Réf. : Cass. civ. 2, 23 mai 2013, n° 12-30.147, F-D (N° Lexbase : A9183KDH)
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N7376BTD
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"
le 06 Juin 2013
Résumé
De ces constatations et énonciations procédant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve, la cour d'appel a pu déduire que la preuve de l'existence d'un préjudice résultant de la perte de chance de promotion professionnelle n'était pas rapportée. Embauchée en 1986 en qualité d'opératrice, devenue en 1989 opératrice volante et en 1992 chef d'équipe : rien ne permettait de retenir qu'en 1998 au moment de l'accident elle aurait été en état d'obtenir une nouvelle promotion. |
I - Fondement de la réparation
A - Fondement textuel
La réparation est encadrée par plusieurs dispositions :
- l'article L. 434-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7111IUW), selon lequel le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité ;
- l'article L. 452-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7113IUY), visant la faute inexcusable de l'employeur, selon lequel la victime (ou ses ayants droit) reçoi(ven)t une majoration des indemnités qui leur sont dues. Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité. Lorsqu'une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d'incapacité totale ;
- enfin, toujours dans l'hypothèse d'une faute inexcusable de l'employeur, l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, selon lequel la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de Sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.
Au final, la victime d'un accident du travail causé par la faute inexcusable de l'employeur peut effectivement demander au juge la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, qui est expressément visé par les textes (CSS, art. L. 452-3). Ce chef de préjudice n'a donc pas à être réparé sur un autre fondement, notamment celui de la réparation intégrale, car le Conseil constitutionnel a clairement encadré ce droit à réparation intégrale, pour les chefs de préjudice non pris en compte par la livre IV du Code de la Sécurité sociale, notamment l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale (2).
B - Lecture stricte des dispositions codifiées par la Cour de cassation
A deux reprises, la Cour de cassation s'est prononcée sur le fondement du droit à réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
- Par un arrêt rendu le 25 avril 2013 (Cass. civ. 2, 25 avril 2013, n° 12-19.580, F-D N° Lexbase : A6848KCM), la Cour de cassation, visant les articles L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, a refusé que ce préjudice soit réparé plusieurs fois, sur le fondement de plusieurs dispositions. La rente majorée servie à la victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur répare la perte des gains professionnels futurs, le retentissement professionnel de l'incapacité résultant de l'accident et le déficit fonctionnel permanent. Aussi, la Cour de cassation a censuré une cour d'appel, pour avoir accordé à une victime d'un accident du travail une certaine somme (210 959 euros) au titre de l'incapacité permanente partielle, dans la mesure où, selon les juges du fond, la rente allouée à la salariée, qui ne compense que les pertes de salaires et ce de manière forfaitaire, ne la remplit pas de ses droits au titre de l'incapacité permanente partielle et ne fait pas obstacle à l'allocation de sommes complémentaires de ce chef. En effet, pour la Cour de cassation, la rente majorée servie à la victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur répare la perte des gains professionnels futurs, le retentissement professionnel de l'incapacité résultant de l'accident et le déficit fonctionnel permanent.
- Quelques semaines plus tôt, elle a avancé cette solution (Cass. civ. 2, 14 février 2013, n° 11-26.428, F-D N° Lexbase : A0560I8A). La rente majorée allouée (CSS, art. L. 452-2) au salarié victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur indemnise notamment les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité à l'exception, prévue par l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle qui fait l'objet d'une réparation spécifique. En d'autres termes, la réparation du préjudice de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle est assurée par un texte (CSS, art. L. 452-3) et aucun autre (notamment, CSS, art. L. 452-2, majoration de la rente, en cas de faute inexcusable).
II - Preuve de l'existence d'un préjudice
A - Contentieux devant la Cour de cassation
La Cour de cassation n'a, dans les affaires recensées, jamais donné suite à la demande d'un salarié, s'agissant de la réparation de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
- En l'espèce (arrêt rapporté), une salariée de la société S. a été victime le 8 janvier 1998 d'un accident du travail. Les juges du fond ont retenu la faute inexcusable de l'employeur, fixé au maximum la rente et ordonné une expertise médicale de la victime aux fins de liquidation de ses préjudices personnels. La salariée a fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Les juges du fond ont estimé que la salariée est défaillante dans l'administration de la preuve. Elle ne pouvait calculer l'indemnité réclamée en se référant à des pertes de salaires alors que celles-ci s'avèrent compensées par l'attribution de la rente. Pour justifier d'une perte de chance de promotion elle invoque le fait qu'au jour de l'accident il lui restait vingt-trois années à effectuer chez cet employeur. Mais l'employeur a souligné le caractère très aléatoire d'une telle projection dès lors que la situation économique lui avait imposé à la même époque la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde pour l'emploi. Si elle a été embauchée en 1986 en qualité d'opératrice, et était devenue en 1989 opératrice volante puis en 1992 chef d'équipe, rien ne permettait de retenir qu'en 1998 au moment de l'accident elle aurait été en état d'obtenir une nouvelle promotion.
La salariée se borne à affirmer que son passage à un échelon supérieur, compte tenu de son parcours précédent, n'était pas hypothétique : pour les juges du fond, ce moyen est insuffisant pour contredire utilement l'employeur qui, en se référant à l'absence de diplômes de la salariée, relève qu'elle avait atteint comme chef d'équipe le maximum des responsabilités qui pouvaient lui être confiées. La production de la grille des salaires ne suffit pas à établir que la salariée serait automatiquement passée aux échelons supérieurs, ceux-ci n'étant pas subordonnés à l'ancienneté mais à la reconnaissance d'une capacité à effectuer des tâches plus complexes.
Au final, la Cour de cassation décide que les juges du fond sont compétents pour apprécier souverainement la valeur et de la portée des éléments de preuve ; en l'espèce, la cour d'appel a pu déduire que la preuve de l'existence d'un préjudice résultant de la perte de chance de promotion professionnelle n'était pas rapportée.
- Dans une autre affaire, pour allouer à un salarié une certaine somme au titre du préjudice résultant de la perte de possibilités de promotion professionnelle, les juges du fond ont relevé qu'il a été dans l'impossibilité de reprendre le métier d'électromécanicien pour lequel il avait été formé après un début de carrière prometteur ; il a d'ailleurs été licencié et a été dans l'obligation de se reconvertir. Après avoir obtenu un diplôme d'électricien d'équipement, il a créé une entreprise artisanale. Mais pour la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 20 septembre 2012, n° 11-20.798, F-D N° Lexbase : A2590IT4) (3), les juges du fond ont statué par des motifs insuffisants à faire ressortir le caractère sérieux des chances de promotion professionnelle de la victime avant l'accident.
- La Cour de cassation s'est prononcée dans le même sens, par un arrêt rendu le 10 mai 2012 (Cass. civ. 2, 10 mai 2012, n° 11-13.381, F-D N° Lexbase : A1185ILH). La ligne directrice reste la même : c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des faits et preuves soumis à son examen, que la cour d'appel a jugé que la preuve d'un préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle n'était pas rapportée. Un salarié a été victime, le 13 février 2004, d'un accident du travail. Le TASS a reconnu la faute inexcusable de la société et fixé au maximum la majoration de la rente et évalué la réparation des préjudices personnels du salarié. Pour les juges du fond, il n'est pas démontré que le salarié avait, avant cet accident, des chances sérieuses de promotion professionnelle, dans la mesure où il n'établissait pas que le contrat saisonnier dont il bénéficiait avait vocation à être renouvelé, ni qu'en l'absence de toute formation, il était susceptible d'évoluer au sein de la société.
- La Cour de cassation (Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-22.768, F-D N° Lexbase : A6649HUS) (4) a encore rejeté le pourvoi d'un stagiaire (et non pas d'un salarié), né le 9 septembre 1980, élève du lycée professionnel, victime le 26 mai 2000, alors qu'il effectuait un stage dans les locaux de la société S., d'un accident causé par la faute inexcusable de l'employeur. Le stagiaire a fait grief aux juges du fond de le débouter de sa demande de réparation de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Les juges du fond ont relevé que le stagiaire a été contraint en raison de l'accident d'abandonner sa formation professionnelle et de se tourner vers un reclassement total ; il a effectué un stage comme conseiller de clientèle et travaille dans une banque. Son absence de diplôme et de qualification ne lui permettent pas d'accéder à des postes à responsabilité et toute activité manuelle est à exclure. Pour les juges du fond, ces faits caractérisent le préjudice résultant du déclassement professionnel réparé par l'attribution d'une rente majorée. Au moment de l'accident, le stagiaire n'avait ni diplôme ni formation professionnelle et ne travaillait pas ; sa situation ne pouvait lui laisser espérer une chance de promotion professionnelle. Bref, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain et en l'état de ses constatations et énonciations que la cour d'appel a décidé que la demande en réparation d'un préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle n'était pas justifiée.
- En 2011 (Cass. civ. 2, 12 mai 2011, n° 10-19.566, F-D N° Lexbase : A1302HRN), la Cour de cassation devait statuer sur la situation d'une salariée de la société C., victime le 7 janvier 2006 d'un accident pris en charge au titre de la législation professionnelle, dont la faute inexcusable de l'employeur a été reconnue. La salariée a fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation de la perte de chance d'une promotion professionnelle.
Les juges du fond ont relevé qu'à la date de l'accident, la salariée occupait l'emploi de manager de rayon et espérait devenir responsable de formation ; elle ne pouvait toutefois ambitionner occuper qu'un emploi de formateur et non un emploi de responsable de formation. En effet, l'accès à un emploi de formateur au sein de la société Champion n'aurait eu aucun caractère automatique pour la salariée et n'aurait pas résulté de sa seule ancienneté dans l'entreprise. La salariée n'a versé aux débats aucune pièce attestant qu'elle aurait formulé des souhaits d'évolution et de formation à l'occasion de l'un des entretiens de milieu d'année et qu'elle ne produit pas davantage aux débats d'attestation en ce sens de ses anciens collègues. Bref, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des faits et preuves soumis à son examen, que la cour d'appel a jugé que la preuve d'un préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle n'était pas rapportée.
- Un salarié d'une société de transport a été victime d'une agression par le gérant de la société. La CPAM du Val-de-Marne a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle. Le salarié a fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en indemnisation d'une perte de chance professionnelle. La Cour de cassation (Cass. civ. 2, 11 mars 2010, n° 09-12.451, F-D N° Lexbase : A1805ETZ) (5) s'en est remise aux constatations et énonciations formulées par la cour d'appel, qui a pu déduire que la demande d'indemnisation de la perte d'une chance de promotion professionnelle devait être rejetée. Selon les juges du fond, il ne peut être fait droit à une demande d'indemnisation d'un événement futur favorable qu'à la condition que cet événement ne soit pas simplement virtuel et hypothétique et qu'il appartient à celui qui entend obtenir réparation au titre de la perte de chance de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que la survenance de l'événement dont il a été privé était certaine avant la survenance du fait dommageable. Le salarié, en s'abstenant de justifier tant du cursus scolaire et professionnel dont il fait état que d'un processus de chance de promotion professionnelle qui aurait été interrompu par la survenance du dommage, a échoué dans cette démonstration.
- Dans une autre affaire, un salarié de la société C. a été victime d'un accident du travail le 16 février 2001. Le TASS a reconnu la faute inexcusable de la société ; fixé au maximum la majoration de la rente accident du travail et évalué la réparation des préjudices personnels du salarié. Celui-ci a fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de réparation de sa perte d'une chance de promotion professionnelle. Pour la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 25 avril 2007, n° 06-11.852, F-D N° Lexbase : A0290DWN), par une appréciation souveraine des éléments de fait qui lui étaient soumis, la cour d'appel a estimé que le salarié n'avait pas rapporté la preuve d'un préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle. La réparation peut être sollicitée en application de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale différent du seul déclassement professionnel déjà réparé par la rente allouée au titre de l'accident du travail.
- Enfin, un salarié a été victime d'un accident du travail le 29 janvier 1996. Statuant sur l'indemnisation de la victime, consécutive à la faute inexcusable de l'employeur, la cour d'appel a rejeté sa demande au titre de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. La Cour de cassation (Cass. civ. 2, 18 janvier 2005, n° 03-10.696, F-D N° Lexbase : A0800DGQ) a estimé que la cour d'appel a constaté qu'il ne justifiait d'aucune formation ou qualification professionnelle permettant de retenir la possibilité d'une promotion professionnelle dont l'accident l'aurait privé, a souverainement estimé que la preuve de la perte d'une chance de promotion professionnelle n'était pas rapportée.
Les seules exceptions à cette unanimité contentieuse résultent :
- d'un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 20 septembre 2005 (Cass. civ. 2, 20 septembre 2005, n° 04-30.278, FS-P+B N° Lexbase : A5254DKS) (6). Un praticien hospitalier a été contaminé par le virus de l'hépatite C après s'être blessé le 29 mai 1995 lors d'une intervention de cardiologie. La cour d'appel a accueilli sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et admis que soit réparé le préjudice résultant de la perte de ses possibilités de promotion professionnelle. Le praticien a été pressenti pour développer, à compter de la fin de l'année 1996, au sein d'une clinique privée, une activité libérale à temps plein, plus rémunératrice que son emploi de praticien hospitalier, association à laquelle il n'a pu être donné suite du fait de l'accident, a ainsi caractérisé la perte des possibilités de promotion professionnelle subie par l'intéressé, distincte du préjudice résultant du déclassement professionnel déjà compensé par l'attribution d'une rente majorée ;
- d'un arrêt rendu par la deuxième chambre civile, le 8 avril 2010 (Cass. civ. 2, 8 avril 2010, n° 09-11.634, FS-P+B, sur le troisième moyen N° Lexbase : A5844EUY) (7). Est justifiée l'indemnisation du préjudice professionnel de la victime d'un accident dès lors qu'il est établi qu'il a suivi un cursus professionnel l'amenant du CAP au baccalauréat professionnel. Cette progression laisse supposer que, sans l'accident, il aurait continué à gravir les échelons de sa profession et que les conséquences de l'accident l'ont empêché d'exercer le métier bien spécifique pour lequel il a été formé. La preuve du caractère sérieux des chances de promotion professionnelle est ainsi rapportée et l'indemnisation justifiée.
B - Contentieux devant les juridictions du fond
Les juges du fond rejettent, dans une grande majorité des cas, les demandes des victimes d'un accident du travail, en réparation du préjudice de perte de chance de promotion professionnelle. Les illustrations abondent.
- Un menuisier charpentier et couvreur zingueur ne caractérise pas un préjudice distinct de celui résultant de son déclassement professionnel, d'ores et déjà réparé par la rente qui lui a été allouée le 31 mars 2008, selon les juges du fond (CA Angers, ch. soc., 26 juin 2012, n° 09/01866 N° Lexbase : A7098IPL). Pour pouvoir prétendre à la réparation d'un préjudice lié à la perte de ses possibilités de promotion professionnelle, encore faudrait-il que le salarié justifie d'un préjudice certain de ce chef. Or, s'il déclare qu'il avait pour perspective, à la suite de son embauche, de passer d'ouvrier hautement qualifié à chef d'équipe, cela relève d'une prospective, qui ne peut en rien, être qualifiée de certaine. En effet, le salarié venait simplement d'être recruté lorsque l'accident est survenu ; il ne fournit aucune pièce qui viendrait à prouver que son employeur l'aurait engagé dans cette perspective de le nommer chef d'équipe, hypothèse d'autant moins plausible que l'employeur n'a à son service, en tout et pour tout, que deux salariés avec lesquels lui-même travaille sur les chantiers.
- La perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle est un préjudice réparable, qu'il appartient à la victime de démontrer par l'existence de l'engagement d'un cursus de carrière qui l'aurait amenée au poste invoqué (CA Angers ch. soc., 21 février 2012, n° 09/01482 N° Lexbase : A1073ID4). Le salarié soutient qu'il envisageait de progresser au sein de l'entreprise et de devenir grutier, emploi mieux classé et mieux rémunéré que celui de coffreur. Or, il a perdu toute chance de promotion professionnelle puisqu'il demeure dans l'incapacité totale et définitive pour quelque activité professionnelle que ce soit. Le salarié a été en 1986 embauché comme coffreur et n'a jamais quitté cet emploi en 25 ans, même s'il a atteint progressivement le niveau III. La Cour d'appel relève que tout en affirmant avoir effectué un stage spécifique dans l'entreprise pour accéder à la fonction de grutier, le salarié ne produit aucun document en attestant la démonstration de ce que l'emploi de grutier est un poste mieux classé et mieux rémunéré que celui de coffreur restant en outre à faire.
- Pour être accueilli et indemnisé, le préjudice professionnel résultant de l'accident doit répondre à plusieurs paramètres : il faut savoir si la victime a amorcé un cursus de qualification professionnelle laissant supposer que sans l'accident, ce cursus aurait continué ; en raison de l'accident et de ses conséquences, elle ne peut plus exercer son métier (CA Paris, 18 décembre 2008, n° 07/00935). En l'espèce, un salarié a commencé en 1996 un contrat en apprentissage dans la distribution auprès d'I. avec l'obtention dans le cadre d'un contrat de qualification, en 1999, d'un baccalauréat professionnel. A terme, après la fin de sa période d'intérim, compte tenu de la qualification obtenue, il pensait pouvoir aspirer à un poste dans la distribution. Même s'il ne rapporte pas la preuve d'une promesse d'embauche pour un poste de sa branche de qualification, la cour d'appel relève que depuis 1996, le salarié a suivi un cursus professionnel l'amenant du CAP au baccalauréat professionnel : cette progression laisse supposer que sans l'accident il aurait continué à gravir les échelons de sa profession et que les conséquences de l'accident l'empêchent d'exercer le métier bien spécifique pour lequel il a été formé. Aussi, les juges du fond ont fait droit à l'indemnisation sollicitée en allouant au salarié la somme de 100 000 euros à ce titre. Mais la perte de revenu résultant de l'accident du travail est déjà compensée par le versement d'une allocation au titre de l'incapacité permanente partielle et ne peut être indemnisée doublement, cette demande doit être rejetée.
- Ne peut être réparé le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotions professionnelles, le salarié ne rapportant pas d'élément sur les chances sérieuses qu'il aurait eues de promotions professionnelles avant l'accident sur son poste d'origine (CA Montpellier, 5 novembre 2008, n° 08/02643 N° Lexbase : A0620GLK). Même si le salarié a changé d'emploi, ce dernier n'a même pas subi la moindre perte de salaire et a bénéficié d'une indemnité compensatrice pour la perte de son salaire liée aux vendanges.
- Un salarié a été débouté de sa demande de perte de chance de promotion professionnelle alors qu'il ne justifie pas des chances sérieuses qu'il avait de pouvoir prétendre à une promotion professionnelle (CA Douai, 28 mars 2008, n° 06/00822 N° Lexbase : A9869HGM).
- Un salarié se borne à affirmer que la somme réclamée de 88 650 euros, est particulièrement modique au regard des blessures subies. Mais le salarié n'établit donc pas avoir eu des chances sérieuses de promotion dans l'entreprise (CA Bastia, ch. soc., 19 décembre 2007, n° 05/332).
- L'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, texte précis et limitatif, n'a pas, pour les juges du fond (CA Nîmes, ch. soc., 7 février 2007, n° 04/05056) pour but d'instituer la réparation d'un préjudice professionnel résultant de la perte d'emploi ou du déclassement professionnel, déjà compensé par l'attribution de la rente majorée, mais d'indemniser le salarié de la perte de chances sérieuses d'accéder par la suite, compte tenu de ses possibilités existantes et certaines, à une meilleure situation au regard de l'exercice de sa profession, ces chances n'étant d'ailleurs pas limitées à la seule carrière prévisible au sein de l'entreprise où il travaillait au moment de l'accident. En l'espèce, le salarié était âgé de cinquante-quatre ans au moment de l'accident. Il ne produit aucun bulletin de paie et ne justifie d'aucune formation ou qualification professionnelle permettant de retenir la possibilité d'une promotion dont l'accident l'aurait privé. La preuve d'un préjudice distinct de celui résultant de la perte d'emploi, déjà compensé par l'attribution de la rente majorée, n'est donc pas rapportée.
- Dans une autre affaire, l'expert a retenu un préjudice professionnel en raison de l'impossibilité d'une promotion dans le cadre d'une activité de secrétariat du fait des séquelles au niveau de la main gauche. Mais la Cour d'appel a refusé d'indemniser la perte de chance de promotion professionnelle (CA Bastia, ch. soc., 13 décembre 2006, n° 06/125). Lors de l'accident, la salariée, après avoir échoué aux épreuves du CAP de cuisine, était employée en qualité d'agent de fabrication. Au regard de son jeune âge, de sa très courte ancienneté et de l'absence de qualification du poste occupé, elle n'établit pas avoir eu des chances sérieuses de promotion dans cette entreprise ou cette filière professionnelle, et qu'elle aurait perdues par le fait de l'accident. Bref, la salariée ne justifie pas subir du fait de son accident du travail, un préjudice professionnel au sens de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale.
- Un salarié a expliqué à l'expert qu'il envisageait dès avant l'accident de se réorienter vers le transport de marchandise avec véhicule léger et que le travail en intérim avait pour objectif de réunir les fonds nécessaires à l'achat d'un véhicule. Il a modifié son projet de reconversion et occupe actuellement un emploi de conducteur de taxi, qui correspond, en terme de statut, à ce à quoi il pouvait prétendre avant son accident. La cour d'appel (CA Lyon, ch. soc., 24 octobre 2006, n° 06/02435 N° Lexbase : A8620DZB) en a déduit qu'il n'est pas fondé à invoquer la perte d'une chance de promotion professionnelle.
- La cour d'appel de Paris, par un arrêt rendu le 1er mars 2006, a également refusé l'indemnisation du préjudice lié à un accident du travail, résultant de la perte ou de la diminution de possibilité de promotion professionnelle (CA Paris, 18ème ch., sect. B, 1er mars 2006, n° 05/00244 N° Lexbase : A5042DPG). En l'espèce, un salarié, victime d'un accident du travail lié à la faute inexcusable de son employeur, réclamait aux juges d'appel une réparation à hauteur de 50 000 euros au titre de son préjudice résultant de la perte de possibilité de promotion professionnelle. Or, selon la CPAM, la preuve du préjudice invoqué au titre d'une perte de possibilité de promotion professionnelle n'était pas établie. Le salarié exposait les importantes répercussions de son accident sur son évolution professionnelle et sur ses possibilités de parvenir au poste auquel ses capacités, son expérience et sa formation devaient lui permettre d'accéder, ainsi que son impossibilité de passer le permis de cariste pour conduite latérale dont l'obtention lui aurait permis une évolution de poste et de salaire. La cour d'appel de Paris rejette cette demande, estimant que l'indemnisation du préjudice tenant de la perte ou de la diminution de possibilité de promotion professionnelle suppose que l'intéressé établisse concrètement que, avant l'accident, il avait des chances sérieuses de promotion professionnelle. Or, dès lors qu'aucune pièce produite par le salarié ne permettait l'indemnisation de ce préjudice, sa demande devait être rejetée, concluent les juges d'appel.
Mais, a contrario, certaines cours d'appel ont admis la réparation du préjudice. Par exemple, selon la cour d'appel de Versailles (CA Versailles, 5ème ch., 4 octobre 2012, n° 09/03789 N° Lexbase : A8618ITD), un salarié exerçant les fonctions de chef d'équipe a acquis un savoir-faire et des compétences spécifiques dans le domaine de la rénovation des bâtiments historiques qui lui avait permis de connaître des promotions régulières lui permettant d'espérer atteindre la qualification de chef de chantier. Les suites de son accident du travail ont rendu impossible la concrétisation de ses espérances à cet égard. Il doit désormais exercer les fonctions de vérificateur, d'un niveau de qualification inférieur. Ayant ainsi été privé de chances sérieuses, concrètes et avérées de promotion professionnelle, le salarié a subi un préjudice spécifique qui doit être indemnisé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros.
(1) J. Charpentier, La réinsertion professionnelle : incidences pratiques sur la réparation (le point de vue de l'avocat), Etude, Responsabilité civile et assurances, n° 1, janvier 2013, dossier 7 ; J. Mazars, Les préjudices à caractère professionnel : quelques notions en évolution, Etude, Responsabilité civile et assurances n° 1, janvier 2013, dossier 9.
(2) Cons. const., décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010 (N° Lexbase : A9572EZK), LSQ, n° 177, 14 septembre 2010 ; confirmé par Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-19.475, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6615HUK), Responsabilité civile et assurances, 2011, comm. 320, obs. H. Groutel ; V. aussi Cass. civ. 2, quatre arrêts, 4 avril 2012, jonction, n° 11-14.311 et n° 11-14.594, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6498IH7), n° 11-18.014, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1272IIX), n° 11-12.299, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6497IH4) et n° 11-15.393, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6499IH8), v. nos obs., "Livre IV or not Livre IV, that is the question", Lexbase Hebdo n° 481 du 12 avril 2012- édition sociale (N° Lexbase : N1387BTK). V. également, F. Muller, Périple au royaume des préjudices indemnisables Impact de la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010, SSL, n° 1576 du 18 mars 2013 ; M. Ledoux et R. Bouvet, La situation des victimes s'améliore sans pour autant atteindre la réparation intégrale, SSL, n° 1550, supplément du 10 septembre 2012 ; T. Katz, Faute inexcusable : vers un élargissement des préjudices de la victime ?, JSL, n° 311/312 du 21 décembre 2011.
(3) G. Boeuf, L'indemnisation de la perte d'une chance, JSL, n° 331, 8 novembre 2012.
(4) Responsabilité civile et assurances, n° 10, octobre 2011, comm. 312, appréciation de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle.
(5) Responsabilité civile et assurances n° 6, juin 2010, comm. 141.
(6) G. Vachet, La réparation de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle consécutive à un accident du travail, JCP éd. S, n° 26, 20 décembre 2005, 1453 ; Responsabilité civile et assurances n° 11, novembre 2005, comm. 318.
(7) LSQ, n° 177, 14 septembre 2010.
Décision
Cass. civ. 2, 23 mai 2013, n° 12-30.147, F-D (N° Lexbase : A9183KDH) Rejet, CA Colmar, 22 mars 2012, n° 05/05488 (N° Lexbase : A6418ILB) Textes concernés : CSS, art. L. 434-2 (N° Lexbase : L7111IUW), L. 452-2 (N° Lexbase : L7113IUY) et L. 452-3 (N° Lexbase : L5302ADQ) Mots-clés : faute inexcusable, réparation, préjudice, perte de chance, promotion professionnelle, preuve, charge, salarié (oui) appréciation du juge, pouvoir souverain juges du fond. Liens base : (N° Lexbase : E4405EXG) |
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