Réf. : CJUE, 27 mai 2019, aff. C-508/18 (N° Lexbase : A1496ZDR) et aff. C-509/18 (N° Lexbase : A1497ZDS)
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par June Perot
le 05 Juin 2019
► La notion d’«autorité judiciaire d’émission» au sens de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002 (N° Lexbase : L2925LHS), ne vise pas les parquets d’un Etat membre, tels que ceux de l’Allemagne, qui sont exposés au risque d’être soumis, directement ou indirectement, à des ordres ou à des instructions individuels de la part du pouvoir exécutif, tel qu’un ministre de la Justice, dans le cadre de l’adoption d’une décision relative à l’émission d’un mandat d’arrêt européen ;
► en revanche, cette notion vise le procureur général d’un Etat membre, tel que celui de la Lituanie, qui, tout en étant structurellement indépendant du pouvoir judiciaire, est compétent pour exercer les poursuites pénales et dont le statut lui confère une garantie d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif dans le cadre de l’émission d’un mandat d’arrêt européen.
Ainsi statue la Cour de justice de l’Union européenne dans trois arrêts du 27 mai 2019 (CJUE, 27 mai 2019, aff. C-508/18 N° Lexbase : A1496ZDR et C. 509/18 N° Lexbase : A1497ZDS).
Dans ces affaires, deux ressortissants lituaniens et un ressortissant roumain s’opposaient, devant les juridictions irlandaises, à l’exécution de mandats d’arrêt européens émis par des parquets allemands et le procureur général de Lituanie aux fins de poursuites pénales. On leur reprochait des faits qualifiés d’homicide volontaire et de coups et blessures graves (O.G.), de vol à main armée (P.F.) et de vol organisé ou à main armée (P.I.). Les trois personnes concernées faisaient valoir que les parquets allemands et le procureur général de Lituanie ne sont pas compétents pour émettre un mandat d’arrêt européen, dès lors qu’ils ne sont pas une «autorité judiciaire» au sens de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen. En ce qui concerne les parquets allemands, O.G. et P.I. faisaient notamment valoir qu’ils ne sont pas indépendants par rapport au pouvoir exécutif étant donné qu’ils appartiennent à une hiérarchie administrative dirigée par le ministre de la Justice, de sorte qu’il existe un risque d’ingérence politique.
La Supreme Court (Cour suprême, Irlande) et la High Court (Haute Cour, Irlande) demandaient, dans ce contexte, à la Cour de justice d’interpréter la décision-cadre. P.I. se trouvant, sur la base du mandat d’arrêt européen émis à son égard, en détention en Irlande, la Cour a fait droit à la demande de la High Court de soumettre le renvoi préjudiciel le concernant à la procédure préjudicielle d’urgence.
Dans ses arrêts, la Cour rappelle que le principe de reconnaissance mutuelle présuppose que seuls les mandats d’arrêt européens qui remplissent les conditions posées par la décision-cadre doivent être exécutés. Ainsi, un mandat d’arrêt européen constituant une «décision judiciaire», il faut notamment qu’il soit émis par une «autorité judiciaire». Si, conformément au principe d’autonomie procédurale, les Etats membres peuvent désigner, selon leur droit national, l’«autorité judiciaire» ayant compétence pour émettre un mandat d’arrêt européen, le sens et la portée de cette notion ne peuvent pas être laissés à l’appréciation de chaque Etat membre, mais doivent être uniformes dans toute l’Union.
Selon la Cour, tant les parquets allemands que le procureur général de Lituanie, dont le rôle est essentiel dans la conduite des procédures pénales, peuvent donc être considérés comme participant à l’administration de la justice pénale. Toutefois, l’autorité chargée d’émettre un mandat d’arrêt européen doit agir de manière indépendante dans l’exercice de ses fonctions, même lorsque ce mandat se fonde sur un mandat d’arrêt national émis par un juge ou une juridiction. Elle doit, à ce titre, être en mesure d’exercer ces fonctions de façon objective, en prenant en compte tous les éléments à charge et à décharge, et sans être exposée au risque que son pouvoir décisionnel fasse l’objet d’ordres ou d’instructions extérieurs, notamment de la part du pouvoir exécutif, de telle sorte qu’il n’existe aucun doute quant au fait que la décision d’émettre le mandat d’arrêt européen revienne à cette autorité et non pas, en définitive, audit pouvoir
En ce qui concerne les parquets allemands, la Cour constate que la loi n’exclut pas que leur décision d’émettre un mandat d’arrêt européen puisse, dans un cas individuel, être soumise à une instruction du ministre de la Justice du Land concerné. Dès lors, ces parquets ne paraissent pas répondre à l’une des exigences requises pour pouvoir être qualifiés d’«autorité judiciaire d’émission», au sens de la décision-cadre, à savoir celle d’offrir à l’autorité judiciaire d’exécution d’un tel mandat d’arrêt la garantie d’agir de manière indépendante dans le cadre de l’émission de celui-ci. En revanche, il apparaît que le procureur général de Lituanie peut être qualifié d’«autorité judiciaire d’émission», au sens de la décision-cadre, dans la mesure où son statut, dans cet Etat membre, assure non seulement l’objectivité de sa mission, mais lui confère également une garantie d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif dans le cadre de l’émission d’un mandat d’arrêt européen. Cela étant, les éléments du dossier dont dispose la Cour ne permettent pas de savoir si les décisions de ce procureur d’émettre un mandat d’arrêt européen peuvent faire l’objet d’un recours qui satisfait pleinement aux exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective, ce qu’il appartient à la Supreme Court de vérifier (cf. l’Ouvrage «Procédure pénale», Conditions d'émission du mandat d'arrêt européen N° Lexbase : E0776E9M).
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