Lexbase Avocats n°316 du 1 juillet 2021 : Justice

[Actes de colloques] La simplification de la compétence des juridictions par la loi du 23 mars 2019 : quel bilan ?

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par Didier Cholet, Maître de conférences à l’Université du Mans

le 01 Juillet 2021


Le 26 mars 2021, s'est tenu à la faculté de droit, sciences économiques et de gestion du Mans, un colloque sur le thème « La simplification de la justice, Quel bilan depuis la loi « Belloubet » ? », sous la direction scientifique de Didier Cholet, Sandrine Drapier et Karine Lemercier, Maîtres de conférences à l'Université du Mans. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Avocats vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N7617BYR).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.


 

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC) s’inscrit dans la continuité de nombreuses réformes qui visent à simplifier la justice [1].  Selon le rapport qui l’accompagne, elle devait œuvrer à une justice simple, efficace, moderne et proche des gens [2]. Elle a réformé l’organisation judiciaire de première instance dans un objectif d’efficacité, mais aussi de simplification de la compétence des juridictions [3].  Cet objectif est-il atteint ? La simplification n’étant pas, en matière juridique, une notion aussi évidente qu’il n’y paraît [4], il importe de préciser que nous poserons la question de savoir si les justiciables bénéficient d’une simplification des règles en la matière [5]. Peuvent-ils plus simplement identifier les juridictions compétentes pour résoudre leur litige ? Les questions de compétence ont-elles été limitées et peuvent-elles être résolues plus simplement ? C’est ce que nous allons tenter de vérifier en étudiant la matière non pénale qui a été principalement visée par le législateur [6]. Avec le recul de plus de deux ans et de nombreux décrets d’application, il est permis de douter que cet objectif soit atteint. Pour le justiciable, l’institution judiciaire, avec ses juridictions aux nombreuses compétences encore confuses reste un maquis sans doute aussi inextricable aujourd’hui qu’avant la loi. Pourquoi ? Pour deux raisons : d’une part parce que les réformes institutionnelles envisagées n’ont pas totalement abouti (I), d’autre part parce que les règles portant sur la compétence ont été négligées (II).

I. Des réformes institutionnelles inabouties

Des réformes institutionnelles importantes ont bien été réalisées par la loi du 23 mars 2019 mais elles ne sont pas allées au bout de leur logique et n’ont pas simplifié la compétence des juridictions aussi largement que le souhaitait le législateur. Cette simplification devait d’abord résulter d’une fusion des juridictions de première instance (A) et ensuite d’une spécialisation de certaines juridictions (B).

A. La fusion des juridictions de première instance

La loi du 23 mars 2019 réalise une profonde modification de l’organisation judiciaire fondamentale, la plus importante depuis la grande réforme de 1958 réalisée par Michel Debré [7]. Les deux juridictions civiles traditionnelles qu’étaient les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance ont été supprimées et remplacées par une seule juridiction : le tribunal judiciaire [8]. La dualité qui existait en première instance depuis plus de deux siècles, avec une juridiction civile de proximité (juge de paix puis tribunal d’instance) et une juridiction de droit commun chargée des affaires complexes (tribunal civil puis tribunal de grande instance) est remplacée par l’unité de la juridiction civile. Ainsi, les conflits de compétence entre tribunaux de grande instance et tribunaux d’instance s’éteignent naturellement, ce qui simplifie nettement la compétence des juridictions civiles. L’unité de juridiction n’est toutefois pas réalisée puisque subsistent encore des juridictions spécialisées : tribunaux de commerce, conseils de prud’hommes et tribunaux paritaires des baux ruraux qu’il n’a pas été possible de supprimer compte tenu du coût et de la difficulté politique de cette mesure.

Cependant, cette simplification est un trompe-l’œil [9]. Si les conflits de compétence entre les juridictions civiles ont été réduits, les problèmes de compétence au sein du tribunal judiciaire ont augmenté [10]. En effet, à l’intérieur de ce tribunal sont instituées deux nouvelles juridictions : les chambres de proximité et les juges des contentieux de la protection. En premier lieu, les chambres de proximité ont remplacé les tribunaux d’instance disparus dans les communes où ne siège pas le tribunal judiciaire. Or ces chambres - qui portent le nom de tribunaux de proximité - possèdent des compétences propres qui reprennent très largement celles des tribunaux d’instance supprimés, à l’exception de certains contentieux électoraux (COJ, art. D. 212-19-1 N° Lexbase : L0391LSB). La simplification s’est ici heurtée à la volonté politique de ne fermer aucun lieu de justice. Les conflits de compétence entre tribunaux d’instance et tribunaux de grande instance ont donc été remplacés par ces conflits internes entre tribunal judiciaire et chambres de proximité au moins dans le ressort d’un tribunal judiciaire. Il est en effet possible de contester la compétence d’une chambre de proximité ou de revendiquer la compétence de cette chambre plutôt que celle du tribunal judiciaire. La simplification n’est donc effective qu’au siège des tribunaux judiciaires où il n’existe pas de chambre de proximité alors qu’existait auparavant un tribunal d’instance.

En second lieu, un nouveau juge a été créé au sein du tribunal judiciaire : le juge des contentieux de la protection qui siège au sein du tribunal judiciaire ou d’une chambre de proximité. Ce magistrat a repris une partie de la compétence du juge d’instance. La plupart des anciens juges d’instance sont d’ailleurs devenus juges des contentieux de la protection [11]. Ce juge connaît de la tutelle des majeurs, du contentieux des baux d’habitation et de l’expulsion des squatteurs, du surendettement, des litiges liés aux crédits à la consommation et au fichier des incidents de paiement (COJ, art. L. 213-4-1 N° Lexbase : L7246LP3 à L. 213-4-8 N° Lexbase : L7253LPC). Avec ce nouveau juge, les règles de compétence interne sont plus complexes qu’avant. Au sein du tribunal judiciaire, sont en effet apparus de nombreux conflits de compétence entre le tribunal et ses juges (juge de la mise en état, juge aux affaires familiales, juge des libertés et de la détention, juge de l’exécution et président du tribunal, juge des contentieux de la protection) ou juridictions spécialisées (chambres de proximité), voire avec les « pôles sociaux » qui sont des formations spécifiques du tribunal judiciaire compétentes pour juger les litiges de droit de la sécurité sociale et de l’aide sociale (COJ, art. L. 211-16 N° Lexbase : L7729LPX et L. 218-1 N° Lexbase : L0000LQ3). Quoi qu’il en soit, la fusion des juridictions civiles a rendu plus complexe la compétence en première instance en augmentant les occasions de conflit au sein du tribunal judiciaire et en n’édictant pas de règles claires pour les délimiter.

B. La spécialisation des juridictions

Le second levier institutionnel utilisé pour simplifier la compétence est la spécialisation des juridictions. C’est une tendance lourde des réformes de la justice depuis une vingtaine d’années. Il s’agit de réserver certains contentieux à quelques juridictions, ce qui permet une meilleure connaissance des matières à juger par les magistrats qui y sont affectés et des économies budgétaires puisque les moyens ne sont plus dispersés, mais concentrés sur quelques sites [12]. La loi « Belloubet » innove cependant. Elle prévoit en effet deux types de spécialisation originale : l’une décidée par la loi elle-même d’une juridiction nationale qui devait être intégralement numérique, l’autre qui consiste dans une spécialisation adaptée localement en fonction des territoires.

Le rapport « Agostini-Molfessis », Amélioration et simplification de la procédure civile, qui a inspiré la loi prévoyait de créer une juridiction nationale de l’injonction de payer entièrement dématérialisée [13]. Les problèmes de compétence territoriale devaient disparaitre puisque cette juridiction devait être la seule de son espèce en France. Elle devait connaître de toutes les injonctions de payer et des oppositions, ce qui limitait les problèmes de compétence d’attribution. La loi du 23 mars 2019 est allée beaucoup moins loin puisqu’elle n’a pas créé de juridiction nationale de l’injonction de payer, mais a spécialisé un tribunal judiciaire qui est exclusivement compétent pour statuer sur les demandes d’injonction de payer civiles et européennes, mais non sur les demandes d’injonction de payer relevant de la compétence du tribunal de commerce (COJ, art. L. 211-17 N° Lexbase : L7346LPR et L. 211-18 N° Lexbase : L7345LPQ). Elle ne lui a pas accordé compétence pour statuer sur les oppositions aux injonctions de payer civiles internes, mais a simplement prévu qu’elle recevrait les demandes d’opposition avant de les transmettre au juge compétent [14]. Des problèmes de compétence risquent donc de se poser. Ce n’est cependant pas le principal problème. La juridiction devait être intégralement dématérialisée. Saisie uniquement par voie électronique, elle devait rendre des décisions sans audience. La loi a prévu de nombreuses exceptions à cette dématérialisation dont la généralisation n’est pas apparue souhaitable pour de nombreuses personnes, ni praticable en l’état. Les demandes formées par les personnes physiques n’agissant pas à titre professionnel et non représentées par un mandataire et les demandes d’injonction de payer européenne peuvent être adressées au greffe sur support papier (COJ, art. L. 211-18). Mais surtout, l’intendance n’a pas suivi, les moyens humains étant insuffisants et les logiciels informatiques n’étant pas prêts. À cela s’est ajoutée la crise sanitaire. La création du tribunal judiciaire spécialement désigné comme juridiction nationale de l’injonction de payer - celui de Strasbourg - qui devait intervenir le 1er janvier 2021 a été repoussée au 1er septembre 2021 [15], puis le ministre de la Justice qui a succédé à Nicole Belloubet, Éric Dupont-Moretti, a déclaré en septembre 2020 ne pas vouloir mettre en œuvre cette réforme. Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire qui prévoyait de repousser au 1er septembre 2023 l’entrée en fonction de cette juridiction a donc été modifié par le Gouvernement pour abroger les textes relatifs à cette juridiction [16]. Il est dès lors possible de se demander si elle verra le jour. La simplification envisagée n’est donc pas intervenue.

La deuxième forme de spécialisation prévue par la loi du 23 mars 2019 est plus originale et particulièrement novatrice pour un État aussi centralisé que la France. Elle prévoit la possibilité de spécialiser localement certaines juridictions, adaptant ainsi la justice à la diversité des territoires [17]. Un décret peut spécialiser un tribunal judiciaire au sein d’un département lorsque celui-ci en comporte plusieurs. La loi prévoit aussi, à titre exceptionnel, la possibilité de spécialiser un tribunal judiciaire pour connaître des litiges relevant de ressorts de deux départements limitrophes (COJ, art. L. 211-9-3 N° Lexbase : L2406LYR). Ce sont les chefs de cour d’appel des ressorts concernés qui proposent ces dérogations à la compétence établie nationalement, après avis des chefs de juridiction et consultation des conseils de juridiction concernés, mais c’est le pouvoir exécutif qui décide. Une liste de douze matières qui peuvent donner lieu à cette spécialisation a été fixée par décret (COJ, art. R. 211-4-1), dont certaines font l’objet de fréquents litiges (ex. : la copropriété ou les baux commerciaux) alors que la spécialisation devait tenir compte du volume des affaires et de la technicité des contentieux. À titre expérimental, la loi a également prévu la possibilité de spécialiser des cours d’appel pour juger des recours contre les décisions de première instance dans le ressort de plusieurs cours au sein d’une même région dans des matières dont la liste est très proche de celle prévue pour les tribunaux judiciaires, avec en plus les recours contre les décisions des tribunaux paritaires des baux ruraux. Aucun décret n’a été pris sur ces fondements. Cette spécialisation pourra entrainer des dérogations locales ou régionales aux règles de compétence nationales, rendant plus complexe la carte judiciaire. Mais c’est surtout une autre spécialisation des juridictions particulièrement originale qui a été permise par la loi du 23 mars 2019 : celle qui concerne les chambres de proximité. En effet, en plus des compétences fixées par décret, il est possible que - par une décision décentralisée prise conjointement par le premier président et le procureur général de la cour d’appel du ressort, après avis des chefs de juridiction et consultation des conseils de juridiction concernés - soient attribuées des compétences supplémentaires à certaines chambres de proximité (COJ, art. L. 212-8 N° Lexbase : L7244LPY). Les matières susceptibles d’être transférées du tribunal aux chambres ne sont pas limitées. L’adaptation territoriale de la compétence est assez libre. Elle a déjà été utilisée plus d’une dizaine de fois pour des matières diverses et sur des territoires variés. Cette adaptation, séduisante au premier abord, se paye pourtant au prix d’une complexité plus grande de la compétence des juridictions, accentuée par la négligence du législateur dans la détermination des règles de compétence.

II. Des règles de compétence négligées

La mise en œuvre de la simplification par des règles portant spécifiquement sur la compétence - non sur l’organisation judiciaire - n’a pas été assez pensée. Sa réalisation a été un échec. On a l’impression que le législateur ne s’en est guère préoccupé, pensant peut-être que ces questions sont peu importantes, car elles relèvent de l’administration judiciaire et peuvent être facilement résolues grâce à des outils informatiques performants. C’est une erreur qui a conduit à une mauvaise organisation du règlement interne des conflits de compétence au sein du tribunal judiciaire et à négliger l’accessibilité de ces règles.

A. La mauvaise organisation du règlement des conflits de compétence au sein du tribunal judiciaire

La fusion du tribunal de grande instance et du tribunal d’instance au sein du tribunal judiciaire a conduit à la création des chambres de proximités et du juge des contentieux de la protection qui sont des entités possédant des compétences propres au sein de ce tribunal. Il est donc apparu souhaitable de réglementer avec souplesse ces possibles conflits de compétence internes. Dans le sillage de la loi du 23 mars 2019, le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile (N° Lexbase : L8421LT3) a inséré un article 82-1 dans le Code de procédure civile (N° Lexbase : L9292LTC) afin de les réglementer et de les simplifier. Ce texte pose de nombreux problèmes [18]. Il prévoit que les questions de compétence au sein du tribunal judiciaire seront réglées selon une procédure spécifique par dérogation aux règles normales concernant le jugement des incidents de compétence. Il est dès lors possible de se demander si la procédure qu’il réglemente est obligatoire et quelles sont précisément les questions de compétence concernées au sein du tribunal judiciaire. Traditionnellement en effet, les questions de compétence se posent entre différents tribunaux. À l’intérieur d’un tribunal, il y avait seulement des questions administratives de répartition des affaires entre chambres ou formations. Mais la multiplication des juges judiciaires possédant des compétences propres a exacerbé les conflits internes entre les chambres de proximité, le juge des contentieux de la protection et d’autres juges tels que le juge de la mise en état, le juge aux affaires familiales ou juge de l’exécution. Cependant, il est possible de se demander si certaines formations sont concernées, car elles semblent constituer des juridictions à l’intérieur du tribunal bien que le législateur les traite comme des formations simplement composées de façon spécifique. La question se pose pour les « pôles sociaux » chargés de trancher les litiges en matière de sécurité sociale et d’aide sociale (COJ, art. L. 211-16 N° Lexbase : L7729LPX) et même pour le président du tribunal dont la compétence est parfois mal distinguée de ses pouvoirs. La procédure spéciale est-elle impérative ? Il ne le semble pas puisque l’article 82-1 évoque un pouvoir non un devoir, mais la réponse est incertaine tant il semble discutable de soulever d’emblée une exception d’incompétence de droit commun pour un conflit de compétence interne. Le nouveau texte prévoit que les questions de compétence au sein d'un tribunal judiciaire peuvent être réglées avant la première audience par mention au dossier, à la demande d'une partie ou d'office par le juge (CPC, art. 82-1, al. 1). Il s’agit de réorienter une affaire mal adressée d’un juge à un autre au sein du tribunal judiciaire, sans formalités excessives, par une mesure d’administration judiciaire. Les parties ou leurs avocats doivent en être avisés sans délai par tout moyen conférant date certaine (al. 2). Il n’est pas indiqué précisément quels sont ces moyens et sur quoi doit porter l’information, même s’il s’agit probablement du juge désigné et de la possibilité de contester la décision. L’imprécision est gênante et pourra entraîner des contestations. Le dossier de l'affaire est aussitôt transmis par le greffe au juge désigné (al. 3). La compétence du juge à qui l'affaire a été ainsi renvoyée peut être remise en cause par ce juge ou par une partie dans un délai de trois mois (al. 4). Il est possible de s’interroger sur le point de savoir si le juge désigné peut statuer avant l’expiration de ce délai. Il semble que ce ne soit pas le cas, sauf accord des parties, au risque de faire perdre un temps précieux. En cas de contestation de la compétence du juge désigné, d'office ou à la demande d'une partie, celui-ci renvoie l'affaire par simple mention au dossier au président du tribunal judiciaire qui décide puis renvoie l'affaire, selon les mêmes modalités, au juge qu'il désigne. Sa décision n'est pas susceptible de recours (al. 5). La règle permet ici encore à la partie de mauvaise foi de gagner du temps. Elle interroge sur le rôle du président, juge et chef de juridiction, spécialement lorsque sa compétence est contestée ou revendiquée. Est-il vraiment impartial ? Il est possible d’en douter. La décision est en tout cas une mesure d’administration judiciaire. Mais la procédure n’est pas encore nécessairement achevée puisque la compétence du juge désigné par le président peut être contestée devant lui par les parties. Sa décision se prononçant sur la compétence peut faire l'objet d'un appel dans les conditions de droit commun des exceptions d’incompétence (CPC, art. 82-1, al. 6). C’est finalement un mécanisme très compliqué qui favorise la chicane et ne simplifie guère les règles de contestation de la compétence interne [19].

B. La difficile accessibilité des règles de compétence

L’accessibilité des règles de compétence a été négligée par la réforme. Le justiciable et même son conseil risquent fréquemment de ne pas s’y retrouver. La loi du 23 mars 2019 avait pourtant l’occasion de faire œuvre utile en fusionnant les tribunaux d’instance et de grande instance. En effet, de nombreuses règles de compétence avaient été adoptées pour donner compétence à l’une ou l’autre des juridictions supprimées au détriment de l’autre. Le législateur les a repris, ce qui confère à la compétence du nouveau tribunal judiciaire un caractère inutilement complexe. La compétence matérielle de ce tribunal occupe 15 articles dans la partie législative du Code de l’organisation judiciaire (COJ, articles L. 211-3 N° Lexbase : L7708LP8 à L. 211-18 N° Lexbase : L7345LPQ) et 44 articles dans sa partie réglementaire (COJ, art. R. 211-3 N° Lexbase : L0417LSA à R. 211-10-5 N° Lexbase : L0448LSE) avec de fréquents renvois à des tableaux en annexe. Ces textes sont encore insuffisants puisque la compétence lui est également attribuée par des lois et règlements qui ne sont pas codifiés (COJ, art. L. 211-4 N° Lexbase : L7707LP7). Il est dès lors difficile de présenter de façon exhaustive et claire la compétence du nouveau tribunal. Il aurait pourtant été aisé de profiter de la fusion pour simplifier les règles civiles de compétence. Seule aurait été repris l’article L. 211-3 du Code de l’organisation judiciaire qui énonce que « Le tribunal judiciaire connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n'est pas attribuée, en raison de la nature de la demande, à une autre juridiction ». Aucune autre règle de compétence matérielle n’aurait été énoncée pour ce tribunal. Seules les juridictions d’exception ont en effet besoin d’un texte leur attribuant expressément compétence. Pour plus de clarté, ce texte devrait figurer dans le Code de l’organisation judiciaire, quitte à reprendre la teneur d’un texte extérieur. La compétence du tribunal judiciaire serait finalement peu différente, mais les règles seraient simples et claires, ce qu’elles ne sont pas actuellement.

La compétence des chambres de proximités semble, elle, claire puisqu’elle figure dans un tableau IV-II annexé au Code de l’organisation judiciaire auquel renvoie l’article R. 212-19-1 du même code. Ce tableau comprend une liste à la Prévet de 66 chefs de compétence. Cette liste est incomplète puisque la compétence de certaines chambres de proximité figure dans le tableau IV-III (pour les juridictions d’Outre-Mer, d’Alsace et de Moselle et celles succédant aux chambres détachées des tribunaux de grande instance). En revanche, les compétences des chambres de proximité ajoutées localement par les chefs de cour ne figurent ni dans un code, ni dans un texte publié au journal officiel et diffusé sur Légifrance. On les trouve seulement au Bulletin officiel du ministère de la Justice diffusé sur le site internet de ce ministère (COJ, art. D. 212-19-2 N° Lexbase : L0393LSD). Aucun recensement n’est effectué par les pouvoirs publics, qui ne sont même pas suppléés par les codes d’éditeurs privés [20]. Pour connaître la compétence précise des chambres de proximité, il faut donc éplucher un par un les Bulletins mensuels, avec leurs numéros complémentaires, depuis janvier 2020. L’accessibilité de la règle de droit est nettement plus complexe qu’auparavant.

Finalement, la simplification annoncée n’a pas eu lieu. Ce n’est probablement pas très gênant en pratique compte tenu du peu de contentieux lié à la compétence [21]. Cet échec était prévisible tant il semble bien que le législateur n’eût guère en vue la simplification de la justice pour le justiciable mais l’amélioration de la gestion pour les chefs de juridictions dans une optique administrative et comptable [22]. C’est donc la façon de penser la justice et ses réformes qu’il conviendrait de revoir. Il faut espérer que les prochaines lois adopteront une autre approche, moins gestionnaire et plus proche de l’intérêt des justiciables. Il n’est pas interdit de rêver…

 

[1] V. C. Chainais et X. Lagarde (dir.), Réformer la justice civile. Séminaire de droit processuel, Actes du colloque du 6 février 2018, JCP, 2018, suppl. au n° 13, 26 mars 2018 et L’avenir du procès civil, 2ème séminaire de droit processuel du 21 février 2019, JCP, 2019, suppl. au n° 14, 8 avril 2019 ; L. Cadiet, Réformer la justice en France – Sur quelques tendances à l’œuvre, Mélanges Jean Danet, Dalloz, 2020, p. 289.

[2] Cf., not., S. Amrani-Mekki, Nouvelles réformes de procédure civile. Vous avez dit simplification ?, JCP, 2020, 75.

[3] Cet objectif est très clairement affiché par le Directeur des affaires civiles et du Sceau en poste au ministère de la Justice lors de l’élaboration de la loi, v., T. Andrieu, Croisement de points de vue, in L. Flise et X. Lagarde (dir.), La fin des questions de compétence ?, IRJS Editions, 2019, p. 89.

[4] Sur ce thème, V., notamment : J. Pousson et F. Rueda (dir.), Qu’en est-il de la simplification du droit ?, PU Toulouse 1 Capitole – LGDJ, 2010.

[5] Sur l’importance du justiciable parfois oublié par le législateur : S. Amrani-Mekki (dir.), Et si on parlait du justiciable du 21ème siècle ?, Dalloz, 2019.  

[6] Il convient toutefois de noter, pour la matière pénale, la création des cours criminelles qui succèdent aux cours d’assises pour le jugement des crimes les moins graves, ce qui rend plus complexe la répartition des compétences en la matière (V. not. J. Pradel, La cour criminelle départementale, D., 2021, p. 128). Une généralisation de ces juridictions créées à titre expérimental est prévue par le Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 14 avril 2021, art. 7.

[7] L. Raschel, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : aspects d’organisation judiciaire, Procédures 2019, Étude 11 ; B. Beigner et V. Égéa, La nouvelle organisation judiciaire et les compétences juridictionnelles, Procédures 2020, Étude 2.

[8] M. Guez, Le tribunal judiciaire, naissance d’une juridiction, Gaz. Pal., 23 avril 2019, p. 48.

[9] B. Taillebot et C. Gallino, Le regard de la magistrature sur la réforme de la procédure civile, Dr. famille, 2020, Étude 13

[10] D. Cholet, Les problèmes de compétence au sein du tribunal judiciaire, Procédures 2021, Étude 1.

[11] Rapport d’exécution de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice établi au titre de l’année 2020, 10 décembre 2020 p. 22 (qui dénombre 685 juges des contentieux de la protection) [en ligne].

[12] Sur ce phénomène : C. Ginestet (dir.), La spécialisation des juges, PU Toulouse 1 Capitole, 2012.

[13] F. Agostini et N. Molfesis, Amélioration et simplification de la procédure civile, Les chantiers de la justice, 15 janvier 2018, p. 14 [en ligne] ;  C. Chainais, La création annoncée de juridictions dématérialisées : fin des questions de compétence ou avènement d’une utopie ?, in L. Flise et X. Lagarde (dir.), La fin des questions de compétence ?, op. cit., p. 59.

[14] V., D. Cholet, Juridiction nationale de l’injonction de payerin S. Guinchard (dir.), Droit et pratique de la procédure civile, 10e éd., Dalloz, 2021, chap. 233, p. 220 et s..

[15] Loi n° 2020-734, du 17 juin 2020, relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne (N° Lexbase : L4230LXX), art. 25-I.

[16] Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 25 mai 2021, art. 35.

[17] J.-F. Beynel et J.-M. Etcheverry, La spatialité de la justice ou la réforme de la justice à l’épreuve des territoires, JCP, 2019, 1003 ; G. Joly-Coz, Le tribunal judiciaire : entre carte et territoire, JCP 2020. 282 ; D. Piau, Compétence juridictionnelle : du menu à la carte, Gaz. Pal. 28 janvier 2020, p. 69.

[18] C. Bléry, Réforme de la procédure civile et simplification des exceptions d’incompétence, Dalloz actualité, 20 décembre 2019.

[19] J. Jourdan-Marquès, La simplification des exceptions d’incompétence : une bombe à retardement ?, D., 2020, p. 495 ; K. Bennadji, L’article 82-1 du Code de procédure civile, cheval de Troie au service des manœuvres dilatoires ?, Dalloz actualité, 22 juillet 2020.

[20] V., toutefois, le tableau élaboré par nos soins, in S. Guinchard (dir.), Droit et pratique de la procédure civile, 10ème éd., Dalloz, 2021, n° 91.02, p. 2435.

[21] Avant 2020, 0,5 % des affaires devant les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance étaient des jugements portant sur la compétence selon les statistiques fournies par E. de Leiris, La fin des questions de compétence ? Focus sur les contentieux émergentsin L. Flise et X. Lagarde (dir.), La fin des questions de compétence ?, IRJS Editions, 2019, p. 45 ( annexe, p. 57).

[22] En ce sens : S. Guinchard, Entre aristocratie judiciaire et humiliores : la justice à la croisée des destins de ses acteurs et de ses usagers, Mélanges Jean Danet, Dalloz, 2020, p. 197.

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