La lettre juridique n°443 du 9 juin 2011 : Sécurité sanitaire

[Questions à...] Dépistage de l'usage d'alcool, de drogues et toxicomanie en milieu de travail - Questions à Philippe Rouvillois, Rapporteur de l'avis sur l'usage de l'alcool, des drogues et toxicomanie en milieu de travail

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N3040BSE

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[Questions à...] Dépistage de l'usage d'alcool, de drogues et toxicomanie en milieu de travail - Questions à Philippe Rouvillois, Rapporteur de l'avis sur l'usage de l'alcool, des drogues et toxicomanie en milieu de travail. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4715573-questions-a-depistage-de-lusage-dalcool-de-drogues-et-toxicomanie-en-milieu-de-travail-questions-a-b
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par Sophia Pillet - SGR Droit social

le 09 Juin 2011

Le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), saisi par Etienne Apaire, Président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), a rendu le 5 mai 2011 un avis (N° Lexbase : X4884AIQ) sur l'Usage de l'alcool, des drogues et toxicomanie en milieu de travail - Enjeux éthiques liés à leurs risques et à leur détection. En effet, le CCNE avait déjà pu s'exprimer à trois reprises (1) sur les problèmes liés à l'usage de la drogue et de la toxicomanie en milieu de travail. Cependant, depuis le dernier avis rendu en 2003, de nombreux facteurs ont évolué amenant à la nécessité d'une nouvelle réflexion sur le sujet. A travers cet avis, le CCNE préconise avant tout la détection de l'usage d'alcool, de drogues et toxicomanie pour les postes de sûreté et de sécurité. Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Philippe Rouvillois, Inspecteur général honoraire des finances, membre de la Commission des participations et des transferts, Président honoraire de l'Institut Pasteur, ancien membre du Conseil économique et social et Rapporteur de l'avis sur l'usage de l'alcool, des drogues et toxicomanie en milieu de travail, pour revenir sur les enjeux de cet avis. Lexbase : Le CCNE a été saisi par la MILDT sur les possibilités de dépistage des drogues en milieu de travail à partir d'un avis émis par le CCNE le 16 octobre 1989. Y a-t-il une réelle évolution de l'usage de l'alcool, des drogues et toxicomanie en milieu de travail depuis cette date ?

Philippe Rouvillois : En effet, le contexte était très différent. On a constaté, depuis 1989, une véritable recrudescence de l'usage des drogues, et, notamment, des drogues dures dans la société en général. Il s'agit d'un enjeu qui touche donc toutes les formes du travail et doit être étendu à l'ensemble du monde professionnel, sans oublier la fonction publique.

Depuis 1989, de nouvelles contraintes internes et externes, notamment en matière de concurrence et de responsabilités, ont fait évoluer les enjeux liés au contrôle de l'usage de drogues au sein des entreprises. Les règles commerciales des marchés internationaux obligent, notamment, de nombreux chefs d'entreprise, à garantir l'absence totale de consommation de drogues chez leurs salariés. Le non-respect de cette clause, de plus en plus présente dans les contrats internationaux, peut alors en entraîner la rupture. En outre, cette exigence résulte également de la responsabilité juridique encourue par le chef d'entreprise en cas de dommage subi par le salarié ou par des tiers en raison de l'activité de l'entreprise, en cas d'accident de toute nature. En effet, le droit communautaire a créé une obligation générale de sécurité (2), transposée en droit social français au travers des articles L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L1450H9L) du Code du travail. Dorénavant, l'employeur est tenu d'une obligation de moyens renforcée, c'est-à-dire qu'elle implique un renversement de la charge de la preuve. Cette obligation de sécurité est un élément majeur qui justifie les mesures de détection de drogues sur le lieu de travail.

Enfin, nous sommes également allés au-delà de l'avis rendu par le CCNE en 1989, dans la mesure où nous avons élargi le champ d'application. En effet, ayant constaté que les risques restaient majoritairement liés à la consommation d'alcool, nous avons décidé d'englober ensemble une étude sur l'alcool, les produits illicites ainsi que les abus de médicaments psychotropes.

Lexbase : Dans l'avis que vous avez rendu, vous justifiez et recommandez le dépistage médical de l'usage des produits illicites pour "les postes et fonctions de sûreté et de sécurité". Comment identifiez-vous ces postes ?

Philippe Rouvillois : Sur le plan éthique, en formulant notre avis, nous avons dû concilier deux exigences majeures :

- respecter la liberté individuelle de chaque salarié ;

- obliger les personnes dépendantes à ne pas causer de torts aux tiers.

Dans un premier temps, nous avons considéré qu'une généralisation du dépistage banaliserait la transgression du devoir de respecter la liberté des personnes. Dans une autre mesure, nous avons volontairement écarté la notion de "postes à risque", utilisée par le Code de la santé publique, dans la mesure où cette notion ne fait référence qu'au danger potentiel pour celui qui l'exerce. Les postes et fonctions de sécurité et de sûreté sont donc des postes aux termes desquels toute erreur commise par un salarié peut entraîner un risque pour les tiers. Les métiers ayant un impact sur le public, comme contrôleurs aériens par exemple, sont donc directement visés par le qualificatif de poste de sûreté et de sécurité. Le CCNE recommande à toutes les entreprises et aux branches de recenser les postes de sûreté et de sécurité en concertation avec les organisations syndicales de salariés, les représentants des employeurs et la médecine du travail.

Cependant, seule une action au plan national peut aboutir.

Lexbase : Quelles sont les garanties juridiques offertes aux salariés ?

Philippe Rouvillois : Tout d'abord, il n'est pas question que le dépistage soit confié à une autre personne que le médecin du travail. En outre, le secret professionnel du médecin du travail doit rester garanti vis-à-vis du chef d'entreprise. Par ailleurs, il est primordial, face aux réformes en cours, de renforcer le rôle et les moyens du médecin du travail, et du service de santé au travail en général.

Dans une autre mesure, si le dépistage est retenu pour certaines fonctions, il doit alors être expressément prévu et son caractère systématique et/ou inopiné précisé dans le règlement intérieur et les contrats de travail.

L'entreprise doit avoir un véritable rôle de prévention et d'accompagnement et non de sanction. En effet, le lieu de travail ne doit pas être un lieu de stress mais doit devenir un lieu qui aide les gens à garder leur équilibre. La détection doit rester inséparable de la prévention. Nous avons découvert au travers de nos différentes études que plus les salariés se sentaient biens et épanouis au travail, et plus la consommation de drogue et d'alcool diminuait.

Lexbase : Pensez-vous que cet avis sera bien reçu par les pouvoirs publics ?

Philippe Rouvillois : L'avis a suscité un vif intérêt. Cependant, nous ne sommes qu'une organisation de réflexion, nous proposons des solutions, mais nous ne savons pas quelle sera la réaction des pouvoirs publics face à ce texte. Nous espérons cependant, évidemment que cet avis sera bien reçu par les pouvoirs publics et le grand public. Le plus important serait que le législateur intervienne pour obliger à une concertation entre les différents acteurs du monde de l'entreprise.

Nous nous sommes en tout cas fortement inspiré de ce qui se passait dans les autres pays, comme les Etats-Unis, par exemple, qui utilisent un système de détection des pratiques de toxicomanie très rigoureux, notamment dans le domaine du transport. La Belgique a également été un bon modèle. En effet, ils ont organisé une conférence nationale entre les représentants des employeurs, les représentants des salariés et les services de santé au travail pour réfléchir à une analyse commune et aboutir à un réel consensus.


(1) Avis n° 15 du 16 octobre 1989 sur le dépistage des toxicomanies ; Rapport n° 43 du 23 novembre 1994 sur la toxicomanie ; Avis n° 80 du 4 décembre 2003 sur le rôle et les responsabilités du médecin du travail dans la définition de l'aptitude du salarié.
(2) Directive n° 89/391/CE du 12 juin 1989 (N° Lexbase : L9900AU9).

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