La lettre juridique n°941 du 6 avril 2023 : Éditorial

[A la une] La défense pénale, un métier en voie de disparition ?

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par Elise Arfi, Avocate au Barreau de Paris, Membre du Conseil de l’Ordre

le 17 Avril 2023

Du Pro Milone aux discours de Platon sur les logographes que j’étudiais fastidieusement en cours de latin-grec au lycée, des interventions de Robert Badinter, Georges Kiejman ou Henri Leclerc dans les journaux télévisés de l’époque, de mes cours de droit aux « Faites entrer l’accusé » qu’étudiante, je regardais religieusement chaque dimanche soir, je me suis construite sur l’évidence selon laquelle depuis que le monde était monde, certains accusaient, d’autres défendaient.

En me plaçant dans le second camp, j’ai longtemps éprouvé le sentiment glorieux d’accomplir un rôle social et politique de premier plan, percevant la défense pénale comme un fait donné, accepté et indiscuté, pour tout dire, un acquis de civilisation. Je me voyais arriver « à la fin du drame » frappant « le dernier coup » pour paraphraser un célèbre opéra. Je me croyais attendue, ma parole, intéressante.

Désormais, je me demande de plus en plus souvent si mon métier existera encore, du moins sous cette forme, d’ici quelques années. Malgré la visibilité médiatique dont jouissent les avocats pénalistes, nous ne sommes déjà plus qu’une poignée à nous dévouer à la défense pénale, sillonnant les cours et tribunaux de France pour tenter de porter la parole du droit et de la liberté au profit de ceux qui sont considérés comme les renégats de la société.   

Tandis que l’amélioration de la participation des victimes à la procédure pénale occupe le devant de la scène médiatique et politique pour une société plus humaine et plus juste, tout porte à croire que ces avancées prospèrent malheureusement au détriment des droits de la défense.

Chaque prise de parole de la défense devient presque insultante face à la souffrance des victimes, enfermant le pénaliste dans le dilemme de l’autocensure et du ménagement des parties civiles, de peur qu’une défense offensive soit contre-productive.

Ne parlons pas des citations de témoins, des demandes de supplément d’information, des demandes de renvoi, vécues comme des obstructions.

Ne parlons encore moins du temps de parole diminué de l’accusé à l’audience qui, mis bout à bout, ne s’exprimera parfois que quelques heures lors d’une audience de 3 ou 4 jours.

Ne parlons presque plus de l’appauvrissement des avocats de la défense intervenant au titre de la commission d’office, qui doivent diviser leur rémunération par autant que l’avocat des parties civiles multiplient la leur. J’interviendrai prochainement devant une cour d’assises de Province, où je serai environ rémunérée 3 000 euros pour une semaine d’audience, quand ma consoeur des parties civiles avoisinera les 40 000 euros.

N’évoquons plus le harcèlement, les injures et insultes endurées sur les réseaux sociaux pour peu que le dossier soit médiatique.

Éteignons finalement de manière définitive la parole de ces avocates qui, comme moi, continuent à défendre dans des dossiers de violences faites aux femmes. Pour la circonstance, le fait que je sois une femme s’efface devant la parole de l’accusé que je porte. Je me sens presque comme une traitresse à la cause.

Lors des dernières assises où j’ai défendu, extrêmement pénibles, où j’ai dû aller au bout de moi-même pour remplir mon simple rôle, rabrouée à chaque intervention, où j’ai été invectivée par les parents et alliés des parties civiles, j’ai eu l’ultime surprise de voir l’Avocat général se munir d’un micro-cravate pour porter ses réquisitions dans l’espace de la salle d’audience réservée aux avocats. Il s’est placé devant moi, se présentant comme avocat de la société.

Je me suis sentie effacée, écrasée, invisibilisée.

Je me sens moi aussi avocate de la société en me battant pour le strict respect des droits de ceux que je défends.

Ce que je pensais être le courage d’audience devient à la longue l’endurance à subir des humiliations annoncées. J’ai entendu que je déstabilisais l’audience, que je n’en serais pas là si j’avais mieux travaillé, que mes questions étaient honteuses ou parfaitement idiotes. Des Présidents et des Avocats généraux ont déjà refusé de me saluer. On se permet tout. Je remballe mon dossier et ma robe piteusement, en me disant qu’un jour on en parlera aussi.

Quand la justice n’est pas là pour la défense, elle n’est là pour personne.

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