La lettre juridique n°917 du 22 septembre 2022 : Licenciement

[Jurisprudence] Absence d’obligation d’information du salarié de son droit de demander des précisions sur les motifs du licenciement

Réf. : Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-22.220, FS-B N° Lexbase : A859378R

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N2602BZE

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par Alexandre Barège, Maître de conférences à l’Université de Lille, membre du LEREDS (CRDP), Avocat au Barreau de Lille

le 21 Septembre 2022

Mots clés : lettre de licenciement • motivation • notification • demande de précisions

Il résulte de l'article L. 1235-2 du Code du travail N° Lexbase : L1316LTW, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN et de l'article R. 1232-13 N° Lexbase : L6228LH7 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017 N° Lexbase : L6195LHW, qu'aucune disposition n'impose à l'employeur d'informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés.


L’employeur est-il débiteur d’une obligation d’informer le salarié licencié de son droit de demander des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement ? C’est à cette question que répond pour la première fois la Chambre sociale de la Cour de cassation dans son arrêt du 29 juin 2022. En l’espèce, une salariée a été licenciée pour faute grave pour avoir adopté un comportement et tenu des propos déplacés à l’égard de quatre collaborateurs de nature à mettre en péril leur santé psychique et à dégrader leurs conditions de travail. La salariée a saisi le conseil de prud’hommes en soutenant que la lettre de licenciement n’était pas suffisamment motivée de sorte que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle a en outre formulé une demande indemnitaire en faisant valoir que l’employeur ne l’avait pas informée de la possibilité de demander des précisions sur les motifs de la rupture. Les juges du fond l’ayant déboutée de ses demandes, la salariée a formé un pourvoi en cassation. Pour le rejeter, la Chambre sociale de la Cour de cassation retient « qu’aucune disposition n’impose à l’employeur d’informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés ». Elle considère ensuite que le motif de licenciement était précis et matériellement vérifiable de sorte que la lettre de licenciement répondait à l’exigence légale de motivation. Par cet arrêt, la Chambre sociale de la Cour de cassation ne conteste pas que le salarié dispose d’un droit de demander des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement (I.). Elle précise toutefois que l’employeur n’est pas débiteur d’une obligation d’informer le salarié de ce droit (II.). Une incertitude que le pouvoir règlementaire lui-même avait créée est ainsi levée.

I. Le droit de demander des précisions

Les règles relatives à l’information du salarié sur les motifs du licenciement ont régulièrement évolué depuis l’instauration de la cause réelle et sérieuse par la loi n° 73-680 du 13 juillet 1973 [1]. L’article 24 de cette loi disposait que « l’employeur est tenu, à la demande écrite du salarié, d’énoncer la ou les causes réelles et sérieuses du licenciement ». Le salarié disposait alors d’un délai de 10 jours à compter de la date à laquelle il avait quitté effectivement son emploi pour demander l’énonciation de la ou des causes réelles et sérieuses du licenciement, à charge pour l’employeur de lui répondre dans les 10 jours après la présentation de la lettre du salarié [2].

Dans son arrêt « Janousek » du 25 octobre 1976, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait retenu que l’employeur avait l’obligation légale de porter à la connaissance du salarié les causes réelles et sérieuses du licenciement si celui-ci en avait fait la demande dans les délais impartis. Faute pour l’employeur d’apporter les précisions requises, il était réputé, de manière irréfragable, ne pas avoir de cause réelle et sérieuse [3].

Par la suite, avec la loi n° 86-1320 du 30 décembre 1986, le législateur a imposé que l’employeur énonce le ou les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement [4]. Les juges ont alors considéré que l’énonciation de motifs imprécis, et à plus forte raison l’absence d’énonciation de motifs, rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse [5].

Soucieux de sécuriser les employeurs, et notamment les employeurs individuels ou les petites entreprises qui n’ont pas toujours les moyens d’être conseillés, le législateur a instauré un dispositif permettant de préciser les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. Désormais, l’article L. 1235-2 du Code du travail N° Lexbase : L1316LTW, dans sa version modifiée par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN, prévoit que « les motifs énoncés dans la lettre de licenciement […] peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l’employeur, soit à son initiative, soit à la demande du salarié ». Il est ensuite prévu que « la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement ». Sans aucun doute possible, il existe donc un droit d’apporter des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. L’employeur peut prendre l’initiative de cette précision sans avoir reçu de demande préalable du salarié. Le salarié qui estime ne pas être suffisamment informé sur les raisons de la rupture de son contrat de travail peut également demander des précisions. Le texte est néanmoins clair : il s’agit de préciser « les motifs énoncés dans la lettre de licenciement » et non pas d’apporter pour la première fois les motifs du licenciement ou d’ajouter un nouveau motif. En effet, pour qu’un licenciement ait une cause réelle et sérieuse, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur [6].

La précision sur les motifs n’est pas l’énonciation des motifs qui doit quant à elle exister dès l’origine, ni l’insertion d’un nouveau motif qui n’était pas présent dans la lettre de notification [7]. En termes de conséquence, il y a d’ailleurs une différence notable : l’absence d’énonciation des motifs du licenciement rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre simplement droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire [8]. Telle est du moins la solution à retenir « à défaut pour le salarié d’avoir formé auprès de l’employeur une demande » de précision. Le Code du travail reste toutefois silencieux dans l’hypothèse où le salarié demande des précisions et n’obtient pas de réponse. Dans une telle situation, on peut se demander si l’imprécision du motif du licenciement rend celui-ci sans cause réelle et sérieuse ou s’il ouvre simplement droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire. L’article L. 1235-2 du Code du travail prévoit que l’indemnité ne pouvant excéder un mois de salaire s’applique en l’absence de demande de précision. On peut alors penser que si le salarié formule une demande de précision et qu’il reste sans réponse, l’imprécision de la lettre de licenciement doit conduire à l’absence de cause réelle et sérieuse. Dans son questions-réponses sur la rupture du contrat de travail, du mois de juillet 2020, le ministère du Travail indique d’ailleurs que : « si vous êtes employeur, vous avez intérêt à préciser votre lettre de licenciement si vous vous rendez compte après son envoi qu’il manque un ou plusieurs éléments essentiels à sa motivation. Vous avez également intérêt à préciser la lettre initiale si le salarié en fait la demande afin de limiter le risque d’annulation ou de condamnation à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de contentieux » [9].

Pour ce qui concerne les délais applicables à la demande de précision, les règles sont fixées par l’article R. 1232-13 du Code du travail N° Lexbase : L6228LH7, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017 N° Lexbase : L6195LHW :  le salarié dispose d’un délai de 15 jours suivant la notification du licenciement pour demander à l’employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. L’employeur dispose quant à lui d’un délai de 15 jours après la réception de la demande du salarié pour apporter des précisions s’il le souhaite. Apporter des précisions est donc une faculté. L’employeur peut manifestement décider de ne pas répondre au salarié, au risque d’être condamné en cas d’imprécision de la lettre de licenciement. S’il prend l’initiative de la précision, il peut le faire dans un délai de 15 jours suivant la notification du licenciement. Si l’employeur a indéniablement le droit d’apporter des précisions et le salarié d’en demander, il n’existe aucune obligation d’information du salarié sur l’existence de ce droit.

II. L’absence d’obligation d’information

Dans l’arrêt commenté, après avoir rappelé les dispositions légales et réglementaires évoquées précédemment, la Chambre sociale de la Cour de cassation prend position pour la première fois sur le caractère facultatif ou obligatoire de l’information du salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés. La réponse de la Haute juridiction ne laisse planer aucun doute sur la solution : « aucune disposition n’impose à l’employeur d’informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés ». Il est vrai que les dispositions légales et réglementaires relatives à la précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement ne prévoient aucunement cette obligation d’information. Il n’y avait donc pas de raison d’ajouter une obligation d’information à la charge de l’employeur alors même que les textes ne la prévoient pas. Pour autant, la solution n’était pas nécessairement si évidente que cela.

Il faut se souvenir que pour sécuriser les relations de travail, le législateur a souhaité instaurer des modèles de lettre de licenciement que les employeurs peuvent utiliser, sans que cela ne soit impératif. Ainsi, l’article L. 1232-6 du Code du travail N° Lexbase : L1447LKS, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN, prévoyait qu’« un décret en conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article et fixe les modèles que l’employeur peut utiliser pour procéder à la notification du licenciement ». Ces modèles de lettre de licenciement mis à la disposition des employeurs figurent en annexe du décret n° 2017-1820 du 29 décembre 2017 N° Lexbase : L8038LH8. Le dernier alinéa de l’article L. 1232-6 du Code du travail N° Lexbase : L1447LKS précisait ensuite que « les modèles rappellent en outre les droits et obligations de chaque partie ». Or, chacun d’eux se termine par le même paragraphe : « vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous avons la faculté d'y donner suite dans un délai de quinze jours après réception de votre demande, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous pouvons également, le cas échéant et dans les mêmes formes, prendre l'initiative d'apporter des précisions à ces motifs dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement ». Certes, la possibilité pour le salarié de demander des précisions est un droit du salarié. Tel n’est évidemment pas le cas de la possibilité pour l’employeur de préciser les motifs du licenciement de sa propre initiative. On peut alors se demander si cette mention finale des modèles de lettre ne renvoie pas à une obligation de l’employeur : celle d’informer le salarié de son droit de demander des précisions sur les motifs de la lettre de licenciement et de l’informer que l’employeur lui-même peut apporter des précisions.

Le législateur semble avoir pris conscience des incertitudes générées par le dernier alinéa de l’article L. 1232-6 du Code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, puisque la loi de ratification du 29 mars 2018 l’a purement et simplement supprimé [10]. Pour les licenciements notifiés postérieurement au 18 décembre 2017 [11] jusqu’au 1er avril 2018 (date d’entrée en vigueur de la loi du 29 mars 2018), le doute était alors permis : ne fallait-il pas considérer que l’information du salarié sur la possibilité d’obtenir des précisions était une obligation pour l’employeur ? Dans l’arrêt commenté, le licenciement avait justement été notifié le 2 février 2018. La Cour de cassation lève toute ambiguïté et adopte une solution conforme à celle retenue par le ministère du Travail dans le questions-réponses sur la rupture du contrat de travail. À la question « l’ensemble des mentions contenues dans ces modèles (de lettres de licenciement) doit-il obligatoirement figurer dans une lettre de licenciement ? », la réponse suivante est apportée : « ces modèles rappellent les droits et obligations de chacune des parties. Plusieurs mentions ont ainsi un rôle informatif et ne sont pas obligatoires. Il en est ainsi de la procédure de précision des motifs qui ne doit pas impérativement apparaître dans une lettre de licenciement. En revanche, les mentions relatives au motif du licenciement sont des mentions obligatoires sur lesquelles le juge se fondera pour apprécier la validité du licenciement, en cas de contentieux » [12].

Les conséquences pratiques de l’arrêt commenté ne seront probablement pas nulles. Les employeurs avaient souvent pris le parti de conclure les lettres de licenciement par une formule similaire à celle reprise dans les modèles de lettre proposés par le décret du 29 décembre 2017. Cette formule permettait aux salariés licenciés d’être pleinement informés de leurs droits. Dans le prolongement de l’arrêt commenté, on peut penser que la majorité des employeurs qui reprenaient la formule d’information dans les lettres de licenciement ne le feront plus à l’avenir. En conséquence, même si « nul n’est censé ignorer la loi », il est probable que bon nombre de salariés n’exerceront pas ce droit faute d’en connaître l’existence. En cas d’imprécision de la lettre de licenciement, cette absence de demande de précision du salarié sera alors salvatrice pour l’employeur qui échappera à une condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et s’exposera simplement à une condamnation à une indemnité d’un montant maximum d’un mois de salaire.


[1] Loi n° 73-680 du 13 juillet 1973, modifiant le Code du travail en ce qui concerne la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée N° Lexbase : L3576H3T.

[2] Décret n° 73-808 du 10 août 1973, fixant les modalités d'application du paragraphe 1 bis du chapitre II du titre II du livre Ier du Code du travail, relatif à la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée, art. 3.

[3] Cass. soc., 20 octobre 1976, n° 75-40.659, publié N° Lexbase : A1120CKP.

[4] Loi n° 86-1320 du 30 décembre 1986, relative aux procédures de licenciement, art. 3 N° Lexbase : L6184LER.

[5] Ass. plén., 27 novembre 1998, n° 96-44.358 N° Lexbase : A3017AGT, Cah. soc., janvier 1999, p. 3 ; Droit social, 1999, p. 13, concl. L. Joinet ; Cass. soc., 23 mai 2000, n° 98-40.633 N° Lexbase : A6679AHT ; Cass. soc., 27 juin 2018, n° 16-20.898, FS-P+B N° Lexbase : A5673XUN, Bull. civ. V, n° 121 ; Ch. Radé, De la précision du motif visé dans la lettre de licenciement, Lexbase Social, juillet 2018, n° 749 N° Lexbase : N4944BXE.

[6] C. trav., art. L. 1232-6 N° Lexbase : L1447LKS, L. 1233-16 N° Lexbase : L1445LKQ et L. 1233-42 N° Lexbase : L1443LKN.

[7] V. en ce sens, Min. Travail, Questions-réponses sur la rupture du contrat de travail, juillet 2020, p. 7 [en ligne].

[8] C. trav., art. L. 1235-2 N° Lexbase : L1316LTW.

[9] Min. Travail, Questions-réponses sur la rupture du contrat de travail, juillet 2020, préc., p. 7. V. égal., A. Fabre, Répertoire de droit du travail, Contrat de travail à durée indéterminée : rupture - licenciement - droit commun, avril 2020, § 260.

[10] Loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017, d'habilitation à prendre par ordonnance les mesures pour le renforcement du dialogue social N° Lexbase : L9253LIK, art. 11.

[11] Date d’entrée en vigueur du décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017, relatif à la procédure de précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement N° Lexbase : L6195LHW.

[12] Min. Travail, Questions-réponses sur la rupture du contrat de travail, juillet 2020, préc., p. 5.

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