La lettre juridique n°752 du 6 septembre 2018 : Procédure prud'homale

[Pratique professionnelle] La procédure d’appel en droit social - retour sur expérience deux ans après la réforme

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par Catheline Modat, avocat associée - Studio avocats

le 05 Septembre 2018

Le 1er août 2016 [1], la procédure prud’homale a profondément changé, tant en première instance que devant les juridictions d’appel.

 

En cause d’appel, jusqu’au 31 juillet 2016, le seul délai dont les parties se préoccupaient réellement était celui d’un mois pour interjeter appel, c’est-à-dire en pratique, la date limite pour envoyer sa déclaration d’appel par lettre recommandée avec accusé de réception.

 

De même, les parties étaient peu soucieuses de la rédaction de leur déclaration d’appel qui se résumait souvent à indiquer s’il s’agissait d’un appel total ou partiel.

 

Et la procédure suivait son cours. Si les parties diligentes respectaient les délais indicatifs des juridictions, pour autant, communiquer avec quelques jours de retard n’emportait aucune conséquence.

 

L’application de la procédure d’appel écrite à la procédure prud’homale, à compter du 1er août 2016, a donc été un véritable séisme pour les nombreux praticiens qui exerçaient uniquement en droit social et qui n’étaient pas habitués aux procédures écrites. Il a fallu s’organiser et informer les clients pour être en mesure de gérer les nouvelles obligations.

 

Deux ans après le passage à la procédure écrite, où en sommes-nous ?

 

Tout d’abord, il n’aura échappé à personne qu’à peine nous commencions à prendre nos marques et acquérir des réflexes que, le 1er septembre 2017 [2], entrait la réforme -générale cette fois- de la procédure d’appel.

 

Nous avons donc dû assimiler deux grosses réformes en onze mois.

 

Il n’est pas question ici de décrire de manière exhaustive la procédure d’appel applicable en matière prud’homale mais de faire un bilan des pratiques depuis ces deux dernières années et des changements intervenus tant dans la gestion de la procédure que dans les rapports entre l’avocat et son client.

 

I - Les changements pratiques intervenus dans la gestion de la procédure

 

A - La représentation obligatoire

 

Depuis le 1er août 2016, la représentation est obligatoire en cause d’appel : les parties doivent se faire représenter par un avocat (du ressort de la cour d’appel concernée) ou par un défenseur syndical. Les parties ne peuvent plus se présenter seules.

 

La question de la multipostulation de l’avocat (possibilité pour l’avocat de représenter ses clients devant toutes les cours d’appel) s’est posée. Il existait une contradiction entre les règles de postulation issues de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ, articles 5 et 5-1) qui érigent le principe d’une territorialité de la postulation et celles de la circulaire du 27 juillet 2016 [3] qui «créaient» une procédure avec représentation obligatoire spécifique à la matière prud’homale.

Dans le doute, nous étions nombreux à appliquer une règle de prudence et à considérer que les règles de la territorialité de la postulation s’appliquaient.

 

Cela signifiait que lorsque l’affaire était portée devant une cour d’appel qui n’était pas du ressort de l’avocat traitant le dossier, ce dernier devait impérativement s’adosser les services d’un confrère local (un postulant) pour assurer les actes de procédures devant la cour.

 

Les cabinets d’avocats déjà organisés en réseau couvrant un maillage territorial étendu y ont vu un intérêt supplémentaire. D’autres se sont créés leur propre réseau informel en identifiant des cabinets dans le ressort des cours d’appel devant lesquelles ils avaient l’habitude de plaider.

 

Mais la recherche du postulant pour les travaillistes n’est pas sans conséquence : c’est transférer la responsabilité d’accomplir les actes à sa place, au risque d’engager sa responsabilité et de mettre en danger la procédure engagée.

 

Par un avis du 5 mai 2017, la Cour de cassation a finalement considéré que «les règles de la postulation prévues aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée ne s’appliquent pas devant les cours d’appel statuant en matière prud’homale, consécutivement à la mise en place de la procédure avec représentation obligatoire» (Cass. avis, n° 17007 du 5 mai 2017 N° Lexbase : A9753WBT).

 

Bien que les avocats puissent désormais assister leur client devant toutes les cours d’appel, peu importe le ressort dans lequel ils exercent, des considérations pratiques ont favorisé le maintien des postulants locaux : comment saisir et dialoguer par réseau privé virtuel des avocats (RPVA) avec une juridiction dans le ressort duquel l’avocat n’est pas inscrit ? Réponse : par papier, avec tous les aléas que cela implique en cas de délais très rapprochés. Autant avoir l’assurance qu’un confrère peut procéder aux communications par simple email.

 

Dans les faits, de nombreux avocats ont préféré maintenir le recours à un postulant.

               

 

B - La procédure écrite

 

La procédure d’appel est devenue écrite : cela signifie que tout argument doit être repris dans les conclusions. A défaut, l’argument développé seulement à l’oral lors des plaidoiries ne sera pas pris en compte par le juge.

 

Cela signifie aussi, que seule la dernière version des conclusions sera prise en compte par le juge. Tout argument non repris dans les dernières écritures ne sera pas dans les débats.

 

Finie la stratégie de certains de limiter son argumentation au strict minimum pour dévoiler ses complets arguments lors des plaidoiries. Désormais, il faut établir des conclusions exhaustives et souvent plus longues et détaillées que les écritures que nous pouvions établir jusqu’à présent. Finie aussi la stratégie qui consistait à répondre aux derniers arguments uniquement dans le cadre des plaidoiries.

 

Plus aucune place n’est laissée à la surprise des plaidoiries. La procédure écrite a donc dû faire évoluer certaines stratégies.

 

La réforme de la procédure d’appel entrée en vigueur le 1er septembre 2017 a également introduit des obligations nouvelles en termes de rédactions, tant de la déclaration d’appel que de la critique du jugement. Bien que ces changements aient été largement commentés, il s’avère que certains confrères n’ont pas pris la mesure de ces évolutions.

 

L’avocat ou le défenseur syndical doit être vigilant à tous les stades de la procédure et s’assurer, lorsqu’il définit la stratégie de défense, qu’il intègre bien les obligations rédactionnelles qui lui incombent.

 

 

C - Des délais de communication d’écritures impératifs

 

Cela constitue un changement majeur dans la procédure car jusque-là les parties n’avaient pas de réels délais, en tout cas dans les premiers mois de la procédure d’appel. Souvent les cours d’appel fixaient un calendrier tardif, quelques semaines avant la date d’audience.

 

Ce temps de la souplesse est révolu. D’abord, la procédure d’appel prud’homal a été soumise aux délais du décret dit «Magendie» [4]. Soumission de courte durée puisque, peu de temps après, alors que les confrères travaillistes prenaient à peine leurs marques, la réforme de la procédure d’appel redéfinissait les règles du jeu…

 

L’appelant dispose dorénavant d’un délai de trois mois (hors délais de l’article 905 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7288LEN) à compter de la déclaration d’appel pour conclure et notifier ses conclusions à la cour d’appel et à l’intimé. A défaut de communication dans ce délai impératif, la conséquence est lourde puisque la déclaration d’appel est caduque.

 

La pratique montre que les juridictions sont logiquement rigoureuses sur ce point : le délai de trois mois court bien à compter de la date de la déclaration d’appel et non de sa date d’enregistrement. Ce point est important car, sur certaines périodes, les greffes mettent plusieurs jours voire plusieurs semaines pour enregistrer la déclaration d’appel. Mais cela ne constitue pas une raison valable pour obtenir un relevé de caducité.

 

L’intimé dispose -quant à lui- d’un délai de trois mois (hors délais de l’article 905 du Code de procédure civile) à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour conclure et former, le cas échéant, appel incident. Ici, c’est la réception effective des conclusions par l’intimé qui vaut notification. Les conclusions déposées par l’intimé hors délai sont irrecevables.

 

Le Code de procédure civile prévoit expressément une communication à la cour. Ainsi, l’appelant ne peut pas se contenter d’une communication à la partie adverse. La cour doit impérativement être destinataire des éléments dans le délai de trois mois.

 

De même, les juridictions sont très réticentes devant des explications liées aux dysfonctionnements du RPVA : seuls des dysfonctionnements prouvés par attestation du Conseil national des barreaux justifiant d’un problème de réseau au jour et à l’heure prétendue de la communication des conclusions peuvent permettre aux juridictions de relever la caducité. Encore faut-il être en mesure de démontrer que les démarches RPVA ont effectivement été entreprises par l’avocat à ce moment-là.

 

Ces délais visent les premiers échanges. Ils ne sont pas exclusifs d’échanges de nouvelles écritures ultérieurement, tant qu’ils restent cantonnés dans les délais fixés par la juridiction.

 

Et ces délais doivent, le cas échéant, tenir compte des délais de signification par huissier face à une partie non représentée ou un défenseur syndical. L’huissier doit être informé des délais dans lesquels les actes doivent être signifiés. Il faut également transmettre le second original à la cour. Toutes ces démarches montrent que la partie ne dispose pas de trois mois pour préparer ses écritures mais plutôt de deux mois et demi au maximum.

 

C’est un point qu’il faut intégrer dans son calendrier interne de procédure et dans ses rapports avec le client.

 

Ces délais sont impératifs. Il est donc indispensable de les respecter. Il s’agit avant toute chose d’une question d’organisation de la gestion du dossier en appel et d’échanges entre nous sur la préparation du dossier.

 

 

D - La communication électronique

 

Toute communication doit intervenir par voie électronique, à titre d’irrecevabilité relevée d’office via le RPVA. Cette mesure n’est pas applicable au défenseur syndical. Et là encore, cela a considérablement bouleversé les habitudes et dans certains cas complexifié les process.

 

Tout d’abord, les défenseurs syndicaux n’étant pas soumis à la communication par RPVA, cela multiplie les modes de communication : via le RPVA pour la cour d’appel et les avocats constitués dans le dossier, via signification par huissier pour les défenseurs syndicaux. Les automatismes de la procédure RPVA avec communication simultanée à la cour et à l’avocat constitué font parfois perdre de vue les impératifs de signification par huissier et peuvent empêcher, par les délais de signification, de respecter les délais de communication.

 

Ensuite, il est plus prudent de garder une marge de sécurité même dans le cadre d’une communication par RPVA. Bien que la communication à la cour soit instantanée, avoir un peu de marge permet d’éviter les désagréments liés à une indisponibilité de la connexion en raison d’opérations de maintenance par exemple ou, plus grave, un dysfonctionnement du réseau.

 

II - Quand la procédure fait partie intégrante de la défense du dossier

 

A - De nouveaux arguments

 

L’introduction de la procédure écriture a ouvert toute un pan d’arguments de pure procédure pour défendre les intérêts de son client sans évoquer le fond du dossier : profiter des erreurs de la partie adverse pour obtenir une caducité, une irrecevabilité des arguments, un rejet des pièces, etc..

 

Il s’agit là aussi d’une stratégie de défense des intérêts de son client. Cela nécessite de la part de l’avocat une grande pédagogie pour permettre au client de comprendre les subtilités de la procédure et les gains qu’il peut en retirer.

 

Les écritures deviennent de plus en plus techniques et appellent les compétences en procédure civile de l’avocat. L’exercice du droit du travail, jusqu’alors dominé par la procédure orale, est devenu un droit qui place la procédure au centre de la défense des intérêts du client.

 

C’est ainsi que l’on constate la multiplication des incidents de procédure. Se développe un véritable contentieux de procédure parallèle au contentieux du fond. Et de plus en plus de dossiers font l’objet de procédure devant le conseiller de la mise en état. Outre le temps de traitement de cet aspect du dossier, cette procédure a également un coût pour le client.

 

Ces incidents de procédure ne sont pas sans effet sur la responsabilité professionnelle des avocats dont le nombre de sinistres déclarés est en nette augmentation.

 

Une vigilance accrue est de mise. Le moindre acte est vérifié minutieusement. Aucune démarche RPVA n’est anodine et ne peut être faite à la va-vite.

 

 

B - Une gestion du dossier adaptée à la procédure

 

La procédure n’est pas seulement une partie de l’argumentation. Elle doit également être prise en compte dans l’organisation de la gestion du dossier : mise en place d’un calendrier interne intégrant les délais impératifs, les éventuels délais de signification, les délais de validation des écritures du client, les délais de collecte de pièces, etc..

 

La sensibilisation du client à la nouvelle procédure était importante pour qu’il soit informé de ses nouvelles obligations et définir avec lui les nouveaux process à mettre en œuvre. C’est ainsi que l’on construit ensemble de nouvelles méthodes de travail.

 

 

C - La médiation, plébiscitée par les cours d’appel

 

Autre tendance importante des cours d’appel qui place la procédure au cœur de la conduite du dossier : la médiation. Désormais, les cours d’appel proposent quasi-systématiquement aux parties d’engager une procédure de médiation. Bien évidemment, la cour ne peut pas imposer aux parties d’entrer en processus de médiation. Mais, il peut s’agir d’un bon moyen de trouver une issue amiable au litige, où chaque partie sortira gagnante. C’est un moyen de renouer le dialogue entre les parties et parfois de faire entendre aux parties le point de vue de l’autre.

 

Cela évite également aux parties une longue procédure à l’issue incertaine. Car la durée de la procédure d’appel reste également un élément important dans la gestion du dossier : les parties, que ce soit le salarié ou l’employeur, sont-elles prêtes à attendre deux ans de plus pour voir trancher leur litige ? Le salarié ne tourne pas la page. L’employeur conserve un dossier ouvert et une provision dans ses comptes.

 

Dans la mission de conseil de l’avocat, cette notion de durée de la procédure reste un élément important dans l’appréhension de la médiation.

 

[1] V. le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail (N° Lexbase : L2693K8A) applicable en partie à compter du 1er août 2016.

[2] Décret n° 2017-1227 du 2 août 2017 (N° Lexbase : L3858LGY) modifiant les modalités d'entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 (N° Lexbase : L2696LEL), relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile.

[3] Circulaire du 27 juillet 2016, relative au nouveau régime de postulation territoriale et nouvelles modalités de représentation devant les cours d'appel statuant en matière prud'homale à compter du 1er août 2016 (N° Lexbase : L4749LBI).

[4] Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civil (N° Lexbase : L0292IGW).

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