La lettre juridique n°917 du 22 septembre 2022 : Bancaire

[Jurisprudence] TEG erroné : rappel des obligations du banquier et sanctions applicables

Réf. : Cass. civ. 1, 7 septembre 2022, n° 21-16.646, F-B N° Lexbase : A18868HC

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N2613BZS

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par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences HDR, Université de Strasbourg

le 21 Septembre 2022

Mots-clés : taux effectif global (TEG) • coût de l’assurance • TEG erroné • sanction • substitution du taux légal • déchéance du droit aux intérêts    

La banque doit s’informer auprès du souscripteur du coût de l’assurance avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entre impérativement.

Par ailleurs, la demande en annulation d’une stipulation d’intérêts avec substitution du taux légal tend aux mêmes fins que celle en déchéance du droit aux intérêts dès lors qu’elles visent à priver le prêteur de son droit à des intérêts conventionnels. Il est donc possible pour l’emprunteur de demander en appel la seconde sanction, alors que devant les premiers juges il avait demandé la première.


 

Le taux effectif global (TEG) reflète le « coût réel » du crédit. Il comprend nécessairement les intérêts conventionnels, auxquels s’ajoute l’ensemble des frais dont la dépense est rendue nécessaire pour l’obtention du crédit, du moment que ceux-ci sont déterminables au jour de l’offre.

Il est cependant bien connu que, depuis plusieurs années, la première chambre civile de la Cour de cassation se montre particulièrement rigoureuse à l’égard des actions menées par les clients pour des manquements liés au taux effectif global, et notamment son caractère erroné. Les magistrats refusent ainsi, depuis 2014, toute action en justice si la différence (c’est-à-dire l’écart) entre le taux annoncé et le taux réel est inférieure à une décimale [1].

Pour autant, toutes les décisions rendues en la matière ne sont pas hostiles à l’emprunteur. L’arrêt rendu le 7 septembre 2022 par cette même première chambre civile en témoigne.

En l’espèce, par acte sous seing privé du 9 juin 2009, la société Caisse d’épargne de Bourgogne-Franche-Comté (la banque) avait consenti à la SCI Mermoz (la SCI) un prêt immobilier remboursable en deux cent quarante mensualités et au taux effectif global (TEG) de 4,70 % l’an.

Or, soutenant que ce taux était irrégulier en raison de l’absence de prise en compte des cotisations d’une assurance décès-invalidité à laquelle la banque avait subordonné l’octroi du prêt, la SCI avait assigné celle-ci en nullité de la stipulation d’intérêts et en substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel. Toutefois, en appel, elle avait demandé la déchéance du droit aux intérêts de la banque.

Deux observations s’imposent ici. D’une part, il est acquis de longue date que les frais liés à une assurance jugée obligatoire par le banquier pour pouvoir bénéficier du crédit doivent nécessairement être pris en compte pour le calcul du TEG. Cette solution s’impose de la même façon lorsqu’il s’agit des frais de souscription d’une assurance décès-invalidité [2].

D’autre part, la substitution de sanction demandée n’est pas plus surprenante. Par plusieurs arrêts remarqués, la Cour de cassation a indiqué que la seule sanction applicable au TEG erroné, quelle que soit la nature du crédit, était la déchéance du droit aux intérêts modulable par le juge [3]. Cette solution revient ainsi à appliquer de façon rétroactive la règle issue de l’ordonnance n° 2019-740, du 17 juillet 2019, relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du TEG N° Lexbase : L1483LRD [4].

En l’occurrence, la cour d’appel de Dijon s’était prononcée par un arrêt du 11 février 2021 [5] donnant objectivement raison à l’établissement de crédit.

La SCI avait alors formé un pourvoi en cassation contre ce dernier. La banque, pour sa part, avait formé un pourvoi incident.

En premier lieu, cette dernière faisait grief à l’arrêt d’avoir déclaré la SCI recevable, alors qu'à peine d’irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer la compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait, « sauf si ces nouvelles prétentions tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, ou qu'elles en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément ». Dès lors, pour le prêteur, en déclarant ici la SCI recevable, la cour d’appel aurait violé les articles 564 N° Lexbase : L0394IGP, 565 N° Lexbase : L6718H7X et 566 N° Lexbase : L7234LEN du Code de procédure civile.

La Cour de cassation ne se montre cependant pas sensible à ce moyen.

Celle-ci rappelle que selon l’article 564 du Code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer la compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Elle ajoute qu’aux termes de l’article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent. Or, pour la Haute juridiction, « la demande en annulation d'une stipulation d'intérêts avec substitution du taux légal tend aux mêmes fins que celle en déchéance du droit aux intérêts dès lors qu'elles visent à priver le prêteur de son droit à des intérêts conventionnels ». Le moyen, qui soutenait le contraire, n'est donc pas jugé fondé.

Cette solution emporte notre conviction. Ici, la substitution d’une sanction par l’autre tend, objectivement, aux mêmes fins. Ces deux sanctions sont d’ailleurs quasi-similaires lorsque, pour la déchéance du droit aux intérêts, le juge décide de la prononcer de façon pleine et entière (situation cependant peu vraisemblable aujourd’hui).

En second lieu, la SCI faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Dijon d’avoir rejeté ses demandes, alors qu'il appartient à la banque, qui subordonne l’octroi d’un crédit immobilier à la souscription d’une assurance, de s'informer auprès du souscripteur du coût de celle-ci avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entre impérativement. Dès lors, en reprochant à l’emprunteur de ne pas avoir rapporté la preuve qu’à la date de l'édition de l'offre de prêt, la banque avait connaissance du montant de la cotisation d'assurance invalidité-décès et en se retranchant derrière la circonstance que l’attestation d’assurance et le courrier de l’assureur adressés postérieurement à l'édition de l’offre en question ne donnaient aucune précision quant au coût de l'assurance invalidité-décès, « quand il incombait à l'établissement prêteur de s'enquérir de ce coût avant de déterminer le taux effectif global », la cour d'appel aurait violé, selon la SCI, les articles L. 312-8 N° Lexbase : L1354K7B et L. 313-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L3398KZY, dans leur rédaction alors applicable.

La Haute juridiction donne ici raison à ce moyen et casse la décision des juges du fond.

Elle considère en effet qu’il résulte de l’ancien article L. 313-1 du Code de la consommation, que, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels, « mais que le taux effectif global d'un prêt immobilier ne comprend pas les frais liés aux garanties qui assortissent le prêt, lorsque leur montant ne peut être connu avant la conclusion du contrat ».

Or, pour dire que le coût de l’assurance décès-invalidité n’avait pas à être inclus dans le calcul du taux effectif global, les magistrats dijonnais avaient retenu que la SCI ne rapportait pas la preuve qu'à la date de l'acte de prêt, la banque avait connaissance du montant de la cotisation d'assurance invalidité décès, que celle-ci avait produit une attestation d'assurance de prêt établie le 12 juin 2009 par l'assureur et une lettre adressée le 16 juin 2009 à la banque par l'assureur, lesquelles ne donnaient aucune précision sur le montant des primes d'assurance et que le coût de cette assurance ne pouvait être indiqué avec précision antérieurement à la signature du prêt.

Dès lors, en se déterminant ainsi, « sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la banque s’était informée auprès du souscripteur du coût de l'assurance avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entrait impérativement », la cour d'appel n’avait pas donné de base légale à sa décision.

Ici encore, la solution nous paraît convaincante. En effet, à plusieurs reprises [6], la Haute juridiction a pu déclarer que c’est au prêteur qu’il revient de démontrer que les frais concernés, non pris en compte dans le calcul du TEG, n’étaient pas déterminables au jour de la conclusion du prêt.

Une précision notable nous est donc donnée ici. Concernant les frais d’assurance, il est attendu de la banque qu’elle s’informe auprès du souscripteur à propos du montant en question. À défaut de démontrer qu’elle a agi de la sorte, elle ne pourra pas alléguer que le coût de cette assurance ne pouvait être indiqué avec précision antérieurement à la signature du prêt. Dit autrement, la banque se doit d’être active dans sa recherche. Voilà une précision bienvenue à une époque où il est de plus en plus facile d’aller cherche son assurance-emprunteur ailleurs !

 

[1] V. par ex., Cass. civ. 1, 1er octobre 2014, n° 13-22.778, F-D N° Lexbase : A7984MXY Cass. civ. 1, 26 novembre 2014, n° 13-23.033, F-D N° Lexbase : A5275M47 – Cass. civ. 1, 9 avril 2015, n° 14-14.216, F-D N° Lexbase : A5196NGK – Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n° 15-24.607, FS-P+B N° Lexbase : A5583TAZ – Cass. com., 18 mai 2017, n° 16-11.147, F-P+B+I N° Lexbase : A2749WD8.

[2] V. par ex., Cass. civ. 1, 31 janvier 2018, n° 16-22.945, F-D N° Lexbase : A4830XCU – Cass. civ. 1, 27 mars 2019, n° 17-28.791, F-D N° Lexbase : A7270Y7E – Cass. civ. 1, 30 mars 2022, n° 20-18.861, F-D N° Lexbase : A07197SG ou ceux d’une assurance-incendie (v. par ex., Cass. civ. 1, 13 novembre 2008, n° 07-17.737, F-P+B N° Lexbase : A2325EBQ – Cass. civ. 1, 11 décembre 2019, n° 18-23.142, F-D N° Lexbase : A1548Z8T – CA Colmar, 30 mars 2022, n° 19/05190 N° Lexbase : A46167SR).

[3] Cass. civ. 1, 10 juin 2020, n° 18-24.287, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A54113NG, D., 2020, p. 1441, note J.-D. Pellier ; G. Biardeaud, Lexbase Affaires, juin 2020, n° 640 N° Lexbase : N3804BYK ; Gaz. Pal., 28 juillet 2020, n° 28, p. 23, note J. Lasserre Capdeville ; AJ Contrat, août-septembre 2020, n° 8/9, p 387, obs. F. Géranguer ; LEDB, juillet 2020, n° 113g7, p. 5, obs. J. Lasserre Capdeville ; RDI, 2020, p. 448, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ Contrat, 2020, p. 387, obs. F. Guéranger ; RTD com., 2020, p. 693 ; obs. D. Legeais ; Banque et droit, septembre-octobre 2020, n° 193, p. 28, obs. Th. Bonneau ; RD banc. fin., septembre-octobre 2020, comm. 100, obs. N. Mathey ; Gaz. Pal., 20 octobre 2020, n° 36, p. 51, note A. Gouëzel – Cass. com., 24 mars 2021, deux arrêts, n° 19-14.307 et n° 19-14.404, FS-P [N° Lexbase : A66854MK, JCP E, 2021, n° 25, 1325, note J. Lasserre Capdeville ; LEDB, mai 2021, p. 2, obs. S. Piédelièvre ; J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, avril 2021, n° 671 N° Lexbase : N7061BY8 – Cass. com., 19 mai 2021, n° 19-18.605 F-D N° Lexbase : A80894SE.

[4]  J. Lasserre Capdeville, Nouvel encadrement légal des sanctions civiles applicables en matière de taux effectif global, Lexbase Affaires, septembre 2019, n° 604 N° Lexbase : N0196BYW.

[5] CA Dijon, 11 février 2021, n° 18/01578 N° Lexbase : A55534GR.

[6] Cass. civ., 1, 14 octobre 2015, n° 14-24.582, F-D N° Lexbase : A5915NTA – Cass. civ. 1, 10 novembre 2021, n° 20-14.382, F-D N° Lexbase : A74217BH.

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