Le Quotidien du 1 octobre 2021 : Contrats administratifs

[Jurisprudence] Recours en contestation de la validité du contrat : le CNB – entité en charge de la défense des intérêts de la profession d’Avocat – ne peut pas agir seul dans la sauvegarde du « périmètre du droit »

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 20 juillet 2021, n° 443346, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A17144ZI)

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[Jurisprudence] Recours en contestation de la validité du contrat : le CNB – entité en charge de la défense des intérêts de la profession d’Avocat – ne peut pas agir seul dans la sauvegarde du « périmètre du droit ». Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/72608028-jurisprudence-recours-en-contestation-de-la-validite-du-contrat-le-cnb-entite-en-charge-de-la-defens
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par Alizée Scaillierez, cabinet Adden Avocats Nouvelle-Aquitaine, Avocate au barreau de Bordeaux

le 30 Septembre 2021

 


Mots clés : contrats • CNB • contestation

Dans une décision du 20 juillet 2021, le Conseil d’État juge que le Conseil National des Barreaux (CNB) n’est pas recevable à agir à l’encontre d’un marché public dans le cadre d’un recours en contestation de la validité du contrat.


 

L’absence d’intérêt à agir du CNB peut paraître sévère en l’espèce même si cette décision s’inscrit dans la lignée des dernières évolutions de la jurisprudence du Conseil d’État s’agissant de la restriction de l’intérêt à agir des ordres professionnels [1] pour former un recours en contestation de la validité d’un marché : le CNB était seul à contester la validité du contrat de sorte que l’irrecevabilité de son action laissera une atteinte au « périmètre du droit », qui n’est pourtant pas remise en cause au fond, non sanctionnée par le juge administratif.

La communauté d’agglomération de La Rochelle a engagé en 2015 une procédure adaptée en vue de la conclusion d'un marché d’assistance à maitrise d’ouvrage pour l’élaboration et la passation du marché de collecte des déchets ménagers. Ce marché a été attribué à une société d’expertise et de conseil pour la gestion des services publics.

Le CNB en tant qu’« établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale » [2], en charge d’une mission générale de représentation de la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics a demandé au tribunal administratif de Poitiers d’annuler le marché précité.

Par un jugement en date du 4 juillet 2018, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à cette demande en annulant le marché [3], décision qui avait été confirmée par la cour administrative d’appel de Bordeaux [4].

La société attributaire a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

Dans la décision commentée, ce dernier juge que le CNB n’a pas intérêt à agir à l’encontre d’un marché dans le cadre d’un recours « Tarn-et-Garonne » (I).

Cette solution peut paraître sévère en considération du contexte spécifique de cette affaire : la protection du « périmètre du droit » (II).

I. L’absence d’intérêt à agir du CNB dans le cadre d’un recours en contestation de la validité du contrat

La Haute juridiction rappelle d’abord le considérant de principe de la décision « Tarn-et-Garonne » :

« Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 (N° Lexbase : L0316ITU) et suivants du Code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’État dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), à la suspension de l’exécution du contrat » [5].

Le Conseil d’État examine donc l’intérêt à agir du CNB en l’espèce, comme l’y invitait la société attributaire [6].

À cet égard, la jurisprudence récente de la Haute juridiction avait déjà tranché la question s’agissant de la situation des architectes, ce dernier considérant dans le cadre du recours « Tarn et Garonne » que « la seule passation » d’un marché de conception-réalisation « ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont [les ordres régionaux] ont la charge » [7].

Dans ses conclusions énoncées sur la décision commentée, la rapporteure publique Mireille Le Corre rappelle que l’intérêt à agir d’un tiers au contrat doit être apprécié de manière restrictive [8], comme l’a illustrée la décision « Département de la Loire-Atlantique » du 3 juin 2020 s’agissant d’un recours formé par un ordre professionnel.

En l’espèce, le Conseil d’État juge que :

« Un tiers à un contrat administratif n'est recevable à contester la validité d'un contrat [… que s'il est susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou par ses clauses. Si, en vertu des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1971, le Conseil national des barreaux a qualité pour agir en justice en vue notamment d'assurer le respect de l'obligation de recourir à un professionnel du droit, la seule attribution, par une collectivité territoriale, d'un marché à un opérateur économique déterminé ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont le Conseil national des barreaux a la charge, alors même que le marché confie à cet opérateur une mission pouvant comporter la rédaction d'actes juridiques susceptibles d'entrer dans le champ des dispositions de l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971 ».

Autrement dit, le CNB dispose bien de la « qualité pour agir en justice », notamment s’agissant du respect du « périmètre du droit » (cf. (2) ci-après), mais cet intérêt n’est pas suffisant, en l’espèce, dans le cadre spécifique du contentieux « Tarn-et-Garonne », la seule attribution d’un contrat [9] ne lèse pas « de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs » dont le CNB a la charge.

La lésion reste ainsi au cœur du contentieux contractuel devant le juge administratif.

II. Un contexte particulier : la protection du « périmètre du droit »

L’irrecevabilité des conclusions du CNB – en ce que ce dernier ne dispose pas d’un intérêt à agir dans le cadre d’un recours « Tarn-et-Garonne » – paraît d’autant plus regrettable qu’en l’espèce, le Conseil d’État ne remet pas en cause finalement l’atteinte au périmètre du droit mais annule sur un motif tiré de la seule irrecevabilité du recours.

Pour rappel, une atteinte au « périmètre du droit » consiste en une atteinte au monopole instauré par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), lequel confie à seulement certaines personnes autorisées/dûment habilitées la réalisation de prestations juridiques. De nombreuses décisions du juge administratif ont ainsi annulé des marchés de services juridiques qui, attribués à des personnes ne remplissant pas les conditions fixées par la loi de 1971 précitée, méconnaissaient les règles strictes relatives au périmètre du droit [10].

La méconnaissance de ces dispositions emporte une particulière gravité et constitue une infraction sanctionnée pénalement par l’article 433-17 du Code pénal (N° Lexbase : L9633IEI).

Sur le fond, on peut ainsi considérer que la portée de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux demeure applicable, laquelle avait jugé que :

« Alors même qu'en vertu des dispositions précitées des articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971, elle bénéficie d'une qualification OPQCM lui permettant d'exercer une activité juridique à titre accessoire et relevant directement de son activité principale, il résulte toutefois de l'instruction que si le marché litigieux portait pour partie sur une analyse du contexte technique et financier du futur marché de collecte de déchets ménagers dont le lancement était envisagé par la communauté d'agglomération de La Rochelle, il comprenait également la rédaction d'actes juridiques et une part de conseil juridique personnalisé pour sécuriser la procédure de passation de ce marché, qui ne constituait pas la suite de l'activité principale de conseil en gestion de la société Espélia. Par suite, ces prestations juridiques, déconnectées des prestations de conseil en gestion de la société Espélia prévues au marché, ne relèvent pas directement de son activité principale et ne peuvent être regardées comme étant l'accessoire nécessaire à celle-ci. Dès lors, les prestations juridiques proposées par la société Espélia dans son offre, quand bien même elles ne représenteraient que 4,5 jours de travail sur une mission de 22 jours et qu'elles ne constituaient pas une part prépondérante du marché en litige, ne sont pas autorisées par l'article 60 de la loi du 31 décembre 1971 précitée. Par suite, la société Espélia n'est pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a, eu égard au caractère illicite de ce marché, de la gravité de l'illégalité commise et après avoir vérifié que l'annulation ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, annulé le marché en litige » [11].

Le traitement différencié de l’intérêt à agir du CNB n’ayant pas été retenu [12], l’intervention volontaire du CNB reste désormais la seule voie permettant de venir au soutien de la défense d’une atteinte au périmètre du droit [13]. Cela signifie que les avocats doivent être en première ligne pour contester la validité des contrats au regard des atteintes au périmètre du droit mais l’exercice est plus difficile qu’il n’y paraît…

Et, c’est davantage l’existence de difficultés résultant de la position particulière des avocats/candidats évincés locaux [14] qui pose problème que l’absence d’intérêt de ces derniers [15] qui ferait défaut. En effet, il n’est pas aisé de décider de contester une procédure, de solliciter l’annulation d’un contrat en son nom devant des juridictions avec lesquelles les avocats travaillent, par ailleurs, au quotidien et contre les procédures d’acheteurs publics qui restent tout de même de potentiels futurs clients...

Suivant les conclusions de la rapporteure publique dans cette affaire, la Haute juridiction juge que le CNB n’était pas recevable à former un recours « Tarn-et-Garonne ». Jugeant au fond, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux et le jugement du tribunal administratif de Poitiers.


[1] Des architectes notamment, nous y reviendrons.

[2] Loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 21-1 (N° Lexbase : L6343AGZ).

[3] TA Poitiers, 4 juillet 2018, n° 1501814 (N° Lexbase : A9495XZP).

[4] CAA Bordeaux, 9 juillet 2020, n° 18BX03424 (N° Lexbase : A23973R9).

[5] CE, 4 avril 2014, n° 358994, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6449MIP).

[6] Il s’agissait, en tout état de cause, d’un moyen d’ordre public, comme le rappelle la rapporteure publique, Mireille Le Corre, dans ses conclusions sur cette affaire.

[7] CE 2° et 7° ch.-r., 3 juin 2020, n° 426932, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A70193MW).

[8] Elle renvoie ainsi à la décision récente « Département de la Loire-Atlantique », mais évoque également les conclusions de Gilles Pellissier sur les raisons du resserrement de l’intérêt à agir (conclusions sur CE, 3 juin 2020, n° 426932).

[9] Quand bien même cette attribution porterait atteinte au monopole légal/au « périmètre du droit ».

[10] CAA Nancy 23 mars 2009, n° 08NC00594 (N° Lexbase : A5945EHN) ; TA Paris, 27 juillet 2007, n° 710469 ; TA Besançon, 28 février 2008, n° 0600368 (N° Lexbase : A8854D8G) ; TA Besançon 7 décembre 2017, n° 1600262.

[11] CAA Bordeaux, 9 juillet 2020, précitée.

[12] Voir en ce sens les conclusions de la rapporteure publique dans cette affaire : « La spécificité des métiers du droit, à laquelle nous ne pouvons pourtant qu'être sensibles, ne saurait justifier un traitement différent s'agissant de l'appréciation de l'intérêt à agir ».

[13] CE 2° et 7° s-s-r., 10 février 2014, n° 367262, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3840MEX).

[14] Notamment lorsqu’ils interviennent en droit public.

[15] Mireille Le Corre dans ses conclusions : « D'ailleurs, aucun candidat évincé localement ne s'est apparemment senti lésé ici, du moins au point de former un recours ».

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