La lettre juridique n°443 du 9 juin 2011 : Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Jean-Claude Benhamou, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Bobigny

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[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Jean-Claude Benhamou, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Bobigny. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4715566-questions-a-le-point-de-vue-dun-batonnier-aujourdhui-b-jeanclaude-benhamou-batonnier-de-lordre-des-a
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

le 09 Juin 2011

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des Barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le Barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Jean-Claude Benhamou, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Bobigny. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau de Bobigny ?

Jean-Claude Benhamou : Composé de 500 avocats en exercice, 526 en comptant les honoraires, le barreau de Bobigny est un barreau en trompe l'oeil : il est réputé pour ses interventions sur le terrain judiciaire, notamment pénal, le TGI abritant le premier tribunal pour enfants de France. Ce qui est moins connu est que les avocats de mon barreau sont également des avocats du juridique dans un département particulièrement dense en entreprises. La difficulté est que nous exerçons à côté de Paris, ce qui n'est pas rien !

Dans un département où plus de 70 % de la population est éligible à l'aide juridictionnelle, plus que d'autres, les avocats de la Seine-Saint-Denis sont appelés à intervenir dans le secteur aidé.

De sorte que la péréquation et les compensations qu'il est souvent possible d'opérer entre les honoraires procurés par une activité dans le secteur libre et ceux obtenus dans le secteur aidé sont bien plus difficiles qu'ailleurs.

Cette situation explique le mouvement de grève totale et sans limitation de durée du secteur aidé engagé par le barreau de la Seine-Saint-Denis, le 7 avril 2011. Ce n'est pas de gaieté de coeur que les avocats de la Seine-Saint-Denis se sont engagés dans cette grève. Ils ont bien conscience que celle-ci pénalise avant tout les justiciables. Ils sont meurtris à l'idée de ne pas s'être trouvés en première ligne dans l'application de la réforme de la garde à vue, alors que représentant 1 % du barreau français les avocats de la Seine-Saint-Denis assurent 7 % des gardes à vues nationales.

Plus qu'ailleurs, et compte tenu d'une réalité démographique et territoriale que l'on peut estimer comme étant discriminatoire, les avocats de Seine-Saint-Denis subissent de plein fouet l'indigence des indemnités d'aide juridictionnelle. Celles-ci sont pensées comme étant subsidiaires partout ailleurs, mais compte tenu de la configuration de la population de la Seine-Saint-Denis elles deviennent, de fait et pour beaucoup d'avocats de mon barreau, principales. Or, le calcul de ces indemnités se trouve tellement éloigné des réalités économiques d'un cabinet d'avocat puisque elles ne lui permettent pas de générer suffisamment de marges non seulement pour se payer mais surtout pour développer une structure.

Face à ce constat, les avocats de la Seine-Saint-Denis, après avoir tiré, à de nombreuses reprises, la sonnette d'alarme, après surtout et pendant de nombreuses années avoir pris sur eux le poids de la charge de l'accès au droit dans notre département, se sont donc résolus à ce mouvement de grève.

Il convient de rappeler que c'est en raison de l'abnégation dont ont su faire montre les avocats de la Seine-Saint-Denis, et en aucun cas à partir des contributions étatiques, que les plus démunis ont jusqu'alors pu bénéficier d'un droit à la justice que l'on peut considérer comme opposable dans le département. Et il arrive un moment où cela n'est plus possible. On relève, dans ce domaine, un désengagement constant de l'Etat ; à titre illustratif, les indemnités versées par l'Etat ne sont jamais véritablement revalorisées et encore lorsqu'il y a revalorisation ce n'est qu'en suite d'un mouvement de contestation. En 2006, les barreaux se sont déjà mis en grève pour que les indemnités initialement fixées en 2000 soient revalorisées. Elles l'ont été de 6 % ce qui, rapporté au taux d'inflation pour la période de six ans concernée, peut correspondre en fait à une diminution...

Lexbase : Que préconisez-vous comme nouveau système de revalorisation de l'aide juridictionnelle ?

Jean-Claude Benhamou : En l'état et dans l'attente d'une réforme profonde du système d'aide juridictionnelle, il me semble qu'il devrait être pris en compte la spécificité de la Seine-Saint-Denis, ses particularités ; qu'il soit tenu compte du fait que il n'y a pas de possibilité de péréquation. Partout ailleurs le développement d'une clientèle dans un premier temps permet de grandir et, le cas échéant, de rendre marginale la part de l'aide juridictionnelle  dans le chiffre d'affaires réalisé par l'avocat, ce qui fonctionne difficilement en Seine-Saint-Denis.

Je pense qu'il faut tenir compte des spécificités de chaque barreau dans la dotation de l'aide juridictionnelle. La Halde a déposé un rapport, le 18 avril 2011, dans lequel, d'une part, se trouve soulignée l'existence de discriminations territoriales et, d'autre part, sont présentées les préconisations pour tenter de les compenser.

Les avocats sont des professionnels indépendants à qui on demande d'assurer une mission de service public, mission essentielle dans un Etat démocratique. Même dans un Etat dit libéral, l'accès au droit constitue une mission régalienne de l'Etat. Celui-ci doit permettre à tout citoyen d'accéder à la justice, de se défendre en justice ou d'agir en justice, l'accès au droit étant un instrument de paix social essentiel. Or, en n'y consacrant pas les moyens financiers suffisants, l'Etat rompt complètement l'égalité entre ses citoyens en ne leur permettant pas, de fait, pour des raisons économiques, de se voir assurer la meilleure défense possible.

Dans mon département un avocat qui intervient principalement dans le secteur aidé, eu égard à l'indigence des indemnités qui lui sont versées, rencontre de sérieuses difficultés pour financer un secrétariat, un standard téléphonique. Cela le rend difficilement joignable et accessible. Il est donc indispensable de repenser un système d'aide juridictionnelle qui prenne en compte les prix de revient de la gestion d'un cabinet d'avocat de sorte que nos concitoyens puissent bénéficier d'une véritable défense qui ne s'appuie pas exclusivement sur le dévouement de leurs conseils.

Lexbase : Comment s'est déroulée la mise en place de la nouvelle garde à vue au sein de votre barreau ?

Jean-Claude Benhamou : Lors de l'entrée en vigueur de la réforme ou des nouvelles dispositions en conséquences des arrêts d'Assemblée plénière, le barreau était déjà en grève. Depuis le 11 avril aucune permanence de garde à vue n'est assurée par les avocats de Seine-Saint-Denis.

Nous restons, cependant, particulièrement attentifs aux conditions de mise en oeuvre de cette réforme dans l'intérêt, avant tout, de nos concitoyens et non des avocats comme il est souvent dit à tort.

En effet, si comme avocats nous nous sommes battus depuis très longtemps pour que la France se mette au norme du droit européen en cette matière, c'est avant tout dans l'intérêt des justiciables, des personnes mises en cause, possiblement tout un chacun ; le système antérieur étant barbare et bien évidemment inacceptable.

Cette réforme est incomplète. En effet nous n'osons pas, en France, trancher entre une procédure accusatoire et une procédure inquisitoire. Nous faisons les deux en même temps et au final nous conservons les inconvénients de la procédure inquisitoire sans avoir les avantage de la procédure accusatoire et vice versa ! On nous demande d'assister des mis en cause au cours de leurs auditions en garde à vue sans nous permettre pour autant d'accéder au dossier. Notre présence est ainsi instrumentalisée puisque les déclarations faites par le mis en cause sans que nous puissions lui fournir de conseils éclairés pourront être retenues contre lui.

Certes la loi prévoit le droit au silence mais en pratique il s'agit d'un leurre. Malgré la réforme il semble que l'aveu soit toujours considéré par les services de police comme la reine des preuves.

L'autre problème de la réforme de la garde à vue réside dans son financement. A priori, il n'a pas été prévu de dispositions claires et précises en ce qui concerne la prise en charge des frais d'organisation de l'intervention des avocats en garde à vue.

Par ailleurs, le forfait proposé de 300 euros HT pour les premières 24 heures ne tient pas compte de la réalité des temps d'astreinte imposés aux avocats, notamment entre les auditions et pour se rendre d'un lieu de garde à vue à un autre. De surcroît les sommes allouées ne sont pas à la disposition des Ordres à charge pour eux de les répartir. Nous risquons de nous trouver dans des situations complètement impossibles. L'intervention étant forfaitisée cela signifie que nos avocats devront considérer qu'ils commencent leur permanence dès qu'on leur a confié la défense d'un gardé à vue. Il est impossible de préétablir des heures de permanence. Comment répartir en effet les indemnités versées entre deux avocats qui dans une même période de 24 heures pour un même gardé à vue sont intervenus à ses cotés ?

Nous demeurons dans l'attente du décret sur le financement de la garde à vue.

Les Bâtonniers de la Conférence des Cents avaient, de leurs côtés, demandé à ce que le tarif horaire de 160 euros HT, soit l'équivalent de ce que la Chancellerie avait pris en considération lorsqu'elle avait discuté d'un barème pour les divorces par consentement mutuel. L'avocat de la garde à vue valait bien l'avocat du divorce !

L'idée d'un forfait de trois heures avait été envisagée à l'origine comme une base de réflexion permettant d'évaluer l'enveloppe globale nécessaire au financement de la réforme de la garde à vue. Or, retenir le système du forfait d'heure a eu pour effet d'annihiler complètement l'idée d'un tarif horaire, étant observé que la Profession, toujours raisonnable, avait pour la détermination de l'enveloppe budgétaire précitée proposé d'elle-même un tarif horaire consistant en la multiplication par deux des 61 euros versés depuis 1993 pour une demi heure d'intervention soit 122 euros HT, somme qui consacrait une absence de revalorisation depuis 1993. La Chancellerie n'a pas tenu compte des efforts de la Profession en proposant un tarif horaire de 100 euros et un forfait de trois heures.

Et c'est se moquer du monde encore une fois. Il n'est pas exclu que, à l'épreuve, la situation explose dans les barreaux. La Chancellerie n'ayant pas intégré, par exemple, la nécessité de travailler au regroupement des lieux de garde à vue ce qui pour certains de barreaux de province va rendre la situation totalement intenable.

Hier, dans mon barreau, pour répondre au 7 % des gardes à vue de France nous n'avions recours à l'intervention que de 5 avocats. Aujourd'hui, avec le nouveau système nous sommes appelés à solliciter 40 avocats par jour (20 de permanence ; 15 suppléants ; 5 pour les victimes).

Si nous n'y prenons garde et si nous ne nous appuyons que sur le volontariat, il y a un risque de voire naître une nouvelle catégorie d'avocat : l'avocat de garde à vue.

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