Jurisprudence : CE référé, 24-04-2023, n° 469669

CE référé, 24-04-2023, n° 469669

A69909SP

Référence

CE référé, 24-04-2023, n° 469669. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/95733166-ce-refere-24042023-n-469669
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CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 469669⚖️


Lecture du 24 avril 2023

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux)


Vu la procédure suivante :

M. C B et Mme E G ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative🏛, de suspendre l'exécution de la décision du 15 septembre 2022 d'arrêt des soins prodigués à leur fille D B prise par les médecins du service de réanimation néonatale et pédiatrique de l'hôpital Trousseau, d'enjoindre à ces derniers de reprendre et de poursuivre les soins thérapeutiques, et d'ordonner une expertise médicale. Par une ordonnance n° 2219449 du 29 novembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative🏛, a rejeté la demande de M. B et Mme G.

Par une ordonnance n° 469669 du 12 janvier 2023, les juges des référés du Conseil d'Etat, statuant dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, ont suspendu l'exécution de la décision du 15 septembre 2022 de limitation des soins apportés à Inaya B et décidé que, avant de statuer sur la requête, il sera procédé, à une expertise contradictoire afin de constater si d'éventuelles perspectives d'amélioration des capacités respiratoires d'Inaya pourraient être de nature à permettre à terme une autonomie respiratoire pouvant éviter un recours à une assistance.

Par une ordonnance du 9 février 2023, le président de la section du contentieux a désigné comme experte Mme A H, docteure au sein du service de réanimation des pathologies acquises de l'enfant, Hôpitaux de Saint-Maurice.

L'experte a déposé le 28 mars 2023 son rapport, qui a été communiqué aux parties.

Par un mémoire, enregistré le 4 avril 2023, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a présenté des observations à la suite du rapport d'expertise.

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par l'ordonnance du 12 janvier 2023 ;

Vu :

- le code de la santé publique🏛 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B et Mme G et d'autre part, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 21 avril 2021, à 12 heures :

- Me Hourdeaux, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. B et Mme G ;

- le représentant de M. B et Mme G ;

- M. B ;

- les représentants de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ;

à l'issue de laquelle les juges des référés ont clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. M. C B et Mme E F, père et mère de Inaya B, relèvent appel des ordonnances des 23 septembre et 29 novembre 2022 par lesquelles les juges des référés du tribunal administratif de Paris, statuant en formation collégiale, ont ordonné une mission d'expertise puis rejeté leur demande de suspension de la décision du 15 septembre 2022 d'arrêt des soins donnés à Inaya prise par l'équipe médicale de l'hôpital Trousseau de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP).

2. Par une ordonnance du 12 janvier 2023, les juges des référés du Conseil d'Etat ont estimé, dans le cadre de l'office particulier du juge saisi d'une décision d'arrêt des traitements sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, qu'il n'était pas établi que la procédure collégiale ainsi que l'expertise sollicitée par les premiers juges s'étaient déroulées dans des conditions irrégulières, d'autre part, que le moyen tiré de ce que certaines dispositions du code de la santé publique méconnaissaient les droits et libertés garantis par la Constitution devait être écarté et, enfin, qu'au regard de l'ensemble des éléments de l'instruction, le maintien en vie d'Inaya, qui est tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales et pour laquelle il n'existe aucune perspective raisonnable d'amélioration ni de projet de soins de long terme, pouvait être regardé en l'état de l'instruction comme artificiel. Ils ont néanmoins estimé que, compte tenu des éléments recueillis lors de l'audience faisant état du constat de quelques changements positifs, tels la capacité d'Inaya à déclencher spontanément le respirateur ou une moins mauvaise déglutition, et eu égard à la durée de cinq mois s'étant écoulée depuis l'accident, au très jeune âge de la petite fille ainsi qu'à la position de ses parents qui estimaient qu'une décision d'arrêt de soins serait trop précoce, à laquelle une attention particulière devait être portée, il était nécessaire de suspendre l'exécution de la décision litigieuse pour un délai d'observation de deux mois afin de constater si d'éventuelles perspectives d'amélioration des capacités respiratoires d'Inaya pouvaient être de nature à permettre à terme une autonomie respiratoire pouvant éviter un recours à une assistance.

3. Au terme de ce délai, une expertise a été réalisée le 17 mars 2023 par la docteure H. Cette dernière a pris en compte tous les documents qui lui avaient été transmis et a procédé à un examen clinique d'Inaya en présence de ses parents et de leur conseil. Elle a constaté, lors de cet examen, l'absence de toute interaction avec l'enfant ainsi que l'absence de tout réflexe. Elle a par ailleurs relevé l'existence d'une double hémiplégie donnant un tableau de quadriplégie avec une hypertonie pyramidale importante entraînant une déformation des pieds en équin et une attitude des membres supérieurs en flexion. L'ensemble des personnes du service de réanimation pédiatrique s'étant occupées de l'enfant lui ont en outre fait état de l'absence de tout contact ou interaction avec celle-ci.

4. L'expertise énonce ensuite les éléments qualifiés d'" incontestables " sur le plan médical. Elle indique ainsi que les lésions cérébrales résultant de l'anoxie sont très importantes, en particulier celles du tronc cérébral et des noyaux gris centraux, ainsi qu'en attestent la clinique (score de coma de Glasgow oscillant entre 3 et 4, troubles bilatéraux du tonus à type de dystonie et d'hypertonie pyramidale, abolition des réflexes du tronc cérébral, incapacité à adapter le rythme respiratoire en cas de désaturation et troubles de la déglutition), l'électrophysiologie (constatation d'une évolution tout à fait défavorable d'un tracé EEG témoin d'une anoxie cérébrale vers celui d'une encéphaloptahie épileptique) ainsi que l'imagerie cérébrale (atteinte majeure des noyaux du tronc cérébral, des noyaux gris centraux et des thalamus ainsi qu'élargissement du système ventriculaire et des espaces sous-arachnoïdiens témoignant d'un phénomène d'atrophie globale cortico-sous-corticale). L'expertise relève également que le fait qu'un délai de huit mois se soit écoulé depuis l'épisode anoxique renforce la certitude de l'irréversibilité des lésions et de l'atteinte clinique, d'autant qu'Inaya est toujours dans le coma et n'a pas atteint un état d'éveil non répondant. A cet égard, le rapport précise que le pronostic après lésions cérébrales n'est pas meilleur chez l'enfant que chez l'adulte, la plasticité cérébrale propre aux jeunes enfants ne pouvant être mise en avant quand les lésions sont importantes et diffuses après anoxie prolongée. L'expertise relève enfin que l'accentuation des déformations orthopédiques dues aux troubles du tonus est prévisible, avec les souffrances qu'elles génèrent. L'expertise conclut que les lésions du cerveau de l'enfant sont irréversibles, qu'aucune amélioration de l'état clinique d'Inaya et de son niveau de conscience n'est attendue et qu'une trachéotomie, même si elle était réalisable sur le plan technique, n'apporterait aucune amélioration de l'état d'Inaya qui est totalement dépendante de l'intubation et des soins prodigués jour et nuit. Elle ajoute qu'il convenait de retenir l'hypothèse qu'Inaya souffrait et que la poursuite des thérapeutiques actives ne permettait que de maintenir artificiellement l'enfant en vie, rendant déraisonnable la poursuite de l'intubation.

5. Il résulte par ailleurs des éléments recueillis lors de l'audience du 21 avril 2023 que l'équipe médicale en charge d'Inaya a sollicité les autres services de réanimation pédiatrique en France, qui ont partagé le constat qu'il serait déraisonnable de réaliser une trachéotomie.

6. Il résulte de l'ensemble de ces constatations, qui confirment celles opérées dans la première ordonnance du 12 janvier 2023, que la situation d'Inaya est caractérisée par une abolition de la conscience résultant des graves lésions anoxiques causées par son accident, sans réaction ni spontanée ni à la demande, et sans possibilité de relation avec l'extérieur. Les lésions neurologiques de l'enfant sont irréversibles et aucune amélioration de son état clinique, pas plus qu'aucune possibilité d'autonomie respiratoire, ne sont envisageables compte tenu de la gravité de ces lésions et du temps écoulé depuis l'accident. Inaya présente au surplus des manifestations suggérant une souffrance. Dans ces conditions, l'appréciation de l'équipe médicale selon laquelle toute poursuite des soins et traitements apparaît inutile et de nature à constituer une obstination déraisonnable au sens de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique🏛, et la décision en conséquence de cesser les soins qui lui sont dispensés ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que les juges des référés du tribunal administratif de Paris ont rejeté leur demande de suspension de la décision d'arrêt des soins prodigués à leur fille D B prise par les médecins du service de réanimation néonatale et pédiatrique de l'hôpital Trousseau.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais et honoraires de l'expertise à la charge de l'AP-HP.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par les requérants à ce titre.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de M. B et de Mme G est rejetée.

Article 2 : Les frais de l'expertise ordonnée par le Conseil d'Etat sont mis à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C B et Mme E G ainsi qu'à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 avril 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Anne Egerszegi, M. Damien Botteghi conseillers d'Etat, juges des référés.

Fait à Paris, le 24 avril 2023

Signé : Christine Maugüé

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