Lexbase Public n°700 du 23 mars 2023 : Domaine public

[Actes de colloques] Les transformations contemporaines du droit domanial - L'exigence d'une sélection transparente : premier bilan

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par Renaud Tricon, responsable de la mission études et modernisation de l’action juridique à la ville de Marseille et Paul Pipitone, juriste à la direction des affaires juridiques et des assemblées de la ville de Marseille

le 22 Mars 2023

L’ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques prise suite à la jurisprudence « Promoimpresa » [1], a posé le principe de sélection préalable des occupations économiques du domaine public.

Ce régime, dont nous allons tenter d’esquisser un premier bilan plus de 5 ans après sa création, est régi par les articles L. 2122-1-1 N° Lexbase : L9569LDR et suivants du Code général de la propriété des personnes publiques (ci-après « CG3P »).

I. Les procédures de sélection préalable des occupations à vocation économique

A. Le cadre général

Le 1er alinéa de l’article L. 2122-1-1 du CG3P pose le principe d’une sélection préalable « présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence et comportant des mesures de publicité permettant à tout candidat potentiel de se manifester » avant toute délivrance d’un titre d’occupation permettant d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique.

Le CG3P est muet quant à la nature de la publicité et de la sélection à opérer.

Les gestionnaires doivent prévoir eux-mêmes les règles afin de respecter les principes d’impartialité et de transparence.

Ces derniers établissent notamment des « appels à manifestations d’intérêt » (ci-après « AMI ») de manière à ce que :

tous les candidats doivent être traités à l’identique ;

la sélection doit permettre de retenir le meilleur candidat dans l’objectif de valorisation du domaine.

  • Quel champ d’application ?

Le critère est celui de l’activité économique exercée, qu’importe la structure sollicitant l’occupation.

  • Quelle publicité ?

La publicité doit être adaptée aux enjeux économiques (affichage, presse locale, nationale, européenne, publication sur internet etc.) afin que tout opérateur intéressé puisse candidater.

  • Comment l’organiser ?

Il convient d’indiquer aux candidats potentiels les informations relatives à l’occupation, comment postuler et comment la sélection sera effectuée. Les occupants actuels souhaitant candidater ne devront pas être davantage informés.

  • Quel contenu ?

Un AMI comporte généralement une description de l’objet de l’occupation, les candidats éligibles,  les documents à transmettre, les critères de notation des dossiers, le calendrier de la procédure etc.

  • Comment sélectionner ?

S’agissant des critères de sélection

Les critères (types d’activités, publics concernés...) doivent être établis afin de concilier les activités privées et la valorisation.

Une véritable liberté doit être laissée afin d’éviter la satisfaction d’un besoin, le contrôle des activités et donc tout risque de requalification en contrat de la commande publique.

S’agissant de leur pondération

La pondération permet aux gestionnaires de hiérarchiser leurs attentes et devra être appliquée de manière identique pour tous les candidats.

B. Une simple obligation de publicité préalable dans le cadre des procédures dites allégées

Le 2éme alinéa de l’article L. 2122-1-1 du CG3P dispose que : « Lorsque l'occupation ou l'utilisation autorisée est de courte durée ou que le nombre d'autorisations disponibles pour l'exercice de l'activité économique projetée n'est pas limité, l'autorité compétente n'est tenue que de procéder à une publicité préalable à la délivrance du titre, de nature à permettre la manifestation d'un intérêt pertinent et à informer les candidats potentiels sur les conditions générales d'attribution ».

  • Cas des occupations de courte durée

Une instruction du 22 juillet 2019 sur les cirques et les foires a précisé que la notion de « courte durée » est égale ou inférieure à 4 mois. Ce délai est indicatif et les gestionnaires sont libres de le prendre en compte selon les types d’activités (notamment saisonnières) envisagées.

  • Cas où le nombre d'autorisations n'est pas limité

Ce cas peut notamment concerner certaines brocantes et braderies (etc.) durant lesquelles tous les acteurs intéressés peuvent occuper un emplacement.

Dernier cas : la manifestation d’intérêt spontanée prévue par l’article L. 2122-1-4 du CG3P N° Lexbase : L9572LDU.

Cas lorsqu’un exploitant sollicite une occupation auprès du gestionnaire. Si la rédaction d’un avis de publicité suffit, la détermination de critères précis (voire pondérés) est recommandée.

II. Quelles marges de manœuvre pour les exceptions au principe de sélection préalable ?

A. Les exceptions au principe de publicité et de mise en concurrence

1) Les exceptions au regard de l’objet de l’occupation

Aux termes de l’article L. 2122-1-2 du CG3P  N° Lexbase : L9570LDS :

« L’article L. 2122-1-1 n’est pas applicable :

- lorsque la délivrance du titre s’insère déjà dans une procédure disposant des mêmes caractéristiques que la procédure de sélection préalable déterminée par le 1er alinéa de l’article L. 2122-1-1.

Ici, la sélection se révèle en effet inutile puisque la délivrance du titre déjà fait l’objet d’une procédure de sélection ;

- lorsque le titre d’occupation est conféré par un contrat de la commande publique, ou que sa délivrance s’inscrit dans un ensemble contractuel ayant donné lieu à une procédure de sélection préalable.

- lorsque l’urgence le justifie, la durée du titre ne pouvant alors excéder un an. Cette exception est complexe à appréhender en l’absence de définition claire de l’urgence ;

- en cas de prolongation d’une autorisation existante (...), dans le respect du principe du caractère temporaire d’une telle autorisation (…) ».

2) Les possibilités prévues par le CG3P de délivrer le titre de « gré à gré » lorsque la procédure de sélection se révèle « impossible ou injustifiée »

L’article L. 2122-1-3 du CG3P N° Lexbase : L9571LDT permet la délivrance à l’amiable :

1° Lorsqu'une seule personne est en droit d'occuper la dépendance du domaine public en cause ;

2° Lorsque le titre est délivré à une personne publique dont la gestion est soumise à la surveillance directe de l'autorité compétente ou à une personne privée sur les activités de laquelle l'autorité compétente est en mesure d'exercer un contrôle étroit ;

3° Lorsqu'une première procédure de sélection s'est révélée infructueuse ou qu'une publicité suffisante pour permettre la manifestation d'un intérêt pertinent est demeurée sans réponse.

La notion d’infructuosité est à apprécier selon la nature de la publicité mise en œuvre et des enjeux économiques.

4° Lorsque les caractéristiques particulières de la dépendance (...) ou les spécificités de son affectation le justifient au regard de l'exercice de l'activité économique projetée.

Ce cas s’applique notamment aux demandes des commerçants souhaitant implanter des terrasses devant leurs établissements.

5° Lorsque des impératifs tenant à l'exercice de l'autorité publique ou à des considérations de sécurité publique le justifient.

3) Exception relative aux JO 2024 [2] :

Ce cas concerne le titre accordé pour occuper des dépendances du domaine public dédiées aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

Les contrats de sous-occupation doivent-ils être précédés d’une procédure de sélection préalable ?

Le CG3P ne traite pas de cette question et l’avis du Conseil d’État du 9 novembre 2017 sur le projet de loi JO 2024 a admis la dérogation apportée à cette procédure. Dans le doute, il est préférable que l’occupant organise lui-même la procédure de sous-occupation.

B. Règle concernant la délivrance à l’amiable des titres

Le dernier alinéa de l’article L. 2122-1-3 du CG3P dispose que : « Lorsqu'elle fait usage de ces exceptions, l'autorité compétente rend publiques les considérations de droit et de fait l'ayant conduite à ne pas mettre en œuvre la procédure  de sélection préalable (…) ».

III. Existe-t-il une obligation de sélection préalable du domaine privé ?

Aucune obligation de sélection n'a été posée par le CG3P concernant l’occupation du domaine privé à des fins économiques. Pour autant, le droit européen ne distingue pas domaine public et privé. Il n’existe donc pas, a priori, de motif valable pour refuser le principe de mise en concurrence du domaine privé (voir la réponse ministérielle du 29 janvier 2019 [3] précisant que les principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement s’appliquent).

Dans un arrêt du 2 novembre 2021 [4], la cour administrative d’appel de Bordeaux a considéré que la conclusion d’un BEA sur le domaine privé n’était pas soumise à la sélection et que les dispositions de l’article 12 de la Directive n° 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur N° Lexbase : L8989HT4 ne s’appliquaient pas.

Il existe néanmoins un réel besoin de clarification comme le montre le jugement du tribunal judiciaire du Mans du 19 août 2021 [5]. Tout en admettant la requalification en bail commercial d’une convention d’occupation précaire conclue sur le domaine privé de l’État, le juge refuse le droit au renouvellement sur le fondement de l’article 12 de la Directive « Services » du 12 décembre 2006.

Cette décision est citée dans une réponse ministérielle [6] précisant : « qu’en l'absence d'autre jurisprudence, il paraît difficile d'exclure, par principe, l'ensemble des baux commerciaux et ruraux (...) du champ d'application de ces règles. Toutefois (...) les biens du domaine privé (...) ne devraient pas remplir systématiquement l'ensemble des conditions conduisant à prohiber leur prorogation automatique ».

Propos conclusifs

Dans son Rapport de 1995, « La transparence et le secret », le Conseil d’État avait indiqué qu’:

« À trop donner à voir, on ne montre plus rien ». 

Ainsi, la sélection préalable ne devrait pas être généralisée à toutes les occupations des domaines public comme privé et l’ordonnance du 19 avril 2017 a sans doute trouvé un juste équilibre en matière de transparence.

Pour autant, seules les pratiques des gestionnaires et leurs appréciations à venir par le juge administratif pourront permettre de parfaire progressivement ce régime.

 

[1] CJUE, 14 juillet 2016, aff. C-458/14, Promoimpresa N° Lexbase : A2158RX9

[2] Loi n° 2018-202 du 26 mars 2018, relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 N° Lexbase : L8126LIS.

[3] QE n° 12868 de M. Jean-Luc Fugit, JOANQ, 2 octobre 2018, réponse publ. 29 janvier 2019 p. 861, 15ème législature N° Lexbase : L2300LPU.

[4] CAA Bordeaux, 3ème ch., 2 novembre 2021, n° 19BX03590 N° Lexbase : A94037ZB.

[5] TJ Mans, 19 août 2021, n° RG 20/00813 N° Lexbase : A37847HM.

[6] QE n° 41751 de M. Jean-Paul Mattei, JOANQ, 12 octobre 2021, réponse publ. 5 avril 2022, p. 2257, 15ème législature N° Lexbase : L2953ME4.

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