MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'appel
La CKV soutient que la requête aux fins d'être autorisée à assigner à jour fixe ne contenait pas les conclusions au fond tel que l'exige l'
article 918 du code de procédure civile🏛, et que les conclusions n'ont été notifiées que le 4 mars 2024 par RPVA, de sorte que l'appel est irrecevable.
La SCI Breave répond que selon l'
article 56 du code de procédure civile🏛, l'assignation qui contient un exposé des moyens en fait et en droit vaut conclusions, de sorte que les conditions de l'article 918 sont remplies dès lors que la requête contient en annexe le projet d'assignation contenant les moyens de fait et de droit, ce qui est le cas en l'espèce.
Selon les dispositions de l'
article R.322-19 alinéa 1er du code des procédures civiles d'exécution🏛, l'appel contre le jugement d'orientation est formé, instruit et jugé selon la procédure à jour fixe sans que l'appelant ait à se prévaloir, dans sa requête, d'un péril.
Il résulte de l'article 918 du code de procédure civile que la requête à jour fixe doit contenir les conclusions sur le fond et viser les pièces justificatives.
Tous les éléments prescrits par la procédure à jour fixe doivent être observés à peine d'irrecevabilité de l'appel.
En l'espèce, la SCI Breave avait joint à sa requête le projet d'assignation contenant un exposé des faits, des moyens de droit et de fait et des prétentions, ainsi que la liste des pièces.
Or en application de l'article 56 du code de procédure civile, un tel projet d'assignation joint à la requête vaut conclusions sur le fond, avant même d'être délivré.
Par conséquent, c'est en vain que la société CKV fait valoir que la requête ne contenait pas les conclusions sur le fond, puisqu'elle contenait le projet d'assignation valant conclusions.
L'appel sera donc déclaré recevable.
Sur la demande de sursis à statuer
Pour rejeter la demande de sursis à statuer, le juge de l'exécution a estimé qu'il était seul habilité, en application de l'
article L.213-6 du code de l'organisation judiciaire🏛, à connaître d'une contestation relative à l'exigibilité de la créance, cause de la saisie immobilière.
La SCI Breave fait valoir qu'il est dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'infirmer le jugement et de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du tribunal judiciaire de Paris, qui a été saisi, par les cautions, M. et Mme [R], et elle-même, de la question de l'irrégularité de la déchéance du terme, préalablement à la procédure de saisie immobilière initiée par la banque et ce, pour éviter toute contradiction des décisions à venir. Elle explique que si la déchéance du terme est jugée irrégulière, alors c'est toute la procédure de saisie immobilière qui serait remise en cause, à défaut pour la banque de disposer d'une créance exigible ; que les époux [R] et la SCI contestent la validité de la déchéance du terme en raison des manquements de la société CKV à ses obligations de prêteur, de sorte que cette demande est sans lien direct avec la procédure de saisie immobilière diligentée par la société CKV et que le juge de l'exécution n'a donc pas le pouvoir de statuer sur la question.
La CKV fait valoir que la procédure de saisie immobilière a été engagée par la délivrance du commandement le 6 septembre 2022, soit avant celle de l'assignation au fond signifiée le 2 novembre 2022, de sorte que le juge de l'exécution a, depuis le 6 septembre 2022, une compétence exclusive pour trancher les contestations, même si elles portent sur le fond du droit ; et que l'irrégularité de la déchéance du terme soulevée se rapporte bien à la mesure d'exécution engagée.
L'article L.213-6, alinéas 1 et 3, du code de l'organisation judiciaire dispose :
« Le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.
[...]
Le juge de l'exécution connaît, sous la même réserve, de la procédure de saisie immobilière, des contestations qui s'élèvent à l'occasion de celle-ci et des demandes nées de cette procédure ou s'y rapportant directement, même si elles portent sur le fond du droit ainsi que de la procédure de distribution qui en découle. »
En l'espèce, l'action au fond a été introduite par les époux [R], cautions, et la SCI Breave par assignation du 2 novembre 2022, soit avant la délivrance de l'assignation à l'audience d'orientation du juge de l'exécution (9 décembre 2022), mais après la délivrance du commandement de payer valant saisie immobilière en date du 6 septembre 2022.
Or c'est la délivrance du commandement qui engage la procédure de saisie immobilière et le juge de l'exécution est, dès la délivrance du commandement de payer valant saisie immobilière, exclusivement compétent pour trancher les contestations s'y rapportant même si elles portent sur le fond du droit, comme la question de la régularité de la déchéance du terme. Contrairement à ce soutient la SCI Breave, cette question n'est, quelque soit le moyen invoqué, nullement indépendante de la procédure de saisie immobilière et est, au contraire, essentielle pour apprécier la régularité de la saisie immobilière au regard des dispositions de l'
article L.311-2 du code des procédures civiles d'exécution🏛.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer.
Sur la régularité de la déchéance du terme
Le juge de l'exécution a retenu que la SCI Breave avait été mise en demeure le 21 février 2022, préalablement au prononcé de la déchéance du terme, que rien ne permettait de considérer qu'après l'envoi de cette mise en demeure, le créancier aurait laissé croire à la débitrice qu'il n'entendait pas se prévaloir de la déchéance du terme, de sorte que le prêt avait été valablement résolu et était devenu intégralement exigible conformément à l'article 19.2 de l'offre de prêt.
La SCI Breave fait valoir qu'à la suite de la mise en demeure du 21 février 2022, elle a répondu, par son conseil, qu'elle était prête à régler la dette selon un échéancier à déterminer entre les parties ; qu'au vu de la réponse de la banque, force est de constater que des discussions étaient en cours au moment où la déchéance du terme a été prononcée subitement par la société CKV et alors même qu'elle avait repris les paiements et la banque n'a jamais transmis le décompte actualisé annoncé ; qu'ainsi, elle n'a pas été avertie de ce que la banque CKV, alors qu'elle avait donné un accord de principe pour l'échelonnement de la dette, entendait soudainement dénoncer le terme du contrat de prêt, de sorte que la déchéance du terme n'est pas régulière au regard de l'article 19.2 du contrat qui a pour but de protéger l'emprunteur ; qu'elle a alors été sommée de régler plus de 800.000 euros sous peine de voir son bien immobilier saisi au lieu des 6.839,34 euros qu'elle s'était engagée à payer quelques mois auparavant ; que c'est de manière parfaitement abusive que la société CKV a prononcé la déchéance du terme sans répondre à sa demande de communication du montant de la dette pour qu'elle puisse proposer un échéancier qui avait été accepté dans son principe et sans adresser une copie des correspondances à son conseil, ce qui lui aurait permis de réagir rapidement.
La CKV fait valoir en premier lieu que la SCI Breave est de mauvaise foi, puisqu'elle est en situation récurrente d'impayés pour des sommes importantes vis-à-vis de ses créanciers, notamment établissements bancaires et syndicat de copropriétaires. En second lieu, elle soutient que la déchéance du terme est valable puisqu'elle a adressé quatre mises en demeure préalables en trois ans avant de la prononcer, qu'aucun échéancier ou accord de principe n'a été consenti, qu'elle n'a fait qu'appliquer les clauses du contrat qui prévoient un délai de quinze jours pour régulariser les échéances impayées, qu'outre qu'aucun accord n'a été donné au titre d'un quelconque échéancier, ce dernier n'aurait, en tout état de cause, pas été respecté par la SCI Breave, qui n'a jamais apuré son retard.
Aux termes de l'article L.311-2 du code des procédures civiles d'exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut procéder à une saisie immobilière dans les conditions fixées par le présent livre et par les dispositions qui ne lui sont pas contraires du livre Ier.
Il résulte des articles 19.1, 2. et 19.2 de l'offre de crédit immobilier annexée à l'acte notarié que l'exigibilité anticipée peut être prononcée par le prêteur en cas de non-paiement d'une mensualité à son échéance, quinze jours après un simple avis adressé par lettre recommandée aux emprunteurs et mentionnant son intention de se prévaloir de la présente clause.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 21 février 2022, la société CKV a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure la SCI Breave de régler la somme de 12.363,40 euros au titre des arriérés arrêtés au 16 février 2022, dans un délai de quinze jours, sous peine de déchéance du terme du contrat de prêt.
En réponse, l'avocat de la SCI Breave lui a demandé, par courriel du 23 mars 2022, l'état de la dette et des exigibilités pour faire le point et organiser un règlement. Par courriel du même jour, le conseil de la CKV a répondu qu'il avait pris bonne note de la volonté de la SCI Breave de régler la dette et qu'il sollicitait un décompte actualisé auprès de la banque.
Puis par courrier recommandé du 30 mai 2022, l'avocat de la société CKV a rappelé à la SCI Breave les termes de la mise en demeure du 21 février 2022 et des clauses d'exigibilité anticipée du prêt et l'absence de règlement de la totalité de la somme de 12.363,40 euros due dans le délai de quinze jours, l'a informée du prononcé de la déchéance du terme au 30 mai 2022 et de ce qu'elle était en conséquence redevable de la somme de 810.955,32 euros arrêtée au 16 mai 2022, et l'a avertie de ce qu'une procédure de saisie immobilière allait être engagée.
La SCI Breave ne saurait soutenir que des discussions étaient en cours au moment du prononcé de la déchéance du terme. Si des négociations ont été tentées par son avocat, au-delà du délai de quinze jours imparti à la débitrice pour régulariser les impayés, elles n'ont pas abouti. Le fait que l'avocat de la banque ait pris bonne note de la volonté de la SCI Breave de régler la dette et ait indiqué qu'il sollicitait un décompte actualisé n'engage nullement sa cliente, la CKV, laquelle n'a manifestement donné aucun accord de principe sur un échelonnement de la dette. Contrairement à ce que soutient l'appelante, la CKV n'a même nullement laissé entendre de façon explicite qu'un accord pouvait être trouvé pour apurer la dette. Il convient de souligner que ce n'est que le 14 septembre 2022, soit après la délivrance du commandement de payer valant saisie immobilière, que l'avocat de la SCI Breave a recontacté celui de la CKV pour s'étonner de ne pas avoir eu de retour de sa part et lui demander si la banque était d'accord pour un échéancier afin d'apurer l'arriéré.
Ainsi, contrairement à ce que soutient l'appelante, la banque a parfaitement respecté les termes de l'article 19.2 du contrat de prêt, la débitrice n'ayant pas régularisé sa dette dans le délai de quinze jours de la mise en demeure. En outre, l'exigibilité anticipée du prêt n'est ni brutale ni abusive, dès lors que c'est la troisième fois que la SCI Breave se trouvait en situation d'impayés, puisqu'elle avait déjà reçu des mises en demeure en 2019 et en 2020, et il ne peut être reproché à la CKV de ne pas lui avoir consenti un échéancier pour régler l'arriéré cette fois-ci. Enfin, il ne saurait être fait grief à la banque d'avoir adressé le courrier recommandé prononçant la déchéance du terme à la débitrice elle-même et non à l'avocat de celle-ci, et le fait de ne pas l'avoir adressé en copie au conseil de la SCI Breave ne rend nullement la déchéance du terme irrégulière.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, c'est à juste titre que le premier juge a estimé régulière la déchéance du terme. La procédure de saisie immobilière est donc elle-même régulière. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la demande subsidiaire de délais de paiement
Pour rejeter la demande de délais de paiement, le juge de l'exécution s'est fondé sur l'ancienneté et l'importance de la dette.
La SCI Breave critique cette décision en ce que l'
article 1343-5 du code civil🏛 ne subordonne pas l'octroi des délais de paiement à l'ancienneté de la dette ou à son montant, d'autant plus que la dette n'est pas si ancienne et que les impayés n'étaient que de 6.839,34 euros au moment de la déchéance du terme. Elle fait valoir que ses locataires mauvais payeurs obtiennent systématiquement des délais de paiement, ce qui lui cause des difficultés de trésorerie, et qu'il n'est pas entendable qu'elle ne bénéficie pas du même traitement alors qu'elle est face à une banque.
La CKV s'oppose aux délais, faisant valoir qu'elle a patienté depuis plus de trois ans avant d'engager la procédure de saisie immobilière, et qu'eu égard au montant de la dette et aux difficultés récurrentes de la SCI Breave, la demande n'est ni fondée ni sérieuse.
Il résulte des
articles 510 du code de procédure civile🏛 et R.121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution qu'après signification d'un commandement, le juge de l'exécution a compétence pour accorder un délai de grâce.
Le juge peut, en vertu de l'article 1343-5 nouveau du code civil, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues, dans la limite de deux années.
Ainsi, la loi ne subordonne certes pas l'octroi des délais de paiement au montant de la dette, mais elle les limite dans le temps à deux années.
Or, compte tenu de la déchéance du terme, la dette ne s'élève pas à 6.800 euros mais à plus de 800.000 euros. Et la SCI Breave ne produit aucune pièce justificative de sa situation financière susceptible de démontrer qu'elle serait en capacité de payer cette dette dans le délai maximum légal.
Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SCI Breave de sa demande de délai de paiement.
Sur la demande subsidiaire de vente amiable
La SCI Breave sollicite à titre infiniment subsidiaire l'autorisation de vendre le bien saisi à l'amiable.
La CKV estime que la demande n'est pas sérieuse, au regard de l'absence de toute démarche de la SCI Breave.
Aux termes de l'
article R.322-15 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution🏛, lorsqu'il autorise la vente amiable, le juge s'assure qu'elle peut être conclue dans des conditions satisfaisantes compte tenu de la situation du bien, des conditions économiques du marché et des diligences éventuelles du débiteur.
La SCI Breave, qui ne produit aucune pièce à l'appui de cette demande, ne justifie pas de diligences qui auraient été entreprises en vue de la vente et n'en allègue d'ailleurs pas. Elle ne démontre donc aucune volonté réelle de mettre son bien en vente. La cour n'est dès lors pas en mesure de s'assurer que la vente amiable sera conclue dans des conditions satisfaisantes, ni même qu'elle aura lieu.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de vente amiable et a ordonné la vente forcée de l'immeuble saisi.
Sur les demandes accessoires
La SCI Breave, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.
L'équité justifie que chaque partie garde la charge de ses frais irrépétibles.