La lettre juridique n°917 du 22 septembre 2022 : Vente d'immeubles

[Chronique] Chronique de jurisprudence du droit de la vente immobilière (juin - août 2022)

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par Eric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Chargé d’enseignement à l’Université Paris-Dauphine

le 21 Septembre 2022

Mots clés : agent immobilier • loi « Hoguet » • notaire • responsabilité • vente immobilière • garantie des vices cachés • opportunité économique • défiscalisation • promesse • nullité de la vente • pollution


La revue Lexbase Droit privé vous propose de retrouver la chronique de droit de la vente immobilière, sous la plume de Maître Éric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Chargé d’enseignement à l’Université Paris-Dauphine.

Cette matière, en constante évolution compte tenu d'une jurisprudence particulièrement abondante de la Cour de cassation dans ce domaine, est appréhendée largement, puisque la chronique a vocation à traiter, outre les problématiques du contrat de vente d’immeubles stricto sensu, d’autres contentieux en lien direct avec la vente d’immeubles, celui des agents immobiliers d’une part, et celui de la responsabilité des notaires d’autre part.

Une douzaine de décisions, pour la plupart inédites au bulletin de la Cour de cassation, ont été sélectionnées par l'auteur pour cette nouvelle chronique, couvrant la période de juin à août 2022.

Pour retrouver la précédente chronique, couvrant la période d'avril à mai 2022, cliquez ici.

Sommaire

I. Agent immobilier

1. Application de la loi « Hoguet » seulement à l’activité habituelle d’entremise
Cass. civ. 1, 1er juin 2022, n° 20-17.451, F-D

2. Rendement décevant et obligation de conseil
Cass. civ. 1, 1er juin 2022, deux arrêts, n° 21-12.366 et n° 21-12.789, F-D

3. Visite pendant le mandat exclusif et négociation en direct ensuite
Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 20-19.187, F-D

4. Acquéreur au prix et commission d’agence en cas de refus du vendeur
Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 20-22.047, F-D

II. Vente immobilière

5. Garantie des vices cachés par le vendeur bricoleur
Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-21.143, FS-D

6. Responsabilité du syndicat des copropriétaires pour information erronée envoyée au notaire par le syndic
Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-16.223, F-D

7. La prescription du dol ne part que du jour de sa découverte
Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-15.726, F-D

8. Si le dernier exploitant d'une installation classée a rempli son obligation de remise en état, la dépollution induite par le changement d’usage postérieur ne lui incombe pas
Cass. civ. 3, 29 juin 2022, n° 21-17.502, FS-B

9. Assainissement individuel défectueux et garantie des vices cachés
Cass. civ. 3, 29 juin 2022, n° 16-26.751, F-D

10. Terme extinctif ou suspensif de la promesse synallagmatique de vente
Cass. civ. 3, 29 juin 022, n° 21-17.944, F-D

11. Financement obtenu hors délai et non-caducité de la promesse
Cass. civ. 3, 13 juillet 2022, n° 21-18.190, F-D

III. Responsabilité du notaire

12. Responsabilité du notaire pour ne pas avoir conseillé une condition suspensive
Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 21-12.345, F-D

13. Frais bancaires en pure perte pour une vente avortée
Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 20-20.010, F-D


I. Agent immobilier

1. Application de la loi « Hoguet » seulement à l’activité habituelle d’entremise (Cass. civ. 1, 1er juin 2022, n° 20-17.451, F-D N° Lexbase : A807074N)

L’activité de négociateur immobilier est réglementée. Son exercice sans être titulaire de la carte professionnelle, prive le négociateur de tout droit à rémunération [1].

En l’espèce, un propriétaire avait mandaté une agence pour la vente de deux biens immobiliers. La vente faite, le vendeur sollicite le remboursement des honoraires versés, au titre de l’irrespect de la loi « Hoguet ». La Cour de cassation repousse cette demande. Par interprétation littérale de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 N° Lexbase : L7536AIX, elle affirme que celle-ci s’applique seulement aux personnes physiques ou morales qui, « d'une manière habituelle », se livrent aux opérations portant sur les biens d'autrui et relatives à l'achat, la vente, l'échange, d'immeubles. La loi « Hoguet » est donc jugée inapplicable à qui n'exerce pas à titre habituel l'activité d'agent immobilier.

2. Rendement décevant et obligation de conseil (Cass. civ. 1, 1er juin 2022, deux arrêts, n° 21-12.366 N° Lexbase : A814474E et n° 21-12.789 N° Lexbase : A8327748, F-D)

L’affaire est banale. Une personne acquiert un immeuble en l’état futur d’achèvement, dans le cadre d’une opération de défiscalisation. Quelques années après, le locataire exploitant est placé en liquidation judiciaire.

L’investisseur déçu reproche alors à l’intermédiaire un manquement à son obligation de conseil. La plaquette de présentation vantait, en effet, « la qualité et l'expérience des participants ». L’acquéreur prétend ne pas avoir eu une information claire, sincère et complète sur l'expérience du gestionnaire, de nature à le renseigner sur la viabilité de son investissement. La plaquette évoquait également un rendement attendu de 5 %. Là encore, l’acquéreur reproche au professionnel de ne pas préciser de façon claire et explicite les aléas quant à l'obtention d'un tel taux de rendement.

En l’espèce, se retranchant derrière l’appréciation des juges du fond, la Cour de cassation considère que l’intermédiaire n’a pas manqué à son devoir de conseil. Elle note ainsi que tous les documents présentant les caractéristiques essentielles du bien immobilier avaient été fournis, que l'acquéreur avait été informé que le bénéfice de la défiscalisation était soumis à la condition d'occupation effective de l'appartement, que, si les mentions de la plaquette de présentation de la résidence étaient laudatives, elles ne garantissaient pas un rendement de 5 % et constituaient au mieux un objectif espéré en l'état d'une opération commerciale comportant par nature une part de risques et que, lors de la signature du contrat de réservation, aucun élément ne laissait présager la déconfiture de l’exploitant.

La solution s’inscrit dans le contexte de la jurisprudence récente, qui exclut la responsabilité de principe du professionnel ayant participé à la vente, dans l’hypothèse d’un investissement décevant [2]. Sur le plan économique, ce professionnel, en l'absence d'élément de nature à l’alerter sur des difficultés à venir, n’a pas un devoir de vérifier la faisabilité et les risques de l'opération [3].

3. Visite pendant le mandat exclusif et négociation en direct ensuite (Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 20-19.187, F-D N° Lexbase : A727377I)

Des propriétaires confient à une agence un mandat exclusif de vente portant sur leur maison d'habitation, conclu pour une durée minimum de trois mois, reconductible une année sauf dénonciation avec préavis de quinze jours. Le mandant s'interdisait, pendant la durée du mandat, de négocier soit par lui-même soit par un autre intermédiaire la vente du bien et s'engageait à diriger sur le mandataire toutes les demandes qui lui seraient adressées personnellement. Une clause pénale stipulait, qu'en cas de non-respect par le mandant de ses obligations, il serait dû une indemnité compensatrice forfaitaire égale au montant de la rémunération.

Les propriétaires font visiter le bien à un amateur, et en informent l’agence. Une fois le mandat résilié, ils concluent une vente avec l’amateur en question. L’agence les assigne en paiement de la clause pénale.

La Cour de cassation note que les vendeurs ont eux-mêmes fait visiter le bien, à une époque où le mandat exclusif de vente n'avait pas encore été dénoncé, et que la personne intéressée avait formé une offre d'achat. Aussi, la juridiction considère que les propriétaires ont commis une faute en négociant ensuite la vente en violation de la clause d'exclusivité – nonobstant l'information délivrée à l’agence quant à l’existence de cette offre. La solution réitère une règle acquise : alors même que le mandat exclusif de vendre donné par le propriétaire d'un immeuble à un agent immobilier est expiré, l'intermédiaire peut prétendre à des dommages-intérêts dès lors que sont établies les manœuvres ayant conduit à l'évincer de la vente réalisée par le propriétaire seul [4].

4. Acquéreur au prix et commission d’agence en cas de refus du vendeur (Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 20-22.047, F-D N° Lexbase : A730977T)

Un mandat exclusif de vente d'un appartement est conclu. Ensuite, l'agent immobilier informe le propriétaire qu'il a trouvé un acquéreur au prix stipulé au mandat. Après mise en demeure, le propriétaire répond qu’il ne souhaite plus vendre.

La Cour de cassation rappelle sa jurisprudence antérieure, selon laquelle le mandat de l’agent immobilier n’est qu’un contrat d’entremise, qui ne donne pas pouvoir pour conclure la vente, sauf clause expresse [5]. Mais la question se déporte ensuite sur la portée de la clause, usuelle en pratique, selon laquelle « le mandant s'engage à signer, au prix, charges et conditions convenues, toute promesse de vente ou compromis avec tout acquéreur présenté par le mandataire » et qui prévoit une indemnisation de l’agence en cas contraire. À ce propos, les juges visent l’article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 (dite loi « Hoguet ») N° Lexbase : L7536AIX, selon lequel, aucun bien, effet, valeur, somme d'argent, représentatif de commissions, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d'entremise quelconque, n'est dû au mandataire immobilier ou ne peut être exigé ou accepté par lui avant qu'une des opérations qui y sont visées ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l'engagement des parties. En conséquence de quoi, il est décidé que l’agent immobilier ne peut se prévaloir du jeu de la clause de pénale pour refus du vendeur, car la vente n’a pas été conclue. Il est toutefois fait réserve de l’hypothèse où le mandant a conclu l'opération en privant le mandataire de la rémunération à laquelle il aurait pu légitimement prétendre.

II. Vente immobilière

5. Garantie des vices cachés par le vendeur bricoleur (Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-21.143, FS-D N° Lexbase : A717977Z)

L’espèce est classique : un entrepreneur en maçonnerie acquiert une ancienne ferme, dans laquelle il effectue des travaux de rénovation pour la transformer en maison d'habitation, en conservant les pignons en pierre, mais en reconstruisant les murs de façade, en édifiant un mur de refend et en transformant les sols du rez-de-chaussée. L’acquéreur de la maison après travaux se plaint de graves désordres, et agit en garantie contre l’entrepreneur ayant vendu sa maison après rénovation.

Rappelons que l’article 1641 du Code civil N° Lexbase : L1743AB8 pose le principe de la garantie des vices cachés par le vendeur. Ce texte est toutefois supplétif, et il est possible de stipuler une absence de garantie, si le vendeur n’est pas de mauvaise foi, et s’il n’est pas un professionnel de l’immobilier.

Le vendeur se défend en arguant que sa profession d'entrepreneur en maçonnerie n'impliquait pas la possession des connaissances techniques lui permettant, quand il avait fait les travaux de rénovation, d'anticiper un vice du sol. La Cour de cassation lui répond que, ayant réalisé lui-même les travaux de réhabilitation, il devait être assimilé à un vendeur professionnel réputé connaître les vices affectant l'immeuble, y compris le sol. En cela, elle confirme sa jurisprudence antérieure, selon laquelle le vendeur d'un immeuble qui s'est comporté en maître d'œuvre pour la réalisation de travaux dans son immeuble doit être assimilé au vendeur professionnel [6].

6. Responsabilité du syndicat des copropriétaires pour information erronée envoyée au notaire par le syndic (Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-16.223, F-D N° Lexbase : A7345778)

Dans cette affaire, un syndic de copropriété avait avisé la mairie de l'infestation par des termites des parties communes de l'immeuble. En réponse, la mairie lui avait demandé de faire un diagnostic des structures de l'immeuble en la tenant informée. Dans le même temps, pour la rédaction de l’acte de vente de lots au sein de cette copropriété, le notaire avait envoyé le questionnaire d’usage. Dans sa réponse au notaire, le syndic s'était abstenu de toute information sur ce qu'il savait de la présence de termites dans l'immeuble. Plus encore, dans le formulaire en retour, au paragraphe sur l'état parasitaire des parties communes et sur les termites, le syndic avait répondu : « situation de l'immeuble : non concerné ». L’acquéreur agit évidemment en responsabilité lorsqu’il découvre, après la vente, l’étendue du problème.

La jurisprudence a déjà statué sur la responsabilité du syndic transmettant des informations erronées au notaire à l’occasion de la vente de lots [7]. Mais la question d’espèce est celle de la responsabilité du syndicat des copropriétaires. La loi n’envisage explicitement sa responsabilité que pour les dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers ayant leur origine dans les parties communes (Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, art. 14 N° Lexbase : L5536AG7). Cela n’a pas empêché la jurisprudence d’affirmer une responsabilité du syndicat selon le droit commun, notamment au titre des choses dont on a la garde [8].

Dans le contexte d’appels de charges erronés, en faveur de certains copropriétaires et au détriment d’autres, la Cour de cassation a jugé que la mise en œuvre de la responsabilité délictuelle du syndic de copropriété ne nécessite pas la mise en cause du syndicat des copropriétaires [9]. Et, en l’espèce, le syndicat se défendait d’avoir commis une faute, la question des termites n’ayant pas été mise à l’ordre du jour de son assemblée générale. En réponse, la Cour de cassation vise deux textes. D’une part, l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9, principe de la responsabilité délictuelle pour faute. D’autre part, l’article 1998 du Code civil N° Lexbase : L2221ABU, sur l’engagement du mandant par son mandataire, lorsque ce dernier a agi dans la limite de ses pouvoirs. De la combinaison de ces textes, la juridiction déduit que le syndicat des copropriétaires est responsable à l’égard des copropriétaires ou des tiers des fautes commises par le syndic, son mandataire, dans l’exercice de ses missions. En cela, elle réaffirme une solution antérieure, affirmée à propos de l’incendie consécutif à des travaux mal exécutés sur les parties communes [10].

7. La prescription du dol ne part que du jour de sa découverte (Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-15.726, F-D N° Lexbase : A717577U)

L’espèce, comme souvent, concerne un investisseur immobilier déçu, dans le cadre d’une opération de défiscalisation. Celui-ci estime avoir surpayé son achat, et tente d’obtenir la nullité de la vente, pour dol. Il lui est rétorqué que plus de dix ans ont passé, et qu’il avait eu tout le loisir, s’il avait eu un doute sur la justesse de son prix, de solliciter une expertise. À l’objection, il répond que ce n’est que lorsqu’il a sollicité une estimation, dix ans après, qu’il a réalisé sa méprise. Les juges du fond estiment l’action prescrite, plus de cinq ans étant écoulés depuis la vente. La Cour de cassation vient pourtant censurer cette solution, estimant que la prescription ne court qu’à compter de l’expertise. Elle confirme, ce faisant, sa jurisprudence antérieure, selon laquelle la prescription quinquennale de l'action en nullité pour dol a pour point de départ le jour où le contractant a découvert l'erreur qu'il allègue [11].

8. Si le dernier exploitant d'une installation classée a rempli son obligation de remise en état, la dépollution induite par le changement d’usage postérieur ne lui incombe pas (Cass. civ. 3, 29 juin 2022, n° 21-17.502, FS-B N° Lexbase : A859178P)

Dans cette affaire, le propriétaire d’un site industriel cesse l’activité qu’il exploitait, qui relevait de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement. La préfecture lui enjoint de transmettre la proposition de l'usage futur du site, ainsi qu'un échéancier pour sa mise en sécurité. Le propriétaire obtient un permis de construire, visant la réhabilitation des bâtiments existants en vue d’activités essentiellement de bureaux, ateliers et stockage ; et une société spécialisée dans l’environnement est chargée d'effectuer une évaluation quantitative des risques sanitaires. Puis le site est vendu à un premier acquéreur. Les règles d’urbanisme changent, et la zone s’ouvre à l’habitation. Le premier acquéreur vend à un second, dont le projet, pour lequel il obtient un nouveau permis de construire, est la démolition de l'existant et la construction d'un immeuble de quatre-vingt-quatre logements, seize locaux à usage d'habitation et quatre bureaux.

En raison de l’importante pollution résiduelle sur le site, le nouveau propriétaire agit, tant sur le fondement de l’obligation de délivrance, que de la garantie des vices cachés, tout à la fois contre son vendeur et le propriétaire initial. La réponse de la Cour de cassation se fait sur deux plans.

Le problème se situe, tout d’abord, sur le plan de la législation environnementale quant à l’arrêt d’une activité polluante [12]. Les juges citent la règle codifiée désormais à l’article L. 512-6-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L0770LZK : « lorsqu’une installation autorisée avant le 1er février 2004 est mise à l'arrêt définitif, son exploitant place son site dans un état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts [protégés par le droit de l’environnement] et qu'il permette un usage futur du site déterminé conjointement avec le maire […] ». Ils invoquent, surtout, le I, alinéa 2 de l’article R. 512-39-4 du même Code N° Lexbase : L6107L7C : « en cas de modification ultérieure de l'usage du site, l'exploitant ne peut se voir imposer de mesures complémentaires induites par ce nouvel usage sauf s'il est lui-même à l'initiative de ce changement d'usage ». Par application pratiquement littérale, la Cour en vient donc à affirmer que, si le dernier exploitant a rempli l'obligation de remise en état qui lui incombe, au regard du droit de l'environnement et de l'usage futur du site défini conformément à la réglementation en vigueur, en l'espèce un usage déterminé avec le maire de la commune, le coût de dépollution supplémentaire résultant d'un changement d'usage par l'acquéreur est à la charge de ce dernier.

Mais la question vient se redoubler, sur le plan civil, de la dimension contractuelle entre vendeur et acquéreur. En cas de vente d’un immeuble pollué, la jurisprudence a pu retenir la garantie des vices cachés à la charge du vendeur [13]. Surtout, se basant sur les stipulations contractuelles, la jurisprudence a parfois condamné le vendeur à garantie, au titre de l’obligation de délivrance [14]. Le schéma était systématiquement le même : se méprenant sur la portée des travaux de dépollution diligentés dans le cadre de la législation ICPE, le rédacteur de la vente affirmait un peu vite qu’elle portait sur un « immeuble dépollué » ; et l’acquéreur avait beau jeu, alors, de reprocher une délivrance non conforme, en cas de découverte d’une pollution résiduelle.

En l’espèce, dans la première vente, le vendeur s'engageait, si une dépollution était nécessaire, à supporter les coûts qui seraient supérieurs à 200 000 euros. Mais les juges considèrent que cette clause n’est pas à entendre en un sens général, mais au regard des travaux prévus lors du premier permis de construire. Ceux-ci n’appelant pas un complément de dépollution, la clause se trouvait sans objet. D’autre part, la garantie des vices cachés est écartée : un diagnostic de pollution avait été annexé à la première vente, qui, s’il ne permettait pas de chiffrer le coût des travaux nécessaires, révélait néanmoins l'ampleur de la pollution – de sorte que le vice, apparent, ne relevait pas de la garantie des vices cachés.

9. Assainissement individuel défectueux et garantie des vices cachés (Cass. civ. 3, 29 juin 2022, n° 16-26.751, F-D N° Lexbase : A061179I).

En l’espèce, une vente a été annulée par les juges du fond, au motif que le système d'assainissement de la maison est affecté d'un vice, non décelable avant la vente, rendant le bien impropre à son usage. Ils estiment que les acheteurs n'auraient pas acquis le bien s'ils avaient connu ce vice, compte tenu du coût des travaux nécessaires pour y remédier par rapport au prix d'achat. À l’époque des faits, la solution relevait du seul droit commun. L’article 1641 du Code civil N° Lexbase : L1743AB8 pose le principe de la garantie des vices cachés par le vendeur. Ce texte est toutefois supplétif, et il est possible de stipuler une absence de garantie, si le vendeur n’est pas de mauvaise foi, et s’il n’est pas un professionnel de l’immobilier.

En conséquence de quoi, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel, pour défaut de réponse à conclusions, en ne s’expliquant pas sur la mise à l’écart de la clause d'exclusion de garantie des vices cachés contenue dans l'acte de vente. Il convient toutefois de préciser que, en droit positif, la solution serait désormais inverse. De la conjonction de l’article L. 271-4 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L6845L7N et de l’article L. 1331-11-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L6769L7T, il résulte que le vendeur ne peut s’exonérer de la garantie des vices cachés, en cas de vente d'un bien immobilier non raccordé au réseau collectif d'assainissement des eaux usées, s’il ne produit un diagnostic spécifique.

10. Terme extinctif ou suspensif de la promesse synallagmatique de vente (Cass. civ. 3, 29 juin 022, n° 21-17.944, F-D N° Lexbase : A071879H).

Une promesse synallagmatique de vente est conclue sous diverses conditions suspensives, la réitération de la vente étant fixée au plus tard le 21 juin 2019. Le 25 juin 2019, donc quatre jours après le terme, l’acquéreur informe le vendeur de son intention de finaliser la vente. Ce dernier refuse, s’estimant libéré de son engagement, en raison du dépassement du délai prévu à la promesse. La Cour de cassation, se retranchant derrière l’appréciation des juges du fond, considère que, eu égard aux stipulations de la promesse, il convenait de considérer que, une fois les conditions suspensives réalisées, la date prévue pour la régularisation de l'acte authentique mentionnée à l'acte constituait non un délai extinctif, mais le point de départ à partir duquel l'une des parties pourrait obliger l'autre à s'exécuter.

La solution renoue avec la jurisprudence traditionnelle [15] : en matière de promesse synallagmatique, le principe est celui du terme suspensif – ce qui implique que le dépassement du délai n’entraîne pas la caducité de plein droit de la promesse [16]. Il est évidemment possible de stipuler expressément un terme extinctif. Mais encore faut-il une stipulation claire et expresse en ce sens. Ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

11. Financement obtenu hors délai et non-caducité de la promesse (Cass. civ. 3, 13 juillet 2022, n° 21-18.190, F-D N° Lexbase : A56588B8)

Une promesse de vente est signée le 15 juillet 2015, sous la condition suspensive d'obtention d'un prêt avant le 15 septembre 2015 ; la réitération de la vente devant intervenir au plus tard le 30 septembre 2015. La promesse contenait une clause, usuelle en pratique, selon laquelle « faute par l'acquéreur d'avoir informé le vendeur dans ce délai [du 15 septembre 2015], les présentes seront considérées comme nulles et de nul effet, une semaine après la réception par l'acquéreur d'une mise en demeure adressée par lettre recommandée par le vendeur d'avoir à justifier de l'obtention du ou des prêts susvisés ». Le 16 janvier 2019 – près de quatre ans plus tard ! – le vendeur envoie une sommation à l’acquéreur de justifier son financement. Le 23 janvier suivant – soit dans le délai d’une semaine prévu par la clause – l’acquéreur confirme avoir les fonds à disposition et demande la réitération de la vente.

Les juges du fond déclarent la vente caduque ; pour eux, à défaut de prorogation de la validité de la promesse, la renonciation des acquéreurs à la condition suspensive de prêt stipulée à leur seul profit devait intervenir au plus tard à la date limite pour la réitération de l'acte qui était fixée au 30 septembre 2015. Ceux-ci se fondent sur la jurisprudence récente de la Cour de cassation, selon laquelle le caractère non extinctif du délai fixé par la promesse de vente pour procéder à la signature de l’acte authentique de vente avait pour seule conséquence de permettre à l’une des parties d’obliger l’autre à s’exécuter si les conditions suspensives étaient réalisées à cette date, mais ne permettait pas à une partie de disposer d’un délai supplémentaire pour remplir ses obligations [17]. Dit autrement, l’obtention d’un prêt postérieurement à la date fixée pour la signature de l’acte authentique était sans incidence sur la caducité de la promesse, celle-ci pouvant, à partir de cette date, être invoquée par les deux parties.

Mais, en l’espèce, la solution de la Cour de cassation se révèle plus complexe. En effet, elle note la stipulation de la promesse qu'en cas de non-respect par l'acquéreur du délai prévu pour l'obtention du prêt, il appartenait au vendeur de lui adresser une mise en demeure d'avoir à justifier de cette obtention dans le délai d'une semaine, pour faire constater la caducité de la promesse. En conséquence de quoi, eu égard à la réponse rapide de l’acquéreur sur la sommation, la promesse n’était pas caduque. En effet, la solution précédente est à combiner avec une autre, s’agissant de la condition suspensive d’obtention d’un prêt, qui a parfois un fondement légal (C. consom., art. L. 312-16 N° Lexbase : L1346K7Y) : cette condition suspensive de financement, quand elle découle de la loi, est dans l'intérêt exclusif de l'acquéreur, qui seul peut se prévaloir des conséquences juridiques de la défaillance de la condition suspensive [18] – sauf à ce que le contrat aménage pour le vendeur la possibilité d’invoquer cette caducité, mais alors sous des contraintes qu’il convient d’apprécier strictement.

III. Responsabilité du notaire

12. Responsabilité du notaire pour ne pas avoir conseillé une condition suspensive (Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 21-12.345, F-D N° Lexbase : A7290777)

Une promesse de vente d’un immeuble est signée, en vue, pour les acquéreurs, d’y installer leur résidence principale et d’exploiter des gîtes. Le projet des acquéreurs se révèle impossible. Les vendeurs les assignent en paiement de la clause pénale. Les juges finissent par prononcer la nullité de la promesse, pour erreur sur les qualités substantielles. Les acquéreurs agissent alors en indemnisation contre le notaire, lui reprochant le séquestre d’un important dépôt de garantie pendant plusieurs années, outre le coût de la procédure judiciaire afin d’obtenir la nullité de la promesse.

Les juges du fond écartent la responsabilité du notaire, considérant que la promesse n’est qu'un acte préparatoire, et que les pièces usuelles pour la rédaction du compromis n'avaient pas permis de révéler l'impossibilité de réaliser le projet des acquéreurs.

La Cour de cassation affirme, tout d’abord, que le devoir de conseil du notaire s'apprécie au regard du but poursuivi par les parties et de leurs exigences particulières lorsque le praticien du droit en a été informé. La règle recouvre celle déjà formulée antérieurement, selon laquelle le notaire est tenu, dans l'exercice de son devoir de conseil, d'assurer l'efficacité des actes qu'il rédige et d'éclairer les parties sur les règles de droit applicables eu égard au but qu'elles poursuivent [19].  

Dès lors qu’il avait connaissance du projet des gîtes, la juridiction estime que le notaire était tenu de vérifier la faisabilité du projet dont dépendait l'efficacité de l'acte, ou de leur conseiller l'insertion d'une condition suspensive. L’affirmation n’est pas nouvelle. Ainsi, un notaire est jugé fautif de n’avoir pas conseillé à l’acquéreur d’un terrain, ou bien de stipuler une condition relative à sa constructibilité [20], ou bien de stipuler une condition suspensive d’obtention d’un permis de construire [21].

En l’absence de condition suspensive stipulée, la Cour estime que le notaire « aurait dû vérifier la faisabilité du projet ». Pour cette seconde branche de l’alternative, la solution s’inspire de la jurisprudence antérieure selon laquelle le notaire doit vérifier, par toutes investigations utiles, spécialement lorsqu'il existe une publicité légale aisément accessible, les éléments qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l'efficacité de l'acte qu'il dresse [22]. Cette seconde option laisse toutefois dubitatif s’agissant de la promesse de vente, sauf à augmenter sensiblement son délai de réception – alors que la pratique, au contraire, demande une célérité de rédaction. Qui plus est, les documents d’urbanisme des communes ne sont pas toujours aisément accessibles en ligne. De sorte que cette seconde option a vocation à être de pure forme : en cas de doute, hypothèse la plus probable, il convient plutôt de conseiller l’insertion d’une condition suspensive.

13. Frais bancaires en pure perte pour une vente avortée (Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 20-20.010, F-D N° Lexbase : A738177I)

Sur le plan juridique, l’affaire est une réaffirmation du principe classique de la responsabilité du notaire : le notaire est tenu de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité des actes auxquels il prête son concours. En l’espèce, le notaire a demandé le déblocage du prix d’achat auprès de la banque, pour s’apercevoir, après coup, que le montant des hypothèques, et surtout le refus de mainlevée partielle du créancier, empêchaient l’opération. Par suite, il est jugé responsable des frais bancaires exposés en pure perte par l’acquéreur.

Le fait mérite d’être noté. La pratique de rédaction à « flux tendu » conduit souvent à transmettre la demande de fonds à l’acquéreur sans avoir réellement vérifié toutes les pièces du dossier, pour ne les examiner en détail que lors de la rédaction, postérieure. Il faut y prendre garde, puisque le notaire peut être jugé responsable en cas de préjudice. 


[1] Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 11-15.569, F-P+B+I N° Lexbase : A1199IIA.

[2] Cass. civ. 3, 20 avril 2022, n° 21-12.087, F-D N° Lexbase : A49737UQ.

[3] Cass. civ. 1, 26 septembre 2019, n° 18-21.402, F-D N° Lexbase : A0437ZQA.

[4] Cass. civ. 1, 22 juin 1976, n° 74-14889, publié au bulletin N° Lexbase : A5709CIB.

[5] Cass. civ. 1, 12 décembre 2018, n° 17-14.009, F-D N° Lexbase : A6960YQT.

[6] Cass. civ. 3, 09 février 2011, n° 09-71.498, FS-P+B N° Lexbase : A7282GWM

[7] Cass. civ. 3, 20 juin 2019, n° 18-10.516, F-D N° Lexbase : A2920ZGA.

[8] Cass. civ. 2, 17 mai 1983, n° 82-10.423, publié au bulletin N° Lexbase : A8628CHZ.

[9] Cass. civ. 3, 24 novembre 2021, n° 20-14.003, F-D N° Lexbase : A50247DG.

[10] Cass. civ. 3, 15 février 2006, n° 05-11.263, FS-D N° Lexbase : A9890DMA.

[11] Cass. civ. 1, 23 novembre 2004, n° 02-18.101, F-D N° Lexbase : A0268DEN.

[12] Sur la question, SERDEAUT, Droit des ICPE, Le Moniteur, 2022, p. 71 et s.

[13] Par exemple, Cass. civ. 1, 14 octobre 2015, n° 14-15.143, F-D N° Lexbase : A5926NTN, Cass. civ. 3, 29 juin 2017, n° 16-18.087, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7179WLH.

[14] Cass. civ. 3, 29 février 2012, n° 11-10.318, FS-P+B N° Lexbase : A8718IDA.

[15] C. Sévely-Fournié, Le sort de la promesse synallagmatique de vente à l'échéance du terme convenu pour la signature de l'acte authentique, JCP N, juin 2009, n° 25, 1209.

[16] Cass. civ. 3, 18 février 2009, n° 08-10.677, FS-P+B N° Lexbase : A2692ED3.

[17] Cass. civ. 3, 4 février 2021, n° 20-15.913, F-D N° Lexbase : A01444GG.

[18] Cass. civ. 3, 27 octobre 2016, n° 15-23.727, F-D N° Lexbase : A3226SCH.

[19] Cass. civ. 3, 6 octobre 2016, n° 14-23.375, F-D N° Lexbase : A4427R74.

[20] Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-14.361, F-D N° Lexbase : A55303TY.

[21] Cass. civ. 1, 13 mars 2019, n° 18-11.240, F-D N° Lexbase : A0263Y4I.

[22] Cass. civ. 1, 12 mai 2011, n° 10-17.602, F-D N° Lexbase : A1228HRW.

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