentale qui ne constitue pas une peine, mais une mesure de protection de l'enfant, de nature civile, n'est pas soumise aux règles de motivation énoncées notamment par l'article 132-1 du Code pénal N° Lexbase : L9834I3M. La cour d'appel a prononcé par des motifs dont il résulte que le retrait de l'autorité parentale, apprécié au jour de la décision, a été ordonné dans l'intérêt de l'enfant.

Pour aller plus loin : v. M. Musson, De la motivation du retrait de l’autorité parentale fondé sur l’article 378 du Code civil, Lexbase Famille Patrimoine Personnes (FPP), mai 2025 N° Lexbase : N2239B3C.

II. Divorce

Prestation compensatoire – Prise en compte de la situation de concubinage du débiteur

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 23-14.618, F-D N° Lexbase : A77090QL : la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. En rejetant la demande de prestation compensatoire, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la situation de concubinage du débiteur n'avait pas une incidence sur l'appréciation de la disparité que la rupture du mariage était susceptible de créer dans les conditions de vie respectives des époux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

♦ Abandon de famille – Non-paiement de prestation compensatoire

Cass. crim., 9 avril 2025, n° 24-85.079, F-D N° Lexbase : A67190IP : le renvoi, auquel procède l'article 227-3 du Code pénal N° Lexbase : L2400MA7, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019, à l'énumération figurant au I de l'article 373-2-2 du Code civil N° Lexbase : L2416MAQ, a pour seule portée de désigner la nature de l'acte qui fixe l'obligation dont l'inexécution est pénalement sanctionnée. Cette énumération contient les décisions judiciaires, ainsi que les conventions homologuées par le juge. Ce renvoi n'a pas pour effet de limiter l'objet des obligations méconnues, prévues par l'article précité du Code pénal, qui incluent les prestations de toute nature devant être versées au conjoint, si elles sont dues en vertu d'une obligation familiale prévue par le code civil, ce qui est le cas d'une prestation compensatoire. La décision de culpabilité de la cour d'appel pour abandon de famille, du fait du non-paiement de la prestation compensatoire par le prévenu, était donc justifiée.

III. Droit international privé

Procédure de divorce – Distinction entre les aspects de la décision portant sur les régimes matrimoniaux et ceux portant sur des obligations alimentaires

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 23-14.642, F-D N° Lexbase : A77170QU : Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 27 février 1997, C-220/95, Antonius van den Ad c. Paula [M] N° Lexbase : A9769AUD), qu'en raison du fait que, dans le contexte d'une procédure de divorce, un juge de common law peut par une même décision, régler tant les rapports matrimoniaux que les obligations alimentaires, le juge de l'État membre dans lequel est invoquée cette décision est tenu de distinguer entre les aspects de la décision portant sur les régimes matrimoniaux et ceux portant sur des obligations alimentaires en ayant égard, dans chaque cas d'espèce, à l'objectif spécifique de la décision rendue, lequel devrait pouvoir être déduit de la motivation de cette décision. S'il en ressort qu'une prestation est destinée à assurer l'entretien d'un époux dans le besoin ou si les besoins et les ressources de chacun des époux sont pris en considération pour déterminer son montant, la décision a trait à une obligation alimentaire. En revanche, lorsque la prestation vise uniquement à la répartition des biens entre les époux, la décision concerne les régimes matrimoniaux et ne peut donc être exécutée en application de la convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Une décision qui combine les deux fonctions peut être, conformément aux prévisions de cette convention, partiellement exécutée, dès lors qu'elle fait clairement apparaître les objectifs auxquels correspondent respectivement les différentes parties de la prestation ordonnée.

Principe d'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale – Principe relevant de la conception française de l'ordre public international – Loi sénégalaise

CE 2/7 ch.-r., 24 avril 2025, n° 490561 N° Lexbase : A80570NQ : d'une part, les jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes produisent leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, sauf dans la mesure où ils impliquent des actes d'exécution matérielle sur des biens ou de coercition sur des personnes. Si l'autorité administrative doit tenir compte de tels jugements dans l'exercice de ses prérogatives, il lui appartient toutefois, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de ne pas fonder sa décision sur des éléments issus d'un jugement étranger qui révéleraient l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international ; d'autre part, le principe d'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale est au nombre des principes relevant de la conception française de l'ordre public international. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a, d'une part, relevé que le tribunal hors classe de Dakar avait, conformément aux dispositions du code de la famille sénégalais, accordé la délégation de l'autorité parentale à la seule demande du père de l'enfant et, d'autre part, estimé, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que l'attestation signée par la mère de l'enfant indiquant avoir consenti à la procédure que se bornait à produire la requérante ne présentait pas un caractère probant. En déduisant de ces circonstances que le jugement du tribunal hors classe de Dakar révélait l'existence d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international dont il résulte qu'une délégation d'autorité parentale à un tiers ne peut pas être accordée par un des parents de l'enfant concerné sans l'accord de l'autre parent, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas méconnu son office ni commis d'erreur de droit.

Loi enfermant dans un délai de forclusion l'action en recherche de paternité pouvant être exercée par la mère pendant la minorité de l'enfant – Loi camerounaise – Contrariété à l’ordre public international

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 22-24.549, F-B N° Lexbase : A15730QC : Il résulte des articles 3 N° Lexbase : L2228AB7 et 311-14 du Code civil N° Lexbase : L8858G9X que, si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l'établissement de la filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l'ordre public international lorsqu'elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d'établir sa filiation, peu important que l'action soit ouverte à l'enfant après sa majorité. Tel est le cas d'une loi qui enferme dans un délai de forclusion l'action en recherche de paternité pouvant être exercée par la mère pendant la minorité de l'enfant.

IV. Filiation

Tierce opposition à l’encontre du jugement d’adoption – Dol ou fraude

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 23-14.206, F-D N° Lexbase : A75700QG : aux termes de l'article 353-2 du Code civil N° Lexbase : L5334MEB, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, la tierce opposition à l'encontre du jugement d'adoption n'est recevable qu'en cas de dol ou de fraude imputable aux adoptants. Après avoir retenu que le dol ou la fraude invoqués ne visaient pas à obtenir un jugement d'adoption, mais portaient sur la cession de parts sociales et la diminution du capital d'une société, et que les trois enfants de l’adoptant étaient parfaitement informés de ce que celui-ci avait toujours maintenu son projet d'adoption, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer une recherche que ses appréciations rendaient inopérante, en a déduit que la tierce opposition était irrecevable, et a, ainsi, légalement justifié sa décision.

V. Indivision/Partage

♦ Attribution préférentielle d’une entreprise agricole – Indivision en nue-propriété

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 24-15.624, F-B N° Lexbase : A15800QL : s'il résulte de la combinaison des articles 831 N° Lexbase : L9963HNC et 833 N° Lexbase : L9972HNN du Code civil que tout héritier copropriétaire en nue-propriété peut demander l'attribution préférentielle par voie de partage, à charge de soulte s'il y a lieu, de toute entreprise agricole à l'exploitation de laquelle il participe ou a participé effectivement, une telle attribution, en tant que modalité du partage, ne peut porter que sur les droits compris dans l'indivision à partager. Dès lors, si l'indivision n'existe qu'en nue-propriété, le copropriétaire en nue-propriété ne peut être admis qu'à solliciter une attribution en nue-propriété.

♦ Indemnité d'occupation – Occupation par un indivisaire non privative et non exclusive

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 23-16.963, F-D N° Lexbase : A76240QG : l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité. La circonstance que l'un des titulaires d'un droit de jouissance indivise occupe seul l'immeuble ne caractérise pas, en soi, une occupation privative, laquelle suppose en outre que son occupation exclue la même utilisation par son cotitulaire.

Partage judiciaire - Juge commis pour surveiller les opérations de partage – Pouvoir de désigner un expert

Cass. civ. 2, 27 mars 2025, n° 22-18.970, F-B N° Lexbase : A42220CD : il découle des articles 272 N° Lexbase : L2316LUC, 1364, alinéa 1er N° Lexbase : L6318H77, 1365, alinéas 2 et 3 N° Lexbase : L6319H78 et 1371, alinéa 1er N° Lexbase : L6325H7E du CPC que le juge commis pour surveiller les opérations de partage, qui ordonne une expertise portant sur des actifs de la masse à partager aux fins de liquidation de celle-ci en vue de son partage, tient son pouvoir de désigner un expert des articles 1365 et 1371, alinéa 1er, précités, et non de l'article 1371, alinéa 3 précité. En usant de ce pouvoir, il ne vide pas sa saisine, restant saisi de la surveillance des opérations de partage.

Pour aller plus loin : v. J. Casey, Partage : le juge commis n’est pas dessaisi par la désignation d’un expert, Lexbase Famille Patrimoine Personnes (FPP), mai 2025 N° Lexbase : N2240B3D.

VI. Majeurs protégés

Agrément des mandataires judiciaires à la protection des majeurs exerçant à titre individuel

Décret n° 2025-373 du 24 avril 2025 N° Lexbase : L4195M9A : le texte modifie le contenu du dossier de demande d'agrément et les pièces à transmettre après l'obtention de l'agrément afin de permettre aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs exerçant à titre individuel de recourir à la prestation de services pour les tâches de secrétaire spécialisé et la mise à disposition de locaux professionnels.

Assistance du curateur dans le cadre d’une action en justice

Cass. civ. 1, 2 avril 2025, n° 23-16.509, F-D N° Lexbase : A11650GA : selon l'article 468, alinéa 3, du Code civil N° Lexbase : L2334IB3, la personne en curatelle ne peut introduire une action en justice ou y défendre sans l'assistance de son curateur ; doit dès lors être censuré l'arrêt qui déclare l'action de la banque recevable, constate la déchéance du terme du prêt, prononce la déchéance de la banque de son droit aux intérêts contractuels et condamne le majeur protégé à lui payer une certaine somme avec intérêts au taux légal, sans qu'il résulte d'aucune des énonciations de l'arrêt, ni d'aucune pièce de la procédure, que son curateur ait été appelé à l'instance afin de l'assister.

VII. Nationalité

Acquisition de la nationalité française par déclaration – Souscription de la déclaration dans un délai raisonnable

Cass. civ. 1, 2 avril 2025, n° 23-13.440, F-D N° Lexbase : A11670GC : Il résulte de l'article 21-13 du Code civil N° Lexbase : L2359ABY que peut réclamer la nationalité française par déclaration la personne qui a joui, d'une façon constante, de la possession d'état de Français pendant les dix années précédant sa déclaration, à condition d'agir dans un délai raisonnable à compter de la connaissance de son extranéité. En jugeant que l’intéressé n'avait pas souscrit la déclaration dans un délai raisonnable, après avoir retenu que l'extranéité de celui-ci avait été constatée par un jugement réputé contradictoire du 24 avril 1992, dont ce dernier avait eu connaissance en novembre 2016 et qu'il avait attendu plus de deux ans pour souscrire, le 22 février 2019, sa déclaration sur le fondement de l'article 21-13 du Code civil, sans tenir compte du délai de neuf mois qui s'était écoulé entre la date à laquelle il avait déposé un dossier, dont il n'était pas soutenu qu'il ne fût pas complet, de déclaration de nationalité auprès du greffe du tribunal et la date à laquelle il avait pu obtenir un rendez-vous pour souscrire cette déclaration, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Français de statut civil de droit commun domiciliés en Algérie à la date de l'annonce officielle des résultats du scrutin d'autodétermination - Preuve de l'admission d'une personne originaire d'Algérie à la citoyenneté française

Cass. civ. 1, 2 avril 2025, n° 23-22.167, F-D N° Lexbase : A12730GA : Il résulte de l'article 30, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L2713AB4 que la charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. Aux termes de l'article 32-1 de ce même code N° Lexbase : L2774ABD, les Français de statut civil de droit commun domiciliés en Algérie à la date de l'annonce officielle des résultats du scrutin d'autodétermination conservent la nationalité française quelle que soit leur situation au regard de la nationalité algérienne. Il s'en déduit, d'une part que la preuve de la qualité de Français ne se confond pas avec celle du statut civil de droit commun et, d'autre part, que la preuve de l'admission d'une personne originaire d'Algérie à la citoyenneté française ne peut être rapportée que par la production d'un décret ou d'un jugement d'admission au statut civil de droit commun.

VIII. Soins psychiatriques sans consentement

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 23-23.390, F-D N° Lexbase : A06020RQ : l'absence d'information de la commission départementale des soins psychiatriques sans consentement, consécutive à son inactivité dans le département, des décisions d'admission et de maintien des soins sans consentement peut porter atteinte aux droits de la personne concernée en la privant de l'éventualité que cette commission, examinant sa situation, sollicite la levée de la mesure de soins psychiatriques et que le juge procède alors aux deux expertises prévues à l'article L. 3211-12 du Code de la santé publique N° Lexbase : L3498MKR. Tel pourrait être le cas si, malgré la situation de la personne et l'inactivité de la commission, le juge n'ordonne pas ces expertises.

Présentation à l’audience – Motifs médicaux faisant obstacle à l’audition

Cass. civ. 1, 9 avril 2025, n° 24-11.626, F-D N° Lexbase : A66160IU : Il résulte des articles L. 3211-12-2 N° Lexbase : L3585MKY, L. 3211-12-4 N° Lexbase : L3586MKZ et R. 3211-8 N° Lexbase : L7439MMH du Code de la santé publique que, si le premier président, saisi d'un appel d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention, ne peut se dispenser d'entendre à l'audience la personne admise en soins psychiatriques sans consentement que s'il résulte de l'avis d'un médecin des motifs médicaux qui font obstacle à son audition ou si, le cas échéant, est caractérisée une circonstance insurmontable empêchant cette audition, il en va autrement lorsque la personne n'est plus en hospitalisation complète, qu'avisée de la date d'audience, il lui incombe alors de se présenter d'elle-même à l'audience ou d'en solliciter le report en raison d'une impossibilité de s'y présenter.

Déclaration d’appel contre une ordonnance du JLD – Sanction de l’exigence de motivation

Cass. civ. 1, 9 avril 2025, n° 24-13.675, F-D N° Lexbase : A66300IE : Selon l’article R. 3211-19 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4798LTU, le premier président ou son délégué est saisi par une déclaration motivée de l'appel contre une ordonnance du juge des libertés et de la détention en matière de contrôle des mesures de soins sans consentement. Cette disposition n'a pas assorti d'une sanction l'exigence de motivation de la déclaration d'appel, dérogatoire au droit commun de l'appel, et ce recours peut être formé sans l'assistance de leur avocat par des personnes considérées comme atteintes de troubles mentaux ne leur permettant pas de consentir à des soins. L'exigence de motivation ne constituant pas une formalité substantielle ou d'ordre public, la nullité de l'acte n'est donc pas encourue en l'absence de motivation de la déclaration d'appel.

Délai d’appel contre une ordonnance du JLD – Point de départ du délai

Cass. civ. 1, 9 avril 2025, n° 23-23.391, F-D N° Lexbase : A66340IK : selon l’article R. 3211-18, alinéa 1er, du Code de la santé publique N° Lexbase : L9931I39, l'ordonnance du juge est susceptible d'appel devant le premier président de la cour d'appel ou son délégué, dans un délai de dix jours à compter de sa notification. Il se déduit des dispositions des articles R. 3211-16 N° Lexbase : L9933I3B, alinéa 1er, et R. 3211-18, alinéa 1er, précité du Code de la santé publique que tant que la personne faisant l'objet des soins n'a pas reçu notification de la décision, le délai de dix jours ne saurait courir et lui être opposé.

Placement en UMD – Compétence de la juridiction judiciaire

Cass. civ. 1, 9 avril 2025, n° 23-12.529, F-D+R N° Lexbase : A67310I7 : Il résulte de la décision du Tribunal des conflits (T. Confl., 3 juillet 2023, n° 4279, publié N° Lexbase : A425098W) que la juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur la demande de l’intéressé de mainlevée du placement en UMD et de transfert dans une unité psychiatrique générale. Viole le principe de séparation des pouvoirs le premier président de la cour d’appel qui déclare la juridiction judiciaire incompétente pour statuer sur cette demande.

IX. Successions-Libéralités

♦ Assurance vie – Primes ayant un caractère manifestement exagéré – Justification eu égard à la situation patrimoniale du souscripteur

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 23-10.983, F-D N° Lexbase : A75400QC : les primes versées par le souscripteur d'un contrat d'assurance sur la vie ne sont rapportables à la succession ou soumises à réduction que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur. Un tel caractère s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l'utilité du contrat pour celui-ci. En retenant que les sommes investies dans les contrats d’assurance vie sont excessives eu égard à l'absence d'aléa et à l'inutilité pour le souscripteur de ces contrats, sans avoir égard à la situation patrimoniale de la souscriptrice au moment du versement des primes litigieuses, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

♦ Donation – Fraude paulienne

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 22-20.929, F-D N° Lexbase : A05910RC : Il résulte de l'article 1341-2 du Code civil N° Lexbase : L0672KZW que la fraude paulienne peut être réalisée par tout acte dont il résulte l'appauvrissement du débiteur. La cour d'appel a relevé que les SCI dont les parts faisaient l'objet de la donation en cause avaient réalisé des bénéfices sociaux au cours des exercices antérieurs à l'acte de donation et que celles-ci, en dépit de leur passif respectif, disposaient, en janvier 2018, d'un patrimoine immobilier non négligeable. Ayant ainsi fait ressortir la distribution possible de dividendes futurs, elle en a souverainement déduit que le fait que les dividendes des SCI n'aient pas été effectivement distribués était sans incidence sur la valeur du droit à les percevoir et que les parts sociales avaient une valeur qui ne pouvait être nulle. Par ces seuls motifs, caractérisant la valeur positive de l'usufruit des parts sociales objet de la donation litigieuse et, partant, l'appauvrissement de l’intéressé qui en est résulté, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

♦ Aide et assistance apportée par un enfant à ses parents – Enrichissement injustifié – Prescription

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 23-15.838, F-B N° Lexbase : A15700Q9 : Il résulte de l'article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC et les principes qui régissent l'enrichissement sans cause que l'aide et l'assistance apportées par un enfant à ses parents peuvent donner lieu au paiement d'une indemnité dans la mesure où, excédant les exigences de la piété filiale, les prestations librement fournies ont réalisé à la fois un appauvrissement pour l'enfant et un enrichissement corrélatif de ses parents, et que la créance en résultant, immédiatement exigible auprès de leurs bénéficiaires, se prescrit selon les règles du droit commun, soit cinq ans à compter de la date à laquelle celui qui la revendique a connu les faits lui permettant d'exercer son action.

♦ Succession vacante – Déclaration de créances – Titre exécutoire

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 23-14.643, F-B N° Lexbase : A15860QS : selon les articles 809-3 N° Lexbase : L9887HNI, 810-4 N° Lexbase : L9892HNP et 810-5 N° Lexbase : L9893HNQ du Code civil, en cas de succession vacante, le curateur, auprès de qui est faite la déclaration de créances, est seul habilité à payer les créanciers de la succession. Il dresse un projet de règlement du passif qui prévoit le paiement des créances dans l'ordre prévu à l'article 796 du même code N° Lexbase : L9871HNW et ne peut payer, sans attendre ce projet, que les frais nécessaires à la conservation du patrimoine, les frais funéraires et de dernière maladie, les impôts dus par le défunt, les loyers et autres dettes successorales dont le règlement est urgent. Ces textes n'édictent aucune interdiction, pour les créanciers, tenus de déclarer leur créance au curateur, de saisir le juge du fond pour obtenir un titre exécutoire, dont l'exécution sera différée jusqu'à l'établissement du projet de règlement du passif.

♦ Rapport successoral des libéralités – Intention libérale

Cass. civ. 1, 30 avril 2025, n° 23-19.359, F-D N° Lexbase : A76870QR : il résulte de l'article 843, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L9984HN4 que seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession. En déduisant l'existence de l'intention libérale du donateur de son seul appauvrissement au profit des intéressé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

newsid:492245

Actualité judiciaire

[Dépêches] Condamnation de Doctrine : le pillage numérique ne peut tenir lieu de stratégie économique

Réf. : CA Paris, pôle 5, ch. 1, 7 mai 2025, n° 23/06063 N° Lexbase : A22470RN

Lecture: 2 min

N2261B37

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Le 13 Mai 2025

Nous saluons la décision rendue par la cour d'appel de Paris le 7 mai 2025 qui condamne Doctrine, détenue en majorité par le fonds d’investissement américain Summit Partners, pour des actes de concurrence déloyale à l’égard des sociétés Lefebvre Dalloz - éditions Dalloz, Lamy Liaisons - Groupe Karnov, Lexbase, LexisNexis et Lextenso.

Par cette décision, qui fait primer le droit, la cour d’appel a caractérisé une stratégie de captation clandestine, massive, et automatisée de contenus juridictionnels protégés, opérée sans autorisation, en retenant notamment que : « Il résulte des développements qui précèdent des présomptions graves, précises et concordantes, au sens de l’article 1382 du Code civil N° Lexbase : L1018KZQ, que la société Forseti s’est procuré des centaines de milliers de décisions de justice des tribunaux judiciaires de première instance de manière illicite sans aucune autorisation ».

L’innovation, en toute matière, n’exonère pas du respect des règles de droit.

Nous prenons également acte de la condamnation pénale à 18 mois d’emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d’amende d’un ancien salarié de Doctrine pour « accès frauduleux et d’extraction illégale » de plus de 50 000 décisions de justice, comme le rapporte le média Le Point dans son article « Siphonnage de données au tribunal : l’ex-salarié d’une plateforme d’IA juridique condamné ».

Depuis toujours, nos maisons investissent dans la qualité, la rigueur et la transmission du droit, au service des professionnels, des institutions et de l’intérêt général. Nos entreprises continueront à défendre une information juridique exigeante, vérifiée et enrichie, qui repose sur des méthodes transparentes et respectueuses des droits de chacun. Nous œuvrons au quotidien pour la transformation numérique de notre secteur au service des professionnels du droit, mais pas à n’importe quel prix ni selon n’importe quelles méthodes.

Le droit, rien que le droit.

newsid:492261

Actualité judiciaire

[A la une] Lauréat du prix Goncourt, l’écrivain Kamel Daoud visé par deux mandats d’arrêt algériens en lien avec son dernier ouvrage

Lecture: 4 min

N2260B34

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par Axel Valard

Le 13 Mai 2025

Écrire sur la « décennie noire » (1992-2002) en Algérie en pleine période de tensions entre Paris et Alger est sans doute un exercice nécessaire. Mais il est aussi risqué. C’est sans doute pour cela que l’écrivain Kamel Daoud, lauréat du dernier prix Goncourt pour son livre « Houris », est aujourd’hui dans le viseur de la justice algérienne et française.

La France a été informée de l’émission, par la justice algérienne, de « deux mandats d’arrêts internationaux » contre Kamel Daoud, a ainsi indiqué, mercredi 7 mai, Christophe Lemoine, porte-parole du ministère des Affaires étrangères. « Nous suivons et nous suivrons l’évolution de cette situation avec attention », a-t-il poursuivi, tout en soulignant que Kamel Daoud est « un auteur respecté et reconnu » et que la France est attachée à la liberté d’expression.

Alors que Boualem Sansal est toujours détenu en Algérie sans que l’on comprenne réellement pourquoi, le sort de Kamel Daoud vient assombrir un peu plus les relations entre Paris et Alger. Si l’élastique s’est tendu sur la question de la reconnaissance, par le Maroc, du Sahara occidental et sur celle des expulsions d’Algériens délinquants de France, le cas de Kamel Daoud semble totalement différent.

Le vol de l’histoire personnelle d’une victime en débat.

En effet, l’auteur paraît ici subir les conséquences de l’écriture de son dernier ouvrage « Houris » (Éditions Gallimard) qui vient d’être couronné du célèbre prix Goncourt et qui s’est écoulé à 440 000 exemplaires déjà. L’ouvrage raconte l’histoire d’une jeune femme, rescapée d’un massacre pendant la « décennie noire » de guerre civile en Algérie qui a fait 200 000 morts. Handicapée à vie par les sévices qu’elle a subis et muette depuis, cette femme s’interroge, une bonne partie du livre, sur l’opportunité de mettre au monde un enfant dans le monde qui nous entoure, alors que ses bourreaux ont été amnistiés.

Après la sortie de l’ouvrage, l’Algérienne Saâda Arbane avait indiqué s’être reconnue dans le portrait dressé de la victime et avait assigné l’auteur en justice en France pour « non-respect de la vie privée ». Elle avait notamment expliqué que la psychiatre qui l’avait soignée n’est autre que la femme de l’écrivain Kamel Daoud, faisant ainsi le lien avec lui. Une audience de mise en état vient d’ailleurs de se tenir à ce sujet en France.

En parallèle de la procédure française, Saâda Arbane semble aussi avoir activé la justice algérienne qui, en conséquence, a donc émis deux mandats d’arrêt internationaux contre Kamel Daoud. La plainte de cette femme, doublée d’une autre de l’Organisation nationale des victimes du terrorisme, semble en effet être la cause de cette procédure judiciaire, l’émission d’un mandat d’arrêt étant automatique en pareil cas, selon le Code de procédure pénale algérien.

Un recours pour éviter que les mandats d’arrêt ne soient diffusés.

De son côté, Kamel Daoud a toujours protesté contre ces accusations. Mi-décembre, sur France Inter, il avait expliqué que l’histoire de Saâda Arbane était « publique » en Algérie mais aussi que son roman « ne raconte pas sa vie ». Son éditeur Gallimard avait, lui, dénoncé les « violentes campagnes diffamatoires orchestrées par certains médias proches d’un régime dont nul n’ignore la nature ».

Avocate de Kamel Daoud, Jacqueline Laffont ne dit pas autre chose. « Les motivations de tels mandats algériens ne pourraient qu’être politiques et s’inscrire dans un ensemble de procédures menées pour réduire au silence un écrivain dont le dernier roman évoque les massacres de la décennie noire en Algérie ». Elle a indiqué qu’elle allait engager un recours, auprès d’Interpol, pour éviter que ces mandats d’arrêt « visiblement abusifs » soient diffusés et fassent peser un risque sur la vie de son client.

newsid:492260

Collectivités territoriales

[Jurisprudence] La dénomination « La Négresse » d’un quartier et d’une rue porte-t-elle atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ?

Réf. : CAA Bordeaux, 4ème ch., 6 février 2025, n° 24BX00144, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A68896TC

Lecture: 24 min

N2165B3L

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par Joël Andriantsimbazovina, agrégé des facultés de droit, professeur à l’École de droit de Toulouse, Institut de Recherche en Droit Européen, International et Comparé, et Justin Kissangoula, Maître de conférences HDR à la Faculté de droit de l’Université Paris Cité

Le 14 Mai 2025

Mots clés : noms de rues • racisme • dignité humaine • droits fondamentaux  • libertés publiques

Au XXIe siècle, la ville de Biarritz peut-elle maintenir l’appellation « La Négresse » d’un de ses quartiers et d’une de ses rues au motif que cela porterait atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ? Portée devant les juridictions administratives, la question divise, la question déchire, mais plus encore la question fait peur.


 

En première instance, saisi par l’Association « Mémoires et Partages », qui lui demandait d’annuler une décision de refus du maire de Biarritz d’abroger des délibérations du conseil municipal, en date du 21 octobre 1861 et du 1er juillet 1986, par lesquelles celui-ci a donné le nom « La Négresse » à un quartier et à une rue de la ville, le tribunal administratif de Pau a rejeté la requête [1].

En appel, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de Pau et a donné satisfaction à l’Association « Mémoires et Partages » ; en vertu de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L7384LP8, elle a enjoint le maire de Biarritz de saisir le conseil municipal pour que ce dernier abroge les arrêtés litigieux dans un délai de trois mois à partir de la notification de l’arrêt [2].

Le bon sens commun semble désormais partagé : la dénomination « La Négresse » d’un quartier et d’une rue de la ville de Biarritz porte atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. En effet, il ne fait aucun doute pour la cour administrative d’appel de Bordeaux que :

« Quelle que soit l’origine supposée de ce terme : « la Négresse », il est constant qu’à la date de la décision attaquée (ici au XXIe siècle), il évoque en des termes dévalorisants l’origine raciale d’une femme, de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine, et peut être perçu par la population, qu’elle soit résidente ou de passage, comme offensant à l’égard des personnes d’origine africaine ».

Cette motivation se veut d’autant plus conforme au bon sens commun, en parlant à tout un chacun, qu’elle s’autorise du considérant de principe du Conseil d’État dans son fameux arrêt dit du « Lancer des nains », rendu par l’Assemblée du contentieux en date du 27 octobre 1995 [3], dont elle épouse, non seulement les contours mais plus encore la philosophie argumentative : dans les deux cas, il s’agirait, avec le sceau de la protection de la dignité de la personne humaine, d’interdire un spectacle (« le lancer des nains ») et une expression (« la Négresse ») déshumanisants. Mais comparaison n’étant toujours pas raison, l’indignité du « lancer des nains » ne vaut l’indignité du substantif « la Négresse ». Il ne peut s’agir de la même chose. Ou pour le dire différemment, en motivant sa décision comme elle l’a fait, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, tout simplement, cédé à l’air du temps, sans pour autant mesurer les implications culturelles, intellectuelles, juridiques, et politico-philosophiques de sa motivation. Or, les inconvénients d’une telle conception à la fois émotionnelle (I) et absolue (II) du principe de sauvegarde de la dignité humaine sont nombreux.

I. Une conception émotionnelle du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine

Là où le tribunal administratif de Pau indiquait pour sa part qu’ « il n’est pas contesté que le conseil municipal de Biarritz a donné ce nom, dans une perspective mémorielle, dans le but de rendre hommage à la personne considérée et à l’histoire locale qui l’accompagne, et non dans le but de présenter de manière dégradante, humiliante ou avilissante une esclave ou descendante d’esclave à la peau noire ou de stigmatiser les membres d’une communauté pour un motif raciste », la cour administrative d’appel de Bordeaux a répondu qu’aussi bien l’histoire du quartier (A) que l’analyse sémiologique de l’expression « la Négresse » (B) ne font pas le poids face au profond et douloureux sentiment d’indignité des « narrativités noires » pour lesquelles cette appellation « est attentatoire à la dignité de la personne humaine en raison de sa connotation raciste et sexiste, et de son incitation à la discrimination ou à la haine à l’égard de personnes en raison de leur appartenance à une race ».

A. La dignité de la « Négresse » opposée à l’histoire et à l’héritage du quartier du même nom

Il ne fait pas de doute que la cour administrative d’appel de Bordeaux a épousé le « sentiment d’indignité » des « narrativités « noires » » que Cynthia Fleury définit comme « un sentiment d’atteinte à l’intégrité physique et psychique, comme si l’irréductible en soi était humilié, déshonoré, et que les institutions autour font précisément l’inverse de ce qu’elles sont censées faire : alors même qu’elles devraient pérenniser des conditions accompagnant l’épanouissement des individus, elles destituent scrupuleusement les ressorts intimes d’une singularité. Quand un individu est réduit au statut d’objet et doit subir l’arbitraire le plus complet – à savoir celui de la violence décomplexée -, il ne peut que se vivre comme « indigné » (protestation) devenant « indigne » (perte de l’estime de soi) » [4]. L’association requérante ne s’y est d’ailleurs pas trompée puisqu’elle a non seulement crié victoire mais plus encore, elle a indiqué que ce succès est d’autant plus symbolique qu’elle a été obtenue dans un lieu, l’immeuble qui abrite la cour administrative d’appel de Bordeaux, qui a autrefois appartenu à une famille bordelaise qui s’enrichit dans le commerce d’esclaves. Tout se passe comme si dès l’origine, ontologiquement donc, la dénomination du quartier et de la rue « La Négresse » à Biarritz avait pour dessein avoué ou inavoué d’anathématiser les femmes noires. Sinon, selon notre compréhension actuelle, pourquoi avoir choisi d’essentialiser cette dame, de l’avoir décrite et finalement réduite à la seule couleur noire de son épiderme ou à sa race et ne pas l’avoir appelé par son identité propre ? « La Négresse » n’avait-elle pas un nom, un prénom et une origine [5] ? Cette lecture émotionnelle et non point rationnelle de la dignité de « la Négresse » peut de surcroît s’autoriser de nombreux précédents, aussi bien en France [6] qu’à l’étranger [7], où l’on a assisté à des suppressions/ effacements des noms de villes, de quartiers, de rues, des écoles, pour ne citer que ces cas, lorsque l’on venait à découvrir que l’appellation en question avait partie liée avec le sentiment d’indignité [8].

Mais est-ce que cette lecture est la seule possible ? Ne peut-on pas repenser le principe de sauvegarde de la dignité de « la Négresse » en « zoomant » sur l’identité pure de la « Négresse » et sur son apport à l’animation dudit quartier de Biarritz  ? Peut-on à proprement s’exclamer et gloser sur la bague de la dignité lorsque l’on sait que la sanction de l’indignité du quartier et de la rue « la Négresse » à Biarritz se fera au détriment de la valorisation/respectabilité de « la Négresse » dont il s’agit d’effacer les traces d’existence à Biarritz depuis le 19e siècle [9], étant admis qu’il s’agissait-là de sa seule identité, de la preuve de son existence ?

La cour administrative d’appel de Bordeaux n’envisage pas cette autre dimension de l’histoire. Cependant que « les premières formes d’indignité subies sont des invisibilisations, des dénis de présence, des délégitimations. Ce qui a été vécu, non seulement l’intensité du malheur, mais toute autre forme de subjectivation, est nié » [10]. En décidant de l’appellation d’un de ses quartiers et d’une de ses rues « La Négresse », le Conseil municipal de Biarritz, où siègent les élus municipaux de la majorité et de l’opposition, a, par plusieurs actes officiels, par des délibérations en date du 21 octobre 1861 et du 1er juillet 1986, rendu visible, signalé la présence sur les lieux et légitimé l’existence de « la Négresse » en tant que partie prenante et intégrante de l’identité de la ville de Biarritz. Il convient de noter, pour répondre à une question volontairement posée plus haut, que jusqu’à l’abolition de l’esclavage par le décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises du 27 avril 1848, les noirs de France n’avaient pas officiellement de noms, l’on parlait volontiers pour les désigner de la « négresse », du « nègre », de l’ « africain » ou « des colonies ». A une époque où ces personnes étaient invisibilisées, les actes officiels aujourd’hui contestés procèdent de cette reconnaissance de l’apport de « la Négresse » à l’animation/ édification d’un des quartiers et d’une des rues de la ville de Biarritz.

Ainsi par une sorte d’ironie de l’histoire, c’est-à-dire au moment même où il est de plus en plus question de signaler la présence ancienne des noirs en France métropolitaine, donc d’identifier l’apport des noirs à la construction/ édification de la société française [11], cette décision vient permettre d’effacer toute trace de « la Négresse » dans la dynamique d’édification/ construction de la ville de Biarritz. En effet, la toponymie, en tant que science sociale qui mobilise les acquis de l’ensemble des autres sciences sociales, en empruntant aussi bien à l’histoire, à la géographie, à la sociologie, à l’anthropologie, à l’archéologie qu’à la géopolitique, enseigne que l’appellation des noms des rues, des quartiers, des villes, des pays, est une opération qui a aussi un sens éminemment politique en ce que la charge affective, ici l’attachement des biarrotes à leur « négresse », l’emporte très largement sur la charge afflictive, ici l’infériorisation d’une femme noire et la stigmatisation d’un quartier et ses habitants. En effet, avoir sa personnalité, être affiché sur tout un quartier, toute une rue, et plus encore, dans une ville, dans un pays est non seulement un puissant symbole qui suscitera toujours la curiosité, mais plus encore un indicateur majeur de sa contribution à la constitution/construction et valorisation des lieux, ici du quartier et de la rue « la Négresse ». Ainsi, cette demande d’effacement de l’appellation du quartier et de la rue « la Négresse » est une opération séduisante et dans l’air du temps mais elle est historiquement dévastatrice, car il ne s’agit rien moins que de vouloir faire table rase de deux siècles d’histoire de ce quartier et de cette rue de Biarritz. Mais en fait et à bien y regarder, ce ne sont pas deux siècles d’histoire et d’héritage de « la Négresse » dans un des quartiers et dans une des rues de Biarritz que les juges et les requérants voulaient effacer, c’est plus radicalement le mot nègre qu’il veulent sortir du vocabulaire français.

B. De la dignité de la « Négresse » à l’effacement du mot « nègre » du vocabulaire français

Tous ceux qui, depuis Alexis de Tocqueville, s’intéressent à la circulation des idées entre le monde anglo-saxon, les États-Unis en tête, et le monde français ou francophone s’inquiétaient d’abord et redoutaient ensuite le moment où la problématique du « n-word » [12] s’imposerait dans le débat français, c’est-à-dire le moment où la décision sera prise de procéder à l’interdiction/ effacement du mot « nègre » dans le vocabulaire français. La cour administrative d’appel de Bordeaux vient d’ouvrir le débat, pour ne pas dire la boîte de Pandore. Si un quartier et une rue « La Négresse » à Biarritz posent problème et suscitent « un sentiment d’indignité » des « narrativités noires » qu’il appartient aux autorités publiques d’apaiser, il faudra s’attendre à ce que les noms, pour ne citer que ceux-ci qui sont en lien direct avec l’objet de ce commentaire, à savoir les patronymes de « Nègre », « Négresse », « Noir » portés par des personnes non noires suscitent le même sentiment d’indignité. Que faudra-t-il alors faire ?

A priori, l’on pouvait légitimement penser que le débat sur la suppression, Randall Kennedy parle carrément d’éradication [13], du « n-word » n’aurait pas lieu en France, la France étant le pays où est né le mouvement de la négritude [14]. Pour comprendre ce qu’est ce mouvement et ce qu’il a insufflé comme vent nouveau dans la perception/ appropriation du mot nègre par les noirs, il faut en premier lieu revenir à l’un de ses principaux animateurs, à savoir Aimé Césaire, l’auteur du fameux et puissant Discours sur le colonialisme [15]. Dans une vidéo disponible sur toutes les plateformes en ligne [16], il explique ceci : « Je passe dans une rue, mais il me semble que c’était à Paris certainement, je me suis mal rangé : Hé là ! j’entends « petit nègre », et moi je réponds automatiquement « le petit nègre t’emmerde ». Et j’avais commencé une Revue, la Revue du Monde Noir, j’ai dit non il faut mettre la Revue du monde Nègre. Parce que le mot nègre était pour eux une insulte et un mot péjoratif ». Ce mot qui sonne comme une insulte, Césaire le revendique, il devient le chantre de la négritude, avec lui tout un peuple retrouve sa fierté et renoue avec ses racines. L’œuvre de Césaire est hantée par les souvenirs de la traite et de l’esclavage. Il termine par « Quand j’ai écrit, c’était pour me délivrer d’une pensée, d’une idée, d’un sentiment (…) ». Il faut en deuxième lieu révéler cette autre réalité française qu’« au XIXe siècle, la colonisation a véhiculé en France une image négative de l’homme noir. C’est avec la Première Guerre mondiale que le regard porté sur les Noirs va se modifier. (…). Dans le Paris des années folles, l’esthétique nègre est désormais à la mode. En 1925 est organisée la première exposition d’art nègre, un art qui va influencer considérablement les Fauves et les Cubistes. C’est le peintre cubiste Fernand Léger qui conseille à André Daven, administrateur du Théâtre des Champs-Élysées, de monter un spectacle entièrement exécuté par des Noirs : la fameuse Revue nègre. L’Américaine Caroline Dudley constitue la troupe à New-York : vingt-cinq artistes dont douze musiciens – parmi lesquels Sidney Bechet -, et une danseuse vedette, Joséphine Baker (1906-1975) » [17]. Le mouvement de la négritude est donc, selon Aimé Césaire, ce mouvement littéraire qui s’est donné pour but d’exprimer les problèmes de l’homme noir sur la base d’une prise de conscience par celui-ci de sa propre et de sa véritable condition. Il a consisté en une réappropriation par les noirs et pour les noirs de stéréotypes négatifs que l’on véhiculait sur eux pour en faire des stéréotypes neutres, sinon positifs. Pour faire simple, l’on est parti de ce cri de révolte qu’est « Le nègre vous emmerde » pour aboutir à ce cri de délivrance qu’est « je suis nègre et fier de l’être ».

Comment, dans ce contexte français, expliquer puis justifier que les mots « nègre » et la « négresse » puissent être effacés du vocabulaire, étant dorénavant admis qu’ils n’ont incontestablement pas la même charge dévalorisante et afflictive que le « n-word » qui est considéré aux États-Unis comme « le mot le plus répugnant, le plus sale et le plus méchant de la langue anglaise » [18].

Une autre façon de contester la mobilisation par la cour administrative d’appel de Bordeaux du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine pour proscrire tout usage du mot « nègre » ou « négresse » dans le vocabulaire serait sans doute de relativiser la portée de ce principe et en conséquence de le concilier avec d’autres droits et libertés fondamentaux, à l’instar de la liberté d’expression.

II. Une conception absolue du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine

En privilégiant la sensibilité d’une partie du public dans la mise en œuvre du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la cour administrative d’appel de Bordeaux occulte volontairement le caractère variable et contingent du contenu et de la portée de la notion de dignité humaine. Son contenu recouvre tout autant la dignité des salariés [19], la dignité des fonctions [20], la dignité des patients [21], le respect de la personne humaine privée de liberté [22], le respect de l’intégrité physique [23], le respect de la personne humaine dès le commencement de la vie [24], le respect de la personne humaine après son décès [25], etc. Accolée aux mots « nègre » ou « négresse », la portée du principe de sauvegarde de la dignité humaine est différente en fonction du contexte de l’utilisation de ces mots : une portée absolue lorsque le contexte de son utilisation donne un sens péjoratif, insultant et dégradant à « nègre » ou à « négresse » ; une portée relative lorsque le contexte est artistique, culturel, historique, littéraire, mémoriel, pédagogique, philosophique et scientifique. En mettant de côté cette donnée, la cour administrative d’appel de Bordeaux exclut la conciliation du principe de sauvegarde de la dignité humaine avec d’autres droits fondamentaux (A°). Elle prend le risque de déconstruire ainsi la cohésion nationale et le vivre ensemble (B°).

A. L’absence de conciliation avec d’autres droits fondamentaux

En l’espèce, il n’est pas démontré que l’appellation « La Négresse » a été choisie dans un contexte péjoratif, insultant et dégradant. Elle véhicule une histoire propre du quartier concerné. Dans ce cadre, l’usage du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine pour apprécier son illégalité implique une prise en compte d’autres droits fondamentaux, comme la liberté d’expression par exemple. Une telle démarche entraîne la mise en œuvre du principe de proportionnalité.

C’est ce qui ressort de quelques exemples de position de différentes juridictions en droit comparé concernant la mise en œuvre du principe de dignité humaine lui-même.

La sensibilité particulière d’un groupe de personnes ou d’une communauté à l’égard d’une question ne suffit pas à faire déclarer un acte comme illégal ou à justifier la condamnation pénale d’une personne qui tient des propos que certains groupes considèrent comme portant atteinte à leur dignité. Ainsi, dans l’affaire « Perinçek c. Suisse » de 2015 à propos du discours du requérant qui nia publiquement tout génocide perpétré par l’Empire ottoman à l’encontre du peuple Arménien en 1915, tout en étant consciente de « l’extrême sensibilité » de la communauté arménienne sur ce sujet, la Cour européenne des droits de l’homme analysa concrètement le discours incriminé avant de considérer qu’il ne portait pas atteinte « à la dignité des Arméniens qui ont souffert et péri au cours de ces événements ainsi qu’à la dignité et à l’identité de leurs descendants » [26]. Elle condamna alors la Suisse pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme du fait de la condamnation pénale du requérant.

De même, dans son arrêt « Zubair Haqbin » de 2019, la Cour de justice de l’Union européenne fait certes du principe de dignité humaine une limite au pouvoir des États membres de l’Union européenne de restreindre les conditions matérielles d’accueil des migrants et des mineurs non accompagnés, mais elle considère que « l’obligation pour les États membres de faire en sorte que les demandeurs aient accès aux conditions matérielles d’accueil n’est pas absolue » [27] ; de plus, lorsque les États membres prennent des sanctions à l’égard des mineurs non accompagnés en cas de manquement grave au règlement des centres d’hébergement ou/et de comportement particulièrement violent, la Cour de justice exige la prise en compte « de la situation particulière du mineur ainsi que le principe de proportionnalité » [28].

Dans son arrêt « Nikolaus Kramer c. Présidente du Landtag Mecklenburg-Vorpormmern » de 2019, la cour constitutionnelle du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale a estimé que l’utilisation du mot « nègre » par un membre du parlement régional ne contrevient pas automatiquement à la dignité et au bon ordre de l’assemblée [29]. En citant d’autres juridictions allemandes, la cour constitutionnelle régionale constate que le mot « nègre » est généralement perçu de nos jours comme péjoratif et insultant à l’égard des personnes à la peau foncée, mais considère que l’interdiction générale de son usage est contraire au droit de parole du membre du parlement régional dès lors qu’elle est faite sans prise compte du contexte du débat. Seule l’étude du contexte même permet de déterminer si l’usage du mot « nègre » est dégradant, insultant, péjoratif et raciste.

Dans l’espèce jugée par la cour administrative de Bordeaux, la motivation de l’arrêt écarte sans examen approfondi le contexte historique et mémoriel de la dénomination du quartier de La Négresse et d’une voie de la commune de Biarritz. Les simples références au premier et au troisième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et à l’article 14 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont bien insuffisantes pour enjoindre à une commune d’abroger des délibérations portant sur la dénomination d’un quartier et d’une rue. Il eût été plus conforme au principe de proportionnalité de prendre en considération la volonté de la commune de Biarritz de prévoir l’installation de plaques d’information pour rendre hommage à la personne concernée et à l’histoire locale qui l’accompagne.

La motivation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux inclut implicitement une conception subjective de la morale ou de la moralité publique dans le principe de sauvegarde de la dignité humaine alors même que le Conseil d’État l’exclut dans son arrêt « Commune de Morsang-sur-Orge ». Ce faisant, la cour administrative d’appel de Bordeaux développe une conception approximative du principe de sauvegarde de la dignité humaine dépendante de la sensibilité d’une partie seulement du public. Une telle démarche est susceptible de perturber la cohésion nationale et le vivre ensemble.

B. La déconstruction de la cohésion nationale et du vivre ensemble

Le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine peut justifier l’interdiction de certains spectacles lorsque ceux-ci peuvent porter atteinte à la cohésion nationale [30]. Il peut servir de fondement à une telle interdiction dans certaines circonstances bien précises. Dans son ordonnances du 9 janvier 2014, relatives à des spectacles dans lesquels étaient tenus régulièrement des propos antisémites, le juge des référés du Conseil d’État considérait « qu'au regard du spectacle prévu, tel qu'il a été annoncé et programmé, les allégations selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la cohésion nationale relevés lors des séances tenues à Paris ne seraient pas repris à Nantes ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition républicaine ; qu'il appartient en outre à l'autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises » [31].

De même, en dehors du domaine de la police administrative, l’effacement par principe d’un mot qui peut être constitutif d’insulte voire de propos raciste dans certains contextes alors qu’il peut avoir une autre signification dans d’autres contextes est susceptible aussi de porter atteinte à la cohésion nationale. En effet, faire dépendre le principe de sauvegarde de la dignité humaine de la sensibilité d’un groupe ou d’une communauté de la société constitue un risque de perturbation de cette cohésion. Si, en dehors de tout contexte, tout groupe ou toute communauté peut revendiquer l’interdiction de l’utilisation d’un mot parce que celui-ci est perçu comme attentatoire à la dignité de la personne humaine, la cohésion de la société serait fortement mise à mal. Le juge deviendrait l’instrument de ce type de revendication perturbatrice. Comme l’écrivait l’avocat général Stix-Hackl dans ses conclusions sur l’arrêt « Omega » de la Cour de justice de l’Union européenne : « la dignité humaine n’acquiert de forme et de contenu concrets que par sa traduction et sa mise en œuvre dans les divers droits fondamentaux, auxquels elle sert de critère d’interprétation et d’évaluation. La dignité humaine est en effet — à l’instar de la notion d’être humain, à laquelle elle se réfère directement — une catégorie qui, en tant que telle, ne peut faire l’objet à proprement parler d’aucune définition ou interprétation juridique classique; elle pourra en fait être concrétisée avant tout dans les décisions individuelles prises par les juges » [32]. En statuant comme elle l’a fait dans l’affaire de la dénomination du quartier de La Négresse de la commune de Biarritz, la cour administrative d’appel de Bordeaux ouvre la boîte de Pandore.

L’approche absolue du principe de sauvegarde de la dignité humaine peut aussi menacer le vivre ensemble [33]. Ce dernier traduit le bon ordonnancement de la vie sociale [34]. Tant l’administration, dans l’exploitation de son pouvoir de police administrative, que le juge, dans l’exercice de son contrôle juridictionnel, devraient être attentifs à cet objectif. Le principe de sauvegarde de la dignité humaine ne saurait être transformé en un instrument de déconstruction de la vie en société. Si l’on doit être attentif à la souffrance et à la sensibilité de certains groupes ou de certaines communautés, cette attention ne devrait pas faire perdre de vue la diversité des moyens pour y répondre. On ne devrait recourir à l’interdiction généralisée et à l’élimination d’un mot que lorsqu’il n’existe pas de solutions moins radicales pour garantir l’équilibre entre la prise en compte, d’un côté de la sensibilité d’un groupe ou d’une communauté, et de l’autre côté de l’histoire et la mémoire communes d’une société. La tentation de l’élimination du mot « nègre », qui a des facettes insultantes et péjoratives mais qui porte aussi un combat pour la dignité des personnes à la peau noire, aboutirait à une société dépourvue de règles et valeurs communes et dominée par les sensibilités propres de ses différentes composantes. Est-ce le sens que l’on veut donner au vivre-ensemble dans une société démocratique ? [35].


[1] TA Pau, 21 décembre 2023, n° 2002396 N° Lexbase : A04626Z7.

[2] CAA Bordeaux, 6 février 2025, n° 24BX00144 N° Lexbase : A68896TC.

[3] CE, Ass., 27 octobre 1995, n° 136727 N° Lexbase : A6382ANP, Rec. 372, concl. P. Frydman.

[4] C. Fleury, La Clinique de la dignité, Follio essais, Paris 2025, p. 33

[5] S. Nicaise, La question noire en France. Mémoire de l’esclavage et mobilisation sociale, Études 2006/9, Tome 405, pp. 199-208

[6] Les exemples sont nombreux.

[7] Voir par exemple, aux États-Unis, en Afrique du Sud, en Angleterre, au Canada, en Belgique, en Nouvelle Zélande…

[8] Voir en dernier lieu, les retentissements de l’affaire Abbé Pierre.

[9] Voir par exemple, Ch. Lozère, « Être noir en France » au XIXe siècle, dossier de l’art. 2019, Le modèle noir, de Géricault à Matisse, 267, pp. 58-61 ; M. Ndiaye et F. Alexis, Les noirs en France du 18e siècle à nos jours, Paari éd., 2019 ; E. Noël, Être noir au XVIIIe siècle, Paris, Tallandier, 2006

[10] C. Fleury, La clinique de la dignité, op. cit., p. 33.

[11] Voir par exemple, P. Blanchard (dir.), La France noire, trois siècles de présence, Paris, éd. La découverte, 2011.

[12] Voir par exemple, R. Kennedy, Nigger. Histoire du racisme et usage d’un mot controversé, trad. De l’anglais par Hélène Borraz, 2025, 240 p ; C. Wecksteen-Quinio, Comment rendre les sens du « N-Word » ? L’exemple de la traduction française de A time to Kill de John Grisham, Revue française d’études américaines, 2023/1, n° 174, pp. 58-77 ; C. Vettorato, The n-word : les usages du mot « nigger » dans la littérature africaine américaine, Revue électronique d’études françaises de l’APEF, juin 2011, pp. 27-50

[13] R. Kennedy, Nigger. Histoire du racisme et usage d’un mot controversé, trad. De l’anglais par Hélène Borraz, 2025, 240 p.

[14] Voir par exemple, A. Césaire, Nègre je suis, nègre je resterai. Entretiens avec Françoise Vergès, Paris, Albin Michel, coll. Espaces Libres, Idée, 2024 ; A ; Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine, Poésie, 1939 ; L ; Gontran Damas, Pigments, Paris, Présence Africaine, 1937 ;  L ; Gontran Damas, Poèmes nègres sur des airs africains, Paris,  GLM éditeurs, 1948 ; J ; Price-Mars,  Ainsi parla l’oncle, Montréal, éd. Mémoire d’encrier, 1928 ; F ; Fanon, Peau Noire, Masques blancs, Paris, Seuil, 1952 ; L. Sédar Senghor, Négritude et humanisme, Paris, Seuil, 1964 ; S. Bachir Diagne, La négritude comme mouvement et comme devenir, Revue-rue-Descartes, 2014/4, n° 83, pp. 50-61 ; A. Irele, The Negritude moment : explorations in francophone African and Caribbean thought, Trenton, Africa World Press, 2011, 259 p  ; L. Kesteloot, Négritude et situation coloniale, Clé, Yaoundé, 1968, 93p ; L. Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine, Paris, Karthala, AUF, 2004 ; Th. Tranchant, Négritude et universalisme selon Aimé Césaire, Souleymane Bachir Diagne et Norman Ajari, Revue Présence Africaine, 2023/1, n° 2023, pp. 223-259

[15] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, coll. « le colonialisme », 1951.

[16]  Site internet Brut du 5 mai 2006.

[17] Voir La Revue nègre sur museefrancoamericain.fr, site internet du Musée franco-américain du Château de Blérancourt.

[18] Cité par R. Kennedy, Nigger. Histoire du racisme et usage d’un mot controversé, op.cit.

[19] CE, 11 juillet 1990, n° 86022 N° Lexbase : A5656AQK, Rec. 215.

[20] CJCE, 6 mars 2001, aff. C-274/99P, B. Connolly c. Commission N° Lexbase : A5936AYI, Rec. I-1611.

[21] CE, Ass., 2 juill. 1993, n° 124960 N° Lexbase : A0325AND, Rec. 194.

[22] CEDH, 30 janvier 2020, Req. 9671/15 et 31, JMB et autres c/ France N° Lexbase : A83763C9; CEDH, 4 avril 2024, Req. 17731/19, Tamazount e.a c/ France N° Lexbase : A459523L § 155 ; CE, 3 octobre 2018, n° 410611 N° Lexbase : A6582X8B, Rec. 359.

[23] CEDH, 22 novembre 1995, S.W c/ Royaume-Uni N° Lexbase : A8378AW9, Série A B, § 44.

[24] Cons. const., décision n° 94-343-344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et des produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal N° Lexbase : O7440BU4, Rec. 100 ; C. civ., art. 16 N° Lexbase : L1687AB4.

[25] C. civ., art. 16-1-1 N° Lexbase : L3420ICN.

[26] CEDH, GC, 15 octobre 2015, Req. 27510/08, Perinçek c/ Suisse N° Lexbase : A2687NTP, § 252.

[27] CJUE, gr. ch., 12 novembre 2019, aff. C-233/18, Zubair Haqbin N° Lexbase : A4161ZUN, point 35.

[28] CJUE, gr. ch., 12 novembre 2019, aff. C-233/18, Zubair Haqbin, préc., point 53.

[29] LVerfG M-V, 1/19, 19 décembre 2019, Nikolaus Kramer c/ Présidente du Landtag Mecklenburg-Vorpormmern. Nous remercions Claus Dieter Classen, professeur à l’Université de Greifswald et juge à la cour constitutionnelle du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, de nous avoir communiqué l’arrêt accompagné de sa traduction en français.

[30] Sur la cohésion nationale, voir M. Guerrini, La cohésion nationale, théâtre d’objectivisation des droits fondamentaux, RDLF, 2021, chr. n° 3.

[31] CE, référé, 9 janvier 2014, n° 374508 N° Lexbase : A0741KTM, Rec.1.

[32] CJCE, 14 octobre 2004, aff. C-36/02, Omega Spielhallen- und Automatenaufstellungs-GmbH c/ Oberbürgermeisterin der Bundesstadt Bonn N° Lexbase : A5861DDG, point 85.

[33] Sur un aspect constitutionnel du vivre ensemble, voir. M. Guerrini, Une interrogation constitutionnelle sur le vivre ensemble : la question de société, Questions constitutionnelles, 31 mars 2025.

[34] J. Andriantsimbazovina, “Vivre ensemble” et droit des libertés, AJDA, 2020, p. 2009.

[35] Le conseil municipal de Biarritz a voté le 5 mai en faveur du changement de nom de la rue de La Négresse en rue de l’Allégresse, le quartier éponyme gardant cependant sa dénomination initiale (Biarritz a trouvé un nouveau nom pour son quartier « La Négresse », Le Point, 6 mai 2025).

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Procédure pénale

[Dépêches] Étendue de la confiscation d’un terrain sur lequel est érigé un bâtiment postérieurement à la saisie pénale immobilière

Réf. : Cass. crim., 30 avril 2025, n° 24-80.795, F-D N° Lexbase : A74960QP

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N2259B33

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par Matthieu Hy, Avocat

Le 13 Mai 2025

Statuant sur une requête en difficulté d’exécution déposée par le condamné et relative à une peine de confiscation immobilière, la juridiction n’a pas le pouvoir de restreindre ou d’accroître les droits que le jugement a consacrés et donc de modifier la chose jugée. La confiscation du sol entraîne la propriété du dessus et du dessous, dont les bâtiments, y compris s’ils ont été érigés postérieurement à la saisie pénale immobilière.

Dans le cadre d’une affaire de fraude fiscale, passation d’écritures comptables inexactes ou fictives en comptabilité, abus de biens sociaux, faux et usage, le tribunal correctionnel a condamné le prévenu notamment à la peine de confiscation d’un terrain lui appartenant qui avait été préalablement saisi dans le cadre de l’enquête. Une fois le jugement devenu définitif, ce dernier a déposé une requête en difficulté d’exécution tendant à ce que la confiscation soit limitée au seul terrain et ne soit pas prononcée en nature mais en valeur. En effet, postérieurement à la saisie pénale du terrain, le propriétaire avait poursuivi la construction d'un bâtiment devenu le logement familial de celui-ci.

Le tribunal correctionnel a déclaré irrecevable la requête. Sa décision a été frappée d’appel par le condamné. L’arrêt de la cour d’appel a fait l’objet d’un premier pourvoi en cassation qui a prospéré dès lors que « lorsque le tribunal ou la cour statue sur les incidents contentieux relatifs à l’exécution des décisions, la partie requérante ou son avocat doivent avoir la parole en dernier » [1].

Statuant sur renvoi de la chambre criminelle, la même cour d’appel, autrement composée, a rejeté la requête. Saisie d’un nouveau pourvoi, la Cour de cassation l’a rejeté.

D’une part, elle rappelle que statuant sur une requête fondée sur l’article 710 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L2377M9W et portant sur la décision de confiscation, une cour d’appel ne peut restreindre ou accroître les droits qu’elle consacre [2] et modifier ainsi la chose jugée [3]. Le condamné, qui n’avait pas interjeté appel du jugement, ne pouvait dès lors demander la limitation de la confiscation au terrain ni solliciter la modification du fondement de la confiscation. Ce type de requête ne doit pas être confondu avec la requête en difficulté d’exécution, fondée sur la même disposition, permettant à toute personne non condamnée pénalement propriétaire d’un bien ayant été confisqué en son absence [4] d’en solliciter la restitution [5], sans que ne puisse lui être opposée l’autorité de la chose jugée.

D’autre part, la Haute juridiction expose que l’article 552 du Code civil N° Lexbase : L3131ABL prévoit que la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous de sorte que le bâtiment achevé postérieurement à la saisie pénale entrait nécessairement dans l’assiette de la confiscation. Rappelant cette seule règle, la chambre criminelle fait l’économie du débat ayant manifestement eu lieu devant la cour d’appel relatif au droit dont disposait le propriétaire du bien saisi de réaliser la construction. En effet, l’article 706-145, alinéa 1er, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7241IM7 interdit de disposer du bien saisi tandis que l’article 706-143, alinéa 3, du même code N° Lexbase : L7243IM9 subordonne tout acte ayant pour conséquence de transformer, modifier substantiellement le bien ou en réduire la valeur à l’autorisation préalable du magistrat ayant ordonné la saisie. Quoiqu’il en soit, l’affaire posait moins la question de l’assiette de la confiscation que de sa valeur une fois le bâtiment construit et son usage à titre de logement familial. Néanmoins, l’incidence de cette nouvelle situation ne pouvait être débattue que lors de l’audience de jugement.


[1] Cass. crim., 30 juin 2021, n° 20-83.222 N° Lexbase : A20884YY.

[2] Déjà en ce sens, Cass. crim., 5 avril 2023, n° 22-85.904 N° Lexbase : A96401LM.

[3] Déjà en ce sens, Cass. crim., 15 septembre 2021, n° 20-85.404 N° Lexbase : A915744W ; Cass. crim., 6 décembre 2023, n° 23-84.279 N° Lexbase : A670017B.

[4] Voir néanmoins à propos d’un accusé acquitté dont un bien a été confisqué par la cour d’assises : Cass. crim., 10 avril 2019, n° 18-85.370 N° Lexbase : A7856Y8H.

[5] Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-81.741 N° Lexbase : A5397NIQ ; Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-81.147 N° Lexbase : A9723NHL ; Cass. crim., 5 octobre 2022, n° 21-86.870 N° Lexbase : A11828N4 ; Cass. crim., 4 septembre 2024, n° 23-82.769 N° Lexbase : A32355YH.

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