Lexbase Droit privé n°466 du 15 décembre 2011 : Droit de la famille

[Jurisprudence] L'obligation du juge de fixer un droit de visite et d'hébergement en cas d'exercice en commun de l'autorité parentale

Réf. : Cass. civ. 1, 23 novembre 2011, n° 10-23.391, F-P+B+I (N° Lexbase : A9911HZ4)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 05 Janvier 2012

L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 23 novembre 2011 vient rappeler à l'ordre le juge de la famille qui ne peut plus, désormais, s'en remettre aux parties pour déterminer, dans le cadre d'un exercice en commun de l'autorité parentale, les relations personnelles de l'enfant avec le parent chez qui il ne vit pas. Depuis qu'il a été modifié par la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007, réformant la protection de l'enfance (N° Lexbase : L5932HUA), l'article 373-2-9 du Code civil (N° Lexbase : L7189IM9) dispose, en effet, que "lorsque la résidence de l'enfant est fixée au domicile de l'un des parents, le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l'autre parent". La Cour de cassation en déduit à juste titre une obligation pour le juge aux affaires familiales de fixer un droit de visite et d'hébergement (I) selon des modalités qui ne sont pas toutes précisées par les textes (II). I - Obligation pour le juge de statuer sur le droit de visite et d'hébergement

Droit antérieur à 2007. Dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 23 novembre 2011, la cour d'appel avait fixé la résidence des trois enfants chez leur père, alors que les deux plus jeunes vivaient auparavant chez leur mère, étant précisé que les parents exerçaient l'autorité parentale conjointement. Constatant que la mère n'avait fait aucune demande tendant à l'organisation de son droit de visite à l'égard des enfants, la cour d'appel s'était bornée à rappeler aux parents que ce droit s'exercerait d'un commun accord entre eux. Cette solution aurait pu être admise sous l'empire du droit antérieur à l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007 qui a modifié l'article 373-2-9 du Code civil. Avant cette date, en effet, aucune disposition ne prévoyait, en cas d'exercice en commun de l'autorité parentale qu'un droit de visite et d'hébergement soit formellement fixé dans la décision judiciaire déterminant les modalités d'exercice de l'autorité parentale et notamment la résidence des enfants. Même si, dans la grande majorité des décisions, un droit de visite et d'hébergement était déterminé, "à défaut d'accord des parties", le silence des textes pouvait, sans doute, permettre au juge, en l'absence, très rare, de demande des parents en ce sens, de ne pas fixer de droit de visite et d'hébergement ou de laisser ce dernier à la convenance des parties. Il était possible de considérer que la coparentalité qu'implique l'exercice en commun de l'autorité parentale devait s'appliquer également aux relations personnelles de l'enfant avec chacun de ses parents et que les parties pouvaient les déterminer elles-mêmes en dehors d'un dispositif judiciaire formel.

Du droit au devoir parental. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a mis les textes en conformité avec la pratique la plus courante en prévoyant à l'article 373-2-9 du Code civil que, même dans le cadre de l'exercice en commun de l'autorité parentale "le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l'autre parent". Avec cette disposition, la loi impose au juge aux affaires familiales de fixer systématiquement un droit de visite et d'hébergement en cas de séparation des parents après avoir fixé la résidence de l'enfant chez l'un d'entre eux. Il ne peut donc ni s'abstenir totalement de viser le droit de visite et d'hébergement dans sa décision, ni comme l'a fait la cour d'appel dans l'espèce commentée, s'en remettre à l'accord des parents lorsque ceux-ci ne se sont pas exprimés sur le sujet. Il en résulte que la détermination du droit de visite et d'hébergement ne répond pas seulement à une demande des parties, mais qu'elle relève d'une obligation systématique pour le juge. Cet impératif s'inscrit dans la consécration du droit de l'enfant de parents séparés d'entretenir des liens avec chacun d'entre eux. En obligeant le juge à fixer un droit de visite et d'hébergement au bénéfice d'un parent sans que celui-ci en ait fait la demande, la loi, et la Cour de cassation, modifient l'esprit même de ce droit qui de prérogative parentale devient un devoir parental dont l'enfant est bénéficiaire. Contraint de se prononcer sur le droit de visite et d'hébergement du parent qui ne vit pas avec l'enfant, le juge doit en déterminer les modalités.

II - Obligation pour le juge d'organiser le droit de visite et d'hébergement

Obligation du juge à défaut de demande des parties. En l'absence de demande des parties, c'est le juge qui doit déterminer les modalités du droit de visite et d'hébergement. L'arrêt du 23 novembre 2011 enseigne que celui-ci ne peut être laissé à la libre disposition des parties dès lors que celles-ci ne se sont pas mises d'accord sur ce point. S'il n'est pas exclu que le droit de visite et d'hébergement s'exerce en dehors de toute modalité prédéterminée, encore faut-il que les parents se soient accordés pour ce faire. Tel n'était pas le cas en l'espèce, la question du droit de visite et d'hébergement n'ayant pas été évoquée précisément, le père ayant simplement indiqué ne pas s'opposer à l'exercice, à La Réunion, où il résidait, d'un droit de visite et d'hébergement de la mère sur les enfants. Cette absence d'opposition du père, et le silence de la mère ne pouvaient être interprétés comme une volonté commune de leur part, de voir le droit de visite et d'hébergement s'exercer librement. L'arrêt du 23 novembre 2011 casse l'arrêt d'appel en affirmant que "faute de constatation de la teneur d'un tel accord, il incombait [au juge] de fixer les modalités d'exercice du droit de visite de [la mère] à l'égard de ses enfants, après avoir invité les parties à présenter leurs observations".

Proposition du juge. Le juge devait donc proposer des modalités d'exercice du droit de visite et d'hébergement aux parents conformes à l'intérêt de l'enfant, ce qui impliquait de fixer une fréquence, une durée et un lieu d'exercice du droit de visite compte tenu du fait que la mère habitait en Guyane et le père à la Réunion. Cette proposition du juge devait être soumise aux parties conformément au principe du contradictoire et plus particulièrement en vertu de l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1687AB4) selon lequel "le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction". Les parties doivent accepter ou non la proposition du juge et éventuellement suggérer d'autres modalités d'exercice du droit de visite et d'hébergement. L'article 373-2-9 du Code civil, tel qu'interprété par la Cour de cassation impose de réglementer le droit de visite et d'hébergement pour garantir l'effectivité du maintien des liens entre l'enfant et ses deux parents. Le risque en effet, à ne pas fixer de modalités particulières, est que le droit de visite et d'hébergement ne soit pas exercé ou que son exercice entraîne des difficultés et des conflits entre les parents. Pour éviter que le juge aux affaires familiales soit saisi à nouveau de cette question, il est opportun de régler ce point avec les autres modalités d'exercice de l'autorité parentale.

Lieu neutre. La loi du 5 mars 2007 a également prévu à l'article 373-2-9 du Code civil, la possibilité d'organiser le droit de visite dans un lieu neutre dans le cadre d'un exercice en commun de l'autorité parentale si l'intérêt de l'enfant le commande (pour une application de cette possibilité : Cass. civ. 1, 9 février 2011, n° 09-16.655, FS-D N° Lexbase : A7228GWM). La loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (N° Lexbase : L7042IMR), a ajouté au dispositif de l'article 373-2-9 la possibilité, "lorsque l'intérêt de l'enfant le commande ou lorsque la remise directe de l'enfant à l'autre parent présente un danger pour l'un d'eux", d'organiser les modalités de cette remise pour qu'elle présente toutes les garanties nécessaires. Le juge peut prévoir que la remise de l'enfant au titulaire du droit de visite et d'hébergement s'effectue dans un espace de rencontre qu'il désigne, ou avec l'assistance d'un tiers de confiance ou du représentant d'une personne morale qualifiée.

Suppression du droit de visite. L'obligation pour le juge de statuer sur le droit de visite et d'hébergement n'exclut pas la possibilité pour celui-ci d'en priver le parent chez qui l'enfant ne réside pas, même si l'article 373-2-9 est muet sur ce point alors que l'article 373-2-1 du Code civil (N° Lexbase : L7190IMA) précise, dans le cadre de l'exercice unilatéral de l'autorité parentale, que "l'exercice du droit de visite et d'hébergement ne peut être refusé à l'autre parent que pour des motifs graves". La Cour de cassation a admis, notamment, dans un arrêt du 14 mars 2006 (Cass. civ. 1, 14 mars 2006, n° 05-13.360 N° Lexbase : A6183DNC, Bull. civ. I, n° 161 ; Dr. fam., 2006, comm. n° 157, obs. P. Murat) que, dans le cadre d'un exercice commun de l'autorité parentale, le parent qui n'a pas la résidence de l'enfant peut se voir refuser un droit de visite et d'hébergement pour des motifs graves tenant à l'intérêt supérieur de l'enfant. Le fait que le père ne justifie ni d'un domicile, ni de quelconques revenus et qu'il a faussement déclaré la perte du passeport de l'enfant pour l'emmener en Tunisie ce qui avait gravement perturbé l'enfant, constitue un motif grave justifiant la suppression du droit de visite et d'hébergement (Cass. civ. 1, 25 mars 2009, n° 08-14.917 N° Lexbase : A2143EE4, RJPF, 2009 n° 9, p. 29, obs. F. Eudier). Toutefois, dans un arrêt du 29 juin 2011 (Cass. civ. 1, 29 juin 2011, n° 10-30.856, F-D N° Lexbase : A6536HUM), la Cour de cassation approuve la cour d'appel qui a refusé de supprimer le droit de visite et d'hébergement du père, alors que la mère faisait état de suspicions peu crédibles d'abus sexuels.

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