Réf. : Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-14.836, FS+P+B (N° Lexbase : A1819KHT)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 1138, Nancy)
le 25 Juillet 2013
I - Indifférence de la nature du contrat en cours
Le contrat litigieux porte sur l'occupation d'un carreau du marché de Rungis par une société commerciale, en vertu d'un traité de concession du domaine public. La nature juridique de ce contrat apparaît comme la ligne directrice du contentieux relatif à la continuation de ce dernier, après le prononcé de la liquidation judiciaire de la société exploitante. En effet, la société d'économie mixte prétend que le régime des concessions portant sur le domaine public obéit à un régime exorbitant du droit commun et qu'en sa qualité de gestionnaire du site de Rungis qui est un marché d'intérêt national (MIN), elle dispose de prérogatives de puissance publique, au nombre desquelles figure la possibilité de résilier les conventions d'occupation de ce domaine. En outre, la société concédante invoque les stipulations du contrat de concession, selon lesquelles le concessionnaire ne peut prétendre au bénéfice des dispositions législatives et réglementaires sur les baux commerciaux en raison du caractère précaire et révocable des autorisations d'occupation du domaine public.
Or, l'article L. 641-12 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 (N° Lexbase : L2777ICT), vise la résiliation du bail des immeubles utilisés pour l'activité de l'entreprise. Conformément à l'article 1709 du Code civil (N° Lexbase : L1832ABH), le bail est un contrat de louage par lequel l'une des parties, le bailleur, s'engage moyennant un prix que l'autre partie, le preneur, s'oblige à payer, à procurer à celle-ci, pendant un certain temps la jouissance d'une chose (2), en l'occurrence immobilière. Dans la présente affaire, le contrat de concession porte bien sur la mise à disposition d'une partie d'immeuble, moyennant un prix, et pendant un certain temps. L'article L. 641-12 précité ne pose aucune autre condition pour son application. Ainsi, le législateur n'a pas exigé que le contrat en cours litigieux soit obligatoirement l'un des baux les plus utilisés dans les entreprises de droit privé et qui sont le bail commercial, le bail professionnel, ou bien encore le bail rural. Il suffit que le contrat de louage porte sur la mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble, et pas seulement d'un local, qui est utilisé pour l'activité de l'entreprise en liquidation judiciaire. Tel semble bien être le cas, le carreau du marché de Rungis servait à l'activité de négoce en cours de fleurs coupées de la société débitrice. Par ailleurs, le législateur n'a formulé aucune condition supplémentaire quant aux parties au contrat portant sur l'immeuble. Par conséquent, il importe peu que la société concédante soit une société d'économie mixte dotée de prérogatives de puissance publique.
Autrement formulé, il n'y a pas lieu d'ajouter des conditions à celles déjà posées par le législateur, sous réserve d'ajouter quelque chose à la loi applicable. Ainsi, il importe peu que le régime juridique du contrat litigieux soit exorbitant du droit commun. Par conséquent, le contrat en cours est continué dans les conditions énoncées par le livre VI du Code de commerce, et tout spécialement l'article L. 641-12 s'agissant d'un bail d'immeuble utilisé pour l'activité d'une entreprise soumise à une liquidation judiciaire. Qu'en est-il de la compétence juridictionnelle ; quel juge doit trancher le litige relatif à la résiliation de ce contrat ?
II - Compétence exclusive en matière de résiliation d'un contrat en cours
La compétence était-elle celle du juge des contrats en cours, ou bien celle du juge du contrat administratif ? Telle est la question qui doit être posée, et qui indirectement permet de savoir si le juge-commissaire est compétent, ou bien la juridiction administrative.
Ce type d'interrogation n'est pas nouveau, la confrontation du droit des entreprises en difficultés avec le droit administratif n'étant pas exceptionnelle. Ainsi, le Tribunal des conflits a déjà reconnu la compétence au tribunal de la procédure collective en matière de contestation de créances fiscales, et ce, même si le contentieux de l'impôt en cause relève exclusivement des juridictions de l'ordre administratif (3). Il en est de même à propos d'une contestation relative à une action en revendication (4). Tout récemment encore, le Tribunal des conflits a considéré que la contestation soulevée par une société faisant l'objet d'une procédure collective qui a trait à l'élaboration des propositions pour le règlement de ses dettes en vue de l' établissement d'un projet de plan de redressement de l'entreprise, est née de la procédure collective ouverte à son égard. Par conséquent, le recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'une décision administrative de refus des propositions est de la compétence des juridictions judiciaires (5).
En application de ces solutions, la première chambre civile de la Cour de cassation a admis la compétence du tribunal de la procédure pour apprécier la connexité entre créances résultant de contrats administratifs lorsque l'un des cocontractants est un débiteur sous procédure collective (6). Par l'arrêt du 18 juin 2013, c'est une autre formation de la Haute Cour, la Chambre commerciale, financière et économique, qui fait application de cette règle. Ainsi, le litige relatif à la résiliation d'un contrat en cours est né de la procédure collective ouverte à l'égard de la société concessionnaire d'une partie du domaine public. Par conséquent, le litige est de la compétence des juridictions judiciaires. Plus spécialement, en application des dispositions du livre VI du Code de commerce, le juge-commissaire est compétent pour connaître les litiges relatifs à la résiliation d'un contrat en cours, y compris un bail portant sur un immeuble utilisé pour l'activité de l'entreprise, comme dans la présente affaire. Ainsi, l'arrêt du 18 juin 2013 énonce une solution dérogatoire à l'article L. 2331-1, 1° du Code général de la propriété des personnes publiques, selon lequel les litiges relatifs aux autorisations ou contrats portant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par des personnes publiques ou leurs concessionnaires, sont portés devant la juridiction administrative. Par conséquent, priorité au tribunal de la procédure, mais à la seule condition que le litige soit né de la procédure collective. Ainsi, l'origine du litige prime sur sa nature !
(1) CA Versailles, 13ème ch., 27 octobre 2011, n° 10/07103 (N° Lexbase : A2888HZY).
(2) G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association Capitant, v° Bail, éd. PUF.
(3) T. confl., 26 mai 2003, n° 3554 (N° Lexbase : A9516DRU), Bull n° 16 ; LPA, 7 novembre 2003, note Brandeau ; RTDCom., 2004, p. 154, obs. A. Martin-Serf.
(4) T. confl., 13 novembre 2000, n° 3189 (N° Lexbase : A5553BQQ).
(5) T. confl., 8 juillet 2013, n° 3912 (N° Lexbase : A8358KIE)
(6) Cass. civ. 1, 4 mai 2012, n° 10-26.115, F-D (N° Lexbase : A6642IK9), nos obs., Lexbase Hebdo n° 300 du 14 juin 2012 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 6511332, "corpus": "reviews"}, "_target": "_blank", "_class": "color-reviews", "_title": "[Jurisprudence] Comp\u00e9tence du tribunal de la proc\u00e9dure pour appr\u00e9cier la connexit\u00e9 entre cr\u00e9ances r\u00e9sultant de contrats administratifs", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: N2446BTR"}}) - édition affaires.
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