La lettre juridique n°941 du 6 avril 2023 : Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Jurisprudence] Interruption de la prescription de l’action en faute inexcusable pour toutes actions procédant du même fait dommageable

Réf. : Cass. civ. 2, 16 février 2023, n° 21-16.168, F-B N° Lexbase : A24249D7

Lecture: 11 min

N4939BZX

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Interruption de la prescription de l’action en faute inexcusable pour toutes actions procédant du même fait dommageable. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/94901030-jurisprudence-interruption-de-la-prescription-de-laction-en-faute-inexcusable-pour-toutes-actions-pr
Copier

par Marine Ferreri, Avocat au Barreau de Paris, Fidere Avocats

le 05 Avril 2023

Mots-clés : faute inexcusable de l’employeur • prescription • fait dommageable • action judiciaire • recevabilité de l’action • risque professionnel

L’action de la victime en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur a pour effet d’interrompre la prescription à l’égard de toute autre action procédant du même fait dommageable. Une action en reconnaissance de faute inexcusable engagée par la victime contre son dernier employeur introduite dans le délai de prescription de deux ans, a pour effet d’interrompre la prescription à l’égard d’un précédent employeur au service duquel le salarié a également été exposé au risque. C’est ce que retient la Cour de cassation dans un arrêt publié du 16 février 2023.


Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation le 16 février 2023 [1], un salarié a travaillé, du 2 septembre 1959 au 9 août 1966, en qualité de marin pour une société A, puis comme mécanicien, du 1er juin 1978 au 15 juillet 1998, pour un syndicat professionnel.

Par décision de l’ENIM du 20 août 2012, son affection au titre du tableau n° 30 B des maladies professionnelles a été reconnue comme maladie professionnelle.

Le salarié a agi en justice en deux temps.  Il a tout d’abord saisi, le 15 avril 2013, une juridiction de Sécurité sociale d’une demande en reconnaissance de la faute inexcusable du syndicat professionnel pour le compte duquel il a travaillé en dernier lieu.

Puis, deux ans et demi plus tard, soit le 16 octobre 2015, il a mis en cause devant la même juridiction, la société A et a sollicité la mise hors de cause du syndicat professionnel.

La question était alors de savoir si les deux actions introduites à l’encontre du premier puis du second employeur, relevaient d’un fait dommageable unique susceptible d’étendre l’effet interruptif de prescription de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

La cour d’appel a accueilli la demande du salarié. Elle retient que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite à l’encontre du syndicat a pour effet d’interrompre la prescription de l’action introduite contre la société.

La Haute Juridiction a suivi ce raisonnement : « Ayant constaté que le caractère professionnel de la pathologie présentée par la victime avait été reconnu le 20 août 2012, de sorte que l'action en reconnaissance de faute inexcusable engagée contre le syndicat professionnel le 15 avril 2013 avait été introduite dans le délai de prescription de deux ans, la cour d'appel en a déduit à bon droit que cette action avait eu pour effet d'interrompre la prescription à l'égard de la société au service de laquelle le salarié avait été exposé au risque, de sorte que son action était recevable » [2].

I. Exercice de deux actions procédant d’un même fait dommageable

Dans l’affaire commentée, la cour d’appel de Rennes a tout d’abord constaté que le caractère professionnel de la pathologie, présentée par la victime, a été reconnu le 20 août 2012, de sorte que l'action en reconnaissance de faute inexcusable engagée par la victime et par le FIVA contre le syndicat professionnel le 15 avril 2013 avait été introduite dans le délai de prescription de deux ans [3].

Pour les juges du fond, cette action avait eu pour effet d'interrompre la prescription à l'égard de la société au service de laquelle le salarié avait été exposé au risque, de sorte que son action était recevable.

La société A, a formé un pourvoi en cassation, et a notamment fait valoir devant la Haute juridiction que « pour avoir un effet interruptif de prescription, la demande en justice doit être adressée à l’encontre de celui qu’on veut empêcher de prescrire et non à un tiers ».

L’argumentation du pourvoi est de soutenir que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur n’a pas pour effet d’interrompre la prescription à l’égard des autres actions, procédant d’un même fait générateur ayant donné lieu aux dommages subis par la victime.

Par conséquent, selon la société A, les deux actions introduites par la victime à l’encontre du syndicat professionnel en avril 2013, puis de la société A en octobre 2015, ne procédaient pas d’un fait dommageable unique (le fait dommageable est le fait générateur, à savoir l’acte ou l’événement ayant donné lieu aux dommages subis par la victime), mais relevaient de périodes d’exposition au risque distinctes, à plusieurs années d’intervalle, et procédaient de circonstances différentes.

Ainsi, selon cet argumentaire, l’action introduite contre le syndicat professionnel le 15 avril 2013 ne permettait pas d’interrompre le cours de la prescription contre le premier employeur, ce dernier estimant donc la prescription acquise au jour de la mise en cause du 16 octobre 2015.

En sus, le pourvoi soutient que la demande en justice, pour avoir un effet interruptif sur la prescription, doit être adressée à l’encontre de celui qu’on veut empêcher de prescrire et non à un tiers. Une action en reconnaissance de la faute inexcusable, poursuit-il, n’a d’effet interruptif qu’à l’égard des actions procédant du même fait dommageable.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et considère au contraire qu’« il résulte de la combinaison des articles L. 431-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L2713LWE et 2241 du Code civil N° Lexbase : L7181IA9 que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur interrompt la prescription à l’égard de toute autre action procédant du même fait dommageable ».

En d’autres termes, les deux actions en reconnaissance de la faute inexcusable engagées successivement par la victime procédant du même fait dommageable, la prescription avait été interrompue à compter du 15 avril 2013.

Dans l'hypothèse où ces actions sont fondées sur les mêmes faits et tendent au même but, alors la prescription peut exceptionnellement s'étendre d'une action à une autre [4].

La notion de « même fait dommageable » avait déjà été exploitée par la Cour de cassation pour permettre à une demande indemnitaire en justice, fondée sur la faute inexcusable de l’employeur, d’interrompre le délai de prescription biennale à l’égard d’une société qui a changé de forme sociale [5].

Dans cette affaire, les juges du fond avaient accueilli la demande indemnitaire des ayants droit d’une victime d’accident mortel du travail dû à la faute inexcusable de la société, laquelle a par la suite transformé sa raison sociale (la SARL employeur est devenue une société anonyme) [6].

La nouvelle société soulève à tort la prescription biennale de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable à son encontre. Elle considère en effet que n’ayant pas été mise en cause lors de la demande initiale portée devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale, le délai de prescription de l’action n’était pas interrompu.

Selon les juges du fond, la saisine des ayants droit de la victime d’une demande indemnitaire fondée sur la faute inexcusable de l’employeur, procède d’un même fait dommageable ayant eu pour effet d’interrompre le délai de prescription à l’égard de cette société peu important la transformation de sa raison sociale [7].

Cet arrêt apporte d’utiles précisions relatives aux impacts de la transformation de l’entreprise sur les contentieux relatifs à l’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles et confirme la politique libérale de la Cour de cassation en matière d’interruption de la prescription. 

II. Effet interruptif de la prescription à l’égard de tous les employeurs

En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, les droits de la victime aux prestations et indemnités se prescrivent par deux ans (CSS, art. L. 431-2).

Quant au point de départ de celui-ci, lorsqu'il s'agit d'un accident du travail, le délai court du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière (CSS, art. L. 431-2, al. 1er, 1°).

Dans le cas d'une maladie professionnelle, il résulte de la combinaison des articles L. 431-2, L. 461-1 N° Lexbase : L8868LHW et L. 461-5 N° Lexbase : L8865LHS du Code de la sécurité sociale que les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités se prescrivent par deux ans à compter, soit de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle, soit de la cessation du travail en raison de la maladie constatée, soit de la cessation du paiement des indemnités journalières, soit encore de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie [8].

La prescription est interrompue par l’action introduite par le salarié aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable engagée devant la juridiction chargée du contentieux de la Sécurité sociale. 

Au cas d’espèce, la cour d’appel a constaté que le caractère professionnel de la pathologie présentée par la victime a été reconnu le 20 août 2012. L’action en reconnaissance de la faute inexcusable engagée contre le syndicat le 15 avril 2013 a dès lors été introduite dans le délai de prescription de deux ans.

Selon la Haute juridiction, la cour d’appel en a déduit à bon droit que cette action a eu pour effet d’interrompre la prescription à l’égard de la société au service de laquelle le salarié a été exposé au risque, de sorte que son action était recevable.

Par cet arrêt, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence en matière de prescription en présence d’une pluralité d’actions successives en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur [9].

Dans un arrêt rendu le 19 décembre 2019 par la deuxième chambre civile, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se prononcer en ce sens [10].

En l'espèce, le salarié victime d'une maladie professionnelle avait changé d'employeur qui appartenait au même groupe de sociétés. Il a saisi la caisse primaire le 21 mars 2008 qui a reconnu le caractère professionnel de sa maladie dès le 10 juillet 2008. La consolidation du salarié est intervenue un an plus tard, et ce dernier a alors engagé une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, l'employeur visé étant Dunlop Tires Amiens. Cependant, ce n'est que le 31 juillet 2013 que ce salarié introduit une demande en justice contre son premier employeur, Dunlop Tires France.

Pour les juges du fond, le fait que le salarié ait le choix d'agir contre l'un ou l'autre de ses employeurs successifs ne peut avoir pour effet qu'une action à l'encontre de l'un vaut à l'égard de l'autre. La requête adressée à la caisse primaire d'assurance maladie le 26 avril 2011 n'a pu interrompre la prescription à l'encontre de la société Dunlop Tires France à laquelle elle n'est pas opposable, ces sociétés étant des entités distinctes.

Le salarié forme un pourvoi en cassation qui conduit à la censure de l'arrêt rendu par la cour d'appel : les deux actions en reconnaissance de la faute inexcusable engagées successivement par la victime procédant du même fait dommageable, la prescription avait été interrompue à compter du 26 avril 2011.

Ainsi, et sous réserve que la victime ait bien respecté le délai de prescription de deux ans pour agir en justice contre son employeur, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 février 2023 confirme la possibilité offerte au salarié, victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, d’engager plus tard une action dirigée à l’égard d’un autre employeur, au service duquel le salarié a été exposé au risque.

Cette jurisprudence constante ouvre désormais sur une réflexion selon laquelle des personnes juridiques distinctes (personnes physiques ou morales) peuvent se voir opposer l’interruption de la prescription d’une autre action dès lors qu’un objet commun les relie [11].


[1] L. Bedja, Employeurs successifs et faute inexcusable : interruption de la prescription de l’action à l’égard de toute autre action issue du même fait dommageable, Lexbase Social, février 2023, n° 936 N° Lexbase : N4448BZR.

[2] Action en reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur : effet interruptif à l’encontre de tous les employeurs, Gaz. Pal., mars 2023,  n° 8.

[3] C. Berlaud, Étendue de l’effet interruptif de prescription de l’action en reconnaissance de faute inexcusable, Actu juridique, social, 28 février 2023, brèves.

[4] Cass. civ. 2, 3 février 2011, n° 09-17.213, F-D N° Lexbase : A3510GRG, RTD civ., 2011, 387, obs. R. Perrot.

[5] Cass. soc., 23 janvier 2003, n° 01-20.945, FS-P+B+R N° Lexbase : A7287A4N.

[6] P.-Y. Verkindt, Sur la prescription des actions en matière d’accident du travail, RDSS, 2003, p. 440.

[7] CA Nîmes, 22 mai 2001, Rejet.

[8] Cass. soc., 29 juin 2004, n° 03-10.789, publié N° Lexbase : A9044DCX.

[9] Cass. civ. 2, 19 décembre 2019, n° 18-25.333, F-P+B+I N° Lexbase : A1349Z9T.

[10] Employeurs successifs : l’action en reconnaissance de la faute inexcusable à l’égard de l’un interrompt la prescription à l’égard de l’autre, Dalloz Actu., 9 janvier 2020.

[11] A. Bolze, Interruption de la prescription : extension d’une action à une autre, Dalloz Actu., 27 janvier 2020.

newsid:484939

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.