Lexbase Public n°700 du 23 mars 2023 : Domaine public

[Actes de colloques] Les transformations contemporaines du droit domanial - La sécurisation du titre ou comment éviter la requalification du contrat

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[Actes de colloques] Les transformations contemporaines du droit domanial - La sécurisation du titre ou comment éviter la requalification du contrat. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/94312078-cite-dans-la-rubrique-b-domaine-public-b-titre-nbsp-i-les-transformations-contemporaines-du-droit-do
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par Philippe Grimaud, vice-président du tribunal administratif de Toulouse

le 22 Mars 2023

La convention d’occupation du domaine public n’est pas une figure nouvelle du droit public. Toutefois, longtemps cantonnée à la « concession de voirie » classique [1], ce visage bien connu vit depuis quelques décennies un certain renouveau, et ce pour deux raisons.

La première cause de ce renouveau est la prise de conscience que le domaine public est un lieu de création de richesses pour les opérateurs économiques, voire un lieu stratégique pour certains. La possibilité de décharger un porte-conteneurs dans un grand port, de même que l’exploitation d’un lot de plage ou la buvette d’un jardin public, l’illustrent parfaitement, et on peut noter que ce que le géographe Michel Lussault appelle les « hyper-lieux », ces points nodaux de concentration de la mondialisation, sont le plus souvent des dépendances du domaine public : l’aéroport Charles de Gaulle, le port de Marseille, le palais des festivals de Cannes ou le Louvre, où toutes les composantes du monde se croisent, sont des dépendances domaniales.

La seconde cause de ce renouveau est ce que l’on nomme parfois la « nouvelle gestion publique », qui a conduit les personnes publiques à développer des outils contractuels associant une convention domaniale articulée à d’autres contrats pour faire financer des ouvrages publics, des services publics, ou des offres composites de biens et de services par des opérateurs privés occupant le domaine. Cela n’est pas nouveau, mais ce mouvement, lancé ou relayé par le législateur, s’est accru depuis dix à vingt ans.

Dans ce contexte, la réflexion sur la sécurisation des titres contractuels d’occupation du domaine vis-à-vis du risque de requalification appelle tout d’abord l’évocation brève des enjeux attachés à ce risque avant de dessiner les quelques règles de prudence permettant de l’éviter.

I. Les enjeux de la qualification… et d’une éventuelle requalification

La requalification d’un contrat ou de toute autre situation de droit consiste à découvrir qu’un objet juridique évolue dans un univers juridique qui n’est pas le sien. En ce qui concerne nos conventions domaniales, cette situation peut avoir plusieurs conséquences.

La première, assez anecdotique, est la requalification en contrat de droit privé d’un contrat qui ne serait pas, en réalité, un contrat d’occupation du domaine public relevant, par détermination de la loi, du juge administratif (CGPPP, art. L. 2131-1 N° Lexbase : L4566IQ8). L’hypothèse est assez marginale, mais existe, en cas d’erreur sur la nature de la dépendance ou des rapports entre les parties [2].

Deuxième risque, beaucoup plus important : l’inadéquation de la procédure de passation retenue, voire l’absence totale de procédure de passation.

Depuis l’intervention de l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017, relative à la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L8339LD9, la passation d’une convention d’occupation domaniale est encadrée lorsqu’elle permet à son titulaire d'occuper ou d'utiliser le domaine public en vue d'une exploitation économique (CGPPP, art. L. 2122-1 N° Lexbase : L9569LDR). Toutefois, le législateur n’impose au gestionnaire du domaine que des obligations assez légères : une sélection préalable impartiale et transparente après une publicité suffisante.

On est donc loin des procédures de passation des contrats de la commande publique, et le contrat que l’on avait cru de simple occupation du domaine, s’il est requalifié, sera le plus souvent irrégulier de ce fait [3]. La sanction contentieuse d’une telle irrégularité n’a, on le sait, rien d’automatique dans le cadre d’un recours « Tarn-et-Garonne » ou d’un recours « Béziers I », mais elle est possible.

La requalification d’une convention domaniale est enfin susceptible d’aboutir à une dernière conséquence qui est la méconnaissance des règles de compétence des personnes publiques ou des règles de fond applicables au contrat.

C’est là la conséquence naturelle de l’évolution du contrat dans un univers étranger : la convention domaniale requalifiée en marché public ou en DSP pourrait par exemple ne pas avoir été conclue par la personne publique ayant la compétence pour passer un tel marché ou pour déléguer ce service public. Par ailleurs, ses stipulations, écrites pour se conformer à ce que doit être une convention domaniale, ne comportent vraisemblablement pas les clauses nécessaires à en faire un contrat régulier de la commande publique, ou peut comporter au contraire des clauses illégales dans le cadre d’un tel contrat (pensons, par exemple, aux clauses relatives au prix du marché, à l’obligation de stipuler les tarifs à la charge des usagers du service public, ou aux durées maximales d’exécution du contrat).

II. Pour éviter la requalification du contrat d’occupation du domaine public, il convient de retenir la formule contractuelle la plus en phase avec le cœur de l’opération

Le risque de requalification est évidemment maximal lorsque les clauses du contrat se caractérisent par un « mélange » qui peut faire relever la somme de ces clauses de plusieurs catégories de contrat.

De ce point de vue, il faut distinguer trois situations.

La première ne crée aucun risque de requalification : il s’agit des contrats dont le régime défini par le législateur intègre une autorisation domaniale (v. p. ex. l’article L. 2213-10 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4133LRI pour le marché de partenariat et L. 3132-1 N° Lexbase : L3764LRT pour la concession). Aucune difficulté en pareil cas puisque tout, a priori, est prévu par le texte (y. c. l’absence de procédure de passation pour le titre : CGPPP, art. L. 2122-1-2 N° Lexbase : L9570LDS).

Les choses se compliquent évidemment dans les deux autres cas, qui ont pour point commun que les parties y mêlent elles-mêmes des clauses associant une occupation domaniale et un autre negotium : travaux, gestion d’un service public, concession de service, livraison de biens ou de services à la personne publique, tâches de conception (v. l’avis sur les passerelles sur la Seine). En revanche, il faut distinguer deux hypothèses quant à la forme de ce kaléidoscope contractuel qui peut :

- être contenu dans un unique contrat ;

- ou être réparti entre plusieurs contrats unissant les mêmes parties.

Disons-le d’emblée : ce choix entre l’unicité de l’instrumentum ou la répartition du negotium entre plusieurs actes n’a guère d’incidence sur la requalification. Le juge, en effet, sait reconnaître un contrat qui porte mal son nom, comme il sait reconstituer un montage contractuel qui ne fait que diviser une opération unique [4].

Précisons immédiatement que l’autre solution, celle du contrat unique, n’est guère plus salvatrice si le contrat encourt un risque réel de requalification. Certes, en pareil cas, le juge s’interrogera sur l’éventuelle divisibilité de certaines clauses, mais il est peu probable qu’on puisse alors distinguer deux contrats autonomes qui survivraient sans dommage car, en général, les clauses autorisant l’occupation du domaine auront été déterminantes dans le consentement.

La forme étant donc de peu d’importance, l’écueil majeur à éviter est la possibilité que le contrat soit regardé a posteriori comme un contrat soumis à un formalisme et à des règles de fond différents et susceptibles de sanction, donc, en bref, de parer le risque de requalification en marché public, en DSP ou en concession de forme quelconque. D’autres qualifications sont possibles, mais le risque d’erreur sur leur nature est moindre car ces autres contrats sont assez identifiables.

La question centrale est donc celle de l’objet principal du contrat [5] ou, autrement dit, celle de son centre de gravité, de sa « raison d’être » [6].

En ce qui concerne les marchés et concessions, il convient de se référer aux dispositions de l’article L. 2 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4461LRN, qui permettent d’identifier un marché ou une concession autre que de service public.

Ces qualifications seront retenues, en bref, si le prestataire agit à la demande d’une personne publique pour répondre à des besoins qu’elle a elle-même définis et pour un prix à la charge de celle-ci (qu’il prenne la forme d’un prix payé, d’un abandon de recettes, d’une exploitation au bénéfice du concessionnaire, etc.) ou en échange d’un risque pris par l’opérateur. Dès lors que, d’une manière ou d’une autre, la personne publique détermine le contenu de la prestation et entend se la faire livrer à plus ou moins long terme avec une contrepartie économique, la qualification de marché ou de concession est très probable. La jurisprudence, notamment communautaire, comporte bien des cas où la reconstitution d’opérations foncières ou immobilières banales selon une lecture formelle ont été regardées comme des marchés publics parce que répondant à un besoin de la personne publique [7].

Il convient donc d’être particulièrement attentif aux contrats à volet domanial se situant à la frontière de l’exécution des politiques publiques incombant à la personne publique et de la réponse à ses besoins pour l’exercice de ses compétences. Sont particulièrement sensibles à ce titre le développement économique ou l’aménagement urbain, qui incluent souvent un support foncier, une occupation domaniale et la commande d’ouvrages ou de prestations [8]. L’avis de la section de l’administration du 22 janvier 2019 sur les passerelles de Paris peut sans doute constituer un guide car il semble sous-entendre que toute « commande » dans un domaine qui s’approche d’un besoin rattachable à une compétence naturelle de la collectivité (en l’espèce, la voirie) rapproche le contrat du marché ou de la concession.

S’agissant de la possibilité de requalification en DSP, la problématique, plus simple, est celle de l’existence d’un service public sous-jacent, question qui sans être toujours absolument évidente, n’est guère complexe [9], l’autre critère étant la délégation de ce service via un contrat liant substantiellement la rémunération aux résultats de l’exploitation.

En conclusion, pour éviter la requalification et, en cas de requalification, l’illégalité du contrat, deux approches prudentes et complémentaires sont nécessaires.

La première est de conserver, autant que possible, des contrats « purs », dépourvus de démembrements ou d’excroissances, axés sur l’essence de ce que la personne publique entend faire : commander, c’est commander, déléguer c’est déléguer, occuper le domaine public, c’est occuper, et chacun de ces objets trouve aujourd’hui sans difficulté le contrat qui lui convient.

La seconde, en cas de doute sincère sur le type de contrat à venir, est d’appliquer, comme c’est obligatoire, la procédure de passation la plus rigoureuse [10].

 


[1] De ce point de vue, le Code général de la propriété des personnes publiques n’a pas innové en se bornant à disposer sans mystère en son article R. 2122-1 N° Lexbase : L2986IRZ que « l'autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut être consentie, à titre précaire et révocable, par la voie d'une décision unilatérale ou d'une convention ».

[2] V. p. ex. T. confl., 13 octobre 2014, n° 3963 N° Lexbase : A6721MYL.

[3] V. pour des exemples de questionnement du juge sur la nature du contrat : CE, ass., 4 novembre 2005, n° 247298 N° Lexbase : A2732DLR ; CE, Sect., 3 décembre 2010, n°s 338272, 338527 N° Lexbase : A4439GMD ; CE, 15 mai 2013, n° 364593 N° Lexbase : A3193KDM et un très intéressant avis de la section de l’administration du Conseil d’Etat : CE, avis, 22 janvier 2019, n° 396221 ; v. p. ex. pour des requalifications : CAA Paris, 11 avril 2013, n° 11PA03649 N° Lexbase : A7299MQE ; CAA Nantes, 30 mars 2018, n° 16NT03892 N° Lexbase : A5923XP3.

[4] Voyez p. ex. CE, 1er octobre 2013, n° 349099 N° Lexbase : A3383KMA ; CE, 7 octobre 2020, n° 433986 N° Lexbase : A04993XR.

[5] V. CJCE, 19 avril 1994, aff. C-331/92, Gestion Hotelera Intern N° Lexbase : A9645AUR.

[6] Conclusions Trstenjak sur CJUE, 29 octobre 2009, aff. C-536/07, Cion c/ RFA N° Lexbase : A5617EMY.

[7] V. p. ex. l’arrêt C-536/07, préc.

[8] V. l’arrêt commune de Roanne ; CJUE, 25 mars 2010, aff. C-451/08, Helmut Müller N° Lexbase : A9884ETA, ou CE, 30 décembre 1998, n° 150297 N° Lexbase : A8558ASR ; CE, 11 juin 2004, n° 261260 N° Lexbase : A7651DCD.

[9] V. CE, 3 juin 2009, n° 311798 N° Lexbase : A7227EH7 ; CE, 19 janvier 2011, n° 341669 N° Lexbase : A1571GQA ; CE, 3 décembre 2010, Ve de Paris et Assoc. Paris Jean Bouin, préc..

[10] CE, 10 juin 2009, n° 317671 N° Lexbase : A0570EIX.

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