La lettre juridique n°752 du 6 septembre 2018 : Finances publiques

[Chronique] Chronique de finances locales - Septembre 2018

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par Jérôme Germain, Maître de conférences HDR en droit public, Faculté de droit de Metz, IRENEE/Université de Lorraine

le 05 Septembre 2018

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de finances locales de Jérôme Germain, Maître de conférences HDR en droit public Faculté de droit de Metz, IRENEE/Université de Lorraine. Il sera proposé dans cette chronique semestrielle de finances locales un commentaire des principales décisions jurisprudentielles récentes relatives au droit des budgets des collectivités locales et de leurs établissements publics ainsi qu’au droit de la comptabilité publique locale. Les commentaires se borneront aux arrêts portant strictement sur les finances locales, à l’exclusion de la fiscalité locale.

 

           

Le département de la Seine-Saint-Denis a émis le 1er septembre 2014 un titre exécutoire à l’encontre de la SCI S Plus 2 M en contrepartie du branchement à l’égout d’un immeuble. Ce titre de recette visait le versement par la SCI au département du paiement des travaux réalisés. Le tribunal administratif de Montreuil a annulé ce titre exécutoire le 2 juillet 2015 [1]. De la même façon, le département de la Seine-Saint-Denis a émis le 5 septembre 2014 un titre exécutoire à l’encontre de la SCI Auber Immo Plus en contrepartie du branchement à l’égout d’un immeuble. Le tribunal administratif de Montreuil a aussi annulé ce titre exécutoire le 2 juillet 2015 [2]. La cour administrative d’appel de Versailles a confirmé les jugements de première instance le 15 septembre 2016 à travers deux arrêts [3]. Le département de la Seine-Saint-Denis s’est pourvu en cassation contre ces deux rejets.

           

L’article L. 1617-5 4° du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3172LCH) dispose que l’ampliation du titre de recette doit contenir les coordonnées de son émetteur et que le bordereau du titre de recettes doit comporter la signature de l’autorité émettrice. La cour administrative d’appel de Versailles a considéré que le titre exécutoire était irrégulier parce qu’il avait été signé postérieurement à sa date d’émission. Emis le 1er septembre, il n’avait été signé que le 2 septembre dans le premier cas. Emis le 5 septembre, il n’avait été signé que le 8 septembre dans le second cas. Le Conseil d’Etat considère en revanche que le bordereau peut présenter une signature postérieure à la date du titre exécutoire. La signature du bordereau n’étant destinée qu’à être produite en cas de contestation, la date du titre exécutoire peut être antérieure à la date de signature du bordereau. Le titre exécutoire demeure alors légal en l’absence d’éléments de droit ou de fait établissant que la décision ne pouvait pas être prise à la date de la signature réelle. La signature réelle est celle du bordereau lui-même par opposition à la date antérieure figurant sur le titre exécutoire. Comme le juge du fond n’a pas vérifié l’existence de tels éléments de droit ou de fait, le Conseil d’Etat casse l’arrêt de la cour administrative d’appel. Le juge d’appel devra reprendre ces deux affaires et vérifier si des éléments de droit ou de fait intervenus entre la date de l’ampliation et celle du bordereau s’opposent à ce que la décision ne soit prise à la date de la signature réelle.

 

  • Absence de compensation des augmentations de charges déjà transférées : CE, 9 mai 2018, n° 412055 (N° Lexbase : A6294XM3)

           

Plusieurs départements (Calvados, Manche, Eure et Orne) demandent au Conseil d’Etat l’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2017-739 du 4 mai 2017, portant revalorisation du montant forfaitaire du revenu de solidarité active (N° Lexbase : L1674LEQ). Ce décret fait en effet passer le montant forfaitaire du revenu de solidarité active de 535,17 euros à 536,78 euros à partir d’avril puis 545,48 € à partir de septembre 2017.

           

D’après l’article 72-2 de la Constitution (N° Lexbase : L8824HBG), «tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi».

           

Le décret contesté s’est toutefois contenté d’augmenter le montant forfaitaire du revenu de solidarité active. Cette possibilité est reconnue au Premier Ministre par l’article L. 262-2 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L5815KGH). En d’autres termes, le décret attaqué n’a pas procédé au transfert d’une compétence étatique aux départements. Il n’a pas non plus créé ou étendu une compétence des départements. L’article 72-2 de la Constitution ne s’applique donc pas dans cette affaire.

 

Le juge relève pour finir que le décret litigieux n’est pas synonyme d’un fardeau financier vidant de toute signification le principe de libre-administration des collectivités locales protégé par l’article 72 de la Constitution. Malgré les dépenses supplémentaires qu’il implique, le décret du 4 mai 2017 n’est donc pas contraire à l’article 72 de la Constitution.

 

  • Interdiction des paiements d’une commune en monnaie locale : CAA Bordeaux, 4 mai 2018, n° 18BX01306 (N° Lexbase : A4668XN9)

           

Le maire de Bayonne et le directeur général de l’association Euskal Moneta Monnaie locale du Pays Basque (l’eusko) ont signé une convention le 10 janvier 2018 prévoyant, entre autres, le paiement par la commune de certaines dépenses dans la monnaie locale du Pays Basque. Le préfet des Pyrénées atlantiques a saisi le tribunal administratif de Pau afin que le juge des référés suspende cette convention [4]. Devant le refus du tribunal administratif [5], il interjette appel devant la cour administrative de Bordeaux.

           

En vertu de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014, relative à l’économie sociale et solidaire (N° Lexbase : L8558I3D), une commune peut procéder à des encaissements en monnaie locale. Il n’est donc pas contesté que des recettes non fiscales comme celles constituant la contrepartie d’une prestation puissent être réglées à la commune en monnaie locale dans le cadre d‘une convention avec l‘association de la monnaie locale. En revanche, les dépenses publiques ne peuvent pas être effectuées en monnaie locale. Les comptables publics, en effet, ne sont pas autorisés à utiliser les monnaies locales dans une telle situation [6].

            Dans la convention attaquée, la commune n’entend certes pas régler directement en monnaie locale certaines dépenses. Elle s’engage seulement à verser l’argent dû en euro à une association (Euskal Moneta Monnaie locale du Pays Basque) afin que celle-ci effectue la conversion en monnaie locale et reverse la somme au destinataire. Le paiement sera en pratique crédité au compte en monnaie locale détenu par le bénéficiaire auprès de cette association.

            La cour administrative d’appel y voit une atteinte au droit de la comptabilité publique. Le caractère libératoire de la dépense publique ne pourra plus être apprécié par le comptable public mais par cette association. Le comptable public ne sera ainsi plus en mesure de réaliser son contrôle de la dépense mandatée par l’ordonnateur financier. Il existe donc d’après la cour administrative d’appel un doute sérieux sur la légalité de la convention déférée. C’est pourquoi le juge d’appel annule l’ordonnance de première instance et suspend l’exécution de la convention.

 

  • Confirmation de la validité des emprunts toxiques (Cass. com., 28 mars 2018, n° 16-26.210, F-P+B+I N° Lexbase : A0511XIR)

           

Cet arrêt de la Cour de cassation était particulièrement attendu puisqu’il s’agit de sa première décision dans les affaires d’emprunts toxiques. Sans surprise, elle confirme les arrêts des cours d’appel en donnant raison aux prêteurs (ici la banque Dexia). Les espoirs nés avec les jugements du TGI de Nanterre s’envolent [7].

           

La commune de Saint-Leu-La-Forêt (15 000 habitants) demandait l’annulation du taux d’intérêt s’appliquant à elle en raison de la nature spéculative des prêts consentis. Les communes n’ont pas le droit de signer des contrats spéculatifs parce qu’ils visent en but d’enrichissement et non une finalité d’intérêt général. La Cour de cassation considère que le caractère aléatoire des obligations ou illimité des risques encourus ne suffisent pas à conférer une nature spéculative à une convention. Par ailleurs, les contrats contestés cherchaient à refinancer des emprunts antérieurs et non à enrichir la commune. La nature spéculative étant refusée aux contrats litigieux, l’absence d’avertissement sur l’importance des variations de taux ne constitue ni un dol, ni une violence. Les obligations contractuelles ne sont donc pas entachées de nullité du consentement.

           

Cette espèce permet en outre au juge de préciser la notion d’emprunteur averti. Il utilise la méthode des faisceaux d’indices concordant pour établir ou non le caractère d’emprunteur averti de la commune. En d’autres termes, il apprécie in concreto au jour de la conclusion des prêts contestés si l’emprunteur pouvait être qualifié d’averti. Cette qualité d’emprunteur averti ne se présume donc pas. Parmi les critères examinés par le juge se trouvent la taille de la commune, le nombre de prêts à taux variable souscrits, les diplômes obtenus par le maire, la composition de la Commission des finances ainsi que la politique de gestion active de la dette menée par la commune. La Cour de cassation en déduit ici le caractère d’emprunteur averti de la commune. En conséquent, la banque n’a pas manqué à son devoir de mise en garde face à une opération financière risquée. Cette obligation jurisprudentielle ne s’applique en effet que lorsque l’emprunteur est non averti.

           

Cet arrêt rappelle enfin que les communes ne peuvent ni saisir la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), ni invoquer la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH). Comme elles exercent une mission de puissance publique, elles représentent des démembrements de l’Etat. La CESDH visant principalement la protection des libertés face à la puissance publique, elles ne sont pas destinataires des droits qu’elle garantit. Les communes ne sont donc pas assimilables aux organisations non gouvernementales qui, elles, peuvent saisir la CEDH. Il en découle que les communes ne peuvent pas invoquer devant le juge l’inconventionnalité de la loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014, relative à la sécurisation des contrats de prêt structurés souscrits par les personnes morales de droit public (N° Lexbase : L8472I38). Approuvée par le Conseil constitutionnel [8], cette loi valide l’absence de TEG (taux effectif global) dans certains documents contractuels importants lors des affaires d’emprunts toxiques. D’après la commune, cette loi de validation violait son droit à un procès équitable (CESDH, art. 6§1 N° Lexbase : L7558AIR) et représentait une ingérence de l’Etat dans un procès un cours, ce qu’interdit aussi la CESDH (article 1er du Premier protocole additionnel N° Lexbase : L1625AZ9). La Cour de cassation repousse la distinction proposée par la commune entre droits fondamentaux procéduraux (bénéficiant aux collectivités locales) et droits fondamentaux matériels (ne bénéficiant pas aux personnes publiques). Elle a donc refusé d’examiner ce moyen en raison de son irrecevabilité.

           

           

Un litige contractuel entre le service départemental d’incendie et de secours de l’Hérault (SDIS) et la société aéroport Montpellier Méditerranée (SAMM) avait conduit le SDIS à émettre le 8 mars 2005 un titre de recettes à l’encontre de la Chambre de commerce et d’industrie de Montpellier en tant que gestionnaire de la SAMM. Ce titre de recettes a, le 4 avril 2008, été annulé par le tribunal administratif de Montpellier à la demande de la CCI. La cour administrative de Marseille a donné raison au SDIS le 14 février 2011 en rendant exécutoire le titre de recette contesté. La SAMM a alors versé au SDIS la somme exigée. Le Conseil d’Etat, en revanche, a annulé l’arrêt de la cour administrative de Marseille ainsi que le titre de recettes émis par le SDIS [9]. Le SDIS a alors procédé au remboursement des paiements exécutés en 2011.

           

Pour verser au SDIS la somme demandée, la SAMM a dû contracter des emprunts. Il va sans dire que le remboursement effectué par le SDIS à la SAMM n’inclut pas les intérêts générés par ces emprunts. Les intérêts versés aux prêteurs demeurent donc à la charge exclusive de la SAMM. La SAMM y voit un préjudice ouvrant droit à réparation. Le tribunal administratif de Montpellier a refusé le 24 novembre 2014 de reconnaître le droit de la SAMM à une réparation par le SDIS du dommage subi en raison du paiement illégalement effectué [10]. En revanche, le 9 mai 2016, la cour administrative d’appel de Marseille a reconnu que le SDIS devait dédommager la SAMM pour le préjudice subi [11]. Le Conseil d’Etat a finalement estimé qu’il n’y avait pas de lien direct entre l’illégalité du titre exécutoire annulé et le préjudice invoqué. Il a donc annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel et rejeté la demande d’indemnisation de la SAMM.

 

           

La société Sanicorse avait conclu le 7 mars 2001 un contrat avec la commune d’Ajaccio. Dans la foulée de sa création, la communauté d’agglomération du pays ajaccien (CAPA) a succédé à la commune d’Ajaccio dans ce contrat. Ce contrat permettait à la société Sanicorse de déposer des déchets médicaux dans une décharge publique en échange du paiement d’une redevance. La société Sanicorse a contesté devant le tribunal administratif de Bastia la décision unilatérale de la CAPA augmentant la redevance due. Le Tribunal des conflits a, le 9 décembre 2013, confirmé la nature administrative du contrat liant les deux parties [12]. Le tribunal administratif de Bastia a donné raison à la société Sanicore le 23 avril 2015 [13]. La cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel de la CAPA dans cette affaire le 9 mai 2016 [14].

           

La CAPA, en tant que destinataire d’un titre exécutoire, n’avait pas été informé des délais et des voies de recours à sa disposition. En tout cas, l’administration n’était pas en mesure de prouver que cette information lui avait été fournie. Cette omission enfreint naturellement le Code de justice administrative [15]. Dans ce cas, la computation des délais de prescription de l’action contentieuse contre un acte administratif ne peut débuter. Le principe de sécurité juridique empêche toutefois que des situations établies depuis longtemps puissent être remises en cause à n’importe quel moment [16]. Le juge administratif a ici précisé l’encadrement de ce principe en matière de titres exécutoires. Cette catégorie de décision administrative ne saurait non plus être indéfiniment contestée. Le Conseil d’Etat estime ainsi qu’au-delà d’un délai d’un an un titre exécutoire ne pourra plus être contesté devant le juge. Le délai débute soit avec la notification expresse, soit avec la connaissance certaine de la décision concernée. Le juge administratif profite des circonstances spécifiques de l’affaire pour nous éclairer sur un cas particulier. Si le destinataire du titre exécutoire a d’abord saisi par erreur le juge judiciaire dans le délai raisonnable d’un an ici défini, alors il dispose de deux mois pour saisir le juge administratif à partir de la notification ou de la signification du jugement d’incompétence du juge judiciaire.

 

  • Détermination de l’accessoire obligé de la fonction principale (CDBF, 22 février 2018, n° 218-749-II ; CDBF, 13 octobre 2017, n° 216-784)

           

Créée en 1948, la Cour de discipline budgétaire est devenue la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) en 1963. Juridiction administrative spéciale, elle forme la seconde catégorie de juridiction financière à côté des juridictions en charge du contrôle des comptes des comptables publics (Cour des comptes et chambres régionales des comptes). Juridiction répressive, elle sanctionne certaines infractions commises par des ordonnateurs publics ou des gestionnaires des deniers publics. Les sanctions financières qu’elle prononce (ou ne prononce pas) se distinguent des sanctions pénales ou disciplinaires décidées par d’autres instances. La CDBF est à la fois moins connue dans l’opinion et plus critiquée par la doctrine que les autres juridictions financières. Elle rend trop peu d’arrêts en raison des importantes exceptions que connaît son domaine de compétence. De nombreux ordonnateurs publics ou gestionnaires des deniers publics échappent en effet à son contrôle. Ainsi les ministres et les élus locaux, en raison de leur légitimité démocratique et de leur responsabilité politique devant une assemblée délibérante, ne peuvent être, en principe, poursuivis devant la CDBF [17]. De la même façon, les agents publics qui peuvent exciper d’un ordre écrit d’une personne bénéficiant de cette immunité juridictionnelle ne peuvent pas non plus être poursuivis devant la CDBF. Restent principalement justiciables de la CDBF les administrateurs dirigeant des organismes dépendant de l’administration (établissements publics, entreprises publiques …) et les présidents d’association gérant des subventions publiques. Il s’agit souvent dans le premier cas de fonctionnaires et dans le second cas de bénévoles.

           

Deux exceptions tentent de tempérer l’immunité juridictionnelle dont bénéficient les principaux gestionnaires des finances locales que sont les élus locaux. La première est législative, la seconde, jurisprudentielle.

 

D’une part, la loi prévoit deux cas dans lesquels des élus locaux peuvent relever du contrôle de la CDBF. Tout d’abord, le Code des juridictions financières dispose qu’en cas d’inexécution d’une décision de justice (CJF, art. L. 313-7 N° Lexbase : L1648ADE) [18] ou de manquements aux règles d’exécution des jugements (CJF, art. L. 313-12 N° Lexbase : L1653ADL) par des personnes publiques, l’élu local concerné peut être poursuivi devant la CBDF. Ces dispositions jouent essentiellement un rôle dissuasif. Ensuite, lorsqu’un ordre de réquisition du comptable public procure (ou a tenté de procurer) à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, l’élu local devient aussi passible du contrôle de la CDBF (CJF, art. L. 313-6 N° Lexbase : L6430YDS). L’exigence d’un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé réduit cependant la portée de cette exception et explique que, parmi les gestionnaires publics poursuivis sur ce fondement, on ne compte aucun élu local.

 

D’autre part, la jurisprudence élargit le cercle des justiciables en utilisant une porte laissée entrouverte par le législateur. L’article L 312-1 II e) du Code des juridictions financières (N° Lexbase : L1363LE9) étend en effet l’exemption de poursuites dont bénéficient certains gestionnaires publics aux fonctions qui constituent l’accessoire obligé de leur fonction principale. Le juge en a tiré pour conséquence qu’ils perdent leur immunité juridictionnelle devant la CDBF pour les fonctions qui, justement, ne constituent pas l’accessoire obligé de leur fonction principale. Cette brèche a permis d’engager la responsabilité financière de l’élu local en tant qu’administrateur devant le juge des gestionnaires publics [19]. Dans le cas des élus locaux, le juge va tenter de déterminer si, dans l’espèce, la fonction concernée représente ou non l’accessoire obligé du mandat local.

           

Deux arrêts récents permettent de bien cerner les contours de cette notion d’accessoire obligé du mandat local.

           

D’un côté, dans l’arrêt «Société d’investissement de la filière pêche de l’archipel Saint-Pierre-et-Miquelon» (n° 218-749 II), le président-directeur général (PDG) de la société en question est aussi le président du Conseil territorial de la collectivité locale de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cependant, le conseil d’administration de la société avait le choix entre nommer PDG une personne ou une collectivité locale. Comme il a nommé une personne et non une collectivité locale, la fonction de PDG ne constitue pas ici l’accessoire obligé du mandat local. La CDBF est donc compétente pour sanctionner le PDG de la société concernée.

           

D’un autre côté, dans l’arrêt «Opéra national de Bordeaux» (n° 216-784), le président du conseil d’administration est aussi un adjoint au maire, désigné au conseil d’administration par son Conseil municipal. Comme les statuts de l’organisme prévoient que son président doit être issu du Conseil municipal, cette fonction représente, ici en revanche, l’accessoire obligé de son mandat local. La CDBF n’est donc pas compétente pour connaître de sa gestion.

 

Malgré les efforts de la CDBF pour étendre son contrôle, une intervention du législateur semble indispensable pour en améliorer l’effectivité.

 

  • Intégration de la compensation dans le calcul du dédommagement versé (CE, 22 décembre 2017, n° 385864 N° Lexbase : A4742W9I)

 

Cette affaire trouve sa source dans une erreur de calcul de la cotisation de l’ancienne taxe professionnelle due par deux entreprises au titre de l’année 2004 à la commune de Maugio, membre de la communauté de communes du Pays de l’Or. Les services fiscaux ont réduit non seulement la période d’imposition mais aussi la base d’imposition de ces deux entreprises en raison de leur cessation d’activité en cours d’année. Comme la base d’imposition aurait dû rester inchangée malgré la liquidation judiciaire des sociétés en février 2004, les services fiscaux ont commis une faute dans le calcul de l’impôt dû à la commune. Cette faute est de nature à engager la responsabilité de l’État du fait de ses services fiscaux. Comme on le sait, une faute simple suffit désormais pour ouvrir droit à réparation dans ce type de responsabilité administrative [20]. La communauté de communes du Pays de l’Or étant un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre (on parle aussi de GFP, groupement à fiscalité propre), elle a droit à un dédommagement de la part de l’Etat.

           

Comment doit-être calculé le montant de la réparation due par l’Etat à l’EPCI ? D’une part, l’Etat doit verser en dédommagement à la commune le montant qui lui reste à percevoir. D’autre part, ce montant est bonifié par des intérêts. En première instance, le tribunal administratif de Montpellier a considéré le 14 février 2013 que la compensation étatique [21] versée à la commune en raison de la chute de ses recettes de taxe professionnelle devait être prise en compte [22]. En d’autres termes, le dédommagement dû à la commune devait être diminué de cette compensation déjà attribuée. De son côté, la cour administrative d’appel de Marseille a en revanche choisi, le 23 septembre 2014, de faire abstraction de cette compensation [23]. D’après elle, l’Etat doit verser à la commune l’intégralité de la somme qu’elle aurait dû recevoir sans que celle-ci n’ait besoin d’être défalquée de la compensation étatique versée à la commune. Ce débat est loin d’être anodin d’un point de vue financier. La réparation due selon le juge de première instance s’élève à 457 918 euros tandis que pour le juge d’appel elle atteint 4 579 182 euros. Entre ces deux conceptions, le Conseil d’Etat a choisi sans surprise l’option la plus protectrice des deniers de l’Etat. La réparation devra être calculée en tenant compte de la compensation versée. Cette solution semble aussi la plus équitable. Sans l’erreur des services fiscaux, la commune n’aurait pas obtenu cette compensation étatique. Ne pas retirer cette somme des impôts locaux non versés à la commune représenterait un enrichissement sans cause difficile à justifier au bénéfice de la commune.

 

  • Obligation de répétition des sommes versées sur le fondement d’un acte juridiquement inexistant (CE, 3 mars 2017, n° 398121 N° Lexbase : A0087TSZ)

           

Le maire de Montreuil sur Ille demande à Mme A. D. la somme de 33 890,33 euros en raison de l’illégalité de sa nomination au grade d’attaché territorial principal. Mme A. D. attaque le titre exécutoire correspondant devant le tribunal administratif de Rennes qui rejette sa requête [24]. La cour administrative de Nantes fait de même lors de l’appel contre le jugement de première instance [25].

           

Mme D. était secrétaire de mairie au grade d’attaché territorial. Il lui est reproché d’avoir perçu une rémunération d’attaché principal sur le fondement de manœuvres frauduleuses. Elle a, d’une part, utilisé un extrait de délibération du conseil municipal qui était un faux pour créer un poste d’attaché principal. Elle a, d’autre part, apposé, sans le consentement du maire, la griffe du maire sur un arrêté la nommant au grade d’attaché principal.

           

La requérante avance que le maire a implicitement avalisé son titre d’attaché principal. En tant qu’ordonnateur principal, il était en effet responsable du versement de son traitement par le comptable public. Il savait donc qu’elle était rémunérée comme attachée principale et non comme attachée territoriale. Le paiement prolongé du traitement pourrait ainsi s’interpréter comme la régularisation a posteriori ou une nomination tacite de Mme D. au grade d’attaché principal. Le Conseil d’Etat refuse cette argumentation. Les fondements juridiques de ces versements sont inexistants. Ils ne sauraient être régularisés d’une manière ou d’une autre.

           

Mme D. fait par ailleurs remarquer que le titre de perception qu’elle a reçu ne comporte ni le nom, ni le prénom, ni la qualité de l’émetteur (ici le maire). Or, le Code général des collectivités territoriales impose cette formalité à son article L. 1617-5 (N° Lexbase : L3172LCH). Le juge s’oppose toutefois à ce raisonnement en indiquant que le titre de perception a été communiqué à Mme D. dans une lettre du maire. En tant qu’ancienne secrétaire de mairie, elle ne pouvait donc ignorer l’identité de l’émetteur du titre. Le titre de perception n’était pas non plus signé par le maire argumente en outre la requérante. La signature du maire doit en réalité se trouver sur le bordereau conservé par l’administration et non sur le titre de perception envoyé afin d’être produit en cas de contestation (même article). Là encore, le juge donne raison à la commune.

 

Le Conseil d’Etat ne fait ainsi droit à aucun des moyens développés par Mme D. et confirme donc le titre de perception à son encontre.

 

           

La comptable de la commune du Cannet (Alpes-Maritimes), Mme D. C., a été constituée débitrice envers la commune à hauteur de 51 485,29 euros par un jugement de la Chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte-d’Azur [26]. Il lui est reproché un certain nombre de paiements irréguliers effectués en 2010. Il s’agissait d’indemnités forfaitaires pour travaux supplémentaires, de primes de rendement et indemnités d’exercice des missions de préfecture et de primes de fin d’année. La maire du Cannet a interjeté appel contre ce jugement de première instance. La somme due a été ramenée à 3 242,07 euros en appel par un arrêt de la Cour des comptes [27]. Le parquet général près la Cour des comptes s’est pourvu en cassation contre cet arrêt.

 

Le parquet général près la Cour des comptes a contesté la recevabilité de la commune pour faire appel. D’après lui, la décision de la chambre régionale des comptes ayant constitué la comptable publique débitrice d’une somme en faveur de la commune, seuls la comptable publique ou le ministère public près la chambre régionale des comptes avaient qualité pour former un appel. La maire, d’après ce raisonnement, n’aurait pas pu faire appel.

           

Le Conseil d’Etat fait toutefois observer que rien dans les textes ne soutient cette restriction. D’après l’article L. 245-1 du Code des juridictions financières, «le comptable, la collectivité locale ou l’établissement public, le représentant du ministère public près la chambre régionale des comptes, le procureur général près la Cour des comptes peuvent faire appel devant la Cour des comptes de toute décision juridictionnelle rendue par la chambre régionale des comptes». Il n’est donc pas fait dans la loi de distinction suivant le contenu ou le sens de la décision rendue. La collectivité locale peut donc faire appel même si le comptable public a été mis en débet vis à vis de la collectivité locale. Le fait que la commune puisse être considérée comme bénéficiaire du jugement de la Chambre régionale des comptes ne fait pas obstacle à sa contestation de la décision rendue par la voie de l’appel. Certes, la commune étant bénéficiaire du jugement rendu, l’interdiction de faire appel empêcherait ses organes de lui porter préjudice. Mais le juge a aussi pour fonction de jouer ce rôle de rempart.

 

Le Conseil d’Etat renvoie donc l’affaire devant la Cour des comptes. Il précise cependant que la motivation du préjudice financier subi par la commune était suffisante dans le jugement de première instance. La Cour des comptes a ainsi commis une erreur de droit en annulant en appel le jugement de la Chambre des comptes.

           

 

 

[1] TA Montreuil, 4 juillet 2015, n° 1410649.

[2] TA Montreuil, 2 juillet 2015, n° 1410653.

[3] CAA Versailles, 15 septembre 2016, n° 15VE02868 (N° Lexbase : A4655XP4) et 15VE02867 (N° Lexbase : A4654XP3).

[4] CJA, art. L. 554-1 (N° Lexbase : L3092AL4) et CGCT, art. L. 2131-6 (N° Lexbase : L8661AAZ).

[5] TA Pau, 28 mars 2018, n° 1800476.

[6]  Décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, art. 34 (N° Lexbase : L3961IUA) et arrêté du 24 décembre 2012, portant application des articles 25, 26, 32, 34, 35, 39 et 43 du décret.

[7] Lire nos obs., Chronique juridique de finances locales - Juillet 2016 (N° Lexbase : N3537BWW), Lexbase éd. pub. n° 423, 2016 et Chronique de finances locales - Juillet 2017

(N° Lexbase : N9586BWX), Lexbase éd. pub. n° 469, 2017.

[8] Cons. const., décision n° 2014-695 DC du 24 juillet 2014 (N° Lexbase : A6670MUL).

[9] CE, 22 juin 2012, n° 348676 (N° Lexbase : A5185IPQ).

[10] TA Montpellier, 24 novembre 2014, n°1302535.

[11] CAA Marseille, 9 mai 2016, n°15MA00335 (N° Lexbase : A9186RPW).

[12] T. conf., 9 décembre 2013, n° 3929 (N° Lexbase : A2511KT8).

[13] TA Bastia, 23 avril 2015, n°1400773, 1400774, 1400775, 1400776, 1400777, 1400778, 1400781, 1400783, 1400786, 1400787, 1400788, 1400789, 1400790, 1400791, 1400791, 1400792, 1400793, 1400796, 1400797, 1400780.

[14] CAA Marseille, 9 mai 2016, n° 15MA02665 (N° Lexbase : A9050RPU).

[15] CJA, art. R. 421-5 (N° Lexbase : L3025ALM).

[16] CE Ass., 13 juillet 2016, n° 387763 (N° Lexbase : A2114XRL).

[17] Le Conseil constitutionnel a approuvé ces exemptions de responsabilité financière devant la CDBF : C. const., décision n° 2016-599 QPC du 2 décembre 2016 (N° Lexbase : A8022SLP).

[18] Seul arrêt de condamnation : CDBF, 20 décembre 2001, n° 469.

[19] Arrêt de principe : CE, 9 décembre 1977, n° 97399 (N° Lexbase : A6845B7N). Voir aussi CDBF, 13 juin 2003, n° 385.

[20] Sur le principe : CE, 21 mars 2011, n° 306225 (N° Lexbase : A7931ETW) ; pour les collectivités locales : CE, 24 avril 2012, n° 337802 (N° Lexbase : A4165IKH).

[21] Cette compensation étatique est prévue par l’article 53 de la loi de finances 2004 n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 (N° Lexbase : L6348DM3).

[22] TA Montpellier, 14 février 2013, n° 1000320.

[23] CAA Marseille, 23 septembre 2014, n°13MA01176 (N° Lexbase : A3689MXW).

[24] TA Rennes, 21 août 2014, n° 1205229.

[25] CAA Nantes, 21 janvier 2016, n° 14NT02721 (N° Lexbase : A2270N79).

[26] Ch. Rég. Comptes, 26 septembre 2013, n° 2013-0009.

[27] C. comptes, 13 novembre 2014, n° 71194.

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