Le Quotidien du 7 juin 2021 : Actualité judiciaire

[A la une] Au procès Bygmalion, l’engrenage illégal s’affiche sur grand écran mais personne n’assume

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[A la une] Au procès Bygmalion, l’engrenage illégal s’affiche sur grand écran mais personne n’assume. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/68859197-a-la-une-au-proces-bygmalion-lengrenage-illegal-saffiche-sur-grand-ecran-mais-personne-nassume
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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à 20 Minutes

le 04 Juin 2021

Elle n’en montre rien… Mais par moments, Caroline Viguier doit tout de même avoir le sentiment de tourner en rond. Sans doute parce que la présidente de la 11e chambre du tribunal judiciaire de Paris a choisi d’aborder l’épais dossier de l’affaire « Bygmalion » par cercles concentriques. Après une première semaine d’audiences passée à interroger les dirigeants de la société d’événementiel chargée d’organiser les meetings de Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2012, elle a donc commencé à resserrer son étau autour des anciens responsables de l’UMP impliqués dans la manœuvre frauduleuse.

Car il ne fait plus guère de doute que le « président-candidat », comme l’appellent encore aujourd’hui les prévenus, a bien bénéficié d’un système de fausses factures lui permettant d’exploser le plafond des dépenses de campagne autorisé par la loi. En transformant les factures des meetings du champion de la droite en faux portant sur des conventions bidon du parti, le système lui a permis, selon l’accusation, de dépenser plus de 42,8 millions d’euros alors qu’il n’avait pas le droit de dépasser 22,509 millions… Soit quasiment le double…

Appelés tour à tour à la barre, dès le lundi 31 mai, les anciens dirigeants de l’UMP ont dû reconnaître la stratégie frauduleuse. Difficile de faire autrement : les enquêteurs ont trouvé en perquisitions toutes les pièces permettant de caractériser les faits. Autant de documents que la présidente Caroline Viguier projette sur l’écran géant du prétoire à l’heure d’interroger ces prévenus qui préfèrent, évidemment, regarder leurs chaussures.

Car les documents sont éloquents… Il y a par exemple cet « engagement de dépenses » daté du 26 avril 2012. D’un montant de 5 389 784,76 euros très précisément. Ou celui rédigé un peu plus tôt, en janvier. D’un total de 2 999 199,66 euros, celui-là. Des sommes importantes relatives au coût des meetings du candidat. Sauf que les documents assurent qu’elles correspondent à des conventions de l’UMP qui n’ont, en réalité, jamais eu lieu…

Eric Césari est passé à une réunion « par hasard »

En dessous des sommes, sur chaque document, figurent quatre petites cases réservées aux signatures des directeurs, selon un processus bien établi. Et souvent, l’on trouve dans la première case la griffe de Pierre Chassat, à l’époque directeur de la Communication du parti. Aujourd’hui, il n’en mène pas large à la barre. « Oui, j’ai signé… Mais c’était en toute bonne foi..., lâche-t-il. On se disait que c’était plus simple pour la comptabilité... » Sa réponse est si faible qu’elle se perd dans le prétoire.

Car, lui aussi, en dépit de sa signature, assure n’avoir rien su, rien vu du fric-frac électoral. Et il se garde bien de désigner quelqu’un. Ce qui évidemment finit par agacer Caroline Viguier. « C’est tout de même curieux », attaque-t-elle ainsi… Avant de carrément s’emporter. « Mais qui ? Qui ? C’était le rôle de qui de vérifier les comptes ? C’était le rôle de qui de vérifier les factures ? » Pas de réponse…

Le lendemain, c’est Eric Césari qui est interrogé. Petite pochette bleue sous le bras, il arrive prestement à la barre. Comme s’il voulait s’expliquer et tout lâcher. Mais là aussi, l’après-midi se résumera à un dialogue de sourds. Caroline Viguier allume son ordinateur et pioche une première munition pour le mettre en difficulté. La déclaration d’un employé de l’UMP. « Eric Césari était au courant de tout au parti », assure celui-ci. À la barre, celui qui était surnommé « L’œil de Sarkozy » s’agite. « Mais non, il aurait fallu que je sois au milieu de tout, ce n’est pas vrai ! » La présidente de la 11e chambre ne se démonte pas. Et sort une nouvelle carte. La réunion du 13 mars 2012 où le sujet des fausses factures a été abordé. « Ce jour-là, je suis passé par hasard à cette réunion mais je n’étais au courant de rien... »

La magistrate a du mal à cacher son exaspération. Elle demande au prévenu de se décaler et appelle Guillaume Lambert à la barre. Celui qui était alors directeur de campagne du candidat Sarkozy ne doit répondre qu’à une question. Il fait vite. « Je confirme qu’Eric Césari était à cette réunion. Et non, il n’est pas passé par hasard... » Mais le prévenu qui avait le salaire le plus élevé de l’UMP à l’époque -12 375 euros mensuels- continue à nier. Il semble avoir réponse à tout. Un salarié qui l’accuse ? « Oh lui, il a la mémoire qui flanche ! » Des fausses factures qui portent sa signature ? « J’ai signé un stock de parapheurs. Je ne savais pas à quoi cela correspondait... »

Dans le prétoire, magistrats et avocats comprennent rapidement qu’il ne participera pas vraiment à la manifestation de la vérité. Est-ce pour cela que son audition s’achève bien tôt, vers 17h ? Ou peut-être parce que tout le prétoire sait déjà que la journée du lendemain, le jeudi, sera plus intéressante ? Plus marquante ?

La campagne de 2012 ? Une « dinguerie » selon Lavrilleux

Comme tous les jours depuis le début du procès, Jérôme Lavrilleux arrive en effet le premier dans la salle d’audience, le jeudi. C’est son jour. Et il le sait. Sept ans qu’il attend ce moment depuis qu’il a révélé, en pleurs sur le plateau de BFM TV, que la campagne électorale de Nicolas Sarkozy avait bien été entachée d’un « dérapage ». Chemise bleue sur pantalon beige, il semble serein. Tout le monde se dit alors qu’il va pouvoir (enfin) en dire davantage.

Et d’ailleurs, la présidente Viguier ne se fait pas prier pour lui demander s’il reconnaît les faits. « Oui, répond-il. Mais pas dans la même temporalité... » Et le voilà qui annonce qu’il a découvert le pot aux roses, en mai 2012, juste après le second tour de l’élection présidentielle. Alors que tout indique qu’il a été mis au courant dès le mois de mars… Et que tout le dossier le laisse à penser.

Mais non, Jérôme Lavrilleux précise qu’il ne l’a pas vraiment su avant. Et qu’il est bien incapable de désigner l’instigateur de la manœuvre. Certes, en sa qualité de copéiste pur et dur, il point vers l’Élysée où « les décisions se prenaient ». Mais il laisse entendre que si la droite en est arrivée là, c’est surtout en raison de « l’inorganisation totale de la campagne » de Nicolas Sarkozy. Une « dinguerie » qui est complètement « partie en sucette », selon ses mots imagés.

« Je ne veux pas briser un fantasme, lâche-t-il. Mais tout cela s’est passé au fil de l’eau. De façon empirique... » Et il bat en brèche la théorie selon laquelle tout était pensé, calculé, millimétré. Non, la campagne a dérapé à un moment donné. Et les comptes avec… Et personne n’a semblé être en mesure d’arrêter le train lancé alors à toute vitesse vers le mur.

Alors que les coûts étaient clairement déjà dans le rouge au mois de mars 2012, Jérôme Lavrilleux explique ainsi qu’on lui a demandé de passer à la vitesse supérieure sur l’organisation des meetings. D’en organiser carrément un par jour. « À chaque fois, on grimpait de 0,5 point dans les sondages de Paris-Match. Et on est parti en sucette... » À tous les niveaux a priori. Très critique envers l’équipe de campagne, il raconte alors comment a été conçue une lettre programme du candidat de 24 pages, tellement épaisse qu’elle était impossible à plier et à glisser dans les boîtes aux lettres. « Elle a pourri dans les cartons... »

Tout en protégeant son ancien patron, Jean-François Copé, Jérôme Lavrilleux se montre donc incapable de désigner avec précision qui a pensé à mettre en place ce système de fausses factures. Caroline Viguier a compris qu’il lui fallait encore avancer et resserrer son étreinte sur les vrais décideurs. Jean-François Copé qui sera entendu comme témoin, le 9 juin. Et Nicolas Sarkozy, la semaine du 14. La magistrate sait bien que c’est au milieu de tous ses cercles concentriques que se trouve sa cible ultime. La vérité.

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