Jurisprudence : TA Paris, du 29-11-2022, n° 2219449


Références

Tribunal Administratif de Paris

N° 2219449


lecture du 29 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

-le code de la santé publique ;

-la décision du Conseil constitutionnel n°2017-632 QPC⚖️ du 2 juin 2017 ;

-le code de justice administrative.

Le président du tribunal a décidé que la nature de l'affaire justifiait qu'elle soit jugée, en application du dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative🏛, par une formation composée de trois juges des référés et a désigné M. Laloye, M. Guérin-Lebacq et M. Lautard-Mattioli pour statuer sur la demande de référé.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 novembre 2022 :

- le rapport de M. Laloye, président,

- les observations de Me Gallo avocat des requérants qui a en outre produit à l'audience quatre enregistrements vidéos de l'enfant Inaya A,

- et les observations de Mme F et du professeur D, pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une ordonnance du 23 septembre 2022, les juges des référés, saisis sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative🏛 par M. B A et Mme E O d'une requête tendant à la suspension de la décision d'extubation sans ré-intubation au décours, de non réanimation d'un arrêt cardio-respiratoire, de non-utilisation d'amines vaso-actives ou d'inotropes, de non utilisation d'une dialyse et de non réalisation d'une trachéotomie pour une ventilation prolongée de leur fille, C A, prise par un collège de médecins de l'hôpital Trousseau à Paris, en date du 15 septembre 2022, ont constaté l'urgence à statuer, ordonné une expertise et écarté les autres moyens de la requête.

2. Il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière particulière, lorsqu'il est saisi, comme en l'espèce, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative🏛, d'une décision, prise par un médecin, dans le cadre défini par le code de la santé publique, et conduisant à arrêter ou ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, un traitement qui apparaît inutile ou disproportionné ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable. En revanche, eu égard à son office lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L.521-2 du code de justice administrative🏛, il n'appartient pas au juge des référés de suspendre une décision dont il est prétendu qu'elle porte atteinte à une liberté fondamentale, dans l'attente que le juge du fond se prononce sur la légalité de cette décision.

Sur le cadre juridique applicable au litige :

3. Il résulte des dispositions des articles L. 1110-1, L. 1110-2, L. 1110-5,

L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique🏛🏛🏛, ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC⚖️ du 2 juin 2017, qu'il appartient au médecin en charge d'un patient hors d'état d'exprimer sa volonté d'arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d'un arrêt des traitements et, sauf dans les cas mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique🏛, dans le respect des directives anticipées du patient ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou à défaut de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs. Si le médecin décide de prendre une telle décision en fonction de son appréciation de la situation, il lui appartient de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser les soins palliatifs nécessaires.

4. Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin en charge de ce patient doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique. Une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme. A cet égard, dans l'hypothèse où cette volonté demeurerait inconnue, elle ne peut être présumée comme consistant en un refus du patient d'être maintenu en vie dans les conditions présentes. Le médecin doit également prendre en compte les avis de la personne de confiance, dans le cas où elle a été désignée par le patient, des membres de sa famille ou, à défaut, de l'un de ses proches, en s'efforçant de dégager une position consensuelle. En particulier, comme le prévoient les dispositions de l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique🏛 s'agissant d'un enfant mineur, il doit prendre en compte l'avis des parents ou des titulaires de l'autorité parentale. Il doit, dans l'examen de la situation propre de son patient, être avant tout guidé par le souci de la plus grande bienfaisance à son égard.

5. Enfin, si l'intubation ainsi que la ventilation mécanique sont au nombre des traitements susceptibles d'être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable, la seule circonstance qu'une personne soit dans un état irréversible d'inconscience ou, à plus forte raison, de perte d'autonomie la rendant tributaire d'un tel mode opératoire ne saurait caractériser, par elle-même une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l'obstination déraisonnable.

Sur l'obstination déraisonnable :

6. Il résulte de l'instruction ainsi qu'il a été rappelé dans l'ordonnance du 23 septembre 2022 des juges des référés que l'enfant, Inaya A, née le 2 mars 2021, a été hospitalisée le 31 juillet 2022 dans le service de réanimation pédiatrique de l'hôpital de la Timone à Marseille à la suite d'une noyade en piscine, alors qu'elle présentait un état de coma. Elle a été intubée et ventilée sans dégradation de sa fonction respiratoire. Le 7 août 2022, après l'arrêt des sédations mises en place, Inaya présentait toujours un état de coma avec une absence de signes de réveil, de motricité spontanée et de réactivité à la stimulation. Le 9 août 2022, après 10 jours de réanimation, face à l'évolution défavorable de l'état de santé général de l'enfant, les médecins du service de réanimation pédiatrique de l'hôpital de la Timone concluent à une décision de soins palliatifs, en vue d'une future décision d'arrêt des thérapeutiques actives. Les parents d'Inaya ont fait part de leur opposition à cette décision de limitation des thérapeutiques. Le 18 août 2022, Inaya a été transférée au service de réanimation pédiatrique du service de réanimation néonatale et pédiatrique de l'hôpital Armand-Trousseau de l'Assistance publique - hôpitaux de paris (AP-HP) à Paris pour rapprochement de domicile et poursuite de la prise en charge. A son entrée dans l'unité de réanimation pédiatrique, Inaya A ne présente toujours pas de signes de réveil ni d'amélioration de son état de santé. L'électro-encéphalogramme (EEG) et l'imagerie par résonnance magnétique (IRM) réalisés le 19 août 2022 confirment le ralentissement de l'activité cérébrale " ne comportant pas de figures physiologiques correspondant à l'âge de l'enfant " ainsi que des " lésions anoxo-ischémiques étendues et constituées des noyaux gris centraux, du cortex, de la substance blanche et du tronc cérébral ". Le 22 août 2022 Inaya est extubée. Elle présente notamment des détresses respiratoires et un arrêt cardio-circulatoire hypoxique. Le 24 août 2022, l'équipe médicale de l'hôpital Trousseau estime " au vu du tableau clinique et radiologique, que la réintubation semble déraisonnable, comme la réanimation d'un arrêt cardiaque ou l'indication d'une trachéotomie et privilégient des soins de confort ". Les parents d'Inaya sont informés le même jour des conclusions de la réunion et expriment leur opposition à ce projet en n'adhérant pas à un accompagnement vers le décès et en acceptant le handicap de leur enfant. Dans la nuit du 24 au 25 août 2022, Inaya présente une grave dégradation infectieuse conduisant à un coma hypercapnique. Le 25 août 2022, lors d'un entretien avec l'équipe médicale, les parents d'Inaya expriment de nouveau leur opposition à ce que leur fille ne soit pas réintubée et leur volonté de poursuivre les thérapeutiques actives. L'équipe médicale s'accorde pour réintuber Inaya afin de laisser aux parents le temps pour cheminer. Le 25 août 2022, Inaya est réintubée. Le 1er septembre, un nouvel examen clinique effectué par le Professeur D (chef du service de réanimation néonatale et pédiatrique) confirme la persistance de l'état de coma végétatif d'Inaya. Le même jour, un deuxième avis d'un médecin extérieur au service de réanimation pédiatrique, le Professeur P (chef du service de neurologie pédiatrique de l'hôpital Necker-Enfants malades) est recueilli. Le Professeur P conclut, au vu des éléments cliniques et paracliniques, qu'Inaya présente un " pronostic neurologique très sévère avec polyhandicap définitif et absence d'autonomie respiratoire, déglutition motrice". La famille est informée de ces conclusions qui insistent sur " la sévérité des lésions, en particulier du tronc cérébral, mettant en jeu ses fonctions vitales (régulation cardiaque et respiratoire, dysautonomie) pouvant conduire au décès à tout moment ". Le 10 septembre 2022, une nouvelle tentative d'extubation est entreprise et échoue du fait de l'apparition de spasmes laryngés. Inaya A est immédiatement réintubée. Le 12 septembre 2022, un nouvel EEG confirme l'état neurologique irréversible de l'enfant. Le 15 septembre 2022, une nouvelle réunion collégiale s'est tenue en présence du Docteur L (médecin référent), du Docteur M (médecin expert, neuropédiatre, extérieur au service), du Docteur Q (médecin consultant, pneumopédiatre, extérieur au service), et l'équipe de réanimation. Ce collège de médecins conclut, le 15 septembre 2022, à une décision en faveur d'une prise en charge palliative et d'un arrêt des thérapeutiques, en estimant que : " la poursuite des thérapeutiques lourdes constituerait une obstination déraisonnable ". Le 16 septembre 2022, l'équipe médicale informe les parents des conclusions de la réunion de collégialité et de la décision d'arrêt des thérapeutiques actives, qui sera effective le 27 septembre 2022. Comme indiqué au point 1 de la présente ordonnance, M. A et Mme O ont saisi le juge des référés d'un référé sur le fondement des dispositions de l'article L.521-2 du code de justice administrative🏛 en vue de la suspension de la décision du 15 septembre 2022 et par une ordonnance du 23 septembre 2022, le juge des référés, statuant en formation collégiale, a ordonné une expertise dont la mission est rappelée dans les visas de la présente ordonnance. Le rapport d'expertise a été remis au tribunal le 28 octobre 2022.

7. Il résulte des conclusions de ce rapport d'expertise, établi par le Professeur émérite Denis Devictor, ex-chef de service de réanimation pédiatrique de l'hôpital Bicêtre : " qu'à la date de l'examen de l'expert, le 27 octobre 2022, l'enfant Inaya, est en réanimation, intubée, en ventilation spontanée dépendante d'une aide inspiratoire et d'une pression expiratoire positive avec aide inspiratoire, est très encombrée, non seulement au niveau pharyngé mais aussi au niveau trachéal, nécessitant des aspirations régulières. Elle est nourrie par gavage gastrique, est inerte, les yeux clos sur son lit, n'a aucune réaction à l'approche, à l'appel ". L'expert précise que l'enfant est dépendante de thérapeutiques de support sans lesquelles elle ne pourrait vivre, et que la stabilité de ses constantes vitales dépend de ces traitements de support. Il indique également que les infirmières signalent des tremblements quand elles s'en occupent, qu'elle est souvent crispée et a parfois des larmes et que selon le médecin de réanimation, elle présente des mouvements dystoniques douloureux qui se sont améliorés récemment grâce aux benzodiazépines. En synthèse, l'expert indique que : " Inaya souffre d'une encéphalopathie anoxo-ischémique fixée et irréversible avec absence de conscience et d'éveil, tétraplégie spastique, souffrance du tronc cérébral, dépendant totalement de soins actifs de réanimation concernant la ventilation et la nutrition. L'expert chiffre les souffrances de l'enfant à 5 sur une échelle de 1 à 7 et précise que cette souffrance est liée non seulement aux soins de réanimation, mais aussi aux séquelles de cette encéphalopathie anoxo-ischémique, aux mouvements dystoniques et à l'extrême rigidité pyramidale qui sont manifestement douloureux, nécessitant l'association de plusieurs médicaments pour tenter de limiter ces rigidités. Il indique que la petite Inaya n'ouvre pas les yeux à la stimulation, ne répond à une stimulation que par des réactions d'hypertonie, n'a pas de réponse motrice adaptée à la stimulation, qu'il n'y a aucune alternance veille-sommeil et que l'enfant est donc inconsciente depuis l'accident, n'a jamais atteint un état de veille et qu'en d'autres termes elle est dans un coma profond depuis 88 jours. En ce qui concerne le caractère irréversible des lésions neurologiques de l'enfant, le pronostic clinique et sur l'intérêt ou non de continuer ou de mettre en œuvre des thérapeutiques actives ainsi que sur le caractère raisonnable ou non du maintien de l'intubation, l'expert indique que : " les lésions du cerveau à la suite de cet arrêt cardiaque prolongé sont majeures et irréversibles " et fait état d'une hypertonie périphérique témoignant des signes majeurs de souffrance cérébrale. Selon ce spécialiste, qui indique rejoindre les six avis précédents qui vont tous dans le même sens, " les lésions neurologiques présentées par l'enfant Inaya A sont gravissimes et irréversibles de façon sûre et certaine, Inaya ne survit que grâce à des moyens artificiels de réanimation dit de support actif : intubation, aide respiratoire, alimentation par sonde ". L'expert conclut que " la décision de mettre fin aux thérapeutiques actives de support est pleinement justifiée et que le maintien de l'intubation est déraisonnable. ".

8. A la suite de ce rapport d'expertise les requérants ont produit des observations établies par le Docteur H N, praticien hospitalier-chirurgien des hôpitaux. Celui-ci préconise la réalisation d'une tomographie par émission de positions (TEP ou PET scan) pour observer plus finement l'état médical réel d'Inaya en remplacement de l'EEG 8 points qui, selon ce praticien, n'est pas précis ainsi que l'intervention d'une trachéotomie. Les requérants produisent également un message électronique émanant du professeur I K, neurologue, responsable du Centre du Cerveau au centre hospitalier universitaire de Liège (Belgique) qui indique " discuter " de l'utilité des examens complémentaires comme des potentiels évoqués SEP n médians et FDG-PET scan cérébral afin de mieux documenter son dossier médical et qu'un scanner FDG-PET métabolique du glucose cérébral pourrait permettre de visualiser l'impact fonctionnel des dommages structurels anoxiques ". Les parents d'Inaya font également valoir qu'ils restent dans l'attente du dossier médical de leur fille, que l'expert judiciaire n'a pas été en mesure de remplir sa mission, que la procédure contradictoire n'a pas été respectée, et que ses constatations et conclusions sont entachées d'inexactitude matérielle. Sur ce point, en se référant toujours à l'analyse effectuée par le Docteur N, ils soutiennent que si l'expert a indiqué avoir réalisé son examen médical à distance de toute sédation, cette affirmation est fausse, que le Valium, le Neurotin, le Keppra et le Laroxyl, médicaments administrés à l'enfant ont tous pour effet secondaire d'entraîner une sédation et que le jour de l'expertise, l'expert a réalisé l'examen d'Inaya aux alentours de 12h30 alors que le docteur N signalait à l'expert la prise de certains médicaments à 12 heures selon les relevés des infirmières. Les parents d'Inaya indiquent que, à distance des prises médicamenteuses, le soir, Inaya est plus réactive et que son état est tout à fait différent la journée.

9. Toutefois, en premier lieu, il ressort des pièces produites en défense ainsi que des débats qui se sont tenus lors de l'audience que le dossier médical a été transmis aux parents d'Inaya. Ceux-ci, qui ne précisent pas les éléments du dossier qui feraient l'objet d'une rétention par le service hospitalier, ne démontrent pas que l'expert n'aurait pas disposé de l'ensemble des pièces et informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission. A cet égard, l'expert a précisé dans son rapport avoir eu tous les éléments médicaux nécessaires pour mener à bien son expertise. Il résulte également de l'instruction que les requérants et leur conseil, le Docteur N, ont été conviés aux opérations d'expertise et ont été en mesure de présenter leurs observations. Alors que l'expert n'était pas tenu de rappeler la teneur de ces observations ni d'y répondre expressément dans son rapport, M. A et Mme O ne sont pas fondés à soutenir que le principe du contradictoire aurait été méconnu par l'expert.

10. En deuxième lieu, si les requérants contestent les conditions dans lesquelles l'expert a évalué le niveau de souffrance d'Inaya au motif que l'échelle d'Edin utilisée par ce dernier serait inadaptée, il ressort suffisamment des constatations des médecins du service hospitalier et des avis émis par les neuropédiatres extérieurs au service que l'enfant présente une spasticité à l'origine de douleurs importantes. Dans son dernier compte-rendu du 15 novembre 2022, la réunion collégiale a notamment relevé une dystonie majeure réfractaire aux traitements instaurés et responsables d'un syndrome douloureux non contrôlable.

11. En troisième lieu, il ressort suffisamment des pièces du dossier médical que si une trachéotomie est faisable sur le plan technique, son indication a systématiquement été récusée dès l'hospitalisation de l'enfant à l'hôpital La Timone à Marseille. Le Docteur L a notamment indiqué aux parents d'Inaya, le 15 novembre 2022, que " la trachéotomie est assimilable à de l'obstination déraisonnable au vu du syndrome douloureux réfractaire et de l'étendue des lésions cérébrales ischémiques ". Il ressort plus particulièrement du compte-rendu de la réunion de collégialité en date du 15 novembre 2022 à laquelle siégeaient le Docteur L, référent réanimation , le docteur M, référent neuropédiatre, ainsi qu'en qualité de médecin expert le professeur J (neuropédiatre) et en qualité de médecin consultant le Docteur R (oto-laryngologiste) que si " sur le plan ORL, il n'existe pas de limitation technique à la réalisation d'une trachéotomie, l'existence de lésions neurologiques post-anoxiques étendues et irréversibles, associées à une dystonie majeure réfractaire aux traitements instaurés et responsables d'un syndrome douloureux non contrôlables sont des arguments plaidant en défaveur de la mise en place d'une trachéotomie associée à une ventilation invasive continue, et ne respecte pas l'intérêt supérieur de l'enfant. De manière collégiale, il est préférable de poursuivre les tentatives de sevrage de toute assistance respiratoire ". Ainsi s'il résulte des observations émises par le Docteur N que celui-ci préconise une trachéotomie, cette affirmation n'est pas étayée de précisions médicales suffisantes à même de contredire les analyses réitérées à ce sujet par les équipes médicales qui ont suivi l'enfant. Par ailleurs, en ce qui concerne la préconisation d'un PET-scan, il résulte des comptes-rendus d'observation produits en défense que lors d'un entretien entre le Docteur L et le Professeur K, cité au point 8 de la présente ordonnance, il a été constaté que le PET scan : " ne répondrait, de façon incertaine, qu'à la présence d'une conscience ou pas, ce qui n'est pas la problématique actuelle car les quelques réactions d'Inaya aux soins (pleurs) semble montrer la présence d'une conscience. Le PET-Scan ne répondra en rien à la question du handicap et des possibilités de récupération ". Il ressort enfin de ces mêmes comptes-rendus que les demandes faites par les parents d'Inaya pour une hospitalisation en Belgique et en Suisse n'ont pas abouti car était fixé un délai d'un mois pour prendre une décision, à l'issue duquel pourrait être décidé d'arrêter les traitements et que les parents ont refusé cette proposition. Il résulte de ce qui précède que les observations médicales produites par les requérants à la suite du rapport de l'expert ne permettent pas d'établir le bien-fondé médical de l'intervention d'une trachéotomie non plus que la nécessité d'examen complémentaire par PET scan.

12. Enfin, lors de l'audience, à l'instigation du conseil de M. A et de Mme O, ont été visionnés quatre enregistrements vidéos de l'enfant Inaya A sur lesquelles elle est représentée comme réagissant à l'énoncé de son prénom par sa mère en levant légèrement les bras et sur la quatrième vidéo où elle apparaît remuant les quatre membres lorsqu'un peu d'eau lui est versé sur le ventre. Si le juge des référés, statuant en formation collégiale, reste sensible aux espoirs que peuvent susciter ces réactions chez les parents d'Inaya quant à ses possibilités de progression, il doit toutefois analyser ces documents au regard des données médicales objectives résultant des pièces du dossier et en particulier du compte-rendu de la réunion de collégialité du 15 novembre 2022 citée au point 11 de la présente ordonnance. Il ressort de ce compte-rendu, en ce qui concerne l'évolution clinique de la petite Inaya : " une absence d'évolution significative de l'examen neurologique, la persistance d'accès de dystonie généralisée malgré un traitement par Laroxyl, Neurotin et Baclofène. Pas d'évolution des réflexes du tronc cérébral (présence d'une ventilation spontanée, absence de réflexe de toux et de déglutition, absence de réflexe photomoteur, de réflexe oculo-céphalogyre, persistance d'une mydriase bilatérale aréactive.).Une nouvelle IRM cérébrale a été réalisée le 14 novembre 2022 de laquelle il résulte la présence de lésions séquellaires étendues, confirmant les examens précédents. Aussi au regard de ces nouveaux éléments, qui corroborent les analyses toujours réitérées depuis l'hospitalisation de l'enfant à l'hôpital de La Timone, à Marseille, les seules vidéos présentées par le conseil des requérants à l'audience, qui ne sont accompagnées d'aucune certification et explication médicales, ne sont pas à même de contredire l'analyse effectuée par le rapport d'expertise rendu par le Professeur émérite Denis Devictor rappelées au point 7 de la présente ordonnance.

13. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, et compte tenu de l'état irréversible des lésions cérébrales majeures d'Inaya qui est tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales, les traitements qui lui sont prodigués sont inutiles, disproportionnés et n'ont d'autre effet que le maintien artificiel de la vie. Ainsi, et nonobstant l'opposition des parents qui ont toujours été associés à la prise de décision et auxquels les médecins ont confirmé le 15 novembre 2022 qu'aucune extubation sans réintubation n'est envisagée en cas de désaccord de leur part, la poursuite de ces traitements caractérise une obstination déraisonnable au sens de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique🏛. Par suite, la décision de procéder à l'extubation d'Inaya sans ré-intubation ne porte pas, en l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale au respect d'une liberté fondamentale. L'exécution de cette décision ne décharge pas l'hôpital de son obligation de sauvegarder la dignité de la patiente et de lui dispenser les soins palliatifs.

14. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins de suspension et d'injonction présentées par M. A et Mme O sont rejetées.

15. Enfin, comme indiqué au point 13 de la présente ordonnance, les médecins ont confirmé aux parents d'Inaya, le 15 novembre 2022, qu'aucune extubation sans réintubation n'est envisagée en cas de désaccord de leur part. Dans ces conditions il y a lieu de rejeter les conclusions de la requête tendant à ce qu'en cas de rejet de la demande de suspension, soit suspendue la décision contestée pendant le délai de recours de l'ordonnance à intervenir.

Sur les frais d'expertise :

16. Par une ordonnance du 11 octobre 2022, le président du tribunal administratif de Paris a accordé une allocation provisionnelle de 3 000 euros à l'expert à verser par M. A et Mme O. Par une ordonnance du 28 octobre 2022, les frais et honoraires de l'expertise ont été liquidés et taxés à la somme de 3 000 euros T.T.C qui comprend le montant de l'allocation provisionnelle accordée. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il y a lieu de mettre ces frais à la charge de l'AP-HP.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice

administrative :

17. Ces dispositions font obstacle à ce que l'AP-HP, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à M. A et Mme O la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de M. A et Mme O est rejetée.

Article 2 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A et Mme E O et à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.

Copie en sera adressée à l'expert.

Fait à paris, le 29 novembre 2022.

Le juge des référés, Le juge des référés, Le juge des référés

P. Laloye J.M. Guérin-Lebacq B. Lautard-Mattioli

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous les commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. /9

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