Réf. : Cass. crim., 22 février, 21-83.226, F-B N° Lexbase : A68877NE
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par Vincent Téchené
le 01 Mars 2022
► Justifie sa décision de déclarer une société coupable d'infraction à la législation sur les soldes la cour d'appel qui, d'une part, par une interprétation souveraine du contrat de commission-affiliation qui lie cette société à un commettant, établit qu'elle ne s'est pas bornée à écouler le stock qu'elle détenait, mais a effectué, au cours de la période de soldes, un réassortiment auprès de ce fournisseur qui constituait une entité juridique distincte et écoulait ainsi son propre stock, d'autre part, constate que les produits soldés n'avaient pas été proposés à la vente depuis au moins un mois.
Faits et procédure. Le 10 janvier 2018, premier jour des soldes d'hiver, les services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont procédé au contrôle d’un magasin . Ils ont constaté que ce magasin était approvisionné par une société (le commettant) avec laquelle la société exploitant le magasin (le commissionnaire) était liée par un contrat de commission-affiliation, que 129 des 196 références vendues au premier jour des soldes avaient fait l'objet d'un réapprovisionnement dans les trente jours précédents, et que certaines marchandises étaient soldées le jour même de leur livraison dans le magasin.
La société commissionnaire a été poursuivie devant le tribunal correctionnel pour avoir, courant janvier 2018, vendu en solde des marchandises détenues depuis moins d'un mois.
Le premier juge et à sa suite la cour d’appel ayant condamné la prévenue, cette dernière a formé un pourvoi en cassation. Elle soutenait en substance qu’il n'y a pas réapprovisionnement si, comme en l’espèce, la société venderesse et son fournisseur sont étroitement liés et que son indépendance juridique et économique n'est que purement fictive.
Décision. La Cour de cassation relève que l'arrêt d’appel énonce que les deux entreprises contractantes sont deux entités juridiques indépendantes qui sont convenues d'une relation contractuelle de commission-affiliation dans laquelle le commettant fournit à l'affilié un stock de marchandises que celui-ci vend pour son compte en échange d'un pourcentage du chiffre d'affaires réalisé, de sorte que les produits du commettant sont placés en dépôt-vente chez le commissionnaire, lequel est rémunéré par une commission calculée par rapport au prix de vente.
En outre, les juges du fond précisent que le commettant n'est chargé ni de la gestion du fonds de commerce, ni du bail commercial et que l'affilié n'est ni propriétaire des stocks qui lui sont fournis, ni chargé de leur gestion.
Ils relèvent ensuite qu'il résulte des articles L. 310-5 N° Lexbase : L1896IEX, qui mentionne seulement la détention de marchandises, et L. 310-3 N° Lexbase : L5766LQM du Code de commerce, qui prévoit que les produits soldés doivent avoir été proposés à la vente depuis au moins un mois, que les produits annoncés comme soldés doivent avoir été détenus et proposés à la vente depuis plus d'un mois par la même société.
Ils retiennent que la société prévenue, qui propose les marchandises à la vente, constitue une entité juridique distincte de la société commettante, chacune disposant d'un stock propre même si la seconde approvisionne la première.
Ainsi, la cour d’appel en déduit que la détention des marchandises doit s'apprécier au regard de cette société commissionnaire venderesse qui ne saurait s'exonérer des obligations et interdictions découlant de l'application de la législation du Code du commerce, en sa qualité de commerçant procédant elle-même à des soldes, en tant que gestionnaire de son magasin et maître des prix affichés.
La cour d’appel en conclut que faire remonter la date de détention des marchandises dans l'établissement commercial dans lequel les ventes de produits soldés sont organisées à la détention des marchandises dans le dépôt d'un fournisseur juridiquement indépendant, aboutirait à vider la loi de son sens et générerait une inégalité économique au sein des différents commerces, les uns écoulant effectivement leurs stocks dépareillés, les autres vendant tous leurs articles régulièrement réapprovisionnés.
Pour la Cour de cassation, la cour d'appel a ainsi justifié sa décision. En effet, elle a établi que la prévenue ne s'est pas bornée à écouler le stock qu'elle détenait, mais a effectué, au cours de la période de soldes, un réassortiment auprès d'un fournisseur qui constituait une entité juridique distincte et écoulait ainsi son propre stock. Par ailleurs, il résulte des énonciations de l'arrêt que les produits soldés par la prévenue n'avaient pas été proposés à la vente depuis au moins un mois.
Par conséquent, la Haute juridiction rejette le pourvoi.
Observations. Comme l’invoquait la prévenue dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation a déjà retenu que, pendant une période de soldes, une société peut légalement s’approvisionner auprès d’une autre société à laquelle elle est étroitement liée, dès lors que les marchandises concernées ont été proposées à la vente et ont été payées par cette dernière société au moins un mois avant la période de soldes considérée (Cass. com., 2 juin 2004, n° 02-21-394, F-P+B N° Lexbase : A5157DCY).
Bien que cette interprétation ai été effectuée par la Cour de cassation sous l’empire d’une rédaction antérieure de l’article L. 310-3 du Code de commerce, rien ne semble la remettre en cause.
On relèvera, toutefois, que cet arrêt ne définit pas la notion de « sociétés étroitement liées ». À l'instar de la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC), il nous semble possible de considérer comme telles des sociétés qui entretiennent des liens économiques suffisamment étroits pour considérer que le stock est localisé dans l’une ou l’autre société (CEPC, avis n° 21-11, 23 septembre 2021 N° Lexbase : X9820CMN ; V. Téchené, Lexbase Affaires, octobre 2021, n° 692 N° Lexbase : N9086BY8). Tel est le cas, par exemple des sociétés présentant des liens mères-filles au sens de l’article L. 233-1 du Code de commerce N° Lexbase : L9087KB8. Dans cet avis la CEPC estime d'ailleurs qu’en application des dispositions de l’article L. 310-3 du Code de commerce, dans le cadre d’un groupe, une filiale exploitant plusieurs points de vente de détail d’articles d’habillement sous forme de succursales apparaît pouvoir se réapprovisionner durant les périodes de soldes auprès de sa maison mère qui conçoit, fait fabriquer et stocke les produits de la marque du groupe, dès lors que cette maison mère a proposé à la vente et payé les marchandises concernées au moins un mois avant le début de la période de soldes considérée.
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