Lexbase Contentieux et Recouvrement n°6 du 11 juillet 2024

Lexbase Contentieux et Recouvrement - Édition n°6

Civil

[Focus] Le nouveau droit de la publicité foncière « à appliquer de préférence avant » fin 2028

Réf. : Ordonnance n° 2024-562, du 19 juin 2024, modifiant et codifiant le droit de la publicité foncière N° Lexbase : L6789MME

Lecture: 13 min

N9831BZ7

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par Claire Séjean-Chazal, Professeur à l'Université Sorbonne Paris Nord, Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement

Le 02 Août 2024

Mots-clés : publicité foncière • droits réels immobiliers • opposabilité • codification • réforme • vente • donation • hypothèque • fichier immobilier

L’ordonnance du 19 juin 2024 consacre la réforme attendue du droit de la publicité foncière. Suivant en grande partie les recommandations du rapport Aynès, elle codifie la matière dans le Livre II du Code civil et la recentre sur sa fonction première : assurer l’opposabilité des droits réels immobiliers.


 

1. La réforme du droit de la publicité foncière était annoncée et attendue. Les décrets du 4 janvier N° Lexbase : L9182AZ4 et du 30 octobre 1955 N° Lexbase : L1795DNS, qui régissent aujourd’hui la matière, avaient fait l’objet de quelques modifications ponctuelles pour s’adapter tantôt à la révision du cadastre, à l’informatisation des bureaux des hypothèques, ou encore à la création du service de la publicité foncière. Ces changements ponctuels ne masquaient pas la nécessité d’une refonte d’ensemble de la matière. C’est ce que réalise l’ordonnance n° 2024‑562, du 19 juin 2024, modifiant et codifiant le droit de la publicité foncière N° Lexbase : L6789MME [1].

Cette réforme est le résultat d’un long processus, qui avait débuté par la mission, confiée au Professeur Laurent Aynès, de réunir une commission chargée de rédiger un avant‑projet. Celui‑ci fut rendu au garde des Sceaux le 12 novembre 2018 [2]. Depuis lors, les discussions s’étaient poursuivies avec les professions et se sont avérées décisives. Habilité une première fois [3], le gouvernement n’était pas parvenu à promulguer l’ordonnance dans le délai accordé. La seconde tentative fut la bonne. Le texte ne prévoit pas de date expresse d’entrée en vigueur, mais une date butoir. L’entrée en vigueur est en effet différée à la fixation d’une date par décret en Conseil d’État, devant intervenir avant le 31 décembre 2028. Ce délai de plusieurs années est certainement nécessaire pour mettre en place les dispositifs techniques induits par les nouveaux textes, et présente l’avantage de permettre aux professions de s’adapter en douceur, quoique l’ordonnance ne procède pas à un bouleversement de la matière.

L’ordonnance sera ici présentée sous les deux aspects mis en avant dans son titre même : codification (I) et modification (II) du droit de la publicité foncière.

I. La codification

2. Le principe. Le rapport de la commission Aynès se prononçait en faveur d’un regroupement des dispositions de nature législative au sein du Code civil. Plusieurs arguments militaient en ce sens, à commencer par le fond même de la matière : la publicité foncière touche au droit des biens, aux contrats et aux sûretés immobilières, mais n’en est qu’un adjuvant. Par conséquent, il a été considéré que son autonomie n’était pas suffisante pour créer un code distinct, mais que le Code civil était son réceptacle naturel. De plus, depuis la loi du 28 mars 2011 N° Lexbase : L8851IPI, le Code civil contenait déjà un titre dédié à la publicité foncière, mais qui ne comprenait qu’un article relatif au principe d’authenticité des actes publiables [4]. L’emplacement avait donc déjà été pensé pour accueillir les règles de droit commun de la matière, et c’est ce que l’ordonnance concrétise. Bien sûr, l’efficacité de ces règles dépendra des textes réglementaires, mais cela ne paraît pas une raison suffisante pour ne pas se réjouir de l’insertion de la matière dans le Code civil [5].

3. La nouvelle structure. À compter de l’entrée en vigueur de la réforme, le Code civil verra son titre V du Livre II, « De la publicité foncière » fortement étoffé. Il sera composé de cinq chapitres : le premier posant les « principes généraux de la matière » (futurs art. 710‑1 à 710‑6), le deuxième traitant des « dispositions communes aux formalités de publicité foncière » (futurs art. 710‑7 à 710‑21), les deux suivants relatifs aux formalités respectives de publication (futurs art. 710‑22 à 710‑40), et de mention en marge (futurs art. 710‑41 à 710‑45), enfin, le cinquième rappellera l’existence de régimes dérogatoires en Alsace‑Moselle et à Mayotte.

Cette nouvelle présentation respecte parfaitement les canons de la codification, et à ce titre, ne peut qu’être saluée. Le nouveau plan, débutant par des principes généraux et s’attachant ensuite aux formalités spéciales, dont la présentation interne est chronologique, permettra incontestablement de renforcer l’accessibilité de la matière, conformément aux orientations souhaitées par la loi d’habilitation.

L’ordonnance s’attaque également aux droits spéciaux de la publicité foncière. Elle commence par abroger le régime dérogatoire, mais devenu anachronique [6], de publicité des donations immobilières qui se trouvait aux articles 939 N° Lexbase : L5310IMM, 940 N° Lexbase : L0096HPA et 941 N° Lexbase : L0097HPB du Code civil. La publicité de ces libéralités est donc renvoyée aux règles de droit commun. Elle rénove ensuite le régime spécial de l’inscription des hypothèques, en réécrivant intégralement la section du Livre IV qui lui est dédiée (futurs art. 2421 et s.). Cette publicité conserve sa particularité, notamment en raison de son caractère facultatif affirmé en tête des règles à venir (futur art. 2421). Cette singularité se matérialise par son maintien dans le Livre IV relatif aux sûretés, hors du droit commun de la publicité foncière.

4. La persistance du fond. Le but de cette réforme n’a jamais été de révolutionner la matière. Au contraire, le rapport Aynès proposait de recentrer la publicité foncière sur sa mission originelle : assurer l’opposabilité des droits réels, qui avait été perdue de vue au fur et à mesure de l’allongement de la liste des informations faisant l’objet d’une publicité au fichier immobilier. Dès lors, les futures règles reprennent une grande partie des principes existants, tout en modernisant leur formulation pour une meilleure lisibilité.

Ainsi, le chapitre relatif aux principes généraux codifie la fonction centrale d’opposabilité des droits (art. 710‑1), le rôle de l’État dans la tenue du fichier (art. 710‑2), la forme authentique des actes (art. 710‑3), le principe de l’effet relatif (art. 710‑5) et le droit, pour toute personne, d’obtenir les informations contenues par le service de la publicité foncière (art. 710‑6). Dans les dispositions communes à toutes les formalités, on ne s’étonnera pas de retrouver la possibilité d’un refus de formalité en cas d’irrégularité flagrante au moment du dépôt (art. 710‑9), le principe de tenue chronologique du registre des dépôts (art. 710‑10), et la précision que cet ordre détermine la date et donc le déploiement des effets de la formalité (art. 710‑14).

La liste des actes publiables est rationalisée et simplifiée : les futurs articles 710‑22 à 710‑24 définissent, en raison de leur objet, les actes donnant lieu à une publication obligatoire – actes et décisions affectant l’existence, l’usage ou la disposition d’un droit réel immobilier, actes constatant une prescription acquisitive ou une autre transmission ou constitution résultant de la loi, etc. Dans ces différentes présentations générales, on reconnaîtra la quasi‑totalité des actes aujourd’hui visés par le décret du 4 janvier 1955. L’article 710‑28 maintient quant à lui la possibilité de publier les promesses unilatérales de vente, toujours uniquement à titre facultatif, mais aux fins d’opposabilité. Les décrets d’application devront à la fois fixer une liste limitative des actes impérativement soumis à publication, mais également leur tarif ; le rapport Aynès préconisant notamment une contribution fixe de quinze euros au titre de la CSI pour la publication des promesses.

Le futur article 710‑37 codifie le principe de priorité au primo‑publiant, et les articles 710‑33 et 710‑34 récapitulent les règles de priorité entre publications et/ou inscriptions prises le même jour. En cas d’impossibilité de publier à raison du refus d’une partie, il est toujours possible de procéder à la publication d’un acte constatant le refus ou d’une demande en justice, afin de prendre rang utilement : l’article 710‑38 conserve donc la faculté de « prénotation », sans toutefois employer le terme, jugé insuffisamment accessible.

Les futures dispositions de ce titre sont donc majoritairement une codification à droit constant des règles existantes. Il en va de même pour celles du Livre IV, relatives à l’inscription des hypothèques. Cependant, la réforme ne se contente pas de codifier l’existant, elle propose quelques innovations.

II. Les modifications

  1. 5. Une lecture exhaustive de l’ordonnance et du rapport qui l’accompagne est nécessaire pour prendre la mesure de l’intégralité des modifications. Seules les plus attendues, ou les plus débattues, seront présentées dans ces lignes.
  2. 6. L’ouverture de l’accès au fichier. La première nouveauté qui intéressera tous les lecteurs de cette revue se trouve au futur article 710‑18 : le traitement automatisé des renseignements, déjà ouvert aux notaires grâce à l’Accès des Notaires au Fichier immobilier [7], le sera également, à l’avenir, aux commissaires de justice et aux avocats. Cette faculté est le résultat d’un dialogue continu entre ces professions et la Chancellerie. L’article reconnaît donc cet accès au flux de données du fichier aux autres professionnels du droit usagers de la publicité foncière, à charge pour les professions concernées de déployer les outils nécessaires à cet accès d’ici l’entrée en vigueur de l’ordonnance, et selon des modalités qui seront fixées par décret en Conseil d’État.

7. La consécration d’une opposabilité objective. La seconde innovation importante de l’ordonnance tient à l’abrogation de l’alinéa 2, de l’article 1198 du Code civil N° Lexbase : L0906KZL qui, à l’occasion de la réforme du droit des obligations du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK, avait réintroduit la condition de bonne foi dans la résolution du conflit entre acquéreurs successifs d’un même auteur. Sur les recommandations de la commission de travail, cet alinéa sera abrogé. La règle de priorité au primopubliant redevient totalement objective, indifférente à la bonne foi de celui‑ci. Cela permet de revenir à la jurisprudence antérieure [8], de redonner à l’opposabilité sa force pleine et entière et d’assurer la sécurité juridique qui doit nécessairement s’attacher aux mentions du fichier immobilier. Le futur article 710‑37 écarte toutefois cette règle en cas de fraude, laquelle, on le sait, corrompt tout.

8. La suppression de certaines publications. Toujours dans ce but affiché de recentrer la publicité foncière sur sa mission première d’opposabilité des droits réels immobiliers, certaines publications seront à l’avenir supprimées. Il en va ainsi des baux de plus de douze ans et des contrats de promotion immobilière. Certaines publications sont en revanche conservées alors même qu’elles ne sont pas requises à titre d’opposabilité. C’est le cas des actes de notoriété pour les transmissions par décès, dont la mention au fichier est malgré tout nécessaire afin d’assurer la continuité de la chaîne des transmissions (futur art. 710‑24).

  1. 9. La transformation du « rejet » en « arrêt ». L’ancienne procédure de « rejet de la formalité » change de nom. Son sort était en suspens, car le rapport Aynès avait proposé de supprimer la distinction, parfois artificielle et inefficace, entre refus et rejet. L’ordonnance fait le choix de la maintenir, aux futurs articles 710‑11 à 710‑13, sous l’appellation nouvelle d’ « arrêt de la formalité ». En cas d’irrégularité détectée par le SPF après le dépôt, un délai de régularisation sera ouvert, entraînant la « suspension » de la formalité, et le cas échéant, son arrêt définitif, à défaut de régularisation.

10. La publication des décisions étrangères. La règle de l’actuel article 4, alinéa 2 du décret du 4 janvier 1955 N° Lexbase : Z36500KI, imposant une réitération des décisions étrangères en forme authentique, ne sera pas conservée. Le futur article 710‑31 prévoit en effet de revenir à la possibilité, plus simple, de déposer ces actes au rang des minutes d’un notaire exerçant en France. Le notaire sera chargé d’en contrôler les conditions d’acceptation et de reconnaissance, avant de procéder à leur publication.

11. La publication des demandes en justice. L’actuel article 30, 5° du décret du 4 janvier 1955 N° Lexbase : Z36523KI prévoit que le défaut de publication d’une demande en justice tendant à obtenir la résolution, la révocation ou l’annulation d’actes soumis à publicité foncière est sanctionné par l’irrecevabilité de cette demande. Insolite dans le contexte de la publicité foncière, et source de difficultés pratiques [9], cette sanction ne sera pas maintenue. Une nouvelle sanction sera fixée par voie réglementaire (art. 710‑40), et le rapport au Président indique qu’il s’agira d’une caducité de l’assignation.

12. L’uniformisation des mentions en marge. Le futur article 710‑43 prévoit que les formalités de mention en marge devront toutes se faire par simple dépôt de bordereau au service de la publicité foncière, qui sera chargé uniquement du contrôle de la régularité formelle de la requête, à l’exclusion de tout contrôle au fond. La conformité des bordereaux aux documents correspondants sera certifiée en amont par une personne habilitée. La charge du service devrait s’en trouver allégée, et les délais de publication raccourcis d’autant.

13. La protection du tiers acquéreur d’un immeuble hypothéqué. Le rôle de l’opposabilité en matière de sûretés immobilières sera à l’avenir clairement inscrit dans l’article 2428 N° Lexbase : L7026MM8, selon lequel « le droit de préférence et le droit de suite […] s’exercent à compter de cette inscription ». Cet article innove ensuite, en précisant que « le droit de suite ne peut être exercé lorsqu’une inscription d’hypothèque a été omise sur les extraits et état délivrés au nouveau titulaire de droit réel grevé au plus tôt le jour du dépôt de son titre aux fins de publication ». Bonne nouvelle pour la sécurité des transactions immobilières : le tiers acquéreur pourra échapper au droit de suite des créanciers inscrits lorsqu'il n’a pas pu acheter en connaissance de cause du passif, en raison de l’omission d’une ou plusieurs inscriptions dans l’extrait délivré par le service. Quoique cette règle soit une conséquence logique de la responsabilité de l’État dans la tenue du fichier (rappelée à l’article 710‑20), sa consécration est bienvenue. La nouvelle disposition précise que le créancier inscrit, victime de l’oubli, pourra exercer sa priorité sur le prix tant qu’il lui est possible d’intervenir dans la distribution. Dans le silence du rapport au Président de la République, et la loi ne distinguant pas selon la raison de « l’omission », on ne peut qu’espérer que cette faveur pour le tiers acquéreur s’étende aux inscriptions omises en raison de son délai de publication, et dites « intercalaires ».

14. Conclusion. Cet aperçu rapide permet de prendre la mesure de la réforme effectuée par l’ordonnance du 19 juin 2024 : quelques modifications importantes, qui devraient continuer le raccourcissement du processus de publication – le délai étant aujourd’hui de trente‑cinq jours en moyenne contre cent‑quarante‑deux en 2020 – et permettre de simplifier les interactions entre le SPF et les différentes professions. Mais surtout, une codification des règles existantes et une confortation du rôle central d’opposabilité des droits réels immobiliers. Les décrets d’application sont maintenant attendus à leur tour avec impatience, car l’efficacité de ce futur droit commun en dépend.


[1] V. S. Piédelièvre, L’ordonnance n° 2024‑562 du 19 juin 2024 portant réforme de la publicité foncière, JCP N, juin 2024, n° 26, p. 1143.

[2] Ministère de la Justice, Pour une modernisation de la publicité foncière ‑ Rapport de la Commission de réforme de la publicité foncière, dir. L. Aynès, 12 novembre 2018 [en ligne]. Adde. L. Aynès, « Rendre les règles applicables plus lisibles et les mettre à jour » – Entretien avec Laurent Aynès, président de la commission de réforme de la publicité foncière, JCP N, 2018, n° 933 ; C. Gijsbers, M. Julienne, Vers une réforme de la publicité foncière, Defrénois, janvier 2019, n°144v5, p. 23.

[3]Par la loi « 3DS », loi n° 2022‑217, du 21 février 2022, relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale N° Lexbase : L4151MBD, ouvrant un délai de dix‑huit mois expiré le 21 août 2023.

[4] C. civ., art. 710‑1 N° Lexbase : L8867IP4.

[5] Contra, v. J. Piédelièvre, Aspects institutionnels ‑ Aspects matériels ‑ Évolution, JCP N, 2019, n° 1150.

[6] C. Séjean‑Chazal, L’opposabilité des donations immobilières, ou la fin d’un manque de sagesse du législateur ?, in Mélanges en l’honneur du Professeur Michel Grimaldi, Defrénois‑Lextenso, octobre 2020, p. 915 et s.

[7] Décret n° 2018‑1266, du 26 décembre 2018, relatif aux modalités de délivrance aux notaires de renseignements et de copies d’actes figurant au fichier immobilier géré par la direction générale des finances publiques N° Lexbase : L5889LNG, sur lequel v. M. Bourassin et C. Dauchez, Accès des notaires au fichier immobilier : les notaires au cœur de la transformation numérique de l’action publique, JCP N, 2019, n° 1151.

[8] Cass. civ. 3, 10 février 2010, n° 08‑21.656, FS‑P+B N° Lexbase : A0403ESQ ; Cass. civ. 3, 12 janvier 2011, n° 10‑10.667, FS‑P+B N° Lexbase : A9857GPR.

[9] Sur lesquelles, v. Ministère de la Justice, Pour une modernisation de la publicité foncière ‑ Rapport de la Commission de réforme de la publicité foncière, dir. L. Aynès, précité.

newsid:489831

Commissaires de justice

[Pratique professionnelle] Le jour où j’ai dû arbitrer entre magie noire et procédure civile d’exécution… Une victoire à la (pa)Pyrrhus

Lecture: 5 min

N9859BZ8

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par Raphaèle Gas, Commissaire de justice à la résidence de Versailles

Le 18 Septembre 2024

S’il est bien une matière où le commissaire de justice doit faire preuve de diplomatie et de force de persuasion, c’est celle des saisies immobilières, dans la mesure où la plénitude de la voie d’exécution dépend largement de la collaboration du saisi qui, outre les moyens d’accès au bien, détient les informations visées à l’article R. 322-2 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2441ITL (CPCEx) et doit, in fine et idéalement, accepter la mesure pour quitter les lieux spontanément (faute de quoi il en sera expulsé avec les inconvénients que cela représente pour l’adjudicataire), après avoir donné l’accès du bien aux amateurs lors des éprouvantes visites préalables prévues par l’article R. 322-26 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2445ITQ.

C’est dans cet esprit d’efficace concorde que j’ai, il y a quelques années, délivré un commandement aux fins de saisie immobilière puis réalisé le procès-verbal de description en présence de l’occupante des lieux dont la décoration ésotérique et le contenu de la bibliothèque m’avaient interpellés mais dont je n’avais pris la mesure qu’au moment où, sur mon interpellation, elle m’avait déclaré exercer les fonctions de sorcière puis précisé que si elle était le seul humain à occuper le lieu, il n’en demeurait pas moins que les esprits d’Osiris et de Bouddha étaient présents… Mon quotidien de commissaire de justice m’ayant habitué à toutes sortes de rencontres, j’en avais pris acte.

Le jugement d’orientation ayant ordonné la vente et déterminé les modalités de visite, j’en fixais la date.

Conformément à mon habitude, et en complément de l’affichage obligatoire, je prenais l’attache de l’occupante dans les jours qui précédaient les visites afin de m’assurer de sa collaboration. Elle me confirmait en avoir pris connaissance, m’assurait de sa présence et ajoutait : « Par contre, je ne sais si vous savez mais c’est Lune noire à ce moment. » Je répondais naïvement : « Très bien, je note. »

Le jour des visites, je me présentais avec quelques minutes d’avance pour procéder à leur mise en place. Après avoir, selon l’expression consacrée, frappé de manière audible et répétée, l’occupante ouvrit la porte. Immédiatement je compris que la Lune noire n’était pas un détail : elle portait une chasuble flanquée d’une croix celtique et une coiffe égyptienne… À ma vision, elle déclara tout de go : « Aujourd’hui, c’est pas possible, je suis en plein rituel égyptien de rééquilibrage des forces sélo-tellurique. » Il s’agissait d’un refus catégorique dont l’équilibre des forces obscures dépendait.

En ma qualité d’officier ministériel, il m’appartient d’assurer l’exécution des décisions de justice par tout moyen, y compris en ayant recours à la force publique en cas de refus d’obtempérer.

Mon alternative était donc la suivante : requérir le concours de la force ou tenter la voie diplomatique avec une sorcière pharaonique.

La force présente l’avantage de l’efficacité mais le temps d’intervention est souvent long, entraînant une dégradation de la situation avec le débiteur dont l’opposition est de nature à fortement décourager les amateurs.

La voie diplomatique oblige à des concessions réciproques au cours desquelles le commissaire de justice doit céder aux exigences de l’occupant sans menacer la plénitude de sa mission, à savoir : la visite par tout amateur présent du bien dans son intégralité.

Pour une raison qui m’échappe, j’ai pensé que mon interlocutrice était raisonnable et j’ai opté pour la voie diplomatique.

Après d’étranges échanges, il a été convenu que les visites pourraient avoir lieu à la double condition que les amateurs ne pénètrent pas dans la salle des rituels (décrite au titre sous la désignation : « dressing ») et qu’aucun ne croise le regard des chats noirs présents (au nombre de trois). Le pacte fut scellé après que ma sorcière eut tourné autour de moi un nombre incalculable de fois en prononçant des paroles magiques et en me fumigeant de sauge blanche…

C’est ainsi qu’avec seulement quelques minutes de retard, les visites ont pu commencer et qu’afin d’éviter un parjure qui me rendrait indigne de mon serment et de ma fonction, je demandais au quarante-huit amateurs présents de ne pas aller au-delà du seuil de la porte de la salle des rituels et de ne pas croiser le regard des chats porteurs des esprits garants de l’équilibre sélo-tellurique…

Cette mesure de police des visites, pour iconoclaste qu’elle fut, permit d’exécuter le jugement d’orientation et de mettre le bien en état d’être vendu dans les conditions prévues par le Code des procédures civiles d’exécution.

Épilogue : à l’issue des visites, ma sorcière leva le sort qu’elle avait jeté sur moi (j’en fus sincèrement soulagée) et prophétisa que la vente ne serait pas requise… de fait, elle ne le fut pas…

newsid:489859

Commissaires de justice

[Brèves] Contrôle des comptes de gestion du majeur protégé par un professionnel qualifié

Réf. : Décret n° 2024-659 du 2 juillet 2024 relatif au contrôle des comptes de gestion pris en application de l'article 512 du code civil et modifiant le décret n° 2021-1625 du 10 décembre 2021 relatif aux compétences des commissaires de justice N° Lexbase : L9050MM7

Lecture: 2 min

N9957BZS

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 10 Juillet 2024

► Publié au Journal officiel du 3 juillet 2024, le décret n° 2024-659 du 2 juillet 2024 vient fixer les modalités de désignation du professionnel qualifié désigné en application de l'article 512 du Code civil pour le contrôle des comptes de gestion du majeur protégé.

Ce texte prévoit que, pour le contrôle des comptes de gestion du majeur protégé, le juge des tutelles désigne un professionnel qualifié inscrit sur une liste établie par le procureur de la République.

Cette inscription est subordonnée au respect de conditions de formation ou d'expérience professionnelle, d'assurance et de moralité. Par dérogation, les notaires, les commissaires de justice, les commissaires aux comptes et les mandataires judiciaires à la protection des majeurs sont dispensés de rapporter la preuve qu'ils remplissent ces conditions.

Le décret impose à chaque professionnel qualifié le respect d'une obligation de secret professionnel et d'une interdiction de conflit d'intérêts.

Il fixe les modalités relatives au retrait de la liste du professionnel qualifié par le procureur de la République, à la consultation du dossier par le professionnel qualifié, ainsi qu'au dessaisissement du professionnel qualifié de sa mission de contrôle des comptes de gestion par le juge.

Par ailleurs, il modifie les articles 29 et 30 du décret n° 2021-1625 du 10 décembre 2021 relatif aux compétences des commissaires de justice, pour permettre la désignation des commissaires de justice en qualité de professionnel qualifié pour le contrôle des comptes de gestion des majeurs protégés.

Il précise les critères de la rémunération du professionnel qualifié et prévoit que le coût du contrôle des comptes de gestion n'est pas à la charge de la personne protégée lorsque ses ressources sont inférieures ou égales à un montant déterminé par arrêté. Enfin, il renvoie à deux arrêtés pour la détermination de la rémunération du professionnel qualifié et pour la fixation des modèles de comptes de gestion, d'approbation du compte et de rapport de difficulté.

Pour aller plus loin : cf. ÉTUDE : La curatelle et la tutelle du majeur vulnérable, spéc. L'établissement, la vérification et l'approbation des comptes, in La protection des mineurs et des majeurs vulnérables (dir. A. Gouttenoire), Lexbase N° Lexbase : E4714E4D.

newsid:489957

Contentieux

[Chronique] Chronique de jurisprudence (mai à juin 2024)

Lecture: 1 min

N9863BZC

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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice associé (VENEZIA), Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement, Expert près l’UIHJ

Le 03 Juillet 2024

Mots-clés : commissaire de justice • saisie-attribution • commandement de quitter les lieux • contentieux locatif • état des lieux • procédures civiles d’exécution • constat

La revue Lexbase Contentieux et Recouvrement vous propose de retrouver la sixième chronique illustrée par les plus récentes décisions jurisprudentielles sous la forme d’un contenu original rédigé par Sylvian Dorol, correspondant également à l’évolution du Bulletin d’informations de VENEZIA, édité en partenariat avec les éditions juridiques Lexbase.


 

I. Procédure civile : signification à domicile

- CA Amiens, 30 mai 2024, n° 23/00080 N° Lexbase : A46005GH

II. Contentieux locatif

- CA Lyon, 12 juin 2024, n° 23/07019 N° Lexbase : A47505IR

- CA Aix-en-Provence, 12 juin 2024, n° 23/07832 N° Lexbase : A46645IL

III. Élection de domicile et signification

- CA Lyon, 12 juin 2024, n° 23/06363 N° Lexbase : A46235I3

IV. Saisie par déclaration et article 648 du Code de procédure civile

- CA Bastia, 5 juin 2024, n° 23/00487 N° Lexbase : A97945GT


I. Procédure civile : signification à domicile

Une ordonnance d'injonction de payer a été rendue par le tribunal d'instance d'Amiens en date du 9 septembre 1998. Le 19 avril 2022, le créancier fait délivrer à son débiteur un commandement de payer avec dénonciation d'un procès-verbal d'immobilisation avec enlèvement dressé le 11 avril 2022 portant sur un véhicule de marque Mercedes-Benz Classe CLS. Cette voiture est vendue le 18 octobre 2022.

Le débiteur conteste la mesure le lendemain.

En première instance, le juge de l’exécution :

  • constate la prescription de l'ordonnance d'injonction de payer en date du 9 septembre 1998, revêtue de la formule exécutoire le 16 octobre 1998 ;
  • déclare la procédure de saisie-vente menée contre M. [C] sur le fondement de l'ordonnance d'injonction de payer en date du 9 septembre 1998 nulle et de nulle effet ;
  • prononce l'annulation de l'adjudication du véhicule Mercedes- Benz, pratiquée le 18 octobre 2022 à l'encontre de M. [C] par la SCP KETELS HAUDIQUET BADEROT, commissaires de justice à AMIENS.

Le créancier conteste ce jugement au motif que l'ordonnance d'injonction de payer en date du 9 septembre 1998 n'est en aucun cas prescrite, l'article L. 111-4 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L5792IRX qui a ramené le délai de prescription des titres exécutoires à dix ans tel que résultant de la loi nouvelle du 17 juin 2018, n'ayant pas lieu de s'appliquer, le délai expirant donc le 17 juin 2018 alors qu’un itératif commandement aux fins de saisie-vente a été délivré au débiteur le 11 juillet 2017. Il introduit donc un « référé premier président » afin de suspendre l’exécution provisoire de la décision rendue par le juge de l’exécution.

Cependant, la cour d’appel juge que la demande de suspension de l'exécution provisoire a pour objet d'empêcher la poursuite d'une mesure d'exécution forcée de la part du créancier muni d'un titre exécutoire à l'encontre du débiteur. Or, le jugement qui se prononce sur la nullité de la procédure qui a conduit à la vente par adjudication du véhicule est dépourvu d'effet suspensif, dans la mesure où il ne se prononce pas sur la poursuite d'une voie d'exécution forcée et ne peut donc faire l'objet d'un sursis à exécution.

Pour la cour d’appel d’Amiens, un jugement du juge de l’exécution qui annule une procédure d’exécution ne peut donc voir son exécution provisoire suspendue… Une conclusion étrange, bien que le raisonnement juridique soit fondé !

II. Contentieux locatif

Selon acte sous seing privé du 14 avril 2014, il a été donné à bail, à compter du 11 avril 2014, à une société un local commercial. Les propriétaires étaient les parents (nus-propriétaires) et sa fille (usufruitière).

En date des 22 et 25 novembre 2022, un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail a été délivré au débiteur pour un montant de 25 320,95 euros. Puis, le débiteur remet à l'huissier, dans le délai d'un mois de la délivrance du commandement de payer, onze chèques pour apurement de la dette, cet accord ayant reçu dument exécution puisque l'étude a encaissé le premier chèque.

Le paiement est reconnu valable en raison d’un mandat apparent.

Dans cette décision d’espèce, la cour d’appel affirme « qu’il est de principe qu'un congé notifié pour une date prématurée n'est pas nul, mais prend effet à la date pour laquelle il aurait dû être donné. Toutefois, faute pour le bailleur d'avoir joint au congé la notice d'information prescrite par l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989, le locataire a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits et se croire obligé de libérer les lieux dans les six mois suivant la réception de la lettre recommandée, alors que, le bail ayant pris effet le 5 juin 2008 et ayant été tacitement reconduit par périodes triennales, la date de sa prochaine échéance était le 5 juin 2020 ». En l’espèce, la bailleresse avait donné prématurément congé pour le 31 janvier 2019, afin de reprendre le logement pour y loger sa grand-mère. Le locataire, dans l'ignorance de ses droits, avait libéré les lieux dès le 26 novembre 2018. Le bailleur est donc condamné à la somme de 5 070 euros à titre de dommages-intérêts.

III. Élection de domicile et signification

C’est une affaire somme toute classique qu’a tranchée la cour d’appel de Lyon le 12 juin dernier. Dans le cadre d’un contentieux locatif (mais la solution s’applique plus largement), une partie contestait la signification d’actes de commissaires de justice. En effet, ces procès-verbaux avaient été délivrés à l’adresse des lieux loués, et non à l’adresse qui figurait dans l’avenant au bail. Pour le locataire, le commissaire de justice avait l'obligation légale affectée de l'ordre public au titre de l'article 648 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6811H7E, de procéder à la double signification des actes de procédure au domicile figurant dans le bail et à l'adresse des lieux loués, dès la délivrance de l'assignation.

La cour d’appel, tout en relevant qu’aucun grief n’est argué par le locataire, retient la validité des actes en affirmant que la délivrance de ces actes a été régulièrement effectuée, dès lors que le contrat de bail contient une clause d'élection de domicile aux termes de laquelle le preneur fait élection de domicile dans les lieux loués.

IV. Saisie par déclaration et article 648 du Code de procédure civile

La question de l’article 648 du Code de procédure civile et de sa sanction revient régulièrement dans le contentieux de l’exécution, comme en témoigne l’affaire tranchée par la cour d’appel de Bastia.

Pour mémoire, l'article 648 du Code de procédure civile dispose, notamment, que « Tout acte d'huissier de justice indique », indépendamment des mentions prescrites par ailleurs : « 2. a) Si le requérant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ».

En l’espèce, un créancier a saisi par déclaration le véhicule de son débiteur, lequel conteste la validité de l’acte au motif que le procès-verbal ne porte ni les date et lieu de naissance du créancier, ni sa nationalité.

La cour d’appel Bastia balaie cependant la contestation au motif que l'article 114 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1395H4G dispose qu'« aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public ». Elle en conclut qu’en l'espèce, le débiteur saisi n'invoque aucun grief au soutien de ce qui est une simple remarque tendant à retarder la validation de la procédure de saisie engagée à son encontre…

newsid:489863

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[Evénement] 3e Forum mondial sur l’exécution : un événement à ne pas manquer

Lecture: 2 min

N9967BZ8

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par Patrick Gielen, Huissier de Justice (Belgique), Secrétaire de l’Union Internationale des Huissiers de Justice (UIHJ), Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement

Le 21 Novembre 2024

Date : 2 décembre 2024 (8h30 - 17h30)

Lieu : Strasbourg, Palais de l’Europe – Conseil de l’Europe

Thème : Intelligence artificielle, droits humains et exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale : quelles garanties pour les justiciables ?

Le 2 décembre 2024, le prestigieux Palais de l’Europe à Strasbourg accueillera, après une première édition en 2014 et une deuxième en 2019, le 3e Forum mondial sur l’exécution, un événement incontournable pour les professionnels du droit, les experts en intelligence artificielle (IA) et les défenseurs des droits humains. Cette édition mettra en lumière les interactions cruciales entre l’IA, les droits humains et l’exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale.

Ce forum réunira des experts de renommée mondiale, des praticiens du droit, des universitaires, et des représentants d'organisations internationales pour discuter des avancées technologiques et des défis éthiques posés par l'utilisation croissante de l'IA dans le domaine juridique.

Cet événement donnera lieu à la parution d'un dossier spécial au sein de la présente revue.


Un événement unique pour aborder des enjeux cruciaux

L’intelligence artificielle révolutionne de nombreux secteurs, et la justice ne fait pas exception. Si l’IA offre des opportunités pour améliorer l’efficacité des procédures judiciaires et l’exécution des décisions, elle soulève également des questions complexes en matière de droits humains, de transparence et de régulation. Ce forum est conçu pour examiner ces enjeux sous divers angles et proposer des solutions innovantes, afin de garantir la protection des justiciables dans un cadre juridique de plus en plus automatisé.

Un programme riche et varié

Le programme de la journée (v. ci-dessous) comprendra des présentations de haut niveau sur les avancées récentes de l'IA dans le domaine de la justice, des tables rondes sur les implications de l'IA dans les procédures civiles et commerciales, ainsi que des discussions sur les enjeux éthiques et les régulations nécessaires à la protection des droits humains.

Un rendez-vous incontournable pour les professionnels du droit et de la technologie

Que vous soyez commissaire de justice, juge, avocat, universitaire, représentant d’une organisation internationale, ou expert en technologies juridiques, ce forum représente une occasion unique de vous informer, de débattre et de réseauter avec des professionnels partageant vos préoccupations et vos intérêts.

Un cadre prestigieux pour des débats de haut niveau

Organisé au Palais de l’Europe, siège du Conseil de l’Europe, ce forum bénéficie d’un cadre symbolique et prestigieux. Les participants auront l’opportunité d’échanger leurs points de vue dans un environnement propice à la réflexion et à la collaboration internationale.

Inscrivez-vous dès maintenant !

Ne manquez pas cette opportunité exceptionnelle de participer à un événement qui façonnera l’avenir de la justice à l’ère de l’intelligence artificielle. Rejoignez-nous le 2 décembre 2024 au Palais de l’Europe à Strasbourg pour une journée de discussions enrichissantes et de perspectives nouvelles sur l’exécution des décisions de justice et la protection des droits des justiciables.

Frais d’inscription : 100 euros (attention : places limitées).

Inscrivez-vous en cliquant ici

Informations : p.gielen@uihj.com


Programme de la journée

09h30 – 09h35 : Présentation du thème du 3e Forum mondial sur l’exécution

- Patrick Gielen, Secrétaire de l’UIHJ

Première partie : l’IA dans le domaine de la justice

09h35 - 10h30 : Intelligence artificielle en droit civil et commercial : état des lieux

  • Présentation : Les avancées récentes de l'intelligence artificielle dans le domaine de la justice

- Marek Świerczyński, Professeur de droit (Pologne), membre du Conseil consultatif de la CEPEJ sur l'intelligence artificielle (AIAB)

  • Table ronde : Les implications de l'IA dans les procédures civiles et commerciales

- Jeannette Verspui, Cheffe du Département de la stratégie au Conseil de la Justice, juge principal au tribunal de district de Gelderland (Pays-Bas), membre adjoint de la CEPEJ, membre du CEPEJ-GT-CYBERJUST

- Jacques Bühler, Secrétaire général adjoint du Tribunal fédéral suisse, membre de la CEPEJ et du Réseau européen de cyberjustice de la CEPEJ

- Samia Chakri, Directrice de la modernisation et des systèmes d’information au ministère de la Justice du Maroc

10h30 - 11h00 : Pause-café

11h00 - 13h00 : Droits humains, éthique et régulation dans l'utilisation de l'IA

  • Présentation : Qu’est ce qui va changer grâce à la réglementation ? Les conséquences de la Convention du Conseil de l’Europe et de l’AI ACT de l’UE

- Kristian Bartholin, Chef de l'Unité - Développement numérique CA

- Laura Jugel, Bureau européen de l’IA, Commission européenne

  • Table ronde : Garantir les droits humains dans un environnement juridique automatisé

- Matthieu Quiniou, Maître de conférences à l'Université Paris 8 (France) dans le domaine des technologies de l'information et de la communication, avocat au barreau de Paris, membre de l’AIAB

- Maria-Giuliana Civinini, Présidente du CEPEJ-GT-CYBERJUST,

- Stefanie Otte, Présidente de la Cour d’appel de Celle (Allemagne)

- Marc Schmitz, Président de l’UIHJ (Belgique)

13h00 - 14h15 : Déjeuner libre

Seconde partie : l’IA dans la procédure d’exécution

14h15 - 15h45 : Applications pratiques de l'IA dans le procès et l'exécution

  • Présentation : Les applications spécifiques de l'IA dans l’exécution

- Guillaume Payan, Professeur à l’université de Toulon (France), membre du Conseil scientifique de l’UIHJ

  • Table ronde : La réglementation de l'IA dans l'exécution : état des lieux

- Sylvian Dorol, Commissaire de justice (France), expert UIHJ

- Dovilė Satkauskienė, Directrice de la Chambre nationale des huissiers de justice de Lituanie

- Carlos Calvo, Trésorier adjoint de l’UIHJ (Luxembourg)

- Patrick Gielen, Secrétaire de l’UIHJ (Belgique)

15h45 - 16h15 : Pause-café

16h15 - 17h15 : Perspectives de l’IA

  • Table ronde : Défis et opportunités de l'intégration de l'IA dans le procès et l’exécution : faut-il interdire où réglementer ?

- Ana Arabuli, Bureau national de l’exécution de Géorgie (NBE)

- Paulo Duarte Pinto, OSAE (Portugal)

- Pierre Iglesias, Membre CNCJ (France)

17h15 : Propos conclusifs

- Natalie Fricero, Professeur des universités (France), membre du Conseil scientifique de l’UIHJ

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(N)TIC

[Questions à...] Entretien avec Patrick Gielen, Huissier de Justice (Belgique), Secrétaire Union Internationale des Huissiers de Justice, co-fondateur Logion

Lecture: 6 min

N9866BZG

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Le 11 Juillet 2024

Lexbase Contentieux et Recouvrement (LCR) : Qu'est-ce que Logion ?

Patrick Gielen : Logion est une association internationale sans but lucratif établie en Belgique.

Il s’agit d’une plateforme innovante qui vise à garantir une sécurité maximale des transactions numériques en utilisant la technologie blockchain. Fondée sur des principes de transparence et de sécurité, Logion permet aux utilisateurs de gérer leurs actifs numériques et transactions blockchain en toute sécurité.

La plateforme se distingue par son intégration de mécanismes de vérification juridique, assurant ainsi la conformité avec les règles et régulations légales en vigueur.

Logion est particulièrement utile pour les entreprises et les individus cherchant à protéger leurs transactions numériques contre la fraude et les litiges. Grâce à un réseau de legal officers (commissaires de justice en France), Logion offre une couche supplémentaire de sécurité juridique, renforçant ainsi la confiance dans les transactions effectuées sur la blockchain.

En somme, Logion représente une avancée majeure dans la sécurisation des actifs numériques, combinant technologie de pointe et expertise juridique pour créer un environnement transactionnel sûr et fiable.

LCR : Qu'est-ce que la blockchain ?

PG : Pour comprendre ce que fait et est Logion, il est utile de brièvement définir la blockchain.

La blockchain est une technologie de registre distribué qui permet d'enregistrer des transactions de manière décentralisée, sécurisée et transparente. Chaque transaction effectuée sur une blockchain est vérifiée par un réseau de nœuds indépendants avant d'être ajoutée à un bloc. Ces blocs sont ensuite chaînés ensemble de manière chronologique et immuable, formant une chaîne de blocs, d'où le terme "blockchain". Cette structure garantit que les données enregistrées ne peuvent pas être modifiées rétroactivement sans altérer tous les blocs suivants, rendant la blockchain extrêmement résistante aux fraudes et aux manipulations. La blockchain trouve des applications dans de nombreux domaines, y compris la finance, la logistique, la santé, et plus récemment, dans la gestion des actifs numériques et des transactions légales grâce à des plateformes comme Logion. En supprimant le besoin d'intermédiaires et en offrant une transparence totale, la blockchain révolutionne la manière dont les transactions sont effectuées et enregistrées.

Dans le cadre de Logion, les nœuds sont exclusivement gérés par les legal officers.

LCR: Quel est le rôle des legal officers (commissaires de justice) dans Logion ?

PG : Les legal officers jouent un rôle central dans le fonctionnement de Logion en assurant la conformité juridique des transactions effectuées sur la plateforme.

Leur mission principale est de superviser et de vérifier la légalité des transactions, garantissant ainsi que chaque opération respecte les lois et régulations applicables.

Ils interviennent à différents niveaux, de la validation des documents et des contrats numériques à la certification des transactions, offrant une couche supplémentaire de sécurité et de confiance aux utilisateurs de Logion.

Les legal officers sont principalement des commissaires de justice ou assimilés ayant prêté serment et dont la caractéristique principale est la neutralité et l’indépendance.

En agissant comme tiers de confiance, ils renforcent la crédibilité de la plateforme et rassurent les utilisateurs quant à la légitimité de leurs transactions.

En somme, les legal officers sont essentiels pour le bon fonctionnement de Logion, assurant que toutes les transactions sont non seulement sécurisées, mais aussi juridiquement solides.

LCR : De quelle manière Logion permet-il de sécuriser les transactions sur la blockchain ?

PG : Logion sécurise les transactions sur la blockchain en utilisant un système de vérification impliquant des legal officers (commissaires de justice) et des verified issuers (autres professionnels du droit tels qu’avocats ou notaires).

Chaque transaction effectuée sur la plateforme est d'abord vérifiée pour sa conformité légale avant d'être enregistrée sur la blockchain.

Les legal officers certifient les documents et les contrats numériques, assurant qu'ils sont authentiques et juridiquement validés par les verified issuers. Une fois cette vérification effectuée, les transactions sont inscrites de manière immuable sur la blockchain, garantissant qu'elles ne peuvent pas être modifiées ou falsifiées.

Ce processus de double vérification, à la fois technologique et juridique, offre une sécurité sans précédent pour les transactions numériques. En cas de litige, la présence de documents certifiés et de transactions vérifiées par des professionnels du droit facilite la résolution des conflits, réduisant ainsi les risques pour les utilisateurs, particulièrement par la force probante des constats des commissaires de justice.

La preuve devant le tribunal devient difficilement réfutable, et cela non seulement au niveau national, mais surtout au niveau européen grâce au Règlement européen 2020/1783 relatif à la preuve N° Lexbase : L8248LY7, ainsi qu’au niveau international.

LCR : Quelle est l'utilité du certificat « en ligne » de Logion ?

PG : Un certificat sur Logion est un document numérique reprenant tout ce qui est inscrit sur la blockchain « logion » et vérifié par des legal officers.

Son utilité est multiple.

  • Authentification : Le certificat confirme l'authenticité et l'origine des documents et des transactions par l'utilisation des hash, réduisant les risques de fraude sans devoir divulguer les documents. Il s’agit du « zero knowledge proof ».
  • Conformité légale : Il assure que les transactions respectent les règles et régulations en vigueur, grâce à la vérification par des professionnels du droit (verified issuers).
  • Sécurité et Immutabilité : En étant inscrit sur la blockchain, le certificat garantit que les informations ne peuvent pas être altérées.
  • Confiance : Il renforce la confiance des utilisateurs et des partenaires en apportant une preuve indiscutable de la validité des transactions et des documents.

Avantages spécifiques :

  • Présomption de preuve de propriété : Assure une traçabilité claire de la propriété des actifs numériques, ainsi que de toutes les transactions sur la blockchain.
  • Réduction des litiges : Facilite la résolution des conflits grâce à une documentation et un processus fiable et vérifié.
  • Accessibilité : Les certificats sont accessibles en tout temps en ligne, reprenant les informations inscrites sur la blockchain, offrant une transparence totale.

En résumé, le certificat Logion apporte une couche supplémentaire de sécurité, de légitimité et de confiance dans les transactions numériques, faisant de Logion une plateforme sûre pour gérer et échanger des actifs numériques.

LCR : Quelle est la plus-value de Logion ?

PG : La plus-value de Logion réside dans sa capacité à combiner la technologie blockchain avec une expertise juridique pour sécuriser les transactions numériques.

En intégrant des legal officers et des verified issuers dans son processus de vérification, Logion offre une sécurité juridique supplémentaire, qui n'est pas disponible sur les autres plateformes blockchain (souvent privées). Cela réduit considérablement les risques de fraude et de litige grâce, principalement, au constat, rendant les transactions plus sûres et plus transparentes.

De plus, Logion facilite la gestion des transactions numériques en fournissant des outils pour certifier et enregistrer les documents juridiques de manière immuable sur la blockchain.

Cette approche innovante permet aux entreprises et aux particuliers de protéger leurs transactions numériques tout en respectant les règles et régulations légales en vigueur. En somme, Logion apporte une confiance accrue dans les transactions numériques, combinant la robustesse de la technologie blockchain avec la rigueur de la vérification juridique.

Plus d’informations : www.logion.network

*Propos recueillis par Alexandra Martinez-Ohayon, Rédactrice procédure civile et voies d'exécution, Rédactrice en chef de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement

newsid:489866

Procédure civile

[Brèves] Simplification de la procédure civile : publication au JO du décret « Magicobus 2024-1 »

Réf. : Décret n° 2024-673, du 3 juillet 2024, portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées N° Lexbase : L9340MMU

Lecture: 2 min

N9955BZQ

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 04 Septembre 2024

► A été publié au Journal officiel du 5 juillet 2024, le décret n° 2024-673, du 3 juillet 2024, dit « Magicobus 2024-1 », qui met en œuvre le plan d'action pour la justice sous l'angle des mesures de simplification de la procédure civile ; il porte également sur les règles statutaires des commissaires de justice et la désignation des magistrats siégeant au sein des juridictions disciplinaires des officiers ministériels.

Ce texte étend, tout d'abord, l'audience de règlement amiable (ARA) aux litiges relevant de la compétence du juge des loyers commerciaux et du tribunal de commerce, ainsi qu'aux litiges relevant de la compétence de la Chambre commerciale du tribunal judiciaire dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

Il clarifie, ensuite, le régime des fins de non-recevoir au sein du livre I du Code de procédure civile. Il assouplit le traitement procédural de fins de non-recevoir par le juge de la mise en état en lui permettant dans certains cas de renvoyer l'examen d'une fin de non-recevoir devant la formation de jugement.

Il modifie également la liste des ordonnances du juge de la mise en état susceptibles de faire l'objet d'un appel immédiat en y excluant les ordonnances qui, en statuant sur une exception de nullité, une fin de non-recevoir ou un incident d'instance, ne mettent pas fin à l'instance.

Il fluidifie et sécurise le circuit procédural de l'intermédiation financière des pensions alimentaires (IFPA).

Il améliore en outre la procédure de contrôle des mesures d'isolement et de contention par le juge compétent, assouplit les modalités de comparution du ministère public lorsqu'il agit en qualité de partie principale devant le juge des tutelles et adapte la procédure de saisine pour avis de la Cour de cassation afin de permettre aux juridictions tenues de statuer dans un délai déterminé ou en urgence d'y recourir.

Il permet aux commissaires de justice d'exercer une nouvelle activité accessoire d'intermédiaire immobilier et de faire état de leur qualité professionnelle dans l'exercice de leurs activités accessoires.

Le décret permet, enfin, aux chefs de cour de désigner les magistrats au sein des juridictions disciplinaires des officiers ministériels. Il apporte des précisions sur les conditions de remplacement d'un membre ayant interrompu son mandat avant son terme.

Entrée en vigueur. À l'exception de son article 10, le décret entre en vigueur le 1er septembre 2024. Il est applicable aux instances en cours à cette date.

Pour aller plus loin : l’ensemble de ce texte fera l’objet d’une analyse approfondie à paraître au mois de septembre dans la revue Lexbase Droit privé.

 

newsid:489955

Procédure civile

[Focus] La médiation en Espagne et les procuradores

Lecture: 9 min

N9873BZP

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par Rita Goimil Martínez, Institución de Mediación del CGPE

Le 11 Juillet 2024

Mots-clés : médiation • résolution des conflits • justice alternative • procuradores • déjudiciarisation

Cet article fait partie d’un corpus proposant une analyse comparative de la médiation entre l’Espagne et la France. Il se compose de deux autres articles : P. Gielen, Le nouveau système amiable obligatoire : Article 750 du Code de procédure civile, Lexbase Contentieux et recouvrement, juillet 2024 N° Lexbase : N9871BZM et P. Gielen, Comparaison des Systèmes de Médiation : France vs. Espagne, Lexbase Contentieux et recouvrement, juillet 2024 N° Lexbase : N9870BZL.

Le présent article a été traduit par l'auteure, native espagnole, et a été retravaillé par Patrick Gielen, huissier de justice en Belgique et secrétaire de l'Union Internationale des Huissiers de Justice.


 

L'administration de la justice en Espagne a connu une augmentation significative des litiges au cours des dernières décennies, ce qui affecte son fonctionnement.

Cette situation a conduit à une série de réformes visant non seulement à modifier les règles de procédure, mais également à rechercher des solutions complémentaires de nature extrajudiciaire, notamment la médiation.

La médiation a été formellement introduite en Espagne par la loi n° 5/2012, du 6 juillet 2012, sur la médiation en matière civile et commerciale. Cette loi transpose la directive (CE) n° 2008/52 du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008 N° Lexbase : L8976H3T.

Avant cette loi, il n'existait pas de réglementation générale de la médiation en Espagne, bien que plusieurs des communautés autonomes [1] aient développé des programmes de médiation familiale, dans le cadre de leurs compétences et sur la base de la recommandation RU 98, du Comité des ministres pour États membres, du 21 janvier [2].

L'entrée en vigueur de la loi n° 5/2012, sur la médiation en matière civile et commerciale, et la publication du décret n° 980/2013, du 13 décembre 2013, a posé les bases de la déjudiciarisation de certaines matières. Ces textes permettent de trouver des solutions plus adaptées aux besoins et aux intérêts des parties en conflit que celles découlant des procédures judiciaires.

Tant dans les conflits familiaux, en particulier, que dans les conflits civils ou commerciaux, en général, le recours à ce moyen de règlement amiable permet d'obtenir une solution plus avantageuse, car il évite la perte de temps inhérente au processus judiciaire. De plus, l'accord obtenu est souvent moins conflictuel que la solution judiciaire, qui repose exclusivement sur l'application stricte de la loi.

La médiation est définie à l'article premier de la loi n° 5/2012, comme un moyen de résolution des conflits dans lequel deux ou plusieurs parties tentent volontairement de parvenir à un accord avec l’aide d’un médiateur.

Le médiateur joue un rôle central dans la procédure de médiation. Pour exercer en tant que médiateur en Espagne, il faut être titulaire d'un diplôme ou d'une formation professionnelle supérieure équivalente et avoir suivi une formation spécifique, tant théorique que pratique, comprenant au moins vingt heures de formation continue tous les cinq ans. La loi établit les droits et obligations des médiateurs, ainsi que leur responsabilité pour les dommages causés par une non-exécution fidèle de leur mission [3].

La procédure de médiation est volontaire, souple et confidentielle. Elle peut être initiée à la demande de l'une ou de toutes les parties, ou par saisine judiciaire. La procédure se déroule en plusieurs séances, à commencer par une séance d'information, suivie, si les parties acceptent de poursuivre, par des séances de médiation proprement dites, pouvant être individuelles ou conjointes [4].

Pour encourager le recours à la médiation, la loi reconnaît l'accord de médiation comme un titre exécutoire une fois élevé en acte public. En cas de non-respect, son exécution peut être demandée directement devant les tribunaux. De plus, l'engagement d'une procédure de médiation interrompt les délais de prescription et d'expiration des actions [5].

Depuis l'entrée en vigueur de la loi en 2012, l'évolution de la médiation a été timide, en dépit de certains progrès. La médiation reste méconnue du grand public, qui continue de privilégier la voie judiciaire traditionnelle. Pour remédier à cette situation, diverses actions ont été entreprises pour promouvoir la médiation, incluant des campagnes de sensibilisation, le développement de la formation des opérateurs juridiques et la mise en place de réformes procédurales visant à rendre la médiation obligatoire avant toute action judiciaire.

Nous pouvons mentionner en l’espèce le projet de loi sur l'efficacité procédurale, qui est actuellement en phase parlementaire, et qui, suivant la maxime selon laquelle « avant d'entrer dans le temple de la justice, il faut passer par le temple de la concorde », réglemente dans son premier titre les moyens de solution adéquats de litiges, qui établit en termes généraux l'exigence selon laquelle les parties, avant d'engager une action en justice, doivent prouver les tentatives de négociation qui ont été faites pour résoudre la controverse. Différents modes de solutions sont établis, dont la procédure de médiation, et comme indiqué dans la motivation du projet, son objectif n'est pas seulement la déjudiciarisation des conflits, mais que pour chacun d'eux, basé sur le paradigme de l'adéquation, la meilleure réponse qui n'est pas basée sur la voie judiciaire traditionnelle soit trouvée.

Le CGPE (Conseil général des procuradores d'Espagne), en tant que corporation de droit public [6], a joué un rôle crucial dans la promotion de la médiation. Il a créé l'Institution de Médiation du CGPE, enregistrée en tant qu'institution de médiation et centre de formation. Cette institution offre des services de médiation à travers tout le territoire espagnol, tant en présentiel que par voie électronique.

L'institution de médiation du CGPE jouit d'une autonomie fonctionnelle dans l'exercice de ses fonctions, bien qu'elle dépende hiérarchiquement de l'organe directeur compétent de la CGPE. La représentation de l'Institution de Médiation correspond au Président du CGPE, ou à la personne à qui il délègue.

Conformément à la loi sur la médiation et au décret qui la développe, l'Institution de Médiation du CGPE a été enregistrée en tant qu'institution de médiation dans la section III du Registre des médiateurs et des institutions de médiation du ministère de la Justice le 29 mai 2014, avec le numéro d'enregistrement 35, et en tant que centre de formation le 29 avril 2014.

Dans le cadre de ses attributions, elle a signé, entre autres, une convention de collaboration avec le Conseil général du pouvoir judiciaire pour appliquer la médiation intra judiciaire au 1er juin 2016, convention qui a été renouvelée de cette date à ce jour [7].

Ainsi, l'Institution de Médiation du Conseil général des procuradores d'Espagne est née en réponse à l'engagement pour le changement social et à la vocation de service et d'implication des procuradores formés à la médiation, renforçant ainsi notre caractère de collaborateurs nécessaires de l'administration de la justice. C'est une institution réglementée qui a établi un manuel de procédures et parmi ses caractéristiques et son fonctionnement, nous voulons souligner :

  • accès facile aux services : accès par notre site Web pour la demande d'ouverture de la procédure de médiation, où l’on peut choisir un médiateur dans le registre des médiateurs ou demander à l'Institution de le désigner [8] ;
  • offres de médiation en face à face, avec des bureaux dans toute l'Espagne, par voie électronique et médiation électronique : l'Institution de Médiation exerce une tâche de coordination et d'intégration des barreaux de procuradores de toute l'Espagne, garantissant ainsi que le citoyen privé ou une entreprise, en bref, le demandeur, puisse avoir accès à la médiation immédiatement, où qu’il soit, grâce à son réseau de barreaux professionnels répartis sur tout le territoire. Notre institution dispose de la plateforme technologique du CGPE, indispensable pour pouvoir développer la médiation par voie électronique et la médiation électronique simplifiée, avec des systèmes sécurisés garantissant l'identité des parties. Par l'intermédiaire de l'institution, la procédure de médiation est garantie, en face à face, par des moyens électroniques et mixtes, combinant les deux modalités, selon les besoins spécifiques au cas ;
  • assure la qualification de ses médiateurs :l'Institution de Médiation, consciente que la formation continue de ses médiateurs est une garantie pour la fourniture d'un service de qualité, en tant que centre de formation, établit ses programmes de formation continue pour les médiateurs inscrits sur son registre ;
  • systèmes d'assurance qualité pour l'évaluation de l'efficacité du service : des indicateurs et des variables ont été établis, garantissant la qualité tant interne qu'externe de l'institution médiatrice, et dans lesquels seront évalués à la fois la structure de l'institution, le profil des utilisateurs, l'analyse des conflits et la procédure de médiation, les résultats de la médiation et l'efficacité opérationnelle de l'Institution ;
  • médiation intra judiciaire et extra judiciaire : l'institution est prête à répondre aux conflits qui surgissent tant avant la saisie du tribunal, que ceux qui sont déjà fondés, à travers des mécanismes de saisine par les tribunaux de justice qui garantissent la sécurité juridique, avec l'interruption des délais de prescription et l'expiration des actions. En vertu de l'accord de collaboration signé avec le Conseil général du pouvoir judiciaire, il a lancé des programmes de médiation intra judiciaire dans différents établissements judiciaires. Les procuradores, en tant qu'experts en droit procédural, font de notre profil un profil idéal pour intervenir dans la médiation intra judiciaire, car personne ne s'occupe comme nous de l'intégration de la procédure de médiation dans la procédure judiciaire.

Le développement de la médiation en Espagne représente une opportunité de moderniser l'administration de la justice, en offrant des solutions plus efficaces et adaptées aux conflits. Les procuradores, du fait de leur expertise en droit procédural et de leur implication dans l'administration de la justice, sont particulièrement bien placés pour jouer un rôle clé dans cette évolution. Les mesures et réformes en cours visent à renforcer la médiation comme moyen privilégié de résolution des conflits, contribuant ainsi à un service public de la justice plus efficient et plus efficace.

En conclusion, bien que des progrès aient été réalisés, la médiation en Espagne reste à développer pour devenir une véritable alternative à la résolution judiciaire des conflits. Le soutien et l'engagement des procuradores sont essentiels pour promouvoir cette culture de la médiation et pour renforcer leur rôle de collaborateurs nécessaires de l'administration de la justice. 

 

[1] En Espagne, une communauté autonome (C.A.) est une entité territoriale qui, dans le système juridique constitutionnel actuel, est dotée d'autonomie, avec ses propres institutions et représentants déterminés, des pouvoirs législatifs, exécutifs et administratifs, ce qui, à bien des égards, les assimile à des entités fédérées. Le territoire national espagnol est réparti en dix-sept communautés autonomes.

[2] Le 21 janvier, la Journée européenne de la médiation est commémorée dans toute l'Europe, car elle coïncide avec la date d'approbation du premier texte législatif européen concernant celle-ci.

[3] Il existe un registre des médiateurs et des institutions de médiation dépendant du ministère de la Justice, qui est volontaire et permet d'accréditer le statut de médiateur et d'institution de médiation.

[4] Les séances de la procédure peuvent se tenir en personne, par voie électronique ou mixte, au choix des parties. Dans le décret n° 980/2013, qui développe certains aspects de la loi, est établie la procédure de médiation électronique simplifiée, qui sera entièrement réalisée par voie électronique, qui s'applique aux réclamations pour des montants ne dépassant pas 600 euros et qui ne se réfère aux arguments de confrontation de droit ; sa durée maximale est d'un mois et peut être prolongée par accord des parties.

[5] Pour la suspension des délais de prescription et d'expiration, il faut que la séance constitutive soit signée dans les quinze jours calendaires à compter de la demande d'ouverture de la procédure de médiation.

[6] Décret n° 1281/2002, du 5 décembre 2002, qui approuve le statut général des procuradores de los tribunales d'Espagne [en ligne](version originale).

[7] Le dernier accord signé date du 15 juillet 2020, et est valable jusqu'en 2024.

[8] Institución de Mediación - Procuradores, Registro Mediadores [en ligne]

newsid:489873

Procédure civile

[Brèves] Mise en œuvre de l’expérimentation du tribunal des activités économiques

Réf. : Décret n° 2024-674, du 3 juillet 2024, relatif à l'expérimentation du tribunal des activités économiques N° Lexbase : L9348MM8 ; arrêté du 5 juillet 2024 relatif à l'expérimentation du tribunal des activités économiques N° Lexbase : L9637MMU

Lecture: 2 min

N9960BZW

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par Vincent Téchené

Le 10 Juillet 2024

► Un décret, publié au Journal officiel du 5 juillet 2024, définit les modalités de pilotage et d'évaluation de l'expérimentation du tribunal des activités économiques prévue par la loi n° 2023-1059, du 20 novembre 2023. Par ailleurs, un arrêté, publié au Journal officiel du 6 juillet, désigne les TAE et fixe la date de début de l'expérimentation.

Pour rappel, l’article 26 de cette loi N° Lexbase : L2962MKW prévoit, à titre expérimental, que les compétences du tribunal de commerce sont étendues, le tribunal de commerce étant dans ce cas renommé tribunal des activités économiques (TAE). Ces tribunaux connaîtront des procédures amiables et collectives que traitent habituellement les tribunaux judiciaires, c’est-à-dire celles concernant notamment les débiteurs exerçant une activité agricole, les sociétés civiles, les associations, les professionnels libéraux autres que les avocats et les officiers publics ministériels. Ils connaîtront également des contestations relatives aux baux commerciaux qui sont nées de la procédure collective et qui présentent avec celle-ci des liens de connexité suffisants (v. V. Téchené, Loi d’orientation et de programmation de la justice 2023-2027 : la mise en place de tribunaux des activités économiques, Lexbase Affaires, novembre 2023, n° 776 N° Lexbase : N7460BZC).

Le décret précise que les chefs des juridictions concernées par l'expérimentation du tribunal des activités économiques veillent à ce que, dans leur ressort, les parties prenantes (notamment les justiciables, les auxiliaires de justice et les instances locales représentatives des entreprises, des agriculteurs) soient informées de la date du début de cette expérimentation ainsi que de son contenu, en particulier s'agissant de la compétence territoriale et matérielle de chaque tribunal des activités économiques.

La conduite de l'expérimentation est assurée par un comité de pilotage dont la composition est précisée. Le comité de pilotage veille également à ce que les parties prenantes soient correctement informées de la mise en œuvre de l'expérimentation.

Quant à l'évaluation de l'expérimentation, elle est également assurée par un comité dont la composition est précisée. Ce comité doit remettre un rapport final au garde des Sceaux.

En outre, le texte prévoit les modalités de désignation des assesseurs exploitants agricoles ainsi que les modalités d'exercice de leurs fonctions.

L’arrêté du 5 juillet fixe la liste des 12 tribunaux de commerce concernés par l’expérimentation et qui seront donc renommés tribunaux des affaires économiques. Il s’agit des tribunaux de commerce de : Marseille, Le Mans, Limoges, Lyon, Nancy, Avignon, Auxerre, Paris, Saint-Brieuc, Le Havre, Nanterre et Versailles. Le début de l’expérimentation est fixé au 1er janvier 2025. Pendant la durée de l'expérimentation, ces tribunaux voient donc leur compétence étendue pour les procédures préventives et collectives ouvertes à compter de cette date.

newsid:489960

Procédure civile

[Brèves] Transfert à titre provisoire d'une juridiction : extension de la durée maximale

Réf. : Décret n° 2024-622 du 26 juin 2024 relatif au transfert à titre provisoire d'une juridiction et modifiant l'article R. 124-1 du code de l'organisation judiciaire N° Lexbase : L7799MMS

Lecture: 1 min

N9958BZT

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 10 Juillet 2024

► Le décret n° 2024-622 du 26 juin 2024, publié au Journal officiel du 28 juin 2024, prévoit l’extension de la période maximale durant laquelle tout ou partie des services d'une juridiction peut être transféré à titre provisoire dans une autre commune du ressort de la même cour d'appel, lorsque la continuité du service de la justice ne peut plus être assurée au sein du bâtiment où siège la juridiction dans des conditions offrant les garanties nécessaires au maintien de la sécurité des personnes et des biens.

Le texte précise ainsi les modalités de transfert à titre provisoire de tout ou partie des services d'une juridiction, au terme du dispositif prévu par les articles L. 124-1 et R. 124-1 du Code de l'organisation judiciaire.

Il étend la durée maximale et continue de transfert à dix ans, à l'issue de quatre prorogations.

 Le décret clarifie également la rédaction du dispositif et la dénomination de l'instance destinataire du bilan annuel écrit des transferts ordonnés par le premier président de la cour d'appel.

Il ajoute une présentation de ce bilan à la formation spécialisée du comité social d'administration de proximité.

La transmission de ce bilan au ministre de la justice est enfin prévue par le texte.

newsid:489958

Procédure civile

[Focus] Comparaison des Systèmes de Médiation : France vs. Espagne

Lecture: 3 min

N9870BZL

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par Patrick Gielen, Secrétaire Union Internationale des Huissiers de Justice, Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement

Le 21 Novembre 2024

Mots-clés : litiges • résolution des litiges • confidentialité • déjudiciarisation • MARD

Cet article fait partie d’un corpus proposant une analyse comparative de la médiation entre l’Espagne et la France. Il se compose de deux autres articles : R. Goimil Martínez, La médiation en Espagne et les procuradores, Lexbase Contentieux et recouvrement, juillet 2024 N° Lexbase : N9873BZP et P. Gielen, Le nouveau système amiable obligatoire : Article 750 du Code de procédure civile, Lexbase Contentieux et recouvrement, juillet 2024 N° Lexbase : N9871BZM.


 

Introduction

La médiation comme alternative à la résolution judiciaire des litiges gagne en popularité en Europe. Bien que la France et l'Espagne aient adopté des réformes pour promouvoir cette méthode, leurs approches diffèrent. Cet article compare les systèmes de médiation des deux pays, en mettant en lumière leurs avantages et inconvénients.

La médiation en Espagne

L'Espagne a introduit la médiation par la loi n° 5/2012, du 6 juillet 2012, en matière civile et commerciale, en transposant la directive (CE) n° 2008/52, du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008 N° Lexbase : L8976H3T. Avant cette loi, la médiation n'était pas réglementée au niveau national, bien que certaines communautés autonomes aient développé des programmes de médiation familiale.

1. Avantages

  • Flexibilité et volontarisme : La médiation espagnole est basée sur la participation volontaire des parties, permettant une adaptation aux besoins spécifiques de chaque conflit.
  • Confidentialité : La procédure est confidentielle, ce qui peut encourager les parties à s'exprimer librement, sans crainte de répercussions judiciaires.
  • Reconnaissance légale : Les accords de médiation peuvent être rendus exécutoires en étant inscrits en acte public, ce qui facilite leur mise en œuvre.

2. Inconvénients

  • Peu de connaissance publique : Malgré les avantages, la médiation reste peu connue et sous-utilisée par les citoyens, qui préfèrent souvent la voie judiciaire traditionnelle.
  • Évolution timide : Depuis l'introduction de la loi en 2012, les progrès ont été lents, avec une adoption limitée par les tribunaux et les professionnels du droit.
  • Formation des médiateurs : Bien que la formation soit obligatoire, son application et sa qualité peuvent varier, ce qui impacte l'efficacité des médiations.

La médiation en France

La France a franchi une étape supplémentaire avec l'article 750-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6401MHK, introduit en janvier 2020, qui impose une tentative obligatoire de résolution amiable, avant de saisir le tribunal pour certains litiges civils et commerciaux.

1. Avantages

  • Obligation légale : La tentative de médiation obligatoire avant la saisine judiciaire réduit la surcharge des tribunaux et encourage activement les solutions amiables.
  • Diversité des méthodes : Outre la médiation, les parties peuvent recourir à la conciliation et à la procédure participative, offrant plusieurs voies pour trouver un accord.
  • Soutien institutionnel : Les avocats et les juges sont de plus en plus formés et incités à intégrer la médiation dans la résolution des litiges, augmentant ainsi son utilisation et son efficacité.

2. Inconvénients

  • Contraintes : L'obligation peut être perçue comme une contrainte, surtout si les parties sont peu informées ou réticentes à la médiation.
  • Exceptions complexes : Les multiples exceptions à l'obligation de médiation peuvent créer de la confusion et compliquer l'application pratique de la loi.
  • Ressources limitées : La mise en place et le suivi des médiations nécessitent des ressources (humaines et financières) qui ne sont pas toujours disponibles.

Comparaison et conclusion

La France est allée plus loin que l'Espagne en rendant la tentative de médiation obligatoire, ce qui montre une volonté plus forte de promouvoir les solutions amiables et de désengorger les tribunaux. Cependant, cette approche peut parfois être vue comme trop directive. L'Espagne, bien que plus en retard dans l'adoption généralisée de la médiation, bénéficie d'une approche flexible et volontaire qui pourrait mieux convenir à certains justiciables.

En conclusion, les deux pays poursuivent des objectifs similaires de déjudiciarisation et d'efficacité judiciaire, mais par des chemins différents. La France mise sur l'obligation pour renforcer l'usage de la médiation, tandis que l'Espagne, en phase d'éveil, privilégie encore la sensibilisation et l'incitation. La clé du succès réside dans l'information et la formation des citoyens et des professionnels, pour que la médiation devienne une véritable alternative aux procédures judiciaires.

newsid:489870

Procédure civile

[Focus] Le nouveau système amiable obligatoire : article 750 du Code de procédure civile

Réf. : CPC, art. 750-1 N° Lexbase : L6401MHK

Lecture: 3 min

N9871BZM

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par Patrick Gielen, Secrétaire Union Internationale des Huissiers de Justice

Le 27 Août 2024

Mots-clés : résolution amiable obligatoire • déjudiciarisation • médiation • conciliation • procédure participative

Cet article fait partie d’un corpus proposant une analyse comparative de la médiation entre l’Espagne et la France. Il se compose de deux autres articles : R. Goimil Martínez, La médiation en Espagne et les procuradores, Lexbase Contentieux et recouvrement, juillet 2024 N° Lexbase : N9873BZP et P. Gielen, Comparaison des Systèmes de Médiation : France vs. Espagne, Lexbase Contentieux et recouvrement, juillet 2024 N° Lexbase : N9870BZL.


 

Depuis le 1er janvier 2020, le Code de procédure civile français a introduit un nouveau dispositif visant à favoriser le règlement amiable des litiges. L'article 750-1 N° Lexbase : L6401MHK impose désormais une tentative obligatoire de résolution amiable avant toute saisine du tribunal, pour certains types de litiges. Cette réforme s'inscrit dans une volonté de désengorger les tribunaux et de promouvoir des solutions plus rapides et moins coûteuses pour les justiciables. Cet article explore les détails de cette nouvelle obligation, ses objectifs, ses modalités et ses implications pratiques.

Objectifs de la réforme

L'instauration de l'article 750-1 du Code de procédure civile vise plusieurs objectifs essentiels :

  • désengorger les tribunaux : Les tribunaux français sont souvent surchargés, entraînant des délais de traitement très longs. En encourageant les parties à résoudre leurs différends à l'amiable, cette réforme aspire à réduire le nombre de contentieux portés devant les juridictions ;
  • promouvoir des solutions efficaces et moins coûteuses : Les procédures judiciaires peuvent être coûteuses et chronophages. La résolution amiable permet souvent de parvenir à un accord plus rapidement et à moindre coût ;
  • favoriser la paix sociale : Les accords amiables tendent à être plus satisfaisants pour les parties, car ils sont le fruit d'une négociation plutôt que d'une décision imposée par un juge.

Modalités de la tentative obligatoire de résolution amiable

L'article 750-1 prévoit que, sauf exception, une tentative de résolution amiable doit être engagée avant toute saisine du tribunal dans les litiges civils et commerciaux. Cette tentative peut prendre plusieurs formes :

  • la médiation : Un médiateur, tiers neutre et impartial, aide les parties à trouver un terrain d'entente. La médiation peut être conventionnelle (décidée par les parties) ou judiciaire (ordonnée par le juge) ;
  • la conciliation : Un conciliateur de justice, bénévole et rattaché aux tribunaux, intervient pour rapprocher les positions des parties. La conciliation peut se faire devant un conciliateur de justice ou dans le cadre d'un bureau de conciliation et d'orientation ;
  • la procédure participative : Les parties, assistées de leurs avocats, s'engagent par convention à rechercher une solution amiable à leur différend.

Exceptions à l'obligation

L'article 750-1 prévoit toutefois des exceptions à cette obligation. Il est possible de saisir directement le tribunal dans les cas suivants :

  • lorsque l'une des parties sollicite l'homologation d'un accord ;
  • si une partie justifie d'un motif légitime de ne pas recourir à la résolution amiable (urgence, danger pour une partie, etc.) ;
  • en cas de recours à une procédure accélérée au fond ou par voie de référé.

Implications pratiques

La mise en œuvre de cette réforme requiert des adaptations, tant du côté des justiciables que des professionnels du droit. Les avocats doivent désormais intégrer ces dispositifs amiables dans leur stratégie de résolution des litiges. De plus, les parties doivent être informées de ces nouvelles obligations et des différentes options amiables qui s'offrent à elles.

Conclusion

Le nouveau système amiable obligatoire, introduit par l'article 750-1 du Code de procédure civile, marque une étape significative dans l'évolution de la justice civile en France. En privilégiant la résolution amiable des litiges, cette réforme vise à rendre la justice plus accessible, rapide et efficace. Si son succès dépendra de l'adhésion des justiciables et des professionnels du droit, elle représente une opportunité importante de modernisation et d'humanisation de notre système judiciaire.

newsid:489871

Procédure d'appel

[Jurisprudence] Droit fondamental d’accès au juge et respect du formalisme de la procédure à jour fixe de l’appel du jugement d’orientation : à la recherche d’un fragile équilibre

Réf. : Cass. civ. 2, 23 mai 2024, n° 22-12.517, FS-B N° Lexbase : A86205CA

Lecture: 17 min

N9855BZZ

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par Aude Alexandre Le Roux, avocat associé AARPI Trianon Avocats, secrétaire-adjoint de l’AAPPE

Le 16 Juillet 2024

Mots-clés : saisie immobilière• jugement d’orientation • appel • procédure à jour fixe • requête • conclusions au fond • report de l’audience d’adjudication

Par un arrêt remarqué du 23 mai 2024, la deuxième chambre civile opère un revirement majeur en jugeant que constitue une sanction disproportionnée l’irrecevabilité de l’appel du jugement d’orientation prononcée du seul fait que la requête déposée au premier président de la cour d’appel afin d’être autorisé à assigner à jour fixe, ne contenait pas les conclusions sur le fond.


 

Procédure foncièrement technique, la procédure de saisie immobilière impose au praticien une vigilance de tous les instants. Cette exigence est encore renforcée à l’occasion de l’exercice des voies de recours.

En l’espèce de l’arrêt commenté, dans son jugement d’orientation, le juge de l’exécution a mentionné la créance du créancier poursuivant et ordonné la vente forcée de l’immeuble saisi.

Le débiteur en interjette appel et saisit le premier président d’une requête afin d’être autorisé à assigner à jour fixe conformément aux dispositions de l’article R. 322-19 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2438ITH.

La partie saisie assigne le créancier à comparaître à jour fixe devant la cour d’appel.

L’appel sera finalement déclaré irrecevable au motif que les conclusions sur le fond n’étaient pas jointes à la requête présentée au premier président de la cour d’appel afin d’être autorisé à assigner à jour fixe, et ne faisaient pas partie des six pièces communiquées à son soutien.

Si la deuxième chambre civile a toujours fait preuve d’une appréciation extrêmement rigoureuse quant au respect du strict formalisme de la procédure à jour fixe de l’appel du jugement d’orientation, elle opère en l’espèce un revirement d’importance, laissant place à une embellie certaine pour les praticiens[1].

Après un bref rappel des modalités de l’appel du jugement d’orientation (I), nous constaterons le formalisme de la procédure à jour fixe apparait quelque peu désacralisé (II).

I. Les modalités de l’appel du jugement d’orientation

A. L’appel des jugements en matière de saisie immobilière

En matière de saisie immobilière, les jugements peuvent, sauf disposition contraire, faire l’objet d’un appel (CPCEx, art. R. 311-7 N° Lexbase : L7260LEM).

Par principe, l’appel est privé d’effet suspensif (CPCEx, art. R. 121-21 N° Lexbase : L2165ITD).

La saisie immobilière se distingue par la multiplicité des décisions et voies de recours applicables rendant leur exercice impraticable pour les non-initiés.

Dans la droite ligne de la volonté affichée du législateur dans la circulaire du 14 novembre 2006 (CIV/17/06) de simplifier mais surtout d’accélérer la procédure à l’occasion de la réforme introduite par l’ordonnance n° 2006-461, du 21 avril 2006, réformant la saisie immobilière N° Lexbase : L3737HIA, l’appel des jugements résultant de cette procédure fait l’objet d’un traitement prioritaire devant les cours d’appel.

Ainsi, à l’exclusion du jugement d’orientation, les appels à l’encontre de jugements rendus en cette matière, seront instruits et fixés devant la cour d’appel de plein droit selon les modalités de la procédure à bref délai de l’article 905 du Code de procédure civile N° Lexbase : L3386MIA.

Si par essence, le recours à la fixation à bref délai permet l’obtention d’un arrêt d’appel dans des délais de traitement plus ou moins abrégés, un traitement particulier se devait d’être réservé à l’appel du jugement d’orientation.

B. Le mécanisme de l’appel du jugement d’orientation

L’audience d’orientation cristallise l’essentiel des demandes incidentes et contestations qui naîtront à l’occasion de la procédure saisie immobilière. En effet, à défaut d’être soulevées préalablement à cette audience, ces contestations encourront l’irrecevabilité prononcée d’office à moins qu’elles ne portent sur des actes postérieurs à celle-ci.

Par un arrêt du 20 octobre 2022 (Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-11.783, F-B N° Lexbase : A52308QR), la deuxième chambre civile est venue nuancer l’application de cet article jusqu’alors implacable. Le champ d’application de ces dispositions ne devait pas être mal interprété.

En effet, si l’article R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2391ITQ impose au débiteur (et donc à l’ensemble des parties) d’opposer ses contestations et demandes incidentes préalablement à l’audience d’orientation, ou, dans l’hypothèse d’actes postérieurs à celles-ci dans les quinze jours à compter de la notification de ces derniers, il importe de ne pas se méprendre sur les contestations qui entrent dans le champ de ces dispositions.

Ainsi, cette obligation de concentration des moyens ne saurait porter sur des demandes qui n’entreraient pas dans les attributions du juge de l’exécution, rappelées à l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7740LPD, qui tire pourtant de ces dispositions un champ d’intervention très vaste[2].

À défaut de faire droit à l’une des contestations soulevées par la partie saisie, le jugement d’orientation pourra autoriser la vente amiable si celle-ci a été sollicitée par le débiteur ou ordonner, le cas échéant, la vente forcée.

Saisie d’un appel à jour fixe à l’encontre d’un jugement qui ordonne la vente forcée, la cour d’appel devra théoriquement statuer « au plus tard un mois avant la date prévue pour l’adjudication » (CPCEx, art. R. 322-19, al. 1 N° Lexbase : L2438ITH).

Si cette exigence pouvait sembler louable afin d’éviter un renvoi inopportun de l’audience d’adjudication dans l’hypothèse où les poursuites n’auraient pas été remises en cause par l’arrêt d’appel, force est de constater que ce délai est en pratique inconciliable avec celui d’affichage des publicités (CPCEx, art. R. 322-31 N° Lexbase : L4956LTQ) dans un délai compris entre un et deux mois avant l'audience d'adjudication à peine de caducité du commandement valant saisie (CPCEx, art. R. 311-11 N° Lexbase : L7882IUH).

Bien conscient qu’il s’agissait là d’une pure idée chimérique compte-tenu de la difficulté pratique pour la cour saisie, même saisie d’un appel à jour fixe, de tenir un tel calendrier, l’audience d’adjudication étant fixée dans un délai compris entre deux et quatre mois à compter du jugement qui l’ordonne, le législateur, (CPCEx, art. R. 322-26 N° Lexbase : L2445ITQ) a offert au créancier poursuivant l’opportunité de solliciter le report de l’audience d’adjudication (CPCEx, art. R. 322-19, al. 2).

Cette faculté qui appartient au seul créancier poursuivant devra impérativement, s’agissant d’une demande incidente soumise au formalisme de l’article R.311-6 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L9456LTE, être formée par voie de conclusions (Cass. civ. 2. 4 novembre 2021, n° 20-16.393, F-B N° Lexbase : A06687BD) et lui évitera ainsi la sanction de caducité du commandement pour non-réquisition de la vente lors de l’audience d’adjudication (CPCEx, art. R. 322-27, al. 2 N° Lexbase : L2446ITR).

L’instruction de l’appel du jugement d’orientation selon les modalités de la procédure à jour fixe devant la cour tout comme la faculté de reporter l’audience d’adjudication faute d’un prononcé de l’arrêt a minima dans le délai d’un mois de l’audience d’adjudication ont toutes deux été introduites par la réforme issue du décret n° 2009-160, du 12 février 2009, pris pour l'application de l'ordonnance n° 2008-1345, du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté et modifiant les procédures de saisie immobilière et de distribution du prix d'un immeuble N° Lexbase : L9187ICA, postérieurement à la réforme introduite par l’ordonnance n° 2006-461, du 21 avril 2006 N° Lexbase : L3737HIA.

Dans cette hypothèse, le jugement qui se bornera à reporter la date de l’audience d’adjudication n’est pas susceptible d’appel (Cass. civ 1. 13 novembre 2014, n° 13-25.614, F-D N° Lexbase : A3064M3U). Ce jugement devra être mentionné en marge du commandement valant saisie au service de publicité foncière afin de suspendre, le cas échéant, les effets du commandement (CPCEx, art. R. 321-21 N° Lexbase : L0135MHH).

Par ailleurs, le jugement fixant la date de l’audience d’adjudication après avoir ordonné le report de l’adjudication en raison d’un appel du jugement d’orientation sur le fondement de l’article R. 322-19 du Code des procédures civiles d’exécution, est insusceptible de pourvoi (Cass. civ. 2., 19 mars 2015, n° 14-14.926, FS-P+B N° Lexbase : A1740NE8).

Dans l’hypothèse où le créancier poursuivant n’entendrait pas solliciter le report de l’audience d’adjudication nonobstant l’appel du jugement d’orientation, une suspension des poursuites pourra être envisagée via le mécanisme du sursis à exécution qui ne pourra toutefois être accordé par le premier président de la cour d’appel, statuant en référé, qu’à la condition expresse de justifier de moyens sérieux d’infirmation du jugement déféré (CPCEx, art. R. 121-22 N° Lexbase : L9733HY7).

 À la faveur de la portée de l’arrêt commenté, nul doute que les créanciers poursuivants devraient désormais procéder, dans la grande majorité des cas, au report de l’audience d’adjudication dans l’attente de l’arrêt d’appel afin d’éviter toute difficulté.

II. La procédure à jour fixe : un formalisme désacralisé

A. La recevabilité de l’appel

Ainsi qu’il l’a été rappelé supra, l’appel du jugement d’orientation rendu en matière de saisie immobilière est nécessairement formé, instruit et jugé selon la procédure à jour fixe (CPCEx, art. R. 322-19).

Faute du respect de ce formalisme, l’appel encourt l’irrecevabilité prononcée d’office (Cass. civ. 2., 22 février 2012, n° 10-24.410, FS-P+B N° Lexbase : A3205ID3).

Le recours à la procédure à jour fixe peut donc être qualifié d’obligatoire en ce qu’il constitue une condition même de la recevabilité de l’appel et se distingue de l’appel à jour fixe facultatif prévu aux articles 917 et suivants du Code de procédure civile N° Lexbase : L0969H4N bien qu’il lui emprunte son formalisme.

La distinction majeure entre le jour fixe obligatoire (CPCEx, art. R. 322-19) et le facultatif (CPC, art. 917) réside dans l’existence même de la notion de péril.

Dès lors, hors hypothèse de l’appel d’un jugement d’orientation en matière de saisie immobilière, l’appelant qui désirera bénéficier d’une fixation prioritaire devant la cour d’appel via la procédure à jour fixe devra obligatoirement justifier d’un péril à peine de rejet de sa demande par le premier président (CPC, art. 916 N° Lexbase : L8615LYQ et 917).

L’appelant d’un jugement d’orientation devra quant à lui obligatoirement se conformer à la procédure à jour fixe à peine d’irrecevabilité de son appel et n’aura donc pas à se prévaloir dans sa requête de l’existence de ce péril mais devra simplement justifier qu’il s’agit de l’appel d’un jugement d’orientation rendu en matière de saisie immobilière.

Rappelons que l’ordonnance de fixation de l’affaire par le premier président de la cour d’appel selon les modalités de la procédure à jour fixe, constitue une mesure d’administration judiciaire qui n’est susceptible d’aucun recours et ne peut donner lieu à référé à fin de rétractation et que cette ordonnance est dénuée d’effet sur la recevabilité de l’appel (Cass. civ. 2, 19 mars 2015, n°14-14.926, FS-P+B N° Lexbase : A1740NE8).

B. L’épreuve des droits fondamentaux

La requête qui sera déposée au premier président de la cour d’appel par l’appelant afin d’être autorisé à assigner à jour fixe devra notamment contenir les conclusions sur le fond et viser les pièces justificatives par application de l’article 918 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0375IT3.

C’est expressément à la faveur de ces dispositions et du visa des articles R. 311-7 et R. 322-19 du Code des procédures civiles d’exécution, et 122 N° Lexbase : L1414H47, 125 N° Lexbase : L1421H4E du Code de procédure civile, que la Cour de cassation avait déclaré purement et simplement irrecevable l’appel d’un jugement d’orientation dont les conclusions n’étaient pas contenues, ni les pièces visées, à la requête déposée au premier président de la cour d’appel (Cass. civ. 2, 7 avril 2016, n° 15-11.042, F-P+B N° Lexbase : A1482RCU).

Ainsi, la deuxième chambre civile avait à l’époque fait une application extensive de sa solution dégagée en 2012 selon laquelle était purement et simplement irrecevable l’appel qui n’avait pas été formé selon la procédure à jour fixe, en qualifiant de fin de non-recevoir l’irrespect des dispositions de l’article 918 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1414H47 dès lors que les conclusions n’étaient pas contenues dans la requête ni les pièces visées.

Dans l’espèce commentée, la deuxième chambre opère un revirement intégral de sa jurisprudence au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR en jugeant qu’«Il en résulte que constitue une sanction disproportionnée l'irrecevabilité de l'appel d'un jugement d'orientation, prononcée du seul fait que la requête adressée au premier président ne contient pas les conclusions au fond ».

Consciente de son revirement d’importance, elle ajoute que « le présent arrêt qui opère un revirement de jurisprudence, immédiatement applicable, en ce qu’il assouplit les conditions de l’accès au juge, conduit à l’annulation de l’arrêt attaqué ».

En conséquence, elle casse et annule l’arrêt déféré en toutes ses dispositions.

Ce nouveau positionnement apparait donc à tout le moins contra legem dès lors que le formalisme de l’article 918 du Code de procédure civile n’est pas respecté.

La solution dégagée revêt donc une conséquence majeure : l’appel à jour fixe d’un jugement d’orientation, irrégulièrement formé au regard des dispositions de l’article 918 du Code de procédure civile, n’encourt plus l’irrecevabilité.

Si par le passé, un créancier poursuivant pouvait envisager de requérir l’ouverture des feux nonobstant l’appel en cours du jugement d’orientation, ayant ordonné la vente forcée dès lors qu’était encourue son irrecevabilité pure et simple à la faveur de la solution dégagée en 2016, ce revirement risque incontestablement d’allonger inutilement la procédure de saisie immobilière.

Cet allongement préjudiciera en premier lieu au débiteur alors que les intérêts dus au créancier continueront inexorablement de courir.

La recherche de l’équilibre entre droit fondamentaux du débiteur et droit à l’exécution du créancier demeure un exercice particulièrement périlleux.

En outre, pour opérer son revirement la deuxième chambre civile relève qu’ « en application de l'article 922 du Code de procédure civile, la cour d'appel est saisie par la remise au greffe d'une copie de l'assignation délivrée à la partie adverse ».

S’il est vrai que la requête au premier président n’a pas pour effet de saisir la cour qui ne sera saisie que par la mise au rôle d’une copie de l’assignation au greffe qui devra être faite avant la date fixée de l’audience à jour fixe à peine de caducité de la déclaration d’appel (CPC, art. 922 N° Lexbase : L0982H47), mais encore faut-il que ladite assignation soit de nature à saisir la cour d’appel alors que l’assignation ne contiendrait pas les conclusions sur le fond…

En effet, l’article 920 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6857LEP impose seulement que l’assignation à jour fixe contienne la requête, l’ordonnance et la déclaration d’appel.

Dans l’hypothèse où la requête serait irrégulière au sens de l’article 918 du Code de procédure civile et ne contiendrait pas les conclusions sur le fond, il en serait a fortiori de même pour l’assignation qui contreviendrait aux dispositions de l’article 954 du Code de procédure civile, alinéa 3 N° Lexbase : L7253LED aux termes desquelles :

« La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. »

Un simple dépôt de conclusions au greffe de la cour serait-il de nature à régulariser après mise au rôle de l’assignation ?

Par ailleurs cet arrêt pose également nombre de questions quant au contrôle et au respect du principe du contradictoire.

En effet, à la faveur de la solution dégagée en l’espèce, l’assignation qui sera signifiée à l’intimé pourrait donc être l’être valablement sans que les conclusions sur le fond n’aient été contenues dans la requête.

Dans ces conditions, l’intimé serait donc attrait devant la cour sans avoir réceptionné expressément les conclusions de l’appelant. Cette solution ne manque pas d’interpeller alors qu’elle constitue une violation pure et simple de l’article 16 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1133H4Q.

Notons, enfin, que la deuxième chambre civile ne fait pas de cas du fait que la cour d’appel ait pu juger irrecevable l’appel au motif que les conclusions sur le fond n’auraient pas été « jointes » à la requête alors que l’article 917 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0969H4N prévoit expressément que les conclusions sur le fond seraient quant à elles « contenues » dans la requête présentée au premier président.

Si en doctrine, une lecture stricte de ces dispositions a toujours semblé prévaloir à la faveur de l’intégration des conclusions dans le corps de la requête afin d’être autorisé à assigner à jour fixe, les juridictions s’en détachent régulièrement en jugeant par exemple que « les conditions l'article 918 sont remplies dès lors que la requête contient en annexe le projet d'assignation contenant les moyens de fait et de droit, ce qui est le cas en l'espèce » (CA Paris, 23 mai 2024, n° 23/16616 N° Lexbase : A54545DD).

La deuxième chambre ne s’embarrasse pas de détail, peu importe que les conclusions n’aient pas été contenues ni jointes à la requête, l’appel ne peut être déclaré irrecevable pour ce seul motif.

Depuis l’arrêt « Lucas » par lequel la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme au motif « que le requérant s’est vu imposer une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et d’autre part le droit d’accès au juge » (CEDH, 9 juin 2022, Req. 15567/20, Xavier Lucas c/ France N° Lexbase : A07327Z7), la Cour de cassation veille scrupuleusement à l’équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions, et d’autre part, le droit d’accès au juge.

Si ce positionnement apparait louable au regard des droits fondamentaux protégés notamment par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, il convient toutefois de s’interroger sur l’impact de cet accès élargi et de leurs conséquences in fine quant au respect des principes directeurs du procès, à l’encombrement excessif des juridictions et en l’espèce au droit du créancier à exécuter dans un délai raisonnable…

 

[1] A. Martinez-Ohayon, Saisie immobilière : appel du jugement d’orientation et procédure à jour fixe, la Cour de cassation opère un revirement de sa jurisprudence, Lexbase Droit privé,  juin 2024, n° 986 N° Lexbase : N9462BZH

[2] Lire, A. Alexandre Le Roux, Concentration des moyens en saisie immobilière : précisions, Lexbase Droit privé, novembre 2022, n° 924 N° Lexbase : N3278BZG

 

newsid:489855

Voies d'exécution

[Focus] Excès de pouvoir du jugement d’adjudication du JEX lors de l’audience d’adjudication : retour sur la mise à prix modifiée

Réf. : Cass. civ. 2, 13 juin 2024, n° 22-10.790, F-B N° Lexbase : A78825HE

Lecture: 10 min

N9858BZ7

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par Aude Alexandre Le Roux, avocat associé AARPI Trianon Avocats, secrétaire-adjoint de l’AAPPE

Le 27 Août 2024

Mots clefs : mise à prix • saisie immobilière • jugement d’adjudication • adjudication • saisie immobilière • recevabilité du pourvoi

En procédant à l’adjudication du bien saisi sur la mise à prix fixée au cahier des conditions de vente, le juge de l’exécution commet un excès de pouvoir alors qu’elle avait été modifiée par le jugement d’orientation ayant ordonné la vente forcée.


 

La deuxième chambre civile connaît en l’espèce d’une difficulté classique relative à l’ouverture des feux alors que la mise à prix a été modifiée à la demande du débiteur.

Une lecture rapide de l’arrêt a conduit certains commentateurs à s’interroger sur le bien-fondé de la solution dégagée qui apparaitrait contra legem.

Une lecture attentive permet de constater qu’il n’en est rien.

Ainsi, sur des poursuites de saisie immobilière, un bien est adjugé lors de l’audience d’adjudication au prix de 72 000 euros alors que le jugement d’orientation ayant ordonné la vente forcée avait fixé, sur contestation du débiteur, la mise à prix à la somme de 100 000 euros

Au visa des articles L. 322-6 N° Lexbase : L5884IRD, R. 322-43 N° Lexbase : L2462ITD et R. 322-47 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2466ITI, la deuxième chambre civile caractérise un excès de pouvoir du juge de l’exécution.

En procédant à l’adjudication au montant de la mise à prix fixée au cahier des conditions sans tenir compte de la mise à prix fixée au jugement d’orientation ayant ordonné la vente forcée, le juge de l’excès exécution a commis un excès de pouvoir.

Dès lors, la Cour de cassation casse et annule en toutes ses dispositions le jugement d’adjudication.

Après avoir rappelé les voies de recours sui generis du jugement d’adjudication (I), l’excès de pouvoir du juge de l’exécution sera étudié (II).

  1. I. Les voies de recours du jugement d’adjudication

Par principe, en matière de saisie immobilière, les jugements sont, sauf dispositions contraires, susceptibles d’appel (CPCEx., R. 311-7 N° Lexbase : L7260LEM).

Hormis l’hypothèse de l’appel du jugement d’orientation qui devra être opéré via la procédure à jour fixe, à peine d’irrecevabilité soulevée d’office alors que les conditions formelles du respect de l’article 918 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0375IT3 viennent d’être assouplies [1], les appels des jugements rendus en matière de saisie immobilière seront fixés, en circuit court, selon les dispositions de l’article 905 du Code de procédure civile.

Compte-tenu de sa nature et de la nature du contrat judiciaire qu’il renferme, le jugement d’adjudication déroge de plein droit pour l’essentiel à ces dispositions puisque le concernant une disposition spécifique est insérée à l’article R. 322-60 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2479ITY.

Il en résulte que seul le jugement d’adjudication ayant statué sur une contestation sera susceptible d’appel dans un délai de quinze jours de sa notification.

La Cour de cassation est venue préciser que le jugement ayant tranché une demande de subrogation formée à la barre au jour de l’adjudication pouvait faire l’objet d’un appel (Cass. civ. 2 , 16 mai 2013, n° 12-18.938, F-P+B N° Lexbase : A5088KDS).

Le jugement d’adjudication qui ne trancherait pas de contestation ne pourra donc pas faire l’objet d’un appel.

L’ouverture du pourvoi en cassation est tout aussi restreinte. En effet, dès 2009, la Cour de cassation est venue confirmer que le jugement d’adjudication qui ne statue sur aucun incident est insusceptible de pourvoi (Cass. civ 2, 19 novembre 2009, n° 08-70.024, publié au bulletin N° Lexbase : A7596ENN) sauf excès de pouvoir.

L’excès de pouvoir est apprécié in concreto et rarement admis par la Haute juridiction. Une tendance semble toutefois se dessiner ces derniers mois, la Cour demeurant particulièrement vigilante au respect des droits fondamentaux du débiteur jusqu’à dégager de curieuses solutions qui ne manquent parfois pas d’interpeller les praticiens.

Un exemple récent d’excès de pouvoir lors de l’audience d’adjudication a été dégagé par l’arrêt du 8 février 2024 (Cass. civ. 2, 8 février 2024, n° 21-18.702, F-B N° Lexbase : A91432KT).

Dans cette espèce, au visa de l’article 14 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1131H4N, qui dispose « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée » et contre toute attente, la deuxième chambre civile, a considéré qu’il ne résultait ni du jugement d’adjudication ni du dossier de la procédure que le débiteur saisi ait été appelé à l’audience d’adjudication. Elle constatait en conséquence que le juge de l’exécution avait dès lors commis un excès de pouvoir. Partant elle cassait et annulait en toutes ses dispositions le jugement d’adjudication.

Cette solution a pu apparaitre démesurée au regard de la spécificité de cette procédure. En effet, la procédure de saisie par nature mixte conjugue les notions d’instance et de mesure d’exécution. Ponctuée de plusieurs audiences aux finalités distinctes, l’assignation à l’audience à l’audience d’orientation constitue l’acte qui répond par nature aux exigences de l’article 14 du Code de procédure civile.

En semblant exiger que soit régularisé un acte qui n’est prévu par aucun texte, alors que le jugement qui ordonnera la vente forcée sera de facto signifié au débiteur, la deuxième chambre civile fragilise la procédure introduisant ainsi une nouvelle possibilité de contestation du débiteur.

  1. II. La mise à prix modifiée gare à l’excès de pouvoir

Il n’existe pas de règle dans la fixation de la mise à prix qui sera fixée par le créancier poursuivant au cahier des conditions de vente lors de son dépôt (CPCEx., art. R. 322-10 N° Lexbase : L2429IT7), elle devra néanmoins rester attractive afin d’espérer bénéficier de l’effet d’émulation des enchères. Il est régulièrement observé que l’identité du poursuivant déterminera généralement les modalités de sa fixation.

Ainsi, les établissements bancaires la fixent en règle générale dans une fourchette comprise entre un quart et un tiers de la valeur vénale de l’immeuble, alors qu’un syndicat de copropriétaires la fixera avant de tout de couvrir sa créance et ses frais de procédure compte-tenu de son hypothèque légale spéciale lui permettant un paiement privilégié pour tout ou partie de sa créance.

Il est vrai que la fixation de la mise à prix n’est pas neutre pour le poursuivant puisqu’il deviendra, en cas de carence d’enchères, adjudicataire pour le montant de la mise à prix qu’il aura lui-même déterminée (CPCEx., L. 322-6, al. 1er).

S’il pourra théoriquement envisager de payer le prix prioritairement par compensation, encore faut-il qu’il soit inscrit en premier rang, sous réserve des créanciers privilégiés pouvant le primer (Cahier des conditions de vente sur saisie immobilière, art. 15) [2].

À défaut, le créancier poursuivant s’exposera donc au paiement du prix de l’immeuble avant d’espérer bénéficier du recouvrement de sa créance à l’issue de la procédure de distribution du prix de vente.

Depuis la réforme de la procédure de saisie immobilière introduite par l’ordonnance n° 2006-461, du 21 avril 2006 N° Lexbase : L3737HIA, le débiteur bénéficie de la possibilité de contester la mise à prix.

Cette contestation a toutefois été circonscrite à l’hypothèse d’une insuffisance manifeste.

En pratique, elle n’est toutefois pas si fréquente.

Le débiteur devra apporter justification de cette insuffisance caractérisée.

Il appartiendra au juge de l’exécution d’apprécier souverainement l’insuffisance manifeste en fonction des éléments qui seront versés aux débats par le débiteur quant à la valeur vénale de l’immeuble tout en veillant à ce que la mise à prix demeure suffisamment attractive (Cass. civ. 2, 24 septembre 2015, n° 14-22.407, F-D N° Lexbase : A8234NPN).

S’il fait droit à la contestation formée de ce chef, il fixera au jugement d’orientation le montant de la mise à prix modifiée.

Afin de ne pas faire peser sur le poursuivant une sanction disproportionnée en cas de carence d’enchères, le législateur a contrebalancé le mécanisme « le poursuivant ne peut être déclaré adjudicataire que pour la mise à prix initiale » (CPCEx., L. 322-6, al. 2).

En pratique, au jour de l’audience d’adjudication, la vente du bien saisi devra intervenir au montant de la mise à prix modifiée au jugement d’orientation qui sera rappelée par le juge de l’exécution avant l’ouverture des feux (CPCEx., R. 322-43 N° Lexbase : L2462ITD).

En cas d’absence d’enchères, la mise à prix modifiée sera baissée successivement par le poursuivant le cas échéant jusqu’au montant initial de la mise à prix initiale fixée au cahier des conditions de vente (CPCEx., R. 322-47 N° Lexbase : L2466ITI).

C’est précisément en violant ces dispositions que le juge de l’exécution a, dans l’arrêt commenté en l’espèce, commis un excès de pouvoir en procédant à l’adjudication au montant de la mise à prix initiale sans tenir de compte de la mise à prix modifiée par son jugement, revêtu de surcroit de l’autorité de chose jugée.

La deuxième chambre civile sanctionne sévèrement cette attitude et confirme avec pédagogie sa solution dégagée en 2015 (Cass. civ. 2, 19 février 2015, n° 14-13.786, F-P+B N° Lexbase : A9966NBQ) dans laquelle en présence d’une carence d’enchères un immeuble avait été adjugé au montant de la mise à prix initiale sans qu’ait été observé la baisse successive prévue à l’article R. 322-47 du Code des procédures civiles d'exécution.

En l’espèce de l’arrêt commenté, elle qualifie l’excès de pouvoir la violation du juge de l’exécution qui a procédé à l’adjudication du bien saisi sur une mise à prix inférieure à celle fixée au jugement d’orientation ayant ordonné la vente forcée.

Partant, elle casse et annule en toutes ses dispositions le jugement rendu.

Dès lors, le juge de l’exécution se devait de procéder à l’adjudication sur la mise à prix modifiée par son jugement et ce n’est que dans l’hypothèse d’une carence d’enchères que la mise à prix aurait pu être baissé successivement jusqu’à la mise à prix initiale dans les conditions de l’article R. 322-47 du Code des procédures civiles d'exécution.

Cette situation complexifie encore l’intervention de l’avocat en matière d’adjudication.

Son devoir de conseil apparaît encore accru. En effet, ce dernier devra faire montre d’une particulière vigilance en alertant son client sur les risques pouvant peser sur l’adjudication dans l’hypothèse où un excès de pouvoir du juge de l’exécution serait susceptible d’être caractérisé.


[1] Pour un commentaire de l'arrêt du 23 mai 2024, n° 22-12.517, FS-B N° Lexbase : A86205CA, v. A. Alexandre Le Roux, Droit fondamental d’accès au juge et respect du formalisme de la procédure à jour fixe de l’appel du jugement d’orientation : à la recherche d’un fragile équilibre, Lexbase Contentieux et Recouvrement, juillet 2024, n° 6 N° Lexbase : N9855BZZ

[2] Annexe créée par DCN n° 2008-002, assemblée générale du Conseil national du 12 décembre 2008, publiée par décision du 24 avril 2009, publiée au   JO 12 mai 2009, modifiée lors de l’assemblée générale du Conseil national des barreaux des 14 et 15 septembre 2012. Annexe modifiée par DCN n° 2018-002, assemblée générale du Conseil national des barreaux du 17 novembre 2018, publiée par décision du 13 février 2019, publiée au JO 7 mars 2019

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Voies d'exécution

[Questions à...] Entretien avec Guillaume Valdelièvre, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation sur la profession d'avocat aux conseils

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par Aude Alexandre-Leroux, avocat associé AARPI Trianon Avocats, secrétaire-adjoint de l’AAPPE

Le 11 Septembre 2024

Dans le cadre de notre série d'entretiens avec des personnalités clés du domaine judiciaire, maître Aude Alexandre Le Roux eu l'honneur de nous entretenir avec Guillaume Valdelièvre, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Cette interview nous offre une occasion de mieux comprendre la profession d’avocat aux Conseils.


 

Aude Alexandre Le Roux  (AALR) : Guillaume, peux-tu nous présenter la profession d’avocat aux conseils ?

Guillaume Valdelièvre (GV) : Être avocat aux conseils, c’est appartenir à un barreau spécialisé qui intervient essentiellement devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. L’exercice de cette profession exige une qualification supplémentaire : le certificat d’aptitude à la profession d’avocat aux conseils. Une fois ce diplôme obtenu, il faut s’associer ou succéder à un avocat aux conseils exerçant dans un office existant. De nouveaux offices peuvent être créés à l’initiative de l’autorité de la concurrence, selon les besoins du service public de la justice, d’après le critère instauré par la loi « Macron » de 2015 N° Lexbase : L4876KEC. Une fois devenu avocat aux conseils, vous pouvez présenter les pourvois et recours de tout type devant le Conseil d’État et la Cour de cassation.

AALR : Je me souviens d’un de tes posts LinkedIn dans lequel tu évoquais le fait qu’il n’était pas utile de chercher un avocat aux conseils spécialisé dans une matière déterminée. Peux-tu éclairer nos lecteurs ? Le choix de l’avocat aux conseils est souvent source d’interrogations pour les avocats…

GV : Ce post partait du constat évident que nous vivons aujourd’hui dans un monde ultraspécialisé où les normes particulières se multiplient. Je voulais souligner que même si nous intervenons dans tous les domaines au stade de la cassation, nous participons de cette spécialisation. En effet, notre spécialité ne relève pas de la pratique exclusive de tel ou de tel domaine du droit, mais de l’usage de la technique de cassation. Cette technique de cassation a pour particularité d’être toujours la même, dans tous types de contentieux, quelle que soit la nature du litige (prud’hommal, concurrentiel, responsabilité médicale, etc.). Que ce soit devant la Cour de cassation ou devant le Conseil d’État, les cas d’ouverture à cassation sont sensiblement les mêmes et c’est dans ce canevas que nous présentons nos moyens. Le recours en cassation est un contrôle de conformité au sens moderne du terme. Il offre la possibilité d’examiner si une décision est conforme à la règle de droit qu’elle devait appliquer et aux exigences de forme qu’elle devait respecter. Notre spécialité est donc cette technique de cassation appliquée à tous les domaines du droit. Nous pouvons d’autant mieux le faire que le débat juridique a été cadré par les moyens soutenus par les avocats aux barreaux devant les juridictions du fond. Pour ces raisons, si nous avons tous plus ou moins des activités dominantes, nous n’avons pas de spécialité au stade de la cassation. Notre spécialité, c’est la cassation.

AALR : Peux-tu détailler brièvement ce canevas afin de nous éclairer ?

GV : Il s’agit des cas d’ouverture à cassation : la violation de la loi, le défaut de base légale, la dénaturation des actes de procédure ou des actes du procès, l’insuffisance de motivation, mais aussi le contrôle de proportionnalité dont on sait qu’il s’étend.

AALR : Je remarque que de nombreux confrères n’osent pas aller en cassation. Pourrais-tu nous préciser les contours d’une décision qui mérite incontestablement un pourvoi à ton sens ?

GV : C’est effectivement un constat que nous faisons tous. Certains avocats n’envisagent pas le pourvoi comme une voie de recours en tant que telle. Dans un monde idéal, il faudrait pouvoir contrôler toutes les décisions pour déterminer si, oui ou non, un pourvoi a des chances de succès. Évidemment on ne le fait pas parce que l’enjeu du litige, l’essoufflement des parties à un procès qui aurait trop duré entrent en compte.  Mais il est certain que toute décision est susceptible de ce contrôle, parce que toute décision peut être affectée d’une erreur d’application de la loi.

Il faut s’avoir qu’en 2022, comme sur les dix dernières années, il y a par exemple un taux de cassation en matière civile, commerciale et sociale de plus de 30 %. Le contrôle de conformité qu’assure le juge de cassation est donc pleinement utile. Pour autant, le nombre de recours baisse structurellement depuis plusieurs années et il représente moins de 10 % des décisions rendues par les cours d’appel dans le domaine judiciaire, hors droit pénal.

Le réflexe du pourvoi, que n’ont pas forcément tous les confrères, est justifié par la nécessité de savoir si la juridiction qui a rendu la décision a bien appliqué la loi au regard des moyens qu’on a soulevés et des pièces produites. Dans ce cadre-là, un examen par l’avocat aux conseils, qui va déterminer s’il y a des chances de succès du recours, est utile. Cet examen des chances de succès est une des raisons d’être de notre métier. Notre rôle est aussi de dissuader d’un recours voué à l’échec, pour ne pas encombrer les juridictions suprêmes.

Si le taux de cassation est peu ou prou d’un tiers devant la Cour de cassation, c’est aussi parce que nous avons dissuadé des recours dépourvus de chances.

Toujours en matière civile, environ 20 % des pourvois formés à titre conservatoire ne sont pas poursuivis ; dans l’immense majorité des cas, c’est parce que nous avons déconseillé la poursuite, faute de moyen sérieux.

Notre intervention est utile parce qu’au-delà des cas dans lesquels les litiges sont extrêmement factuels, il y a de nombreuses affaires où il est question d’appréciation de la norme et de ses critères de mise en œuvre. Dans ces cas-là, il est légitime, voire indispensable vis-à-vis des clients, de s’interroger sur la possibilité de remettre en cause la décision devant le juge de cassation.

Pour donner un exemple très concret, à l’occasion d’une décision qui retient la responsabilité de votre client mais dans laquelle vous voyez que le juge se prononce sur la faute et le dommage, sans rien dire explicitement du lien de causalité : l’avocat aux conseils, grâce à son expérience du contrôle de cassation, pourra dire si effectivement un moyen de cassation peut être soulevé car le lien de causalité n’a pas été examiné ou si ce lien de causalité a été implicitement mais suffisamment pris en considération et qu’il n’existe donc pas de chance de succès.

AALR : Comment concrètement identifier la nécessité de recourir à la consultation auprès d’un avocat aux conseils ?

GV : Il existe différents degrés de contrôle à envisager et qui justifient de solliciter l’avis de l’avocat aux conseils. Sans aborder toutes les nuances et cas exceptionnels, on peut regrouper cela en trois catégories.

Il y a le contrôle purement normatif : j’ai fait valoir que la règle de droit s’applique de telle manière, la juridiction du fond l’a appliquée de telle autre manière ou alors elle n’a pas constaté la réunion de toutes les conditions pour appliquer cette règle de droit (par exemple toujours : les trois éléments constitutifs de la responsabilité).

Ensuite, il y a la question du caractère suffisant de la motivation : j’ai développé dans mes conclusions des moyens qui étaient étayés en droit et en fait et l’on voit que la juridiction du fond ne leur a pas apporté de réponse.

En troisième ligne, et c’est peut-être là où les espoirs des clients sont les plus souvent déçus, mais cela nécessite aussi d’être examiné : c’est la question de la dénaturation des actes qui étaient dans le débat. Autant, devant le juge de cassation, on ne peut pas reprocher à un juge d’avoir privilégié un élément de fait plutôt qu’un autre en l’estimant plus probant, autant si le juge a dit d’un acte qu’il énonçait telle chose, alors qu’en réalité, il énonçait une chose contraire, alors il y a dénaturation de l’acte. Et cela relève du contrôle de la cassation.

AALR : Comment encourager les avocats à envisager davantage le pourvoi ?

GV :  Il y a évidemment des efforts de communication à poursuivre de la part des avocats aux conseils à destination des avocats et des directions juridiques. Les présidents anciens et actuel de notre Ordre y œuvrent beaucoup. Il s’agit de développer le réflexe de se dire : « est-ce qu’au-delà de la déception que me cause cette décision défavorable et de l’appréciation du juge avec laquelle je ne suis pas d’accord, il y a, dans cette décision, des erreurs commises dans l’application de la règle de droit et la prise en compte des moyens qui étaient présentés ? ».

Il est possible que dans l’esprit des confrères, avocats aux barreaux, soit inscrite l’idée qu’il n’y a pas de troisième degré de juridiction et qu’il n’y a donc pas de possibilité de replaider l’affaire.

Cette idée est vraie, mais elle ne doit pas occulter qu’il y a tout de même un nouveau type de recours : celui d’un contrôle de conformité de la décision rendue à la règle de droit.

Si le pourvoi en cassation est communément appréhendé comme cela, il me semble que les avocats aux barreaux auront plus facilement tendance à solliciter leurs confrères avocats aux conseils.

AALR : Depuis ton début d’activité en 2016, identifies-tu un courant actuel jurisprudentiel en matière d’exécution ? As-tu vu des choses qui t’ont interpellé dans les décisions que tu as vu passer ?

GV : D’abord, comme je l’ai dit, il n’y a pas de spécialisation au stade de la cassation, mais le droit des procédures d’exécution, surtout en matière de saisies immobilières, fait partie des dominantes de mon activité. Il ne me semble pas qu’il y ait actuellement de tendance particulière dans la matière au stade de la cassation. Ce qui me semble en revanche toujours très présent, cette une exigence forte de respect des formalités pour préserver les droits des débiteurs. Cette tendance s’inscrit dans le cadre des grands principes du droit consacrés notamment par la Cour européenne des droits de l’Homme.

AALR : Cette importance attachée au formalisme n’induirait-t-il pas in fine le rejet d’un droit fondamental qui est celui du créancier de son droit à l’exécution ?

GV : Dans ce domaine, la difficulté est bien sûr de ménager l’équilibre entre droits fondamentaux du débiteur et du créancier, appréciés notamment à l’aune de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme N° Lexbase : L1625AZ9. On sait que cela donne parfois lieu à des effets de balancier, comme en matière de procédures collectives. Il me semble que l’avantage qu’il y a à cette exigence de respect du formalisme est que, dès lors que celui-ci a été correctement mis en œuvre, le créancier peut être légitimement confiant sur l’issue de la procédure. Cela se confirme tout à fait au stade de la cassation.

*Propos recueillis par Aude Alexandre-Leroux, avocat associé AARPI Trianon Avocats, secrétaire-adjoint de l’AAPPE

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Voies d'exécution

[Evénement] Retour sur le 25e Congrès international des huissiers de justice de Rio de Janeiro (7 au 10 mai 2024)

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Le 03 Juillet 2024

570 participants de près de 50 pays et plusieurs institutions et organisations internationales étaient présents au 25e Congrès international des huissiers de justice de Rio de Janeiro, organisé par l’UIHJ et la Fenassojaf, du 7 au 10 mai 2024 sur le thème de « L’huissier de justice : le tiers de confiance ».


 

Les organisations et institutions internationales présentes ou représentées étaient la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH), la Commission européenne, l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) et son École régionale supérieure de la Magistrature (Ersuma), l’Académie de droit européen (ERA), l’Institut européen de l’expertise et de l’expert (EEEI), l’Union africaine des huissiers de justice (UAHJ), et l’Institut international pour l’excellence de la justice (IIJE). Étaient également présents Leo Netten et Françoise Andrieux, présidents honoraires de l’Union internationale des huissiers de justice (UIHJ).

Les congressistes ont reçu un exemplaire de l’ouvrage des travaux du congrès, rédigé par 80 auteurs, ainsi qu’un exemplaire de la 3e édition du Code mondial de l’exécution, comprenant un nouveau volet sur l’éthique et les standards professionnels de la profession d’huissier de justice et d’agent d’exécution, publiés à cette occasion.

Au cours de la cérémonie d’ouverture, Marc Schmitz, président de l’UIHJ, Mariana Lira, présidente de la Fenassojaf, Daniel Bucar, procureur général de Rio de Janeiro, Ricardo Rodrigues Cardozo, président de la Cour d’État de Rio de Janeiro, et Mario França, ministre brésilien de l’Entreprenariat, des micro-entreprises et des petites entreprises, ont pris successivement la parole pour accueillir les congressistes. Ils ont insisté sur l’importance de la profession d’huissier de justice dans un État de droit, qui permet de renforcer les institutions et la sécurité juridique, et sur la pertinence du thème du congrès dans un monde en mutation, pour répondre aux défis de la digitalisation de la justice.

Mohamed Bougrine, huissier de justice (Algérie), membre de l’équipe Innovation de l’UIHJ, et Mathieu Chardon, secrétaire-général de l’UIHJ, ont présenté le rapport des très nombreuses activités de l’UIHJ depuis le 24e Congrès international des huissiers de justice de Dubaï en novembre 2021.

Après la présentation des travaux du congrès par son rapporteur général, Patrick Gielen, secrétaire du bureau de l’UIHJ, Edvaldo Lima, huissier de justice (Brésil), et Neemias Freire, vice-président de la Fenassojaf, ont discuté du statut et du fonctionnement de la profession d’huissier de justice au Brésil.

Les travaux scientifiques du congrès étaient structurés autour de trois ateliers, divisés en Ted Talk, tables rondes, discussions avec le public, et conclusions. Le premier atelier abordait le thème du « Renforcement des standards professionnels comme condition de la confiance ». Le Ted Talk sur les standards professionnels, déontologiques et disciplinaires de la profession d’huissier de justice, a été proposé par José Cardoso, solicitador (Portugal), membre de l’équipe Innovation de l’UIHJ. La table ronde sur « Les standards professionnels, garants de l’excellence juridique », était modérée par Guna Berlande, directrice du Conseil des huissiers de justice de Lettonie. Les intervenants de cette table ronde étaient Chantal Bikay, huissier de justice (Cameroun), membre de la Chambre nationale des huissiers de justice du Cameroun, Sue Collins (USA), secrétaire adjointe du bureau de l’UIHJ, Adrian Stoica, doyen de la faculté de droit et des sciences administratives de l’université Ovidius de Constanta (Roumanie), membre du Conseil scientifique de l’UIHJ, et Jos Uitdehaag (Pays-Bas), premier vice-président de l’UIHJ.

La table ronde sur « La nécessaire (r)évolution de la formation initiale et continue » était modérée par Françoise Andrieux, présidente honoraire de l’UIHJ et membre de son conseil scientifique. Sont intervenus successivement Daniel Faiao, huissier de justice (Brésil), Pierre Iglesias, commissaire de justice (France), membre du Bureau de la Chambre nationale des commissaires de justice de France, Osair Victor de Oliveira Junior, huissier de justice fédéral (Brésil), et Jean-Philippe Rageade, directeur de l’Académie de droit européen (ERA).

La discussion avec le public à l’issue de ces deux tables rondes était menée par David Walker, Messenger-at-Arms (Ecosse), trésorier-adjoint de l’UIHJ. Natalie Fricero, professeur émérite des universités (France), membre du Conseil scientifique de l’UIHJ, a assuré les conclusions du premier atelier.

L’atelier 2 avait pour thème « Les conséquences de la confiance : des activités accrues ». Le Ted Talk sur « L’huissier de justice, garant de la sécurité juridique », était délivré par Karolien Dockers, huissier de justice (Belgique). La première table ronde, sur « La coopération internationale, pilier nécessaire de la confiance », était modérée par Jérôme Okemba Ngabondo, président de la Chambre nationale des huissiers de justice du Congo. Sont successivement intervenus Christophe Bernasconi, secrétaire-général de la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH), Adama Dia, président de l’Ordre national des huissiers de justice du Sénégal, Vanessa Regis Costa, huissier de justice (Brésil), Paulo Teixeira, président de l’Ordre des Solicitadores et des agents d’exécution du Portugal, et Luis Ignacio Ortega Alcubierre (Espagne), vice-président de l’UIHJ.

La seconde table ronde, sur « La pluridisciplinarité au cœur de la modernisation », était modérée par Flavia Pires, huissière de justice (Brésil). Les intervenants de cette table ronde étaient Ana Arabuli (Géorgie), chargée des relations internationales au Département des relations internationales et de la gestion des projets du Bureau national de l’exécution de Géorgie, Claudette Pessoa, huissier de justice (Brésil), Vidak Latkovic, président du Bureau exécutif de la Chambre des agents d’exécution publics du Monténégro, et Pauline Varo, co-fondatrice de PREPA Cdj & FORMATION Cdj (France), organisme de formation spécialisé dans la profession de commissaire de justice.

Puis Guillaume Payan, professeur à l’université de Toulon (France), directeur de la cellule juridique de l’UIHJ et membre de son conseil scientifique, a abordé l’évolution de la jurisprudence européenne et internationale au regard des standards professionnels. Les discussions qui ont suivi étaient modérées par Gary Crowe, process server (USA), administrateur de l’Association nationale des process servers professionnels (NAPPS).

À l’occasion du congrès, l’UIHJ a lancé un concours destiné aux étudiants en droit. Marc Schmitz et Patrick Gielen ont présenté le lauréat de ce concours, Marius Gabriel Păun, étudiant à l’université de Constanta (Roumanie), lequel a ensuite exposé un compte-rendu de ses travaux sur la digitalisation de l’exécution des décisions de justice. Les conclusions du 2e atelier ont été proposées par Frédérique Ferrand, professeur à l’université Jean Moulin Lyon III (France), membre du conseil scientifique de l’UIHJ.

Le troisième atelier a abordé le thème de « L’évolution de la confiance : l’huissier de justice, tiers de confiance dans un monde numérique ». Son Ted Talk introductif sur « La numérisation, nouvel élan pour les professions juridiques » a été délivré par Vanessa de Marchi, huissier de justice (Brésil). La première table ronde, sur « La numérisation, nouvelle opportunité pour l’huissier de justice » était modérée par Patrick Plate, huissier de justice (Pays-Bas), et a été débattue par Stéphanie Flacher, conformité, éthique & risques, cofondatrice de Logion (message vidéo), Dovilè Satkauskienè, directrice de la Chambre nationale des huissiers de justice de Lituanie et secrétaire-générale de l’Union européenne des huissiers de justice (UEHJ), Ako Luc Sowah, président de la Chambre nationale des huissiers de justice du Togo, et Andreas Stein, Chef d’unité en charge de la Justice civile à la Direction générale Justice et Consommateurs de la Commission européenne (message vidéo).

Les discussions qui ont suivi étaient modérées par Carlos Calvo, huissier de justice (Luxembourg), secrétaire du Comité exécutif de l’UEHJ. Les conclusions de cette table ronde ont été proposées par Paula Meira Lourenço, professeur à la faculté de droit de l’Université de Lisbonne (Portugal) et membre du conseil scientifique de l’UIHJ.

La table ronde finale, avec pour thème « L’huissier de justice, le tiers de confiance », était modérée par Patrick Gielen et avait pour participants Christophe Bernasconi, secrétaire-général de la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH), Malone Cunha, directeur des affaires internationales de la Fenassojaf, membre du Bureau de l’UIHJ et membre de son équipe Innovation, Karel Dogué, directeur général de l’École régionale supérieure de la Magistrature de l’OHADA (Ersuma), Jean-Philippe Rageade, directeur de l’Académie de droit européen (ERA), et Marc Schmitz.

La 3e édition du Code mondial de l’exécution, incluant les standards déontologiques et professionnels de la profession d’huissier de justice et d’agents d’exécution, a été présentée par Françoise Andrieux, Nathalie Fricero, et Jos Uitdehaag.

Avec le rapport de synthèse, brillamment délivré par Patrick Gielen, la dernière journée du congrès était consacrée aux activités statutaires. Il a ainsi été procédé par l’assemblée générale de l’UIHJ à la ratification des cinq nouvelles organisations membres de l’UIHJ :

  • Afrique du Sud : South African Board for Sheriffs;
  • Brésil : Afojebra (Associação Federal dos Oficiais de Justiça do Brasil), et Fesojus (Federaçao das Entidades Sindicais de Oficiais de Justiça do Brasil);
  • République centrafricaine : Chambre nationale des huissiers de justice de la République centrafricaine ;
  • Colombie : Asonal Judicial S.I.

Puis la ville organisatrice du 26Congrès international des huissiers de justice de 2027 a été votée par l’assemblée générale de l’UIHJ : Lisbonne (Portugal).

Enfin, le conseil permanent de l’UIHJ a procédé à l’élection, du nouveau bureau de l’UIHJ pour l’exercice 2024/2027. Ont été élus :

  • président : Marc Schmitz (Belgique) ;
  • premier vice-président : Jos Uitdehaag (Pays-Bas) ;
  • vice-présidents : Jean-Didier Bidié (Congo) et Jean-Pierre Herbette (France) ;
  • trésorier : David Walker (Ecosse) ;
  • secrétaire : Patrick Gielen (Belgique) ;
  • trésorier-adjoint : Carlos Calvo (Luxembourg) ;
  • secrétaire adjointe : Sue Collins (USA) ;
  • membres : Mohamed Reda Bougrine (Algérie), Malone Cunha (Brésil), Paulo Teixeira (Portugal).

Il a également été procédé à l’élection des membres du Comité exécutif de l’Union européenne des huissiers de justice (UEHJ), au cours de son assemblée générale qui a suivi, pour l’exercice 2024-2027. Ont été élus :

  • président : Marc Schmitz (Belgique) ;
  • vice-président : Ilias Tsipos (Grèce) ;
  • trésorier : Robert Cicuto (France) ;
  • secrétaire : Oscar Jans (Pays-Bas) ;
  • membres : Doreen Donner (Allemagne), Małgorzata Pędziszczak (Pologne), Paulo Duarte Pinto (Portugal).

Durant le discours inaugural de son 3e mandat à la tête de l’UIHJ, Marc Schmitz, président de l’UIHJ, a remercié le conseil permanent de l’UIHJ de lui avoir renouvelé sa confiance pour la troisième fois. Il a annoncé son intention de poursuivre les travaux de l’UIHJ, ainsi que le développement de ses activités, notamment en Amérique et en Asie. Il a loué la parfaite organisation du congrès, la très haute qualité de ses travaux scientifiques, résultat du travail exceptionnel mené depuis trois ans par la Fenassojaf et sa présidente, Mariana Liria, et le rapporteur général du congrès, Patrick Gielen, entouré de l’ensemble des intervenants du congrès, des auteurs de l’ouvrage du congrès et de la 3e édition du Code mondial de l’exécution, de l’équipe Innovation de l’UIHJ, du conseil scientifique de l’UIHJ et du secrétariat de l’UIHJ, qu’il a chaleureusement remerciés, ainsi que les institutions et organisations internationales présentes et représentées. Il a loué l’accueil exceptionnel réservé aux congressistes par la Fenassojaf et a également adressé ses plus vifs remerciements aux 570 participants du congrès pour avoir fait le déplacement à Rio de Janeiro et pour leur soutien envers l’UIHJ, en les invitant d’ores et déjà à participer au 26Congrès international des huissiers de justice qui se tiendra en mai 2027 à Lisbonne.

Lors du congrès, un Laudatif a été fait à José Carlos Resende, ancien président de l'Ordre des Solicitadores et agents d'exécution du Portugal et vice-président de l'UEHJ, ainsi qu'à François Taillefer, président de la Chambre des huissiers de justice du Québec, tous deux décédés très récemment. Une minute de silence a été respectée en leur mémoire et celle de tous les huissiers de justice disparus depuis le Congrès de Dubaï en 2021.

Le 25Congrès international des huissiers de justice s’est achevé par une traditionnelle et somptueuse soirée de gala, organisée par la Fenassojaf et l’UIHJ dans la Marina de Rio de Janeiro, copieusement rythmée, on s’en doute, par le son envoutant de la samba brésilienne !


Recommandations du 25e Congrès international des huissiers de justice de Rio de Janeiro

Rio de Janeiro, le 10 mai 2024.

Considérant que les huissiers de justice et les agents d'exécution jouent un rôle fondamental dans le respect de l'État de droit, garantissant, par leurs compétences, leur statut et leurs activités, le maintien de la sécurité juridique,

Considérant l'importance cruciale d'une formation initiale et continue strictement définie pour ces professionnels afin d'assurer la continuité et l'efficacité de leur fonction dans la société,

Considérant la nécessité pour les huissiers de justice et les agents d'exécution de respecter des normes éthiques et professionnelles élevées, conformément aux principes énoncés dans le Code mondial de l'exécution,

Considérant l'opportunité pour ces professionnels de développer des activités pluridisciplinaires pour améliorer la rapidité et l'efficacité des processus judiciaires et contribuer au désengorgement des tribunaux,

Considérant le rôle clé de la numérisation dans l’optimisation de leurs activités et la nécessité pour les huissiers de justice et les agents d’exécution d’être à la pointe du développement et de l’utilisation des outils numériques,

Considérant l'importance de renforcer la position des huissiers de justice et des agents d'exécution en tant que tiers de confiance universels pour la sécurité juridique, notamment en matière de preuve,

Le 25Congrès international des huissiers de justice émet les recommandations suivantes :

1 - Formation

La formation initiale des huissiers de justice et agents d’exécution devrait être strictement définie pour couvrir tous les aspects de leurs activités et de leurs responsabilités. La formation continue des huissiers de justice et agents d’exécution, indispensable au bon exercice et à la pérennité de la profession, devrait être obligatoire et encadrée, pour favoriser la montée en puissance des compétences exercées par les huissiers de justice et agents d’exécution.

2 - Éthique et standards professionnels

Les huissiers de justice et agents d’exécution devraient se conformer à des standards professionnels clairement définis, tels que ceux figurant dans le Code mondial de l’exécution.

3 - Activités pluridisciplinaires

Les huissiers de justice et agents d’exécution devraient être encouragés à exercer et développer des activités accessoires compatibles avec leur fonction, notamment celles de nature à garantir et faire reconnaître les droits des justiciables et ayant pour objet l’accélération du processus judiciaire ou le désengorgement des tribunaux.

4 - Numérisation

Les huissiers de justice et agents d’exécution doivent être acteurs incontournables du développement et de l’utilisation des outils numériques nécessaires à l’exercice optimal de leurs activités.

5 - Tiers de confiance

Les huissiers de justice et agents d’exécution doivent être encouragés à se positionner comme les tiers de confiance universels de la sécurité juridique, notamment dans le domaine de la preuve.

6 - Code mondial de l’exécution

Les huissiers de justice, les agents d’exécution et l’Union internationale des huissiers de justice doivent assurer la diffusion du Code mondial de l’exécution auprès de toute entité appropriée, et l’inclure dans leurs outils de formation.

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Voies d'exécution

[Focus] « Les constats impossibles ? »

Lecture: 15 min

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par Sylvian Dorol - Commissaire de justice associé (VENEZIA) - Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement et Enseignant à Sciences Po Paris ENM EFB et Sébastien Racine – Commissaire de justice associé, Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement, Enseignant ENM, EFB

Le 02 Août 2024

Mots-clés : constat • déontologie • impossible • preuve • loyauté

Dans le cadre de l'administration judiciaire de la preuve, les commissaires de justice sont souvent confrontés à des défis apparemment insurmontables. À travers l'examen de situations où la preuve devient difficile, voire impossible à obtenir, cet article explore les limites imposées par la déontologie, les contraintes technologiques et juridiques. En abordant les évolutions récentes de la jurisprudence et les avancées technologiques, nous analysons les cas où les constats demeurent hors de portée, mettant en lumière la quête incessante des commissaires de justice pour naviguer entre impartialité et innovation.


 

« Personne ne leur a dit que c'était impossible alors ils l'ont fait. » Cette citation, souvent attribuée à Mark Twain, appliquée à l’administration judiciaire de la preuve, suscite une réflexion : existe-t-il des constats impossibles ? Dans le cadre de l’examen de spécialisation des commissaires de justice, dont la première session s’est tenue en début d’année pour la mention « spécialiste en administration judiciaire de la preuve », le sujet suivant a été posé : « Existe-t-il encore des constats impossibles ? ».

Bien entendu, il ne s’agit pas de traiter des cas triviaux ou fantaisistes, mais plutôt de s’interroger sur les situations où les commissaires de justice se trouvent impuissants, malgré leur compétence. Ainsi, ils se trouvent souvent face à des situations où la preuve est difficile, voire impossible, à obtenir.

Les évolutions technologiques ont ouvert de nouvelles possibilités pour les commissaires de justice. Il est possible de constater des éléments du passé, aujourd’hui inaccessible, ou encore inaccessibles en raison de conditions physiques (hauteur, profondeur, conditions climatiques). Ces constats impossibles, il y a quelques décennies, sont désormais à la portée de tous, avec une force probante variable.

Cependant, certains constats demeurent à ce jour impossibles. Certes, certains le sont temporairement, en cas d’absence d’autorisation judiciaire préalable, en raison, notamment, du lieu ou de la nature des éléments constatés. Il n’y a donc pas de réelle impossibilité, mais plutôt des contraintes préalables et nécessaires pour des raisons juridiques établies et acceptables.

Pour les cas d’impossibilité plus « absolues », ils tiennent à divers facteurs notamment liés au statut des commissaires de justice (I) ; de manière plus « objective », d’autres facteurs liés aux éléments objets des constatations eux-mêmes (II).

I. Le cas des constats impossibles en raison du statut du commissaire de justice

L’évaluation de la faisabilité d’un constat par un commissaire de justice débute par la détermination de sa capacité à agir. Il s’interrogera alors sur sa capacité personnelle à constater en s’assurant qu’aucun élément ne remet en cause son impartialité (A). Il s’attachera ensuite, conformément à ses règles déontologiques, à garantir la loyauté de son intervention (B).

A. L’impartialité : facteur subjectif d’impossibilité de constater à caractère relatif

1) Le lien personnel

Les commissaires de justice doivent impérativement éviter tout conflit d'intérêts pour garantir l'impartialité et l'objectivité de leurs constatations. L’existence d’un lien personnel entre le commissaire de justice et les parties impliquées est souvent considérée comme étant de nature à nuire à cette qualité indispensable. Il est important de rappeler ici que l’apparence de partialité, fondée sur l’existence d’un lien personnel, est suffisante, peu importe qu’elle n’ait, dans les faits, aucune conséquence sur les constatations.

L'article 1 du Règlement déontologique national stipule que l'huissier de justice (nouvellement appelé commissaire de justice), officier public et ministériel, conserve en toutes circonstances la plus stricte indépendance vis-à-vis de la clientèle, des parties et des tiers afin de garantir l'impartialité, fondement de la confiance qu’on lui porte. Cette indépendance est cruciale pour assurer que les constatations effectuées soient acceptables en justice.

L’impossibilité qui en découle reste subjective et liée à la personne du constatant. Un autre constatant sans lien ne sera pas empêché pour cette raison. Il apparaît aussi que le commissaire de justice, en tant que consommateur de constat, peut recourir au service d’un(e) confrère/consœur, souvent sélectionné parmi les confrères exerçant sur une autre cour d’appel, en gage de garantie d’impartialité.

2) La communauté d’intérêt privé ou le conflit d’intérêts 

Le cas de la « communauté d’intérêt privé » a pu être qualifié lorsque le commissaire de justice partage des intérêts économiques ou sociaux avec une des parties. Par exemple, si le commissaire de justice est membre d'une même association professionnelle que l'une des parties, cela peut soulever des questions sur son impartialité. Le Règlement déontologique précise que l’huissier de justice doit éviter toute situation pouvant affecter son impartialité ou entraîner un conflit d’intérêts.

Dans un arrêt de la cour d’appel de Douai du 28 septembre 2023 (CA Douai, 28 septembre 2023, n° 22/02664 N° Lexbase : A43641ML), les enjeux liés à l’indépendance et à l’impartialité du commissaire de justice lorsqu’une relation d’intérêt privé est suspectée, sont mis en lumière. La cour a conclu à l’existence d’une relation d’intérêts privés entre la partie requérante et les intervenants auxiliaires de justice, induisant une apparence de partialité. Cette relation a conduit à la nullité des actes en question. Dans les faits, le commissaire de justice s’est vu reprocher des liens préexistants caractérisés par une précédente intervention dans une affaire, en l’occurrence un constat amiable pour lequel il a été nommé aux fins de constat sur ordonnance.

Là encore, l’impossibilité est appréciée subjectivement. Le commissaire de justice doit, face à cette situation, s’effacer au profit d’un autre confrère et se considérer comme empêché. Cependant, il est regrettable que l’apparence seule soit condamnée sans chercher si partialité il y a eu. La prudence est donc de rigueur.

B. La loyauté : facteur subjectif d’impossibilité de constater à caractère absolu

1) La règle déontologique : une impossibilité absolue

L'obligation de loyauté impose aux commissaires de justice de respecter les règles déontologiques de leur profession. Cela inclut le respect de l'honnêteté, de l'intégrité et de l'impartialité dans toutes leurs activités. L'article 2 du Règlement déontologique insiste sur la rigueur, la probité et la confraternité que doivent observer les huissiers de justice dans l’exercice de leurs fonctions.

Ainsi, l’huissier de justice est contraint à une parfaite loyauté dans l’exécution de sa mission. Cela signifie notamment qu’en matière de constatations, il ne peut agir personnellement à visage masqué et doit se déclarer avant toute intervention [1]. Cette obligation de loyauté peut parfois être un obstacle en matière d’acquisition de la preuve. C’est pourquoi des pratiques se sont dégagées jurisprudentiellement pour contourner cette problématique, par exemple en matière de constat d’achat avec le recours à un tiers. Il est important de préciser qu’aucune décision ne semble valider la possibilité pour le commissaire de justice d’être déloyal. Les décisions précisent qu’il n’y a pas d’atteinte au principe de loyauté pour valider un constat.

Certains pourraient citer une décision isolée rendue en matière de mesure d’instruction in futurum, où le commissaire de justice a été autorisé à signifier l’ordonnance l’autorisant à pratiquer son constat après la réalisation de ce dernier. La justification n’était cependant pas d’autoriser la déloyauté, mais plutôt de préserver la preuve et d’éviter de l’altérer avec une signification préalable [2].

Il est donc juste de dire qu’un constat nécessitant la mise en place d’un procédé ou d’une pratique déloyale pour obtenir une preuve ne peut être perpétré par un commissaire de justice.

Pour autant, qu’en est-il de la preuve résultant d’un procédé déloyal dont le commissaire de justice ne serait pas l’auteur [3] ? Si l’auteur de la déloyauté est un tiers, par exemple le client lui-même, il était jusqu’à peu recommandé au commissaire de justice de ne pas prêter son concours en réalisant des constatations portant sur ce type de preuve [4]. La raison est double : d’une part, s’agissant de preuve déloyale, elle n’était pas admise en justice [5] ; d’autre part, la faiblesse de la force probante rattachée à ce type de constat. Cette solution était à tempérer en matière pénale en raison d’une appréciation plus souple de la preuve et de la force probante amoindrie des constatations réalisées par commissaire de justice en cette matière.

En matière civile, la position était claire, notamment au visa de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme N° Lexbase : L7558AIR : toute preuve déloyale était par principe écartée. Cependant, l’année 2023 [6] a vu un infléchissement de cette règle en France, dans la lignée de certains autres pays d’Europe, avec néanmoins un doute sur la réelle portée de ce revirement.

2) L’impact neutre de la nouvelle jurisprudence

L'usage de preuves obtenues de manière illicite ou déloyale est un point crucial. La Cour de cassation estime dorénavant que dans un litige civil, une partie puisse utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits. Toutefois, cela ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse. Cette jurisprudence, bien que permettant un certain assouplissement, souligne l'importance de la loyauté dans la collecte des preuves.

La portée de cette jurisprudence, d’un point de vue pratique, interroge néanmoins. En réalité, ce qu’il convient d’aborder, c’est moins la loyauté du procédé que la matérialité et l’efficacité de la preuve rapportée. Ainsi, dans le cadre d’un enregistrement réalisé à l’insu d’une personne, il est intéressant d’évoquer l’admissibilité d’une telle preuve.

Cependant, que prouve-t-elle ? Outre les risques de deep fake, il est constaté que l’enregistrement ne permet pas de certifier l’identité des intervenants, le lieu ou encore la date. Ces éléments sont bien souvent déclaratifs et apportés par la partie qui se prévaut de la preuve déloyale. De même, lorsque ce type d’enregistrement est porté à la connaissance d’un commissaire de justice, il ne certifie pas plus ces éléments qui restent purement déclaratifs, dans la mesure où il n’a pu personnellement constater l’échange en étant présent.

En revanche, si le commissaire de justice est présent au moment de l’enregistrement à l’insu de la personne, alors il pourra attester des personnes présentes, du lieu et des propos tenus. Cependant, la jurisprudence lui permet-elle de le faire ? C’est-à-dire d’agir en toute déloyauté et de procéder à un constat sans se présenter préalablement ? En matière de constat de grève, il arrive souvent qu’une partie des manifestants ne nous ait pas identifiés. Cependant, les constatations que nous réalisons, souvent depuis la voie publique ou depuis chez notre client, ne sont pas attaquées, car nous ne provoquons pas de situation.

En revanche, il ne nous semble pas permis d’être l’auteur du procédé déloyal ayant permis de récupérer la preuve, conformément à nos obligations professionnelles, et il ne semble pas souhaitable que cela change. Il semble qu’en la matière, nous soyons malgré tout garants d’une certaine équité et d’une impartialité qui ne doivent souffrir d’aucune entorse, sauf sur autorisation judiciaire.

II. Le cas des constats impossibles en raison du contenu à constater

L’évaluation de la faisabilité d’un constat par un commissaire de justice se poursuit ensuite par la détermination de la faisabilité des constatations eu égard aux faits portés à sa connaissance. Sur quoi vont porter ses constatations matérielles ? Ainsi la faisabilité d’un constat sur du contenu illicite (A), non saisissable par les cinq sens ou inexistant (B) semble ne pas faire débat.

A. Le contenu illicite : une impossibilité absolue

Les commissaires de justice doivent souvent faire face à des limitations lorsqu’il s’agit de contenus illicites. Ces limitations peuvent être dues à l’interdiction de visualiser certains contenus ou à l’inaccessibilité de ces contenus sans enfreindre des droits spécifiques [7].

Certains contenus sont intrinsèquement illicites et leur constatation pourrait constituer une infraction. Par exemple, accéder volontairement à des sites de contenu illégal est strictement interdit et peut entraîner des sanctions pour le commissaire. Il s’agit notamment des contenus relatifs à la pédopornographie, aux activités terroristes ou à d’autres activités criminelles dont la seule visualisation est prohibée par la loi.

L’article 40 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L5531DYI impose aux officiers publics, dont les commissaires de justice, l’obligation de signaler au procureur de la République tout crime ou délit dont ils auraient connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. Cette obligation légale signifie que si un commissaire de justice se retrouve face à ces contenus illicites, il doit les signaler immédiatement et refuser de prêter son ministère [8].

Dans certains cas, un commissaire de justice peut accéder fortuitement à des contenus illicites lors d’une mission légitime. Par exemple, lors d’une opération classique de constatation, un commissaire de justice peut tomber par hasard sur des documents illégaux. Ces situations doivent être gérées avec prudence. Lorsqu’un commissaire de justice découvre de manière fortuite des contenus illicites, il doit suspendre immédiatement ses opérations et signaler ces contenus aux autorités compétentes, conformément à l’article 40 du Code de procédure pénal

B. Le contenu insaisissable par les cinq sens

1) Le constat de comportement

Dans la définition du constat, il est souvent fait référence à ce que le commissaire de justice peut saisir au moyen de ses cinq sens. Si certains constats sensoriels sont épineux et difficilement efficaces, ils restent néanmoins possibles. À titre d’exemple, un constat d’éblouissement lié à une réverbération ou un constat de « mauvaise » odeur sont toujours des situations délicates et nécessitent une grande précision dans la rédaction, sous peine d’entacher notre constat de partialité.

En revanche, certaines preuves peuvent être difficiles à saisir par les moyens traditionnels en raison de leur nature intangible ou subjective. L'évaluation de comportements tels que l’agressivité repose souvent sur des témoignages et des observations contextuelles, qui peuvent être subjectives. Un commissaire de justice peut constater des altercations verbales ou physiques, mais l'interprétation de ces comportements reste subjective et peut varier d'un observateur à l'autre.

Il en va de même quand il s’agit de prouver l'intention nuisible, qui nécessite souvent des preuves indirectes telles que des messages ou des témoignages, car elle ne peut pas être observée directement. Idem pour des sentiments ou comportements positifs tels que l'affection ou l'amour entre des individus, qui ne peuvent pas être constatés de manière objective, car ce sont des sentiments internes.

Dans ces cas, le commissaire de justice procédera à des constats sur des éléments qui pourront peut-être amener le magistrat à apprécier et caractériser le comportement invoqué ou répréhensible. En revanche, le commissaire de justice, sous peine de partialité, ne pourra tirer aucune conséquence de ses constatations.

Un cas courant est le constat de vidéosurveillance. L'utilisation de systèmes de vidéosurveillance est une méthode courante pour fournir des preuves d'événements passés. Les enregistrements vidéo peuvent être utilisés pour documenter des incidents survenus dans le passé à condition que les images soient claires et non altérées.

Nous ne reviendrons pas sur les vidéos réalisées à l’insu de la personne, mais préférons évoquer ici le cas des vidéosurveillances dont la présence n’est pas cachée. Dans ce cas, il est courant de procéder à des constatations sur ces fichiers vidéo alors même que le commissaire de justice n’était pas présent au moment des faits. Ces vidéos lui permettent en quelque sorte de constater l’existence et le contenu des fichiers vidéo issus de ces enregistrements sans pour autant pouvoir attester avec certitude de la date réelle des événements ni du lieu. Le seul moyen de rattacher ces événements au temps et à l’espace est bien souvent la lecture du filigrane d’horodatage incrusté et de constater l’extraction des fichiers du système de vidéosurveillance.

Bien entendu, ces constatations restent dégradées ; cependant, la force probante qui y est rattachée n’est pas pour autant inexistante. Laissé à l’appréciation des juges du fond, il s’avère que ces éléments jouissent souvent d’une force probante totale, pour peu que le commissaire de justice ait pu saisir, au cours de ces constatations, les éléments matériels et techniques de nature à renforcer la vraisemblance du contenu.

2) Le constat du contenu disparu

Le constat du passé est par nature une tâche complexe pour les commissaires de justice, car il est impossible de revenir dans le temps pour constater des faits directement. Cette impossibilité manifeste réside dans l'absence de moyens physiques pour observer des événements déjà écoulés. Cependant, plusieurs méthodes permettent de fournir des preuves indirectes ou des indices de ces événements passés, avec une force probante souvent dégradée, mais bien réelle.

Lorsque les constats sur internet ne peuvent plus être établis parce que la page a été modifiée ou supprimée, il est possible de recourir à des sites d’archivage pour retrouver des versions antérieures des pages web. Les sites d’archivage comme WebArchive ou Google Cache conservent des copies de pages web à différentes dates, constituant ainsi une mémoire des pages internet en tant que patrimoine immatériel.

Bien que ces sites permettent de « remonter le temps » et de retrouver des versions antérieures de pages internet, ils ne fourniront que des indices rendant vraisemblables les allégations du requérant. La jurisprudence a évolué concernant la force probante de ces constats qui ont retrouvé une certaine acceptabilité juridique. Cependant, comme pour les constats de vidéo surveillance, la force probante ne portera que sur des éléments vérifiables par le commissaire de justice.

 

[1] M.-P. Mourre-Schreiber, La preuve par le constat d’huissier de justice, thèse de doctorat, EJT, 2014, p. 202, n° 530.

[2] Cass. civ. 2, 4 septembre 2014, n°13-22.971, FS-D N° Lexbase : A0530MWK ; H. Croze, Procédures,  2014, comm. 291 ; S. Dorol, Dr. et proc., 2014, 201 ; L. Raschel, Rev. Lamy dr. civ., novembre  2014, n° 120, p. 72.

[3] CA Lyon, 9 janvier 1974 : JCP G, 1974, IV, 6436.

[4] Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-45.093, FS-P+B+R N° Lexbase : A4953D7L ;  N. Fricero, Dr. et proc., 2008, p. 218.

[5]R. Perrot, Le constat d’huissier de justice, CNHJ, 1985, p. 72, n° 54.

[6] Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648 N° Lexbase : A27172AU et 21-11.330 N° Lexbase : A27232A4, publiés au bulletin.

[7] En ce sens, Th. Guinot, L’huissier de justice : normes et valeurs, EJT, 2017, p. 232.

[8] Th. Guinot, L’huissier de justice : normes et valeurs, EJT, 2017, p. 232.

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Voies d'exécution

[Focus] Une nouvelle mesure conservatoire dispensée d’autorisation préalable : la mesure pour charges de copropriété impayées

Réf. : Loi n° 2024-322, du 9 avril 2024, visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement N° Lexbase : L0632MMD

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par Julien Laurent, Professeur à l'Université Toulouse Capitole, Agrégé des facultés, Centre IEJUC

Le 02 Août 2024

1. Le 11 avril 2024, est entrée en vigueur la loi n° 2024-322, du 9 avril 2024, visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement N° Lexbase : L0632MMD [1]. Elle poursuit trois objectifs principaux : prévenir la dégradation de l'habitat, accélérer la réhabilitation de certains logements et renforcer la lutte contre les « marchands de sommeil ». C’est en considération de ces objectifs lato sensu que le législateur a pu saisir l’occasion de créer une nouvelle mesure conservatoire dispensée d’autorisation judiciaire préalable aux fins de recouvrement de provisions de charges de copropriété impayées.

2. Pour rappel, les mesures conservatoires forment la matière du Livre V du Code des procédures civiles d’exécution. L’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5913IRG énonce qu’elles prennent « la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire ». Cette dualité des formes correspond à deux techniques qui commandent une organisation, à certains égards, différenciée : pour simplifier, les saisies conservatoires frappent d’indisponibilité les biens qui en sont l’objet ; les sûretés judiciaires confèrent à leurs bénéficiaires droits de préférence et de suite.

L’intérêt d’une mesure conservatoire est de permettre à un créancier de se garantir sur des biens de son débiteur alors qu’il ne détient pas encore de titre exécutoire. Mais elle est dangereuse pour le débiteur car, quelle que soit la mesure choisie, elle grèvera temporairement les biens qui en sont l’objet. L’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution énonce les conditions requises pour prendre une telle mesure : « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ». Le texte vise à respecter un subtil équilibre : d'un côté, les agissements du créancier, qui redoute l'insolvabilité du débiteur, ne doivent pas être entravés par le respect de conditions trop sévères, l'efficacité d'une mesure conservatoire étant subordonnée aux exigences de rapidité, discrétion et nécessitant une certaine surprise ; de l’autre, étant donné que son action intervient à un stade où il ne dispose pas encore – du moins dans la majorité des cas – de titre exécutoire, le contrôle préalable d'un magistrat spécialisé a été jugé comme constitutif d’une juste précaution. Il est toutefois des cas exceptionnels où cette autorisation n’est pas nécessaire. Ce sont ces cas qu’énumère l’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L1094MMH et c’est, par conséquent, un nouveau cas de dispense qu’ajoute la loi « habitat dégradé » au texte.

3. L’article 19, de la loi du 9 avril 2024 N° Lexbase : Z94259WI, modifie l’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution et ajoute, à la liste des situations dans lesquelles une autorisation préalable du juge de l’exécution n’est pas nécessaire (sauf si évidemment l’on dispose d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire), celle d’un défaut de paiement des « provisions mentionnées au premier alinéa de l'article 19-2 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, exigibles ou rendues exigibles dans les conditions prévues au même article 19-2 ». L’objectif poursuivi est simple : fournir au syndic (qui agira au nom du syndicat des copropriétaires) une arme supplémentaire aux fins de recouvrir ces sommes, que les copropriétaires rechignent parfois à payer. De ce point de vue, on est dans une logique proche de celle qui justifie la créance de loyer d’un contrat de louage écrit d’immeubles au même texte : « soutenir » au sens large l’immobilier. Une incertitude demeure toutefois sur le domaine exact de ce texte, l’article L. 511-2 nouveau ne faisant référence qu’aux « provisions » mentionnées au premier alinéa de l’article 19-2 N° Lexbase : Z77271TI, lui-même distinguant les provisions dues ou non encore échues au titre de l’article 14-1 N° Lexbase : Z77299TI (c’est-à-dire les provisions pour charges), des sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents qui, après approbation des comptes, deviennent immédiatement exigibles et qui ne sont donc plus techniquement des provisions. On peut toutefois penser que la jurisprudence aura une interprétation compréhensive du texte, pour intégrer toutes les sommes mentionnées au premier alinéa du texte [2]

4. Sur le plan technique, le texte interroge cependant sur la croisée de deux dispositifs, celui prévu pour les mesures conservatoires et celui de l’article 19-2, de la loi du 10 juillet 1965, cette hybridation ne se faisant pas tout à fait harmonieusement. Il résulte en effet de l’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution qu’en cas de dispense d’autorisation judiciaire préalable, la seule condition de fond exigée pour diligenter une mesure conservatoire est de pouvoir faire valoir une créance qui paraît fondée en son principe, si l’on justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. Dans une configuration normale, le grand intérêt d’une mesure conservatoire est sa précocité : l’idée est de prévenir une dilution du droit de gage du créancier sans attendre qu'il soit défaillant. Nul besoin d’attendre que la créance soit à terme pour pouvoir prendre une saisie conservatoire ou une sûreté judiciaire. Or, précisément, l’article L. 511-2 nouveau précise bien que la dispense concerne les provisions exigibles ou devenues exigibles « dans les conditions de l’article 19-2 ». Autrement dit, la mesure conservatoire interviendra sur une créance déjà à terme, en aval de son domaine d’intervention temporel habituel.

5. Sur le plan concret, conformément aux conditions auxquelles fait référence l’article L. 511-2 nouveau du Code des procédures civiles d’exécution, précisément celles de rendre exigibles les provisions, l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 exige une mise en demeure restée infructueuse pendant trente jours envoyée à compter de la date d’exigibilité, qui sera concrètement envoyée par le syndic au copropriétaire défaillant. Cette mise en demeure pourra se faire par LRAR [3]. La preuve de cette formalité (ainsi que tous les documents utiles permettant d’établir l’existence de ces créances) constituera le titre en vertu duquel le commissaire de justice pourra diligenter une mesure conservatoire à la demande du syndic. S'agissant d'une mesure conservatoire, il n'aura pas à être préalablement autorisé par l'assemblée générale [4], conformément aux dispositions de l'article 55 du décret du 17 mars 1967 N° Lexbase : L8032BB4. Il conviendra ensuite, à peine de caducité de la mesure, d'introduire la demande en paiement devant la juridiction compétente dans le mois suivant la saisie conservatoire. Rappelons enfin, que toute mesure conservatoire, même sans autorisation préalable du juge, ouvre droit à contestation et peut engager la responsabilité du créancier [5].

6. Il est trop tôt pour dire si cette nouveauté aura l’efficacité escomptée, même si l’on peut estimer que la condition d’exigibilité à laquelle renvoie l’article L. 511-2 ouvrira, plus certainement, la voie d’une mesure exécutoire, étant donné que les conditions d’obtention d’un titre exécutoire seront automatiquement remplies à la suite de l’accomplissement des formalités requises par l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965.

 

[1] À l'exception des dispositions pour lesquelles un régime transitoire dérogatoire a été expressément prévu et celles pour lesquelles l'application est conditionnée à l'élaboration de décrets d'application.

[2] En ce sens, P.-É. Lagraulet, La loi « habitat dégradé » et le statut de la copropriété des immeubles bâtis, AJDI, juin 2024, n° 6, p. 420.

[3] Décret n° 67-223, du 17 mars 1967, pris pour l'application de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, art. 64 N° Lexbase : L5594IGB.

[4] Décret n° 67-223, du 17 mars 1967, précité, art. 55, al. 3 N° Lexbase : L8032BB4.

[5] CPCEx., art. L. 121-2 N° Lexbase : L5805IRG.

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