Lexbase Avocats n°316 du 1 juillet 2021 : Justice

[Actes de colloques] Une simplification au service des droits de la victime ?

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par Jean-Marie Brigant, Maître de conférences en droit privé & sciences criminelles, Le Mans Université, Membre du THEMIS-UM, Membre associé de l’IFG

le 01 Juillet 2021


Le 26 mars 2021, s'est tenu à la faculté de droit, sciences économiques et de gestion du Mans, un colloque sur le thème « La simplification de la justice, Quel bilan depuis la loi « Belloubet » ? », sous la direction scientifique de Didier Cholet, Sandrine Drapier et Karine Lemercier, Maîtres de conférences à l'Université du Mans. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Avocats vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N7617BYR).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.


 

La loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme de la justice [1] opère- t-elle une simplification en faveur des victimes ?

La question posée n’effraie aucun pénaliste tant il est vrai que les termes qui la composent sont devenus communs en procédure pénale. En effet, parler, à l’occasion d’une réforme de procédure pénale, de « simplification » d’une part et de « droits des victimes » d’autre part, ne date pas de la loi « Belloubet ».

D’un côté, ce souci d’accorder des droits à la victime trouve son origine dans la loi du 15 juin 2000 [2], « complétée par celles du 9 septembre 2002, du 9 mars 2004 et du 17 août 2015 » [3]. C’est d’ailleurs cette dernière réforme, tendant à transposer la Directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2012, établissant des normes minimales pour les droits des victimes, qui a regroupé les droits des victimes au sein du titre préliminaire du Code de procédure pénale [4] (CPP). Voilà donc plus de vingt ans que la victime est bien installée sur la scène pénale [5].

De l’autre côté, la logique de simplification se trouve non seulement dans les lois précitées, mais aussi dans la plupart des réformes adoptées en procédure pénale depuis les années 2000. Ainsi, la loi "Perben II" contenait déjà en 2004 des dispositions visant à « simplifier » les commissions rogatoires, les expertises, etc. Toutefois, à la différence de ces prédécesseurs, la loi « Belloubet » a décidé d’en faire son fil conducteur, la volonté de simplification et d’accélération de la justice répressive étant bien sûr « combinée avec un souci d’économie financière » [6]. En ce sens, l’étude d’impact accompagnant le projet de loi précise, à propos de la plainte en ligne, dans un vocabulaire plus managérial que pénal (plus cynique que juridique) qu’« il ne semble donc pas que des gains RH puissent être attendus de cet axe de simplification pour les victimes » [7].

Un constat s’est imposé rapidement à propos de la réforme du 23 mars 2019 : il ne s’agit pas d’une « grande loi » mais d’une réforme technicienne, revisitant presque tous les aspects de la procédure pénale, « dans un souci permanent et quasiment obsessionnel d’efficacité » [8].

C’est d’ailleurs dans le titre IV que nous trouverons réponse à notre question au vu de l’intitulé retenu : « Dispositions portant simplification et renforcement de l’efficacité de la procédure pénale » [9]. Un chapitre est bien consacré aux droits des victimes et pas le moindre puisqu’il s’agit du premier. À l’image de l’article préliminaire du CPP (N° Lexbase : L3311LTS), le législateur donne la priorité aux victimes avant d’envisager l’enquête et l’instruction, l’action publique et le jugement, le terrorisme et le crime organisé et enfin l’entraide internationale.

L’intitulé du chapitre précise qu’il s’agit de dispositions relatives « au parcours judiciaire » des victimes. Le rapport annexé au projet de loi constate que « « La justice apparaît souvent au justiciable comme un labyrinthe » [10]. Les dispositions adoptées doivent donc permettre à la victime de simplifier son entrée de ce labyrinthe comme sa sortie. Sous le masque de la simplification, se cachent des réalités bien différentes pour les victimes dans l’exercice de leurs droits. Il est à craindre deux ans après l’adoption de cette loi que la simplification ne soit que cette « fleur de la légistique vide de sens que le technocrate, par définition, affectionne » [11].

Afin de nous rendre compte de l’ampleur de la simplification opérée en faveur des victimes, il nous faut effeuiller la loi « Belloubet » dont la plupart des dispositions sont entrées en vigueur. À la question la loi du 23 mars 2019 simplifie-t-elle le parcours judiciaire de la victime, nos réflexions nous conduisent à répondre que le législateur le fait un peu (I), beaucoup (II), passionnément (III), à la folie (IV) et … pas du tout (V).

I. Un peu …

Clarifier - Comme l’ont souligné les organisateurs de ce colloque, la simplification peut n’être que légère, pour ne pas dire formelle, conduisant en réalité à un travail de réécriture aux fins de lisibilité de la loi : simplifier, c’est avant tout clarifier. Afin d’améliorer le parcours judiciaire des victimes, le législateur a souhaité apporter « un peu » de simplification en clarifiant le rôle et la place des associations d’aides aux victimes [12] mais également la question du recueil des plaintes.

En effet, la simplification s’est manifestée par une réécriture de l’article 15-3 du CPP (N° Lexbase : L7395LPL) relatif à la réception des plaintes par les services ou les unités de police judiciaire. Cette disposition légale, introduite par la loi du 15 juin 2000, indiquait jusqu’alors que : « la police judiciaire est tenue de recevoir les plaintes déposées par les victimes d'infractions à la loi pénale et de les transmettre, le cas échéant, au service ou à l'unité de police judiciaire territorialement compétent » [13]. Bien qu’étant « d’interprétation aisée pour le juriste » [14]. Cet article donnait lieu à des difficultés d’interprétations sur le terrain : des APJ isolés ayant l’impression de faire un acte illégal en l’absence de l’OPJ [15], des refus de prendre les plaintes en renvoyant vers des plateformes numériques [16]. C’est pour ces raisons que le législateur, par différents amendements, a souhaité clarifier et renforcer l’obligation de recevoir les plaintes déposées par la victime, en apportant deux précisions. D’abord, les plaintes peuvent être reçues non seulement par des OPJ mais également par des APJ. Ensuite, lorsqu’elles sont déposées auprès d’un service qui n’est pas territorialement compétent, lesdites plaintes doivent être transmises à celui qui l’est. Entrée en vigueur le 25 mars 2019, cette nouvelle rédaction de l’article 15-3 a pu immédiatement profiter aux victimes d’infractions. Enfin, le législateur en a profité pour ajouter que « les officiers ou agents de police judiciaire peuvent s'identifier dans ce procès-verbal par leur numéro d'immatriculation administrative » [17].

II. Beaucoup ?

- Faciliter - Pour le législateur, la simplification au service des droits des victimes ne se limite pas à corriger des malfaçons rédactionnelles mais également à améliorer leur parcours judiciaire. D’une certaine manière, simplifier « beaucoup » revient à assouplir les formalités procédurales, tout en prenant appui sur la révolution numérique. La méthode consiste à dématérialiser la constitution de partie civile avant une audience [18] mais surtout le dépôt de plainte.

L’introduction de la plainte en ligne, en application du nouvel article 15-3-1 du CPP (N° Lexbase : L7192LP3), constitue l’une des mesures-phares de la loi « Belloubet » et « l’un des aspects le plus marquant de la transformation numérique de la justice » [19]. Pour autant, elle n’est que l’héritière de la préplainte en ligne, expérimentée en 2008 puis entérinée en 2018 mais dont la finalité était alors différente : « permettre un traitement plus rapide de la plainte lorsque la victime se présentera au rendez-vous puisque le professionnel en aura déjà pris connaissance » [20]. Il est désormais prévu que « dans les cas et selon les modalités prévues par décret, la plainte de la victime est adressée par voie électronique (…)». Néanmoins, l’entrée en vigueur de cette mesure est conditionnée à la publication de différents textes : décret-cadre, décrets et arrêtés de la CNIL pour chaque service en ligne dédié aux différentes infractions [21].

Sur le principe, cette « plainte 2.0 » présente de réels avantages si l’on songe à la situation des personnes handicapées [22], aux victimes de violences physiques ou sexuelles qui craignent de sortir de chez elle, celles qui ne disposent pas des moyens de transport pour aller porter plainte ou, plus proche de nous, la période de crise sanitaire durant laquelle les Français se sont trouvés en confinement. Toutefois, cette plainte dématérialisée n’est pas sans susciter certaines craintes. Outre les risques (habituels) de fractures numérique, sociale ou territoriale, c’est la physionomie de la plainte qui s’en trouve modifiée : expression d’une douleur individuelle, elle suppose d’être entendue par un enquêteur et non d’avoir un ordinateur comme premier (et seul) interlocuteur [23]. Les modalités techniques sont justement là pour encadrer cette plainte en ligne qui « ne peut être imposée à la victime » [24] et ne dispense pas les enquêteurs de procéder à son audition, « si la nature ou la gravité des faits le justifie » [25]. La plainte en ligne est loin d’être dépourvue de conséquences procédurales puisque le lieu de traitement automatisé des informations nominatives relatives aux plaintes est considéré comme le lieu de l'infraction [26].

Le point le plus épineux demeure en réalité son champ d’application. Alors que le projet initial jugeait excessif de prévoir la plainte en ligne pour n’importe quelle infraction (crime ou délit grave contre les personnes), le législateur renvoie au pouvoir réglementaire le soin de prévoir les infractions visées. Or, le décret du 24 mai 2019 vise non seulement les agressions ou atteintes sexuelles mais aussi toute atteinte grave à la personne [27]. Quant à l’arrêté du 26 juin 2020 portant création du télé-service « THESEE », il prévoit que le traitement vise les « e-escroquerie » [28]. Le problème ne se limite à cette délimitation à géométrie variable mais dans la manière de procéder du législateur qui renvoie à un décret qui lui-même renvoie à un arrêté du ministre de la Justice pour fixer la liste des infractions concernées. Avec une telle disposition, on peut légitimement se demander si le législateur n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence au mépris de l’article 34 de la Constitution [29].

III. Passionnément ?

- Sécuriser - Certes la loi « Belloubet » a simplifié un peu, (puis) beaucoup les droits des victimes mais « passionnément » s’agissant du parcours procédural d’indemnisation de celles d’actes de terrorisme. C’est « avec intérêt puissant et exclusif » [30] que le législateur a souhaité « sécuriser » la situation de cette catégorie de victimes [31]. Si simplifier est ici synonyme de « sécuriser », il a fallu des mesures fortes à la hauteur de l’enjeu [32] : l’attribution d’une compétence exclusive du tribunal judiciaire de Paris pour les recours en matière d’indemnisation et la consécration d’une action civile vindicative devant le juge pénal. Pour accoucher de ces deux dispositions, le législateur a trouvé son inspiration dans les travaux de la « Mission Buissière » [33].

Depuis le 1er avril 2019, le contentieux de l’indemnisation pour les victimes de terrorisme relève désormais de la compétence exclusive du tribunal judiciaire de Paris (JIVAT) en application d’un nouvel article L. 217-6 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L0601LTG[34]. Cette nouvelle compétence s’accompagne d’un transfert de prérogatives autrefois réservées au juge pénal [35]. Le législateur a judicieusement prévu les mesures transitoires permettant le renvoi des affaires en cours devant les juridictions civiles au tribunal judiciaire de Paris, sans besoin de renouveler les actes, formalités et jugements intervenus [36]. Toutefois, ce qui était présenté comme une mesure phare améliorant la situation des victimes de terrorisme ne suscite pas l’engouement espéré. Sur la forme, contrairement à ce qu’annonçait la ministre de la Justice, la question de l’indemnisation des victimes de terrorisme ne figurait pas dans le projet de loi initial mais n’est apparue qu’au détour d’un amendement du Gouvernement. Sensée favoriser l’égalité de traitement entre les victimes, la mesure a été perçue par les avocats et les associations comme « une dépossession des TGI de province, déjà spécialisés en dommage corporel » [37], entrainant un éloignement des justiciables de la justice. Sur le fond, il s’agirait même d’un « coup d’épée dans l’eau » [38] : dans la quasi-totalité des cas, le règlement des dommages et intérêts se fait à l’amiable, les rares recours n’émanant pas des victimes mais du FGTI.

Corrélativement, la compétence exclusive conférée à la juridiction civile parisienne conduit à une incompétence des juridictions pénales pour ce contentieux de l’indemnisation. Ainsi, l’action civile ne peut tendre à la réparation du dommage causé par cette infraction de terrorisme : « Lorsque la juridiction répressive est saisie d'une demande tendant à la réparation du dommage causé par cette infraction, elle renvoie l'affaire, par une décision non susceptible de recours, devant la juridiction civile compétente en application de l'article L. 217-6 du Code de l'organisation judiciaire qui l'examine d'urgence » [39]. En revanche, « cette exclusivité ne va pas jusqu'à priver la victime de son droit d'exercer l'action civile devant la juridiction pénale, mais, parce que cette action est privée de toute portée indemnitaire, elle ne peut avoir pour effet que de mettre en mouvement l'action publique ou d'en soutenir le principe » [40]. En vertu du nouvel article 706-16-1 du CPP (N° Lexbase : L7218LPZ), cette action civile devant la juridiction pénale vient uniquement prolonger l’action publique : l’objectif est de corroborer celle-ci [41]. Cette action vindicative, dépourvue de dimension indemnitaire, vient déroger à la règle « electa una via », l’article 5 du CPP (N° Lexbase : L9883IQ4) n’étant pas applicable. Cependant, la recevabilité de cette action civile demeure, paradoxalement, soumise aux exigences de l’article 2 du CPP (N° Lexbase : L9908IQZ) qui suppose que la victime ait personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction.

IV. À la folie ?

- S’émanciper - Dans cet effeuillage de la loi « Belloubet », le législateur soucieux des droits des victimes, simplifie même à la folie. La volonté de raccourcir le parcours judiciaire des victimes aux seules fins d’accélérer l’indemnisation vient renforcer l’autonomie de l’action civile par rapport à l’action publique [42]. Cette simplification, synonyme d’émancipation, s’est manifestée par l’aménagement de plusieurs cas de saisine du juge pénal sur les seuls intérêts civils : l’omission de statuer sur une demande de la partie civile [43], l’audience civile à la suite d’une composition pénale [44] ainsi que l’audience sur les intérêts civils en cas de raison de l’état mental ou physique de la personne poursuivie. Cette dernière disposition « exprime un nouvel affaiblissement de l’obligation du sursis à statuer et par voie de conséquence une atteinte supplémentaire à la primauté du criminel sur le civil » [45]. Si l’intervention du législateur était nécessaire sur cette question, elle n’apparaît pas forcément exempte de toute(s) critique(s).

La question du trouble mental d’un prévenu reçoit des solutions du législateur lorsqu’il survient au moment de l’infraction [46] ou de celui de l’exécution de la condamnation [47]. Entre ces deux situations, la loi pénale demeure muette dans l’hypothèse où la personne est saine d’esprit au moment de l’infraction mais se trouve ensuite sous l’empire d’un trouble mental avant son procès. La réponse est venue de la Cour de cassation qui va affirmer au visa de l’article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) et de l’article préliminaire du CPP, qu’ « il ne peut être statué sur la culpabilité d'une personne que l'altération de ses facultés physiques ou psychiques met dans l'impossibilité de se défendre personnellement contre l'accusation dont elle fait l'objet, fût-ce en présence de son tuteur et assistée d'un avocat ; qu'en l'absence de l'acquisition de la prescription de l'action publique ou de disposition légale lui permettant de statuer sur les intérêts civils, la juridiction pénale, qui ne peut interrompre le cours de la justice, est tenue de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure et ne peut la juger qu'après avoir constaté que l'accusé ou le prévenu a recouvré la capacité à se défendre » [48]. La solution adoptée par la jurisprudence apparaît justifiée au regard de l’action publique puisqu’elle est à la fois respectueuse du principe de légalité [49] et des droits de la défense de la personne poursuivie. Au regard de l’action civile, la solution l’était moins puisque la victime, qui elle aussi bénéficie du droit à un délai raisonnable, se trouvait prise en otage par « un sursis à statuer viager » [50] en application de l’article 4, alinéa 2, du CPP (N° Lexbase : L9885IQ8[51]. Seule échappatoire possible dans ce procès figé un éventuel recours devant la Commission d’indemnisation.

Alors qu’une intervention législative était souhaitée, ce n’est qu’au détour de deux amendements que la solution a été adoptée par le législateur, sans même prendre le temps de la réflexion. Un nouvel alinéa a donc été inséré à l’article 10 du CPP (N° Lexbase : L7396LPM) prévoyant que : « Lorsque l'état mental ou physique d'une personne citée ou renvoyée devant une juridiction de jugement rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d'exercer sa défense et que la prescription de l'action publique se trouve ainsi suspendue, le président de cette juridiction peut, d'office, ou à la demande du ministère public ou des parties, décider, après avoir ordonné une expertise permettant de constater cette impossibilité, qu'il sera tenu une audience publique pour statuer uniquement sur l'action civile » [52]. Cependant, cette dérogation à la règle du sursis à statuer en faveur de la victime présente un certain nombre d’imperfections [53]. D’abord, la solution qui repose sur une simple faculté du président de juridiction interpelle au regard du principe d’égalité, d’autant plus qu’elle crée une différence entre les victimes qui se sont ou non constituées partie civile. Ensuite, la loi se limite à une expertise permettant de constater cette impossibilité sans prévoir, à la différence des exemples étrangers [54], de réexamen ou de suivi de cet état de santé. Enfin, le législateur n’a pris en compte le risque de contrariété de décisions civile et pénale dans l’hypothèse d’une reprise du procès pénal à la suite du recouvrement par le prévenu de ses facultés mentales. En effet, les cas d’ouverture du recours en révision ne visent pas une telle situation [55]. Le législateur n’a plus qu’à revoir sa copie ou écouter la doctrine qui lui a suggéré de créer une nouvelle cause d’extinction de l’action publique. Cette solution permettrait de libérer la victime, le prévenu étant, quant à lui, suffisamment puni par sa propre folie [56].

V. Pas du tout ?

Filtrer - Le dernier « pétale » de la simplification concerne l’encadrement des plaintes avec constitution de partie civile. Depuis l’arrêt Laurent-Athalin [57], la constitution de partie civile adressée au juge d’instruction met obligatoirement en mouvement l’action publique. Toutefois, la « puissance de l’effet pénal confiée à des particuliers » [58] a conduit le législateur, par la loi du 5 mars 2007, à encadrer une telle démarche pour éviter le risque d’abus. Ainsi, la plainte avec constitution de partie civile n’est recevable que si le plaignant justifie qu’il a préalablement déposé́ une plainte simple pour ces faits auprès du parquet, et que celui-ci a classé́ la procédure sans suite ou n’a pas donné́ suite pendant plus de trois mois [59]. Cependant, le dispositif n’ayant pas permis d’alléger la charge des cabinets d’instruction [60], la loi « Belloubet » a donc introduit une nouvelle modalité de filtrage qui en réalité n’améliore en rien la simplicité de la justice [61].

Dans le prolongement de la loi de 2007, la réforme de 2019 a souhaité restreindre la recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile afin lutter contre les dépôts abusifs, en introduisant deux nouvelles dispositions à l’article 86 du CPP (N° Lexbase : L7457LPU[62]. La première permet au parquet de demander au juge d'instruction un délai supplémentaire de trois mois pour permettre la poursuite des investigations avant de faire connaître ses réquisitions. La seconde disposition prévoit que dans l’hypothèse où les investigations réalisées en application du délai de trois mois ont permis d’établir à la charge de la personne mise en cause, des faits délictuels pouvant faire l’objet de poursuites, mais que le parquet n’entend pas poursuivre, « celui-ci peut également requérir du juge d'instruction de rendre une ordonnance de refus d'informer, tout en invitant la partie civile à engager des poursuites par voie de citation directe » [63]. Le système mis en place devrait donc contribuer à simplifier le parcours de la victime qui se trouve réorientée vers les tribunaux correctionnels dans l’hypothèse où le recours à l’information serait inutile.

Cette nouvelle procédure de filtrage a reçu un accueil plutôt mitigé de la part des praticiens et universitaires. Ainsi, la CNCDH s’est étonnée du « traitement paradoxal » dont la victime fait l’objet dans cette loi « Belloubet » : « D’un côté́, le dépôt de plainte est facilité avec la plainte en ligne (…). D’un autre côté́, les conditions d’accès au juge sont durcies, avec l’objectif de limiter les dépôts abusifs de plainte avec constitution de partie civile » [64]. Cette nouvelle modalité conduit à la victime à attendre six mois sans avoir la certitude que les trois mois supplémentaires permettent de mener les investigations nécessaires. À l’issue de ce délai, « le parquet propose un refus d’informer au juge alors que ce refus n’est prévu que dans des cas soigneusement énumérés à l’article 86, alinéa 4 ! » [65]. Bien loin de l’objectif de simplification, le législateur est venu ajouter une nouvelle ordonnance à l’objet incertain. L’objectif initial était d’endiguer le flot des plaintes avec constitution de partie civile qui se clôturent par un non-lieu, c’est-à-dire les affaires pour lesquelles ni l’enquête, ni l’instruction n’ont permis de rassembler des preuves suffisantes de culpabilité et qui sont dilatoires ou abusives. Or, le nouveau dispositif de non-lieu d’informer ne s’adresse à pas ces affaires mais au contraire, à celles pour lesquelles l’enquête a permis d’établir que des poursuites peuvent être engagées par la voie de la citation directe [66]. Le bilan est donc le suivant : les victimes vont renouer avec le parcours du combattant et les cabinets d’instruction avec la complainte des abus de constitution de partie civile.

En définitive, filtrer n'est pas forcément simplifier ni pour les victimes, ni pour la justice.

 

[1] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC).

[2] Loi n° 2000-516, du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (N° Lexbase : L0618AIQ).

[3] J. Buisson, Les dispositions de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 relatives au parcours judiciaires des victimes, Procédure 2019, n° 6, Focus 7.

[4] C. proc. pén., art. 10-2 (N° Lexbase : L8566LXK) à 10-5 (N° Lexbase : L2759KGB).

[5] G. Beaussonie, L’installation de la victime dans le procès pénal, AJ Pénal 2006, 526 ; X. Pin, Les victimes d’infractions : définitions et enjeux, Arch. Pol. Crim. 2006, n° 28, p. 49.

[6] J. Pradel, Notre procédure pénale à la recherche d’une efficacité à toute vapeur, JCP G. 2019, étude 406.

[7] Étude d’impact, p. 20.

[8] J. Pradel, art. précité.

[9] J. Pradel, art. précité, § 2 : « Ce titre IV n’est pas du tout l’expression d’une politique « du grand soir procédural », car « l’objectif n’est pas de réformer en profondeur l’architecture de cette procédure, mais de simplifier autant qu’il est possible les règles existantes... ».

[10] Rapport annexé au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, NOR : JUST1806695L, p. 3.

[11] P. Conte, Le divan d’Hercule, Droit pénal 2019, repère 3.

[12] Les mots « conventionnée d’aide aux victimes » sont remplacés par les mots : « d’aide aux victimes agréée dans les conditions définies par décret » (C. proc. pén., art. 10-2 et 41 N° Lexbase : L7391LPG). Cette modification, par le biais d’amendements, trouve son inspiration dans les préconisations du rapport d’évaluation des politiques publiques sur la structuration de la politique publique d’aide aux victimes rendu en février 2017.

[13] Création loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, art. 114 (JORF, 16 juin 2000).

[14] J. Buisson, Les dispositions de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 relatives au parcours judiciaires des victimes, Procédure 2019, n° 6, Focus 7.

[15] L. Avia, D. Paris, Rapport n° 1396 de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice (n° 1349) et relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (n° 1350), Ass. nat., 9 novembre 2018 (tome 1 : synthèse et commentaires d'articles) : propos de M. Mazars.

[16] L. Avia, D. Paris, Rapport précité., propos de M. Schelemberger.

[17] C. proc. pén., art. 15-3 (N° Lexbase : L7395LPL).

[18] Depuis la loi du 23 mars 2019,  une victime peut désormais se constituer partie civile à l’audience par voie dématérialisée (« par le moyen d’une communication électronique ») et non plus seulement par lettre recommandée avec avis de réception ou par télécopie. En outre, l’irrecevabilité tirée du non-respect du délai de vingt‑quatre heures avant la date de l’audience ne lui sera pas opposable dès lors que « le tribunal [en] a effectivement eu connaissance, avant les réquisitions du ministère public sur le fond » (C. proc. pén., art. 420-1 N° Lexbase : L7388LPC).

[19] X. Pin, L’action civile : quelle(s) disposition(s) en faveur des victimes ?, in  : S. Pellé (dir.), Quelles mutations pour la justice pénale du XXIème siècle ?, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2020, p. 114.

[20] S. Sontag-Koenig, Déposer plainte en ligne : simplifier, renforcer mais aussi repenser la physionomie de la plainte, AJ Pénal 2020, p. 14. Voir égal. J.B. Thierry, La Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, loi de réforme pour la justice numérique ?, JCP G. 2019, doct. 524, § 10.

[21] Circ. min., 25 mars 2019, NOR : JUSD1908794C, BOMJ n° 2019-03, 29 mars.

[22] Étude d’impact, Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, 19 avril 2018, p. 201.

[23] A. Bergeaud-Wetterwald, Vers un nouveau paradigme de la justice ? Réflexions sur l’unité de la loi de programmation et de réforme pour la justice, in  : S. PELLÉ (dir.), Quelles mutations pour la justice pénale du XXIème siècle ?, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2020, p. 12.

[24] C. proc. pén., art. 15-3-1, al. 3 (N° Lexbase : L7192LP3).

[25] C. proc. pén., art. 15-3-1, al. 4.

[26] C. proc. pén., art. 15-3-1, al. 2.

[27] C. proc. pén., art. D. 8-2-4 (N° Lexbase : L8690LQW).

[28] Arrêté du 26 juin 2020 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « traitement harmonisé des enquêtes et signalements pour les e-escroqueries » (THESEE) : NOR : INTC2014263A.

[29] Cons. const., décision n° 2016-569 QPC, du 23 septembre 2016 (N° Lexbase : A8478R3E) : D. 2016, 2545, comm. J.-B. Perrier.

[30] Définition de la Passion, dictionnaire XXX

[31] Sur ce sujet, voir J. Knetsch, L’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, in  : S. PELLÉ (dir.), Quelles mutations pour la justice pénale du XXIème siècle ?, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2020, p. 169 et s.

[32] Voir égal. le pouvoir de réquisition (quasi-juridictionnel) du FGTI (C. assur., art. L. 422-1-1 N° Lexbase : L7220LP4).

[33] C. Buissière, Mission sur l’amélioration du dispositif d’indemnisation des victimes de préjudice corporel en matière de terrorisme, Rapport remis au Garde des Sceaux, 15 mars 2018 [en ligne].

[34] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, art. 59.

[35] C. proc. pén., art. 706-16-2 (N° Lexbase : L7219LP3) (pouvoir de réquisition, communication et d’audition).

[36] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, art. 64, VIII. Voir égal. Circulaire de présentation des entrées en vigueur des dispositions civiles de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice (annexe n° 14).

[37] C. Bernfeld, Jivat-y, Jivat-y pas, Gaz. Pal. 16 octobre 2018, n° 333h2, p. 37

[38] Expression de J. Knetsch, L’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, in : S. PELLÉ (dir.), Quelles mutations pour la justice pénale du XXIème siècle ?, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2020, p. 174.

[39] C. proc. pén., art. 706-16-1 (N° Lexbase : L7218LPZ).

[40] Y. Mayaud, Terrorisme – Poursuites et indemnisation, Rép. Pén. février 2020, § 385.

[41] Cass. crim., 8 juin 1971, D. 1971, 594, note J. Maury.

[42] X. Pin, art. précité, p. 114.

[43] C. proc. pén., art. 10, al. 3 (N° Lexbase : L7396LPM).

[44] C. proc. pén., art. 41-2 (N° Lexbase : L0658L47).

[45] S. Pellé, Réforme de la Justice pénale/procédure pénale et droit de la peine. Commentaires, Dalloz, coll. Les textes, 2019, p. 7.

[46] C. pén., art. 122-1 (N° Lexbase : L9867I3T) ; C. proc. pén., art. 706-119 (N° Lexbase : L7475LPK) et s..

[47] C. proc. pén., art. 720-1-1 (N° Lexbase : L0645LT3).

[48] Cass. crim., 5 septembre 2018, n° 17-84.402, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3708X3Q) ; Cass. crim., 19 septembre 2018, n° 18-83.868, F-P+B (N° Lexbase : A6619X7B) ; Cass. crim., 11 juillet 2007, n° 07-83.056, F-P+F (N° Lexbase : A4631DXS).

[49] Les juges du fond étant dans l’obligation de surseoir à statuer et l’interdiction de relaxer le prévenu pour un motif non prévu par la loi (C. proc. pén., art. 470 N° Lexbase : L9932IQW).

[50] Expression de V. Tellier-Cayrol, L’atermoiement illimité ou du sursis à statuer pour altération définitive des capacités du prévenu, D. 2018, 2076.

[51] « Il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement ».

[52] C. proc. pén., art. 10, al. 4 (N° Lexbase : L7396LPM).

[53] V. Tellier-Cayrol, Lorsque l’état de santé du mis en cause paralyse les droits de la défense, quel remède apporter ?, Gaz. Pal. 5 décembre 2019, p. 73.

[54] V. Tellier-Cayrol, art. précité, p. 73 : « « Les remèdes existent pourtant, que l’on s’inspire des droits étrangers (au Canada, une commission d’examen des troubles mentaux suit, tous les deux ans, l’état de santé des personnes déclarées inaptes à subir leur procès) ou du droit pénal international (l’article 135 du règlement de la Cour pénale internationale prévoit, dans ce cas, que la chambre de première instance réexamine la situation de l’accusé tous les 120 jours). »

[55] CPC, art. 595 (N° Lexbase : L6752H79).

[56] Furiosus satis ipso punitur (Digeste, 9, 2, 48, 9).

[57] Cass. crim., 8 décembre 1906 : D. 1907, I, p. 207 ; S 1907, I, p. 377, note R. Demogue.

[58] Expression de S. Guinchard, J. Buisson, Procédure pénale, Lexisnexis, 12ème éd., 2019, § 1799.

[59] C. proc. pén., art. 85, al. 2 (N° Lexbase : L7458LPW).

[60] F.-N. Buffet, Y. Détraigne, Rapport sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et sur le projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions, Sénat 3 octobre 2018, p. 230 : « En 2016, 23 % des ouvertures d’informations judiciaires l’ont été à la suite d’une constitution de partie civile. 18,6 % des informations judiciaires clôturées la même année avaient été ouvertes sur constitution de partie civile. Près de deux tiers d’entre elles se sont clôturées par un non-lieu (1 869 pour 2 810 affaires). »

[61] E. Vergès, Réforme de la procédure pénale : une loi fleuve, pour une justice au gré des courants - A propos de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, Droit pénal 2019, étude 12.

[62] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, art. 53, III.

[63] C. proc. pén., art. 86, al. 4 (N° Lexbase : L7457LPU).

[64] CNCDH, Avis sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, 20 novembre 2018, p. 13.

[65] J. Pradel, art. précité, § 3.

[66] X. Pin, art. précité, p. 120.

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