La lettre juridique n°905 du 12 mai 2022 : Durée du travail

[Jurisprudence] Convention de forfait en heures : seul le salarié peut se prévaloir de sa nullité

Réf. : Cass. soc., 30 mars 2022, n° 20-18.651, FS-B

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N1410BZA

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par Emilie Durvin, Avocate au Barreau de Paris, Lepany & Associés

le 11 Mai 2022

Mots clefs : durée du travail • convention de forfait • convention de forfait en heures • nullité • personne pouvant l'invoquer • détermination • portée

La convention de forfait doit déterminer le nombre d'heures correspondant à la rémunération convenue entre les parties, celle-ci devant être au moins aussi avantageuse pour le salarié que celle qu'il percevrait en l'absence de convention, compte tenu des majorations pour heures supplémentaires.

À défaut de stipulations contractuelles, seul le salarié peut se prévaloir de la nullité de la convention de forfait en heures.


Le cadre juridique. L’article L. 3121-22 du Code du travail N° Lexbase : L6891K94, dans sa version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 N° Lexbase : L8436K9C, dispose que : « les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l'article L. 3121-10 N° Lexbase : L6903K9K, ou de la durée considérée comme équivalente, donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %.

Une convention ou un accord de branche étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir un taux de majoration différent. Ce taux ne peut être inférieur à 10 % ».

L’affaire. Un salarié saisit, le 30 septembre 2015, la juridiction prud'homale de diverses demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail. Son contrat de travail prévoyait un forfait mensuel de 198,67 heures, soit un volume mensuel de 47 heures supplémentaires. Estimant cependant que le salarié ne travaillait pas à hauteur de ce forfait, l’employeur avait décidé de ne pas payer l’intégralité des heures prévues par la convention. Le salarié demande le paiement de diverses sommes au titre des heures supplémentaires, des contreparties en repos obligatoires, des congés payés afférents, à titre de dommages-intérêts pour non-respect des temps de travail et pour travail dissimulé. Il soutient l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées, établie notamment par l'existence d'un forfait mensuel défini contractuellement et une rémunération inférieure au minimum conventionnel, soutient ne pas avoir bénéficié des contreparties obligatoires en repos, revendique l'existence d'un préjudice découlant du non-respect du temps de travail, revendiquant paiement de l'indemnité de travail dissimulé, conteste l'existence de faits de concurrence déloyale durant l'exécution du contrat de travail, sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer différentes sommes à titre de rappels de salaire sur heures supplémentaires et congés payés afférents, de contreparties obligatoires en repos et congés payés afférents, de dommages et intérêts pour non-respect des temps de travail, de dommages et intérêts pour travail dissimulé.

Le 24 mai 2016, le conseil de prud'hommes de Soissons déboute le salarié de l'ensemble de ses demandes et le condamne à payer à son employeur la somme de 7 500 euros au titre de

dommages et intérêts pour concurrence déloyale, celle de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Le 9 avril 2020, la cour d’appel d’Amiens [1] confirme ce jugement et le déboute de l'intégralité de ses demandes de rappel de salaire et repos compensateur. Elle retient qu’un employeur et un salarié peuvent contractualiser un volume d’heures supplémentaires en prévoyant dans le contrat le nombre et la rémunération correspondant à ces heures supplémentaires. Elle juge que le contrat ne définissant pas le nombre d’heures supplémentaires incluses dans la rémunération, les clauses du contrat sont irrégulières et ne sont pas applicables et qu'il convient de revenir à la législation applicable à la durée du travail. Elle constate que l’employeur justifie des horaires effectués par le salarié, bien souvent en deçà de la durée légale du travail, et notamment d'une moyenne hebdomadaire inférieure à la durée légale du travail et non de 47 heures. Elle en déduit que le salarié devait être rémunéré sur la base de 35 heures hebdomadaires, que les heures supplémentaires non rémunérées revendiquées n'ont pas été effectuées et déboute le salarié de sa demande de rappel de salaire sur heures supplémentaires et des congés payés afférents, ainsi que de sa demande de rappel sur contrepartie obligatoire en repos.

Le pourvoi. Au soutien de son pourvoi, le salarié soutient :

  • que la fixation par le contrat de travail d'une rémunération mensuelle fixe forfaitaire pour un nombre précis d'heures de travail caractérise une convention de forfait de rémunération, incluant un nombre déterminé d'heures supplémentaires, dont le salarié peut se prévaloir pour faire appliquer la règle selon laquelle « la rémunération du salarié ayant conclu une convention de forfait en heures est au moins égale à la rémunération minimale applicable dans l'entreprise pour le nombre d'heures correspondant à son forfait, augmentée des majorations pour heures supplémentaires prévues à l'article L. 3121-22 N° Lexbase : L6891K94 » ;
  • que seul le salarié peut se prévaloir de la nullité du forfait horaire inclus dans son contrat de travail  et qu’en constatant que le salarié se prévalait de l'existence d'un forfait horaire de 198,67 heures mensuelles prévues au contrat, mais que l'employeur lui opposait que la clause invoquée ne constituait pas une convention de forfait régulière et qu'en rejetant sa demande de rappel de salaire pour le nombre d'heures de travail convenu, au prétexte que les stipulations contractuelles étaient irrégulières et n'étaient pas applicables si bien qu'il convenait de revenir à la législation applicable à la durée du travail, la cour d'appel, qui lui a opposé des règles relevant de l'ordre public social édicté dans le seul souci de sa protection, a violé le principe susvisé, ensemble les articles L. 3122-22 et L. 3121-41 N° Lexbase : L6872K9E du Code du travail.

La cassation. La Chambre sociale casse l’arrêt de la cour d’appel, motif pris que seul le salarié peut se prévaloir de la nullité de la convention de forfait en heures.

La Chambre sociale indique qu’il résulte de l’article L. 3121-22 du Code du travail, dans sa version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et de l'article 1134 du Code civil N° Lexbase : L1234ABC, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK, que la rémunération au forfait ne peut résulter que d'un accord entre les parties et que la convention de forfait doit déterminer le nombre d'heures correspondant à la rémunération convenue, celle-ci devant être au moins aussi avantageuse pour le salarié que celle qu'il percevrait en l'absence de convention, compte tenu des majorations pour heures supplémentaires.

Elle juge que la fixation par le contrat de travail d'une rémunération mensuelle fixe forfaitaire pour 198,67 heures caractérise une convention de forfait de rémunération incluant un nombre déterminé d'heures supplémentaires.

Elle juge qu’ayant relevé que l'employeur ayant opposé que la clause invoquée ne constitue pas une convention de forfait régulière dans la mesure où elle fixe une rémunération forfaitaire sans définir le nombre d'heures supplémentaires incluses dans cette rémunération afin d’écarter l’application de la rémunération forfaitaire, et la cour d’appel en ayant déduit que les clauses du contrat sont irrégulières et qu'il convenait de revenir à la législation applicable à la durée du travail, avant de relever que les bulletins de salaire mentionnent un volume horaire de 198,67 heures mensuelles, soit quarante-sept heures supplémentaires, la cour a violé l’article L. 3121-22 du Code du travail.

La Cour de cassation précise que :

« seul le salarié peut se prévaloir de la nullité de la convention de forfait en heures ».

La cour d’appel ne pouvait donc pas trancher la question de la régularité de la convention de forfait, car celle-ci avait été invoquée par l’employeur, et non par le salarié.

Comme le rappelait le salarié, les règles d’ordre public social édictées dans le seul souci de sa protection ne peuvent lui être opposées.

La Cour a cassé l’arrêt en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Douai.

I. L’existence d’une convention de forfait en heures hebdomadaire ou mensuel

Le forfait en heures sur une base hebdomadaire ou mensuelle est une convention écrite entre l'employeur et le salarié, qui fixe un nombre global d'heures de travail à effectuer sur la semaine ou le mois (C. trav., art. L. 3121-55 N° Lexbase : L6644K9X et L. 3121-56 N° Lexbase : L6645K9Y).

Le forfait peut intégrer un volume d'heures supplémentaires.

La rémunération forfaitaire s'entend d'une rémunération convenue entre les parties au contrat soit pour un nombre déterminé d'heures supplémentaires soit pour une durée de travail supérieure à la durée légale [2].

La durée du travail de tout salarié peut être fixée par une convention individuelle de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois.

Si la possibilité de conclure une convention de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois n'est pas subordonnée à l'existence d'une convention ou d'un accord collectif, la conclusion d'une convention individuelle de forfait requiert l'accord du salarié. La convention est établie par écrit (C. trav., art. L. 3121-55).

En outre, même si la convention individuelle de forfait n’est pas subordonnée à l’existence de dispositions conventionnelles l’autorisant, si un accord collectif subordonne l’application du forfait à des conditions spécifiques, celles-ci doivent être respectées. Il n’est pas possible d’y déroger même avec l’accord du salarié.

La convention de forfait doit assurer au salarié une rémunération au moins égale à la rémunération minimale applicable dans l'entreprise pour le nombre d'heures correspondant à son forfait, augmentée des majorations pour heures supplémentaires [3].

La rémunération du salarié doit donc être au moins égale à celle qu’il aurait perçue sans cette convention.

Il appartient à l'employeur qui se prévaut de l'existence d'une convention de forfait d'en apporter la preuve [4].

Si le salarié ne réalise pas toutes les heures prévues au forfait, l’employeur doit cependant régler l’intégralité du forfait.

II. La fixation du nombre d'heures

La validité d'une convention de forfait suppose que soit connu le forfait d'heures que les parties ont retenu au moment de la convention [5].

La demande du salarié en paiement d'heures supplémentaires ne peut être rejetée au seul motif que la convention de forfait prévoit le versement d'un salaire mensuel brut qui dépasse nettement la rémunération minimale. Le nombre d'heures effectivement accomplies par le salarié doit être recherché [6].

La seule fixation d'une rémunération forfaitaire, sans que soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires inclus dans cette rémunération, ne permet pas de caractériser une convention de forfait [7].

La seule référence à la durée hebdomadaire maximale de travail au cours d'une même semaine, sans que soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires inclus dans la rémunération convenue, ne permet pas de caractériser une convention de forfait [8].

Si le salarié effectue des heures au-delà du forfait, elles sont décomptées et payées au taux majoré [9] ; ces heures hors forfait s’imputent sur le contingent annuel d’heures supplémentaires et ouvrent droit à la contrepartie obligatoire en repos si le contingent est dépassé.

Le bulletin de paie doit mentionner la nature et le volume du forfait auquel se rapporte le salaire des salariés dont la rémunération est déterminée sur la base d’un forfait hebdomadaire ou mensuel en heures, d’un forfait annuel en heures ou en jours.

III. La sanction d'une convention de forfait illicite

Lorsque la convention de forfait contenue dans le contrat de travail ne remplit pas les conditions de validité précitées, le salarié peut demander un rappel de salaire correspondant aux heures supplémentaires effectuées [10].

La Cour de cassation a affiné son approche et s’est attachée à préciser les conséquences financières pour l’employeur lorsqu’une convention de forfait est déclarée inopposable.

Les juges du fond doivent vérifier si la rémunération contractuelle versée par l'employeur en exécution du forfait irrégulier n'a pas eu pour effet d'opérer paiement, fût-ce partiellement, des heures de travail accomplies au-delà de la trente-cinquième heure dans le cadre du décompte de droit commun de la durée du travail. Autrement dit, les juges doivent vérifier, en présence d'une convention de forfait irrégulière, si la perception d'un salaire supérieur au minimum conventionnel n'a pas entraîné le paiement, au moins en partie, des heures supplémentaires [11].

Lorsqu'une convention de forfait en heures est déclarée inopposable, le décompte et le paiement des heures supplémentaires doivent s'effectuer selon le droit commun, au regard de la durée légale de 35 heures hebdomadaires ou de la durée considérée comme équivalente [12].

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La rédaction de la convention individuelle de forfait en heures, appelle à la plus haute précision et rigueur, au même titre que pour le forfait annuel en jours.

Le forfait d'heures que les parties ont retenu doit être fixé dans la convention.

L’employeur a l’obligation de procéder au suivi du temps de travail et d’exercer un contrôle sur les heures effectuées par le salarié. Il ne peut décider de ne pas payer l’intégralité des heures prévues par la convention au motif que le salarié ne travaillerait pas à hauteur de ce forfait.

Pour corriger une éventuelle irrégularité, un avenant à la convention individuelle de forfait devra être conclu.

Le salarié, pour sa part, doit s’assurer que sa rémunération est au moins égale à celle prévue dans la convention, ainsi qu’à celle qu’il aurait perçue sans la convention de forfait en heures. Si ce n’est pas le cas, il doit s’assurer d’être en mesure de présenter des éléments suffisamment précis sur la durée du travail réalisée.


[1] CA Amiens, 9 avril 2020, n° 19/02114 N° Lexbase : A93193KD.

[2] Cass. soc., 1er mars 2011, n° 09-66.979, F-D N° Lexbase : A3355G4Z.

[3] Cass. soc., 8 juin 2010, n° 08-41.634, F-D N° Lexbase : A0031EZ8.

[4] Cass. soc., 9 décembre 2020, n° 19-11.519, F-D N° Lexbase : A580039P.

[5] Cass. soc., 8 juin 2010, n° 08-41.634, F-D N° Lexbase : A0031EZ8.

[6] Cass. soc., 28 mars 2001, n° 99-41.744, inédit N° Lexbase : A5266AG7.

[7] Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-70.813, FS-P+B N° Lexbase : A2487HQ8 ; Cass. soc., 4 décembre 2019, n° 18-15.963, F-D N° Lexbase : A2952Z7H ; Cass. soc., 12 janvier 2022, n° 15-24.989, F-D N° Lexbase : A52737I7.

[8] Cass. soc., 9 mai 2019, n° 17-27.448, FS-P+B N° Lexbase : A0762ZBT.

[9] Cass. soc., 7 décembre 1993, n° 90-42.026 N° Lexbase : A9505AAB ; Cass. soc., 9 décembre 2020, n° 19-11.519, F-D N° Lexbase : A580039P.

[10] Cass. soc., 3 mars 2009, n° 07-43.240, F-D N° Lexbase : A6334EDX.

[11] Cass. soc., 16 juin 2021, n° 20-13.127, F-D N° Lexbase : A65944W7 ; Cass. soc., 16 juin 2021, n° 20-13.169, F-D N° Lexbase : A66414WU ; Cass. soc., 16 juin 2021, n° 20-15.840, F-D N° Lexbase : A66394WS.

[12] Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-19.832, FS-B N° Lexbase : A10437PC ; Cass. soc., 30 mars 2022, n° 20-19.929 N° Lexbase : A06597S9, n° 20-19.847 N° Lexbase : A06737SQ, n° 20-19.921 N° Lexbase : A06787SW, n° 20-19.841 N° Lexbase : A06947SI, n° 20-19.840 N° Lexbase : A07267SP, n° 20-19.895 N° Lexbase : A07297SS, n° 20-19.842 N° Lexbase : A07337SX, n° 20-19.843 N° Lexbase : A07777SL, n° 20-19.922 N° Lexbase : A07787SM, n° 20-19.849 N° Lexbase : A07807SP et n° 20-19.906 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 83219506, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. soc., 30-03-2022, n\u00b0 20-19.906, F-D, Cassation", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A08107SS"}}, F-D.

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