La lettre juridique n°941 du 6 avril 2023 : Assurances

[Jurisprudence] Assurances accidents corporels : le suicide n’est pas couvert… sauf clause contraire

Réf. : Cass. civ. 2, 9 février 2023, n° 21-17.681, FS-B N° Lexbase : A44819CX

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N4948BZB

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par Stéphane Brena, Maître de conférences HDR en droit privé, Directeur de l’Institut de droit des affaires internationales de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne au Caire (Égypte), Codirecteur du Master droit des assurances de l’université de Montpellier

le 05 Avril 2023

Mots-clés : assurance • accidents corporels • assurance vie • décès • suicide • caractère aléatoire

Interrogée sur l’applicabilité de la couverture obligatoire du suicide à compter de la deuxième année de contrat, posée par l’article L. 132-7 du Code des assurances, aux assurances accidents corporels, la Cour de cassation y répond négativement, interprétant strictement et à juste titre cette disposition qu’elle réserve aux assurances-vie en cas de décès. Au-delà de cette inapplicabilité, la Haute juridiction considère, de manière convaincante, que le suicide est automatiquement exclu de cette catégorie de contrats d’assurance de dommages corporels, tout en réservant, de façon plus surprenante, la possibilité d’une stipulation contraire.


 

Le contrat d’assurance a vocation à couvrir la survenance d’un événement aléatoire, caractère que contrarie la provocation délibérée du sinistre par l’assuré. Il en est ainsi du suicide de l’assuré [1] lorsque ce dernier est couvert par une assurance de personnes dont le risque porte, soit sur l’existence de la personne de l’assuré (assurance-vie), soit sur son intégrité physique (assurance non-vie ou de dommages corporel). C’est, plus précisément, à la question de la couverture du suicide par un contrat d’assurance accidents corporels qu’a été confrontée la Cour de cassation dans cette décision.

Les faits de l’espèce étaient fort simples. Les ayants-droits d’un assuré qui s’était suicidé réclamaient le bénéfice d’une assurance « garantie des accidents de la vie ». L’assureur s’y opposait, arguant d’une clause d’exclusion de garantie en cas de suicide de l’assuré.

La cour d’appel de Grenoble, par arrêt du 6 avril 2021, faisait pourtant droit à la demande des héritiers, en se fondant sur les dispositions de l’article L. 132-7 du Code des assurances N° Lexbase : L9842HEA, qui dispose que « l’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volontairement la mort au cours de la première année de contrat. L’assurance en cas de décès doit couvrir le risque de suicide à compter de la deuxième année du contrat. […] » Les juges du fond, constatant que le suicide était intervenu plus de dix ans après la conclusion du contrat, avaient neutralisé la clause d’exclusion du suicide en raison du caractère d’ordre public de l’article L. 132-7 du Code des assurances. L’assureur introduisait un pourvoi en cassation, en soutenant que la couverture impérative du suicide à compter de la deuxième année de contrat, prévue par les dispositions de l’article L. 132-7 du Code des assurances, ne s’applique qu’aux assurances-vie en cas de décès et non aux assurances de dommages corporels.

La question de l’applicabilité de l’article L. 132-7 du Code des assurances au contrat d’assurance non-vie était ainsi directement posée à la Cour de cassation, qui, sans grande surprise, y répond négativement. La Haute juridiction rappelle en effet que « Le caractère accidentel du décès constitue une circonstance qui, s'agissant de l'application d'un contrat d'assurance couvrant les accidents corporels, est une condition de la garantie. Dès lors, le suicide n'est pas, sauf stipulation contraire, couvert par les contrats garantissant les accidents corporels, auxquels ce texte n'est pas applicable. » Elle ajoute qu’en appliquant ce texte au contrat en cause, « sans constater que le contrat d'assurance étendait sa garantie à des événements autres que les accidents corporels, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »

La Cour de cassation se prononce ainsi, à juste titre et sans ambiguïté, en faveur de l’inapplicabilité de la couverture obligatoire du suicide aux contrats d’assurance de dommages corporels et singulièrement aux contrats d’assurances accidents corporels (I). Sa réponse va cependant au-delà de cette simple affirmation, donnant des indications sur le régime de l’exclusion de la couverture du suicide dans les assurances non-vie (II).

I. L’inapplicabilité de l’article L. 132-7 du Code des assurances aux assurances accidents corporels

L’inapplicabilité de l’article L. 132-7 du Code des assurances s’imposait, nous semble-t-il. En effet, il existe une différence nette entre les assurances-vie en cas de décès et les assurances de dommages corporels (A). Or, seules les premières sont visées par l’article L. 132-7 du Code des assurances, dont le caractère exceptionnel impose une interprétation stricte (B).

A. La distinction entre assurance-vie en cas de décès et assurance de accidents corporels

Le Code des assurances distingue, au sein des assurances de personnes, les assurances sur la vie et les assurances contre les accidents atteignant les personnes [2], soumettant chacune d’elles à des dispositions spécifiques, bien que nettement plus nombreuses en matière d’assurance-vie [3]. Cette distinction s’exprime également lors de l’octroi de l’agrément administratif indispensable à l’exercice de la profession d’assureur [4]. Ainsi, selon les dispositions de l’article R. 321-1 du Code des assurances N° Lexbase : L7941IAD, un assureur peut-il être agréé pour la couverture du risque « Accidents » [5], du risque « Maladie » [6] ou de « Vie – Décès » [7]. Les assurances-vie se déclinent ainsi en assurances en cas de décès et en assurances en cas de vie ; les assurances de dommages corporels, en assurances accidents corporels et en assurances maladie complémentaire.

Le risque – sans mauvais jeu de mot – de confusion entre les assurances-vie en cas de décès et les assurances contre les accidents corporels, provient du fait que, dans ces dernières, le dommage peut être à l’origine du décès de l’assuré [8]. Pourtant, ces deux espèces d’assurances de personnes sont bel et bien différentes : dans les assurances-vie en cas de décès, c’est la mort de l’assuré qui est couverte, quelle qu’en soit la cause ; dans les assurances accidents corporels, c’est l’atteinte accidentelle à l’intégrité physique de l’assuré qui est garantie, quand bien même conduirait-elle à son décès. En d’autres mots, dans les assurances-vie en cas de décès, le risque est constitué par le décès, alors qu’il réside dans l’atteinte corporelle accidentelle dans les assurances accidents corporels.

En l’espèce, le contrat en cause [9] couvrait les accidents à l’origine du décès mais aussi source d’incapacité permanente de l’assuré. Il n’y avait aucune ambiguïté quant à la qualification d’assurance contre les accidents corporels, qu’une interprétation stricte de l’article L. 132-7 du Code des assurances a conduit à exclure de son champ d’application.

B. L’interprétation stricte de l’exception de couverture posée par l’article L. 132-7 du Code des assurances

Le suicide constitue un événement anti-aléatoire puisque susceptible de provoquer le sinistre, et ce, que le contrat couvre le seul risque décès ou les atteintes à l’intégrité corporelle susceptibles de provoquer le décès. Il a donc vocation à entrainer la neutralisation de la garantie. C’est ce qu’indique en l’espèce la Cour de cassation, en affirmant que « le caractère accidentel du décès constitue une circonstance qui, s'agissant de l'application d'un contrat d'assurance couvrant les accidents corporels, est une condition de la garantie ». La Haute juridiction avait d’ailleurs déjà eu l’occasion, dans un arrêt du 12 avril 2012, de se prononcer en faveur de l’exclusion de toute garantie en cas de suicide de l’assuré au titre, également, d’une assurance accidents corporels [10].

Néanmoins, et à titre exceptionnel, l’article L. 132-7 du Code des assurances impose à « l’assureur en cas de décès » la couverture du suicide à compter de la deuxième année de contrat. L’occasion était alors donnée à la Cour de cassation, dans le prolongement de son arrêt de 2012, de s’exprimer sur l’applicabilité de ce dispositif exceptionnel.

Or, l’assureur en cas de décès visé par le texte ne peut être qu’un assureur-vie en cas de décès. En effet, l’article L. 132-1 du Code des assurances appartient à un chapitre 2 portant sur « les assurances sur la vie et les opérations de capitalisation ». Il n’y est donc pas question des assurances de dommages corporels, et, en particulier, des assurances accidents corporels.

Par conséquent, seule une interprétation extensive de cette disposition, y incluant toutes les assurances de personne couvrant le risque décès, permettrait d’en étendre le champ aux assurances accidents corporels. Or, le caractère exceptionnel de la couverture d’un risque non aléatoire s’oppose à une telle lecture compréhensive du texte.

C’est donc à juste titre que la Cour de cassation en écarte expressément l’application [11] et n’autorise pas, en conséquence, la neutralisation de la clause d’exclusion du suicide du risque garanti. Elle réserve cependant la possibilité, pour les juges du fond, de « constater que le contrat d'assurance étendait sa garantie à des événements autres que les accidents corporels » ; dit autrement, de caractériser une assurance-vie en cas de décès, qui pourrait alors bénéficier de ce dispositif exceptionnel. 

La Haute juridiction aurait pu s’en tenir là. Elle pousse pourtant plus avant sa décision, en révélant des éléments du régime de cette exclusion de la couverture du risque en cas de suicide.

II. Le régime de l’exclusion de la couverture du suicide dans les assurances accidents corporels

La Cour de cassation donne des précisions sur le régime de cette exclusion : elle la considère comme automatique mais estime le suicide susceptible de faire l’objet d’une couverture par le contrat. Une telle position suscite un sentiment mitigé : si le caractère automatique de l’exclusion convainc (A), la reconnaissance d’une possible couverture contractuelle du suicide interroge (B).

A. L’automaticité convaincante de l’exclusion de la couverture du suicide

Le contrat litigieux stipulait expressément l’exclusion du suicide de la garantie. Or, la Cour de cassation, ayant écarté l’application de l’article L. 132-7 du Code des assurances, ne s’empare pas de l’argument de validité de la clause d’exclusion pour retenir la garantie de l’assureur. Elle préfère, plus fondamentalement, affirmer que « le caractère accidentel du décès constitue une circonstance qui, s'agissant de l'application d'un contrat d'assurance couvrant les accidents corporels, est une condition de la garantie. Dès lors, le suicide n'est pas, sauf stipulation contraire, couvert par les contrats garantissant les accidents corporels ».

En faisant l’économie d’une quelconque référence à la clause d’exclusion du suicide, la Haute juridiction confère à cette exclusion un caractère automatique tout à fait bienvenu et que justifie pleinement son caractère anti-aléatoire [12].

Le fondement de cette automaticité n’est pas révélé par la Cour de cassation. Nous y verrions volontiers la marque de l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances N° Lexbase : L0060AAH prévoyant que « l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré. » Pourtant, un tel fondement s’accorde mal avec la possible couverture du suicide au gré des stipulations du contrat.

B. La possible mais surprenante couverture du suicide par le contrat

La Haute juridiction, ayant affirmé le principe d’une exclusion automatique du suicide, y ajoute un « sauf stipulation contraire » qui peut surprendre. Cette incise signifie, sans ambiguïté, que le contrat peut renverser le principe et prévoir la couverture du suicide dans le cadre d’une assurance accidents corporels. Or, la faute intentionnelle de l’assuré est traditionnellement considérée comme une exclusion légale absolue du risque [13].

Cet hommage à la liberté contractuelle se concilie par conséquent assez mal avec l’exigence de couverture d’un événement aléatoire et, singulièrement dans les assurances accidents corporels, avec le caractère nécessairement accidentel de l’atteinte, pourtant fermement rappelé par la Cour.

Il est vrai que le suicide prive, dans les assurances accidents corporels, les ayant-droits de l’assuré décédé de la prestation d’assurance, alors que ce même évènement est nécessairement couvert à compter de la deuxième année de contrat dans les assurances-vie en cas de décès.

Néanmoins, une telle solution contrarie le caractère absolu de l’exclusion de couverture de la faute intentionnelle de l’assuré. Elle laisse par surcroît une porte ouverte à des formules contractuelles pour le moins baroques qui, supposées couvrir les risques « accidents », y incluraient des comportements délibérés…

 

[1] Sur l’ensemble de la question du suicide, v. S. Brena, Le suicide en droit des assurances, in Le suicide de l’Antiquité au XXIe siècle, sous la direction de F. Vialla, P. Vielfaure, S. Joly, J. Brunn, A. Fontennelle, LEH Editions, sept. 2022.

[2] C. ass., art. L. 131-1 N° Lexbase : L7352LQD.

[3] C. ass., art. L. 132-1 et s. N° Lexbase : L0126AAW.

[4] C. ass. art. L. 321-1 N° Lexbase : L5032L8U.

[5] Branche 1.

[6] Branche 2.

[7] Branche 20.

[8] Le décès en cas de maladie ne peut être couvert que par une assurance-vie en cas de décès : Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, Précis Dalloz 14e éd., 2017, n° 1130, p. 889.

[9] Contrat « garantie des accidents de la vie » proposé par SwissLife.

[10] Cass. civ. 2, 12 avril 2012, n° 11-13.984, F-D N° Lexbase : A5815II9 qui ne se prononçait cependant pas sur l’applicabilité de l’article L. 132-7 du Code des assurances.

[11] V. déjà en faveur de cette solution, Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, op. cit., n° 1134, spéc. p. 894.

[12] S. Abravanel-Joly, Droit des assurances, Ellipses 4e éd., 2023, n° 974, p. 429, qualifiant la solution d’évidente.

[13] S. Abravanel-Joly, Droit des assurances, op. cit, n° 343 et suiv., pp. 150 et suiv. ; Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, op. cit., n° 1134, spéc. p. 894.

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