La lettre juridique n°752 du 6 septembre 2018 : Responsabilité

[Jurisprudence] Responsabilité d’une association sportive : la bataille de l’Ile de la Cité

Réf. : Cass. civ. 2, 5 juillet 2018, n° 17-19.957, F-P+B+I (N° Lexbase : A0004XW3)

Lecture: 37 min

N5304BXQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Responsabilité d’une association sportive : la bataille de l’Ile de la Cité. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/47682578-jurisprudence-responsabilite-dune-association-sportive-la-bataille-de-lile-de-la-cite
Copier

par Henri Conte , docteur en droit qualifié aux fonctions de maître de conférences

le 05 Septembre 2018

Résumé : lors d’une rencontre organisée par une association de football, un arbitre est agressé par l’un des joueurs de cette association. Il avait été expulsé en cours de jeu mais est revenu sur la pelouse pour commettre son forfait. La question de la responsabilité de l’association pour les actes commis par un de ses membres est posée devant la Cour de cassation. L’arrêt rendu nous conduit à nous interroger sur les conditions d’engagement de la responsabilité des associations sportives et sur la pertinence de l’extension de son champ.

«Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli

Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli» [1].

 

1. Canevas. Le 3 février 2008, la pelouse smaragdine d’un terrain de football corse a été la scène d’une tragédie dont le dénouement ne sera pas cet arrêt du 5 juillet 2018 rendu par la Cour de cassation. En effet, cette dernière a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel de Paris et a renvoyé les parties devant la même Cour autrement composée. Dans le premier acte, des joueurs disputent une partie de ballon rond. L’association Afa Football est engagée dans une lutte sportive contre le club de l’Etoile filante Bastiaise. La rencontre est arbitrée par M. Z, arbitre officiel de la ligue corse de Football et tout se déroule pour le mieux. C’est dans le deuxième acte que se produit l’élément perturbateur. Un joueur de l’équipe de l’association Afa Football commet un manquement aux règles du jeu et écope d’un carton rouge de la part de l’arbitre. Ce dernier retourne penaud dans ses pénates mais ourdit nerveusement sa vendetta dans les vestiaires qui lui tiennent de refuge. Le troisième et dernier acte [2] est le témoin de cette vengeance. Le joueur exclu, rhabillé en tenue de tous les jours, attend que l’arbitre siffle la fin du match [3] pour retourner sur le terrain et agresser violemment ce dernier. Le pauvre homme perd connaissance et se trouve victime de nombreux préjudices corporels. Sa mâchoire et six de ses dents sont notamment brisées. Le préjudice total est estimé à 92 066 euros, ce qui est une somme importante pour ce type d’agression. L’acte est terminé, la chute est tragique et l’arbiter cède sa place au prætor pour que justice soit faite. Par jugement du 5 février 2008, le tribunal correctionnel d’Ajaccio déclare l’agresseur coupable des faits et violences volontaires ayant entraîné une incapacité de plus de huit jours. Un peu moins d’un an après, la victime présente une requête en indemnisation devant la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) et obtient du Fonds de garantie des victimes d’infractions des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) la somme correspondant au montant de ses préjudices.

 

Le Fonds se retourne contre l’assureur de l’Association Afa Football [4] dont l’agresseur était membre mais aussi contre ce dernier sur le fondement des articles 1242, alinéa 1er (N° Lexbase : L0948KZ7) et 1240 (N° Lexbase : L0950KZ9) [5] du Code civil. Le premier juge reconnaît la responsabilité des parties mises en cause et les condamne in solidum à rembourser au Fonds de garantie le préjudice subi par l’arbitre.

 

La cour d’appel de Paris infirme le jugement et refuse de reconnaître la responsabilité de l’association. Les juges du fond considèrent que le manquement de l’agresseur aux règles du jeu n’est pas la cause directe du préjudice subi par ce dernier car ces violences ont été commises en dehors de toute activité sportive : «Le match étant terminé et l’auteur des faits n’étant d’ailleurs plus en tenue de joueur» [6].

 

Le Fonds de garantie forme un pourvoi en cassation et du haut de leur proscenium, les juges du droit cassent et annulent l’arrêt de la juridiction inférieure.

 

La question principale qui était posée est la suivante : jusqu’où et jusqu’à quand une association sportive est responsable de l’activité de ses membres ?

 

La Cour de cassation affirme de manière claire et pédagogique que «l’agression d’un arbitre commise dans une enceinte sportive par un joueur constitue, même lorsqu’elle se produit à l’issue de la rencontre, dont ce dernier a été exclu, une infraction aux règles du jeu en lien avec l’activité sportive». Ainsi, même après le coup de sifflet sonnant la fin du match et alors que l’agresseur avait abandonné son costume de scène, l’Association de Football demeurait responsable des agissements de l’un des membres de sa troupe.

 

C’est peut-être parce que la cour d’appel se trouve dans le même bâtiment que celui de la Cour de cassation mais que la première tourne son regard vers la rive gauche tandis que l’autre embrasse la rive droite, que la Bataille était inévitable et qu’il fallait dénommer ce commentaire ainsi. Mais c’est sans doute aussi pour faire référence à la célèbre Bataille d’Hernani [7]  qui opposa au 19ème siècle les classiques aux romantiques. Les juges du fond se font ici les fidèles gardiens d’une règle qui voulait jusqu’à présent limiter l’étendue de la responsabilité des associations pour les actes commis par leurs membres dans le strict cadre de la rencontre sportive. Cette règle fait écho à celle des trois unités dans le théâtre classique : de lieu, de temps et d’action, qui est en partie transposable ici. Selon cette règle, l’action doit se dérouler dans un temps limité, dans le même lieu et tous les événements doivent être liés et nécessaires, de l'exposition jusqu'au dénouement de la pièce. Les juges du droit ébrèchent la règle en considérant qu’une telle responsabilité est possible même lorsque les fautes ont été commises à l’issue de la rencontre.

 

Cela suffirait à formaliser notre plan mais par souci de pédagogie et pour ne pas forcer la métaphore outre mesure, il sera préférable de l’articuler traditionnellement en deux parties en des termes plus juridiques que tragiques. C’est ainsi que seront examinés tout d’abord les critères qui justifient la responsabilité de l’association sportive (I) et ensuite les raisons qui peuvent pousser à douter de leur pertinence (II).

 

I - La recherche d’un critère justifiant la responsabilité de l’association sportive

 

2. La faute et l’association. La responsabilité du fait d’autrui a connu une importante évolution par un arrêt de la Cour de cassation de 1991 [8]. D’autres ont suivi et ont permis d’engager la responsabilité d’associations sportives du fait de leurs membres. Il est nécessaire de rappeler les conditions permettant d’engager la responsabilité des associations sportives (A) avant d’analyser la dimension temporelle, spatiale et active de la faute du joueur qui permet de justifier la solution (B).

 

A - Le rappel des conditions de la responsabilité des associations sportives

 

3. L’arrêt «Blieck». C’est avec grand fracas, le 29 mars 1991 [9], que la Cour de cassation a affirmé que l'association qui accepte la charge d'organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie d'un handicapé mental dans un milieu protégé en le soumettant à un régime comportant une totale liberté de circulation dans la journée, doit répondre de celui-ci au sens de l'article 1242, alinéa 1er du Code civil [10], et est tenue de réparer les dommages qu'il a causés. En l’espèce, un jeune handicapé avait causé l’incendie d’une forêt appartenant aux consorts Blieck qui donnèrent leur nom à la décision. Très vite, la question se posa de savoir s’il s’agissait d’une nouvelle forme de responsabilité générale du fait d’autrui à l’instar de la responsabilité du fait des choses qui naquit en 1896 avec l’arrêt "Teffaine". Après avoir multiplié les cas d’ouverture à cette responsabilité, une série d’arrêts est venue limiter son accroissement exponentiel si bien qu’il est difficile d’affirmer qu’il existe déjà un principe général de responsabilité du fait d’autrui [11]. En effet, les premières décisions se limitaient aux cas précis dans lesquels des personnes vulnérables étaient prises en charge à titre permanent par des associations ou des organismes spécialisés [12] avant d’évoluer pour concerner toutes les organisations ou associations ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres. On cite souvent à cet égard les deux arrêts du 22 mai 1995 [13] de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui affirment que «les associations sportives ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, des dommages qu'ils causent à cette occasion» et dont l’attendu a peu évolué depuis puisque, dans la présente décision, les juges de la deuxième chambre civile considèrent, au visa de l’article 1242, alinéa 1er que : «Les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages que ceux-ci causent à cette occasion». La Cour de cassation précisera ensuite : «Dès lors qu’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même non identifiés» [14]. En matière sportive, pour engager la responsabilité d’une association du fait de son membre, il faut donc que ce dernier soit l’auteur d’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu.

 

4. Nature de la faute. Les différentes décisions qui ont été rendues en matière sportive permettent de mieux cerner la nature particulière de cette faute. Par exemple, une telle faute est constituée quand, lors d’une altercation générale en cours d'un match de football, un joueur retire sa chaussure pour frapper et blesser un joueur de l'équipe adverse [15]. Il en va de même lorsque, lors d’un match de rugby, un des joueurs donne un coup de poing dans l’œil à un autre des joueurs présents sur le terrain [16]. Ou encore, lorsqu’au cours d’un match de basket, un joueur en percute un autre alors que ce dernier réalisait un saut vertical [17].

 

En revanche, envoyer un palet de Hockey hors-zone et blesser un spectateur ne constitue pas une faute caractérisée par les violations des règles du jeu [18] et la faute caractérisée ne peut se déduire de la gravité des blessures occasionnées [19]. Ainsi, un plaquage de rugby dont la preuve d’une violation des règles du jeu n’a pas été apportée, mais qui cause un handicap sévère à son destinataire, ne constitue pas une faute caractérisée par les violations des règles du jeu. Dans le même sens et dans le sport qui intéresse notre affaire, si deux joueurs se disputent un ballon dans les airs avec leurs têtes et que l’un d’entre eux subit un coup qui entraîne de graves séquelles, il n’y a pas de faute contre le jeu susceptible d’être qualifiée au sens de l’article 1240 du Code civil [20].

 

La différence est donc finalement aisément perceptible entre la faute caractérisée et celle qui ne l’est pas. Si le joueur commet un acte d’une brutalité qui ne correspond pas aux règles du jeu et qui en dépasse totalement le cadre, le juge considérera qu’il s’agira d’une faute caractérisée. On le sait, le critère de la faute est relevé en matière sportive car les joueurs acceptent de s’exposer à des risques plus importants que dans des activités normales [21]. C’est pour cela qu’il doit exister au sein même des différents sports, différents critères d’appréciation des fautes. C’est là que la difficulté ressurgit pour des juges qui ne sont pas forcément connaisseurs des pratiques de chaque sport. Certaines violences sont beaucoup plus tolérées dans certaines activités que dans d’autres. Ainsi, il est impensable en football ou en basket-ball de pratiquer une «cuillère» [22] à ses adversaires ou encore de les pousser violemment des deux mains alors que cela est totalement intégré dans le rugby. La faute contre le jeu doit donc s’apprécier à l’aune de sa virilité et de son règlement.

 

En l’espèce, le joueur de football rentre sur un terrain de sport pour agresser l’arbitre de la rencontre. Il ne fait pas de doute qu’une telle action est un manquement des plus élémentaires à l’esprit du sport. La nature du sport est ici indifférente car à notre connaissance, aucun sport ne tolère que soit porté atteinte à l’intégrité de celui qui le dirige. L’arbitre sportif représente l’autorité et il ne peut et ne doit jamais être menacé dans son intégrité physique. Il ne fait donc a priori pas de doute que le joueur a commis un manquement délibéré aux règles du jeu. Cependant, si cette faute suffisait à engager la responsabilité du joueur sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, il aurait pu en être autrement concernant la responsabilité de l’association sportive sur le fondement de l’article 1242, alinéa 1er.

 

­5. Pour qu’une telle responsabilité puisse être engagée, il faut traditionnellement que la faute du joueur ait été en lien avec l’activité sportive, qu’elle ait été commise tandis que le joueur se trouvait encore sous la responsabilité de l’association et lors de la rencontre sportive. Ces conditions supplémentaires sont la contrepartie de la responsabilité des associations sportives. Elles sont strictes comme l’était la règle des trois unités dans le théâtre antique. Cependant, ce sont souvent les règles les plus strictes qui résistent le moins bien au passage du temps et à l’appréciation du fait. Pour le mieux ?

 

B - La dimension temporelle, spatiale et active de la faute du joueur

 

6. Une triple limite. Les limites qui ont été apportées par la jurisprudence à l’engagement de la responsabilité des associations du fait de leur membre sont réelles et fondées. Elles sont réelles car elles sonnent comme le résultat des arrêts que nous avons cités témoignant de la rapide évolution de la formulation des attendus de la Cour de cassation [23]. Elles sont fondées car il serait malvenu que puisse être recherchée la responsabilité des associations sportives à tout moment et pour tout fait. Les juges du droit affirment que «les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages que ceux-ci causent à cette occasion» [24]. Il résulte plusieurs idées de cette formulation. Tout d’abord, les associations doivent avoir pour mission de diriger et contrôler l’activité de leurs membres. Cela pose la question de l’effectivité de cette direction et de ce contrôle et devrait interroger par ailleurs sur la possibilité d’une éventuelle exonération en cas de comportement manifestement incontrôlable de la part des membres de l’association. Ensuite, les dommages doivent avoir été causés à l’occasion de la rencontre sportive qui a été organisée par l’association. Or ici, il est possible de se demander si tel fut le cas puisque de l’aveu de la victime même, la rencontre était terminée lorsque l’agression a eu lieu. Enfin, il est nécessaire de vérifier que la personne ayant généré le dommage est bien membre de l’association.

 

7. La stricte application. Les juges du fond semblent avoir effectué une stricte application de la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation en expliquant que «les actes de violence commis par M. X […] ont été commis en dehors de toute activité sportive, le match étant terminé et l’auteur des faits n’étant d’ailleurs même plus en tenue de joueur. Dès lors que la faute de M. X a été commise en dehors du déroulé du match, même si l’arbitre victime était encore sur le terrain, la responsabilité de l’Association AFA Football n’est pas engagée au sens de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil». Le raisonnement poursuivi par cour d’appel de Paris est clair. Il peut être résumé ainsi : puisque l’agression a été commise après le match, l’association n’avait plus pour mission d’organiser, de diriger et de contrôle l’activité de ses membres. Ainsi, elle n’était plus responsable. De ce raisonnement classique opéré par les juges du fond, il est possible de comprendre qu’étaient posées jusqu’ici certaines limites à l’engagement de la responsabilité des associations. Elles s’apparentaient à celles que l’on trouvait dans le théâtre classique pour formaliser les tragédies et se matérialisaient par l’unité de temps, de lieu et d’action.

 

8. Unité d’action. Dans le théâtre classique, l’unité d’action implique que tous les événements soient liés et nécessaires, de l'exposition jusqu'au dénouement de la pièce. L'action principale doit être ainsi développée du début à la fin de la pièce et les actions accessoires doivent contribuer à l’action principale et ne peuvent être supprimées sans lui faire perdre son sens [25]. Il y a au travers de ce critère l’idée de la causalité entre le fait du personnage principal et les conséquences de ses actes. Il ne faut pas non plus une multitude de faits qui viendraient brouiller l’attention du spectateur ou perturber l’interprétation de l’enchaînement causal des évènements. En l’espèce, le critère de l’unité d’action paraît respecté puisqu’il n’y a qu’un fait causal directement en lien avec le préjudice. En l’espèce, l’agression commise par le joueur est considérée comme la seule cause du préjudice subi par l’arbitre. Elle est le résultat de l’algarade qui a opposé les deux belligérants pendant le match ayant abouti à l’expulsion de l’un d’entre eux. A cet égard, le jugement du tribunal correctionnel d’Ajaccio intervenu le 5 février 2008 a sans doute été utile pour comprendre précisément comment l’action s’est déroulée et les juges en matière civile peuvent s’appuyer sur ce dernier pour relater les faits. Pourtant, en ne reconnaissant pas la responsabilité de l’association pour le fait de son membre qu’ils ne regardaient plus comme un joueur de football au moment de son agression, les juges de la cour d’appel ont considéré que son manquement ne pouvait être la cause directe du préjudice subi par l’arbitre du fait de ses violences. Il y a en effet deux manquements identifiables ici. Le premier est celui qui entraîne l’exclusion du joueur durant le match. Il s’agit d’un manquement simple aux règles du jeu insusceptible d’engager une quelconque responsabilité civile. Le second manquement est l’agression qui a eu lieu. Il semble que pour rattacher ce second manquement à une faute contre le jeu ce qui permettait d’engager la responsabilité de l’association, les juges du fond considéraient qu’il était nécessaire qu’elle soit liée au premier manquement. Dans leur décision, la cour d’appel de Paris explique que le premier manquement : «n’est pas la cause directe du préjudice subi par ce dernier du fait des violences exercées ultérieurement par M. X» [26]. Ils détachent donc le deuxième manquement du premier et en concluent que la faute n’a pas été commise dans un contexte sportif et qu’elle ne permet donc pas de retenir la responsabilité de l’association. Les coryphées du quai de l’Horloge ont, au contraire, considéré que le manquement aux règles du jeu durant le match (qui a mené à l’expulsion du joueur) était indissociable de celui qui avait eu lieu alors que le match était terminé (l’agression physique). Ils se sont donc affranchis ou ont recomposé l’unité d’action permettant de rattacher le fait civilement fautif à ses conséquences. C’est sans doute le sens de la précision opérée par les juges du droit quand ils indiquent dans leur attendu : «dont ce dernier a été exclu». S’ils précisent que le joueur a été exclu du match, c’est qu’il leur paraissait nécessaire de rattacher l’agression à un fait sportif antérieur. Si le premier manquement n’avait eu aucune importance, les juges de la deuxième chambre civile n’auraient surement pas pris le soin de le préciser. Il faut donc en conclure que la décision aurait certainement été différente si le joueur avait commis une agression sur l’arbitre en dehors de tout autre fait sportif notable et cela semble raisonnable. On ne voit pas par quel lien l’association pourrait être attachée au fait d’un membre d’une association qui viendrait sans aucune raison agresser une personne venant de finir son travail d’arbitre. Il paraît nécessaire que la responsabilité de l’association soit toujours replacée dans un contexte sportif afin qu’elle ne soit pas responsable de faits qui n’auraient rien à voir avec le sport. Il faut imaginer par exemple des rancœurs préexistantes entre les deux protagonistes qui pourraient expliquer une agression. Cela ne devrait pas dans ce dernier cas, selon nous, suffire à engager la responsabilité d’une association du fait de son membre.

 

9. Unité de temps. Dans le théâtre classique, l’unité de temps exige que l’action se déroule dans une révolution de soleil [27]. Les faits doivent donc se dérouler en 24 heures. Cette règle, très stricte, est longtemps apparue comme un casse-tête pour les auteurs qui devaient dépeindre des évènements historiques sans enfreindre cette contrainte temporelle. A priori, elle ne pose pas de problème puisque toute l’action s’est déroulée en une révolution d’un soleil corse. Toutefois, le fait que l’agression ait eu lieu après que l’arbitre a sifflé la fin du match a orienté la décision des juges de la cour d’appel de Paris. Ces derniers ont indiqué, dans leurs motifs, que la faute avait été commise en dehors de toute activité sportive et alors que le match était terminé. La question de l’unité de temps est importante et délicate dans l’engagement de la responsabilité des associations sportives. Elle porte sur la durée durant laquelle ces dernières sont responsables des actes commis par leurs membres. Il serait inconcevable qu’une association sportive soit vouée à répondre indéfiniment des actes de leurs joueurs et les faits soumis à l’appréciation des juges du fond invitent, comme souvent, les juges du droit à donner une interprétation extensive de cette règle non consacrée. Il paraissait, de prime abord raisonnable, que les associations soient responsables des fautes commises contre le jeu uniquement durant le temps que dure la rencontre sportive. Il est d’ailleurs intéressant de constater le conflit de temporalité existant entre le joueur et l’arbitre. Pour le premier, le match a duré jusqu’à ce qu’il soit exclu par un carton rouge. Après cela était-il toujours un joueur ou devenait-il spectateur de la rencontre ? Pour l’arbitre, la rencontre a duré jusqu’à ce qu’il siffle la fin du match. Pour engager la responsabilité d’une association sportive, il faut traditionnellement démontrer qu’une faute contre le jeu a été commise [28]. Or, comment est-il possible de commettre une infraction aux règles du jeu alors que ce jeu est terminé et que plus personne ne joue ? Un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait suscité les mêmes interrogations [29]. Dans celui-ci, un jeune homme en tenue civile, qui se trouvait sur le banc de touche, est venu sur le terrain pour agresser un joueur s’y trouvant aussi. Les juges Aixois ont refusé de reconnaître la responsabilité de l’association sur le fondement de l’article 1242, alinéa 1er, en faisant valoir que le membre de l’association «qui ne pouvait jouer pour raison médicale, a agi en dehors de toute activité sportive et a commis volontairement une agression caractérisée à l'encontre d'un autre joueur. Il s'agit donc d'un acte ayant trait à un comportement personnel ne pouvant nullement engager la responsabilité civile de l'Association» [30]. Un auteur en avait conclu que : «lorsqu'une faute est commise dans un contexte sportif, alors la responsabilité du club doit être retenue. Mais lorsque la faute est détachable du jeu, soit qu'elle ait été commise en dehors du temps de jeu, soit qu'elle l'ait été en dehors du terrain, soit qu'elle n'ait aucun lien matériel avec la pratique sportive, alors la responsabilité du club doit être écartée» [31]. L’appréciation du contexte sportif peut facilement faire l’objet d’une interprétation. En l’espèce, l’unité d’action nous a permis d’expliquer le rattachement possible au contexte sportif au regard d’un manquement de jeu antérieur [32]. Toutefois, la question demeure de l’unité de temps puisqu’à en croire l’auteur, une faute commise en dehors du temps de jeu ne devrait pas être susceptible d’engager la responsabilité d’une association sportive. Quid enfin du lien matériel entre la faute et la pratique sportive ? Pour trouver ce lien, il faudrait que la faute puisse correspondre à une infraction aux règles du jeu. L’arbitre est celui qui prend des mesures disciplinaires à l’encontre de tout joueur ayant commis une faute passible d’avertissement ou d’exclusion [33]. Il est habilité à «prendre des mesures disciplinaires à partir du moment où il pénètre sur le terrain pour l’inspection d’avant-match et jusqu’à ce qu’il le quitte après la fin du match (séance de tirs au but comprise)» [34]. Il faut ainsi comprendre que les actes de brutalité prévus à l’article 12 de la loi du jeu doivent avoir été effectués durant le match ou pendant les arrêts de jeu ou la séance de tirs au but pour entrer sous l’autorité de l’arbitre : «Un joueur se rend coupable d’un acte de brutalité s’il agit ou essaie d’agir avec violence ou brutalité envers un adversaire alors qu’ils ne disputent pas le ballon, ou envers un coéquipier, un officiel d’équipe, un arbitre, un spectateur ou toute autre personne, qu’il y ait eu contact ou non» [35]. Dès lors, puisque la faute a été commise après le match, en dehors des arrêts de jeu ou de la séance du tir au but, il semble difficile de considérer qu’elle rentre dans le champ des sanctions prévues dans les lois du Football. Elle ne devrait donc pas être considérée comme une infraction aux règles du jeu. C’est pourtant une autre solution qu’a formulée la Cour de cassation ce 5 juillet 2018.

 

10. Unité de lieu. L’unité de lieu signifie que toute l'action doit se dérouler dans un même lieu. Cette idée est transposable dans le cas de la responsabilité de l’article 1242, alinéa 1er. Elle se justifie facilement puisqu’il s’agit d’engager la responsabilité des associations pour les faits causés par leurs membres dans le cas d’une compétition sportive. Ces dernières ne peuvent être responsables en tout lieu et n’importe où. Il faut que la faute commise soit en lien avec le sport pratiqué et le sport est toujours pratiqué en un lieu bien défini. En l’espèce, cette règle pose un problème car si l’agression a eu lieu sur le terrain de football, le joueur n’était plus joueur quand il a pénétré sur ce dernier. C’est comme si dans le Cid, Don Rodrigue venait commettre son forfait contre Don Gomès en dehors de la scène et sans les atours qu’il portait auparavant [36]. Cela paraîtrait insane. Dans la même mesure, si un joueur est habillé en «civil» lorsqu’il commet son agression, il est possible de se demander s’il est toujours sous la responsabilité de son association. C’est pourquoi la cour d’appel de Paris n’a pas retenu la responsabilité de l’association. C’est le motif de la bataille de l’Ile de la Cité puisque les juges du droit ont considéré, au contraire, que l’agression d’un arbitre commise dans une enceinte sportive par un joueur constituait, même lorsqu’elle se produit à l’issue de la rencontre dont ce dernier a été exclu, une infraction aux règles du jeu, en lien avec l’activité sportive.

 

11. Extensions du champ de la responsabilité. En affirmant qu’il est possible de rechercher la responsabilité de ces entités quand la faute a été commise dans l’enceinte sportive et non plus sur le terrain lui-même et à l’issue de la rencontre et non plus durant la rencontre, la Cour de cassation procède forcément à une extension du champ de la responsabilité des associations. Le but de cette manœuvre était peut-être de pourvoir à l’efficience de l’indemnisation, objectif traditionnel de la responsabilité civile sur laquelle veille la Cour de cassation. En effet, la cour d’appel avait retenu la seule responsabilité de l’auteur des faits, le joueur de football, qui aura bien plus de difficulté que l’association à rembourser le Fonds de garantie. Malheureusement, ce besoin pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour les associations sportives si elles voient le champ de leur responsabilité s’étendre de manière trop extensive. Qu’il s’agisse de l’unité de lieu, de temps ou encore d’action, l’existence de critères bien définis pourrait permettre de limiter l’extension du champ de la responsabilité des associations sportives.

 

12. En dehors de la scène. Après avoir planté le décor et tenté d’expliquer les raisons qui ont poussé la Cour de cassation à rendre cette décision, il faut essayer d’en montrer les limites.

 

II - La difficile justification de la responsabilité de l’association sportive

 

13. Limites. Cette décision du 5 juillet 2018 provoque certaines craintes qu’il est possible de mettre en avant. Dans sa portée tout d’abord puisque nous avons constaté qu’il s’agissait d’une extension temporelle et spatiale de la responsabilité des associations sportives. Cela peut entraîner des difficultés dans l’avenir pour ces dernières (A). Dans une autre mesure, et dans un sens qui ne concerne pas la formulation de l’arrêt en lui-même mais qui intéresse son environnement, il est possible de s’interroger sur l’épilogue de cet arrêt au regard du renvoi opéré et du projet de réforme de la responsabilité civile (B).

 

A - Une sévérité regrettable 

 

14. Désaccords et conséquences. Sur l’Ile de la Cité, les deux juridictions voisines cohabitent mais ne sont pas toujours d’accord entre elles. C’est le cas dans cette espèce. Nous avons examiné les raisons qui ont poussé la Cour de cassation à remettre en cause l’arrêt de la cour d’appel de Paris. Il est temps de se demander quelles peuvent en être les conséquences.

 

15. Les effets indésirables. Si des associations peuvent être responsables pour les agissements de leurs membres en dehors de l’activité sportive qui est l’objet de ces dernières, il y a des chances qu’elles se trouvent plus facilement débitrices. Elles seront ainsi débitrices d’obligations qu’elles ne devaient pas assumer jusque-là. Devront-elles assumer la sécurité des personnes se situant dans l’enceinte sportive ? Aujourd’hui, la Cour de cassation considère que seule une faute caractérisée par une violation des règles du jeu en cause peut engager la responsabilité de l’association quand le dommage a été éprouvé par une personne se situant dans l’enceinte sportive [37]. Si le critère de la faute caractérisée devait perdurer, il pourrait se voir assoupli pour permettre aux victimes tierces d’obtenir une indemnisation.

 

Par ailleurs, si aujourd’hui les associations sont responsables alors que le match est terminé et qu’un joueur décide de s’en prendre à l’arbitre, qui dit qu’elles ne seront pas, demain, responsables pour des agissements qui auront eu lieu un jour auparavant ou le jour d’après dès lors qu’un lien pourra être prouvé entre l’agissement et ses conséquences.

 

Enfin, alors qu’auparavant la responsabilité des associations semblait se cantonner aux actions répréhensibles qui avaient eu lieu durant les compétitions, elle s’est peu à peu élargie aux fautes contre le jeu qui avaient été commises durant les entraînements [38] et pendant les matchs amicaux [39] pour aujourd’hui s’appliquer à toutes les fautes caractérisées commises dans une enceinte sportive. Peut-être s’étendra-t-elle demain à toutes les fautes contre le jeu qui ont un lien avec l’activité sportive en dehors de tout autre critère. Le danger est de systématiser l’argument selon lequel sous prétexte que les associations organisent des évènements sportifs, elles doivent assumer tous les risques qui surviennent au cours de ceux-ci. On a vu [40], en l’espèce, que le lien matériel entre la faute et la pratique sportive n’était pas vraiment caractérisée. La Haute juridiction pourrait être tentée de rendre les associations responsables des dommages causés par des personnes non membres de l’association dès lors qu’ils ont été causés au cours d’un évènement organisé par elles. 

 

Ces extensions ne sont pas souhaitables car les associations sportives ne sont pas des clubs sportifs professionnels et ne sont donc pas des commettants responsables des agissements de leurs préposés. Leurs budgets ne sont pas les mêmes, leur capacité d’action, d’organisation et d’encadrement non plus. En 2013, la France comptait 1,3 millions d’associations [41]. Si ce sont tout autant de débiteurs potentiels pour parvenir aux fins de l’idéologie de la réparation, toutes n’ont pas pour objet de contrôler, diriger et de contrôler l’activité de leurs membres.  Ce sont toutefois les associations sportives ayant souvent cette vocation qui sont les plus nombreuses. Elles sont selon l’INSEE, 307 500 [42], juste devant les associations de loisirs, divertissements et vie sociale (281 300) [43] et celles relatives à la culture, aux spectacles et activités artistiques [44]. Seuls 12 % de ces associations peuvent engager des salariés et il est reconnu que les associations sportives s'appuient essentiellement sur le bénévolat [45]. Les deux premiers financements des associations de sport sont les recettes d’activités privées et les cotisations de leurs adhérents ; ces dernières représentent chacune environ 30 % de leurs ressources. C’est dire qu’elles ne sont pas toujours les meilleures débitrices.

 

Il ne faudrait pas que, sous prétexte qu’elles sont souvent plus solvables que leurs membres [46], la Cour de cassation en vienne à transposer la jurisprudence de l’article 1242, alinéa 5, sur le régime de la responsabilité de l’article 1242, alinéa 1er. Si un auteur [47] saluait cette transposition dans le cas d’un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en faisant référence au modèle patronal de la direction de l'activité d'autrui, la situation de certaines associations sportives permet d’émettre certains doutes. Il faut selon nous distinguer les clubs sportifs constitués en sociétés des simples associations sportives qui peuvent prendre le nom de club ou non -comme on en trouve par exemple dans le milieu étudiant- et dont les structures sont très différentes. Selon les articles L. 122-1 (N° Lexbase : L6302HNQ) et R. 122-1 (N° Lexbase : L8068HZT) du Code du sport, l'association sportive affiliée doit constituer une société sportive dès lors qu'elle participe habituellement à l'organisation de manifestations sportives payantes procurant des recettes d'un montant supérieur à 1 200 000 euros ou qu'elle emploie des sportifs dont le montant des rémunérations excède 800 000 euros [48]. Pour ces associations, on comprend plus facilement que ce modèle se rattache au modèle patronal de la direction de l'activité d'autrui et c’est la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés qui semble la plus adaptée [49]. En revanche, pour toutes les associations sportives amatrices, la transposition ne semble pas aussi légitime. Pour utiliser un exemple opposé, il ne paraît pas évident que les associations sportives étudiantes, composées parfois de quelques membres, qui organisent des rencontres sportives hebdomadaires dans le cadre d’un championnat universitaire lié à la fédération française du sport universitaire, entendent se comporter en patronnes de la direction de l’activité d’autrui.

 

L’extension du champ de la responsabilité est minime dans cet arrêt et suffirait à relativiser les craintes exposées sur cette décision mais elle n’en demeure pas moins significative. Il est possible d’admettre qu’un individu qui commet une action répréhensible en toute conscience à l’issue d’une rencontre sportive et comme spectateur, soit déclaré seul responsable de ces actes. Comme l’explique le Professeur Fabre-Magnan, la responsabilité du fait d’autrui part du principe «qu’être responsable pour autrui signifie a priori que ce 'autrui' n’est pas entièrement responsable de ses actes et c’est alors qu’il n’est pas entièrement libre» [50]. Si la responsabilité de l’association ne doit pas être remise en question, la mesure de la responsabilité du joueur peut l’être en revanche. Il n’est donc pas inutile de prévenir pour se garder de guérir de situations qui pourraient être vécues difficilement par des entités qui augmentent leur prise de risques en organisant ce type de compétitions. Il ne faudrait pas que la responsabilité de l’article 1242, alinéa 1er, prenne le chemin de l’article 1242, alinéa 4. Planiol écrivait d’ailleurs «qu’on aura beau écrire des milliers de pages sur la responsabilité objective, jamais on n’en démontrera l’utilité ni l’équité, car elle consiste à faire supporter à un homme les conséquences de la faute d’un autre» [51] et cela suffirait pour justifier les réticences qu’il est possible d’émettre sur l’extension du champ de ce régime de responsabilité. Il est en effet inutile de se demander ce qu’aurait pu faire l’Association en question pour empêcher qu’une telle action ne se produise. Il faut toutefois relativiser ces propos puisque la responsabilité de l’article 1242, alinéa 1er est certes une responsabilité objective [52] mais elle requiert tout de même la démonstration d’un acte illicite de l’auteur du dommage à la différence du régime de responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur depuis l’arrêt "Levert" [53].

 

16. La cour d’appel de renvoi. La décision du 5 juillet 2018 apparaît particulièrement sévère pour les associations sportives. Elle étend le champ de leur responsabilité dans le temps et dans l’espace. La cour d’appel de Paris, autrement composée, reviendra sans doute sur sa décision mais le projet de réforme, en son article 1248, est peut-être la nitescence attendue par les associations sportives.

 

B - L’épilogue épineux

 

17. La responsabilité du joueur. La décision des juges du fond laissait le joueur de football seul responsable puisqu’elle infirmait le jugement du tribunal de grande instance de Paris en ce qu’il avait prononcé la condamnation in solidum de ce dernier et de l’association dont il était le membre. Il se rejouera donc devant la même cour d’appel, autrement composée, le scénario de cette tragédie et il est peu probable d’espérer une résistance. L’arrêt ayant été cassé en toutes ses dispositions, les juges devront se référer à la première décision et ne pas oublier de prononcer la condamnation du joueur de football. Au regard des primo-demandes des parties, il est probable qu’ils prononcent la condamnation in solidum de l’association et du joueur de football. Le principe de l’obligation in solidum veut que : «la victime d’un dommage causé par plusieurs responsables dispose d’autant de recours que d’auteurs du fait dommageable» [54] et cela implique que chacun des coresponsables soit regardé comme ayant causé l'intégralité du dommage [55]. Dès lors, chacun peut être actionné pour le tout. Toutefois, si cela est demandé par les parties, il est possible d’opérer un partage plus précis des responsabilités. Le juge devra alors considérer le rôle de chacun dans la survenance du dommage. Les parties seront tenues de ce partage au moment d’exercer leurs recours. Or, si un tel partage devait être prononcé, il serait délicat au regard des faits de l’espèce de jauger l’implication de l’association. Le partage de responsabilité est très pratique pour déterminer facilement quelle sera la part des contributeurs finaux à la dette de réparation. La décision de cour d’appel de renvoi devrait se rapprocher de celle du tribunal de grande instance de Paris. Celle-ci avait condamné in solidum Monsieur C. et l’Association de Football à payer au FGTI, la somme de 90 924 euros correspondant au montant des dommages subis par la victime. Elle avait par ailleurs condamné le joueur à garantir l’Association de toutes les condamnations mises à leur charge par la décision. Cela revenait à effectuer un partage 100 %/0 % au profit de l’Association. Le fait de reconnaître la responsabilité de l’Association sur le fondement de l’article 1242, alinéa 1er n’a dès lors d’intérêt que si le joueur de football est insolvable ou si le Fonds désire récupérer des sommes plus rapidement. D’un point de vue théorique, même si l’on a conscience de l’intérêt de faire peser la charge finale de la contribution à la dette sur le «plus fautif» [56], il paraît plus logique d’opérer un partage plus précis des responsabilités. Après tout, être responsable signifie encore avoir contribué au dommage -même indirectement- et être débiteur. Il y a une certaine contradiction à être déclaré responsable et condamné in solidum tout en étant relevé indemne de la charge finale de la dette. La cour d’appel de renvoi serait inspirée de condamner l’association et le joueur in solidum tout en procédant à un partage plus précis des responsabilités.

 

18. Dans le projet de réforme. Le projet de réforme de la responsabilité civile présenté par le Garde des sceaux, le 13 mars 2017 prévoit quant à lui la possibilité pour «les personnes qui, par contrat assument, à titre professionnel, une mission de surveillance d’autrui ou d’organisation et de contrôle de l’activité d’autrui» [57] de s’exonérer de leur responsabilité en prouvant qu’elles n’ont pas commis de faute. Le législateur vise sans doute [58] les associations sportives et le régime de responsabilité de l’article 1242, alinéa 1er, passe d’une présomption de responsabilité à un simple cas de responsabilité pour faute présumée. S’il vise effectivement les associations sportives, le texte va dans le bon sens, surtout dans ce cas précis où l’association paraît n’avoir commis aucune faute et semble totalement étrangère au comportement délictueux de l’agresseur. Le texte limite tout de même le champ de la responsabilité des associations sportives puisque seules celles qui organisent l’évènement par contrat et à titre professionnel sont concernées. Or, il est plus probable que ces dernières soient les plus solvables, les plus organisées et les plus à même de répondre des dommages causés au cours des évènements qu’elles organisent. C’est donc une bonne réponse aux interrogations que nous émettions sur la capacité des associations, comprises dans leur globalité, de répondre des dommages causés par leurs membres [59].

 

Il pourrait être aussi avancé que le texte ne vise pas les associations mais les exploitants commerciaux d’activités sportives. Une jurisprudence bien établie existe sur leur responsabilité contractuelle et sur la nature de leurs obligations : de moyens ou de résultat. Par exemple, des sociétés qui organisent des sauts à l’élastique [60] ou encore les exploitants d’une salle d’escalade [61] ne sont-ils pas des personnes qui, par contrat, assument, à titre professionnel, une mission de surveillance d’autrui comme le prévoit la lettre de l’article 1248 du projet de réforme ? Puisque les dommages corporels seront dans l’avenir régis par le droit de la responsabilité extracontractuelle, la responsabilité contractuelle sera exclue de jure et l’article 1248 du projet semblera le plus adapté pour répondre à ces situations. Comme celui-ci prévoit que le débiteur aura la possibilité de s’exonérer en prouvant qu’il n’a pas commis de faute, il est possible d’en déduire que la nature des obligations contractées par ces exploitants seront l’équivalent des anciennes obligations de moyens renforcées ou de résultat atténuées [62]. Quoi qu’il en soit, l’article 1248 mériterait de plus amples précisions.

 

19. Dénouement. Cette décision met en avant un Janus du droit dont un regard est tourné vers l’avenir tandis que l’autre fixe encore le passé. Souvent, lorsqu’une bataille oppose les anciens aux nouveaux, c’est aux plus audacieux que le succès sourit mais seul le temps leur donne raison ou les détrompe. Ce qui fut vrai pour le théâtre ne l’est peut-être pas pour le droit.

 

 


[1] N. Boileau, L’art poétique, chant III, n° 45 et 46, 1674.

[2] Il n’y a que trois actes dans le théâtre de l’Antiquité. C’est seulement plus tard que les tragédies connaîtront cinq au lieu de trois actes.

[3] Huit mois ferme pour avoir tabassé un arbitre de football, Le Parisien, 6 février 2008.

[4] Mais aussi contre l’Association.

[5] Au moment des faits, il s’agissait des articles 1384, alinéa 1er (N° Lexbase : L1490ABS) et 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) du Code civil.

[6] CA Paris, pôle 1, 5ème ch., 23 février 2017, n° 16/19659 (N° Lexbase : A9573TNU).

[7] La «Bataille d’Hernani» opposa les romantiques aux classiques dans un conflit visant à renouveler la vision du théâtre et à le débarrasser de ses nombreuses contraintes artistiques.

[8] Ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231 (N° Lexbase : A0285AB8), D., 1991, 324, note Larroumet  ; D., 1991. Somm. 324, obs. Aubert  ; JCP éd. G, 1991, II, 21673, concl. Dontenwille, note Ghestin ; RTDCiv., 1991. 541, obs. Jourdain  ; Gaz. Pal., 1992. 2. 513, note Chabas.

[9] Ibid.

[10] Il s’agissait de l’article 1384, alinéa 1er, à l’époque. Le texte n’a pas changé et la nouvelle numérotation sera adoptée dans le texte qui suit.

[11] Sur la question, la doctrine est divisée. Pour le Professeur Brun, la décision n’a fait que s’ajouter à la liste des alinéas 4 et suivants de l’article 1384 du Code civil : «c’est très nettement à cette dernière interprétation que nous nous rallions pour notre part», in Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, Lexis Nexis, 4ème éd. 2016, n° 478. En revanche, les Professeurs Malinvaud et Fenouillet soutiennent qu’«on peut considérer que, dans un certain domaine, la jurisprudence consacre un principe général de responsabilité du fait d’autrui» mais on voit mal alors ce qu’aurait de général un tel régime s’il ne s’appliquait qu’à certains cas particuliers ou à certains domaines. V. Ph. Malinvaud, D. Fenouillet, M. Mekki, Droit des obligations, Lexis Nexis, 14ème éd. 2017, n° 648.

[12] V. Cass. civ. 2, 25 février 1998, n° 95-20.419 (N° Lexbase : A5078AC3).

[13] Cass. civ. 2, 22 mai 1995, n° 92-21.197 (N° Lexbase : A7402ABR) ; R., p. 319 ; RTDCiv., 1995, 899, obs. Jourdain  ; JCP éd. G, 1995, II, 22550, note J. Mouly ; JCP éd. G, 1995, I, 3893, n° 5, obs. Viney ; RCA, 1995, Chron. 36, par Groutel ; D., 1996, Somm. 29, obs. Alaphilippe  ; Gaz. Pal., 1996, 1, 16, note Chabas ; Defrénois, 1996. 357, obs. D. Mazeaud.

[14] La formulation évolue en fait à partir de l’arrêt du 20 novembre 2003 (Cass. civ. 2, 20 novembre 2003, n° 02-13.653, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A2103DA7). Dans celui-ci, les juges considèrent qu’il fallait que soit établi un fait fautif imputable à l’un de membres, sous-entendu, une faute constitutive d’une violation des règles destinées à protéger l’intégrité de ses participants. La formation évolue vers la forme que l’on connaît aujourd’hui avec l’arrêt d’Assemblée plénière du 29 juin 2007 : Ass. plén., 29 juin 2007, n° 06-18.141, P+B+R+I (N° Lexbase : A9647DW9) ; RJ éco. Sport, n° 85/2007, p. 88, obs. Wagner ; JCP éd. G, 2007. II. 10150, note Marmayou ; JCP éd. E, 2007. 2198, note Radé. Elle semble être constante depuis : v.  Cass. civ. 2, 8 juillet 2010, n° 09-68.212, F-D (N° Lexbase : A2448E4G) et l’arrêt ici commenté.

[15] Cass. civ. 2, 8 juillet 2010, n° 09-68.212, précité.

[16] Civ. civ. 2, 3 février 2000, précité.

[17] CA Toulouse, 23 mars 2015, n° 14/00264 (N° Lexbase : A1561NEK). En l’espèce, les juges du fond s’étaient appuyés sur les règles officielles du Basket-Ball, notamment en son article 33-2 qui prévoit un principe de verticalité qui protège l'espace que le joueur occupe sur le terrain et l'espace au-dessus de lui quand il saute verticalement dans cet espace et l'article 33-6 qui dispose qu'un joueur qui a sauté en l'air d'un point quelconque du terrain a le droit de retomber de nouveau au même endroit et qu'un joueur ne peut pas se mettre sur le chemin d'un adversaire après que ce dernier a sauté. Les juges ont, de plus, rappelé qu’il était précisé dans les règles du jeu que se placer sous un joueur en l'air et provoquer un contact est habituellement une faute antisportive.

[18] Cass. civ. 2, 16 septembre 2010, n° 09-16.843, FS-D (N° Lexbase : A5841E99).

[19] CA Montpellier, 14 octobre 2014, n° 13/03613 (N° Lexbase : A3752MYM).

[20] Cass. civ. 2, 14 avril 2016, n° 15-16.938, F-D (N° Lexbase : A6845RID).

[21] V. H. Conte, Responsabilité et paris sportifs : La vida es una tombola, Lexbase éd. priv., 2018, n° 750 (N° Lexbase : N5053BXG).

[22] La cuillère en rugby est l’action par laquelle un joueur faire perdre l'équilibre à un adversaire en pleine course en tapant légèrement l'une des chevilles pour que celle-ci vienne se placer derrière l'autre provoquant ainsi un croc-en-jambe. Le joueur tombe généralement la tête en avant et peut se faire mal mais il s’agit d’une action terriblement efficace lorsque le joueur visé est plus rapide.

[23] V. supra, n° 4.

[24] Ibid.

[25] J. Scherer, La Dramaturgie classique en France, Libraire Nizet, 1973. Appendice I, «Quelques définitions».

[26] CA Paris, pôle 1, 5ème ch., 23 février 2017, n° 16/19659, précité.

[27] Aristote.

[28] V. Supra n° 4.

[29] CA Aix-en-Provence, 10ème ch., 16 mars 2004, ([LXB=en attente]), RCA, n° 9, 2004, comm, p. 248.

[30] Ibid.

[31] Ch. Radé, ibid.

[32] V. supra, n° 8.

[33] Ifab, Lois du jeu 2018/2019, loi n° 5, p. 66.

[34] Ibid. De même, il est «habilité à infliger des cartons jaunes et rouges et, lorsque le règlement de la compétition l'autorise, à exclure temporairement un joueur, à partir du moment où il pénètre sur le terrain au début du match et jusqu’après la fin du match, y compris pendant la mi-temps, les prolongations et les tirs au but».

[35] Ifab, Lois du jeu 2018/2019, loi n° 12, p. 112.

[36] P. Corneille, Le cid, 1637. Dans le Cid de Corneille, Don Rodrigue se bat en duel contre Don Gomès et le tue pour sauver l’honneur de son père.

[37] V. supra n° 4.

[38] Cass. civ. 2, 21 octobre 2004, n° 03-17.910, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6522DDW).

[39] Cass. civ. 2, 13 janvier 2005, n° 03-18.617, F-P+B (N° Lexbase : A0273DG9), Resp. civ. et assur., 2005, comm, p. 81.

[40] V. supra n° 9.

[41] INSEE première, n° 1587.

[42] Ibid..

[43] Ibid..

[44] On en compte 237 100.

[45] INSEE première, n° 1587.

[46] Ce n’est d’ailleurs pas toujours le cas.

[47] V. supra, n° 9. Selon l’auteur : «Cette transposition de l'abus de fonction aux hypothèses de responsabilités du fait d'autrui fondées sur l'alinéa 1er de l'article 1384 du Code civil nous semble particulièrement pertinente, tout au moins s'agissant de la responsabilité des clubs sportifs […] Il n'est donc pas surprenant que la jurisprudence cherche à transposer le critère de l'abus de fonction dans le cadre de la responsabilité des associations sportives puisque cette responsabilité se rattache bien au modèle patronal de la direction de l'activité d'autrui».

[48] L’alinéa 2 de l’article L. 122-1 du Code du sport prévoit qu’«une association sportive dont le montant des recettes et le montant des rémunérations mentionnées au premier alinéa sont inférieurs aux seuils visés au même alinéa peut également constituer une société sportive pour la gestion de ses activités payantes, dans les conditions prévues à la présente section».

[49] Les critères de l’article L. 122-1 du Code du sport sont en effet alternatifs et non cumulatifs.

[50] M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, 2-Responsabilité civile et quasi-contrat, coll. Thémis Droit, 3ème éd PUF, 2013 n° 122, p. 279.

[51] M. Planiol, Du fondement de la responsabilité, Rev. crit. législ. et jur. 1905. 277. Les responsabilités objectives sont «toutes celles qui ne subordonnent pas l’indemnisation à l’appréciation du comportement personnel du responsable». V. Ph. Pierre, La place de la responsabilité objective, RLDC, nº 71, 1er mai 2010. Il est indiqué que cet article reprend le texte d’une communication présentée lors du séminaire organisé les 27 et 28 novembre 2009 par l’UMR CNRS CERCRID - Université Jean Monnet, Saint-Etienne, sur «La place de la responsabilité objective»

[52] La responsabilité objective est celle «qui est fondée sur la seule constatation du dommage causé, abstraction faite de toute faute, la preuve d’un fait dommageable suffisant à engager la responsabilité de son auteur même en l’absence de faute de sa part» in G. Cornu, Vocabulaire juridique, coll. Quadrige, 11ème éd. Puf, 2016.

[53] Cass. civ. 2, 10 mai 2001, n° 99-11.287 (N° Lexbase : A4300ATG), D., 2001, p. 2851, note O. Tournafond, ibid, note P. Guerder, D., 2002, p. 1315, note D. Mazeaud, RTDCiv., 2001, p. 601, note P. Jourdain, RDSS, 2002, p. 118, obs. F. Moneger.

[54] Ph. le Tourneau, J. Julien, Vo Solidarité, in Rep. Droit civ. Dalloz, n°s 162 et s..

[55] Ibid.

[56] G. Viney, P. Jourdain, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, 4ème éd. LGDJ, 2013, p. 322 et s. ; P. Jourdain,  RTDCiv., 2006, p. 573, note sous Cass. civ. 3, 26 avril 2006, n° 05-10.100, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1903DP8). L’auteur explique que : «dans le prolongement de cette solution, il faut également admettre que ceux dont la responsabilité a été engagée sans faute peuvent exercer un recours total contre des responsables fautifs, et inversement, que ces derniers restent tenus de la charge définitive de la dette». 

[57] Article 1248 du projet de réforme de la responsabilité civile.

[58] V. Ph. Malinvaud, D. Fenouillet, M. Mekki, Droit des obligations, Lexis Nexis 14ème éd., 2017, n° 650, p. 603. Ces auteurs considèrent en effet que les associations sportives «entrent désormais dans un cas de responsabilité pour faute présumée prévue à l’article 1248 […]» ; J-S. Borghetti, Un pas de plus vers la réforme de la responsabilité civile : présentation du projet de réforme rendu public le 13 mars 2017, D., 2017, p.770.

[59] V. supra n° 15.

[60] Cass. civ. 1, 30 novembre 2016, n° 15-25.249, F-P+B (N° Lexbase : A8459SNM). Dans cet arrêt, la Cour de cassation a confirmé l’appréciation des juges du fond qui avaient considéré que l’obligation contractuelle de sécurité de l’organisateur d’une telle activité est une obligation de résultat car le sauteur n’a pas de rôle actif et ne peut choisir que de sauter ou de ne pas sauter.

[61] Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n° 16-11.953, F-P+B (N° Lexbase : A5486TAG). Dans cet arrêt, la Cour de cassation a confirmé l’appréciation des juges du fond qui avaient considéré que l'obligation contractuelle de sécurité de l'exploitant d'une salle d'escalade est une obligation de moyens dans la mesure où la pratique de l'escalade implique un rôle actif de chaque participant.

[62] V. M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, 1- contrat et engagement unilatéral, coll. Themis Droit, 4ème éd. PUF, 2016, n° 489, p. 542.

newsid:465304

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.