La lettre juridique n°374 du 3 décembre 2009 : Sociétés

[Jurisprudence] La donation portant seulement sur des droits sociaux ne s'étend pas au solde créditeur du compte courant du donateur

Réf. : Cass. civ. 3, 18 novembre 2009, n° 08-18.740, Mme Anahide Altiparmakian, épouse Pétrejean, FS-P+B (N° Lexbase : A7472EN3)

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo édition privée générale

le 07 Octobre 2010

Véritable outil au service de la gestion d'une entreprise, les apports en compte courant d'associés remportent un franc succès en raison de leur grande souplesse d'utilisation et des nombreux avantages qu'ils présentent. Ainsi, face à des besoins momentanés de trésorerie, excédant les ressources en capitaux permanents, les associés peuvent consentir des "prêts" à la société, qui aura alors la possibilité de déduire les intérêts versés aux associés de ses bénéfices imposables. Au-delà, cet "apport" provisoire de fonds à la société pourra même lui permettre d'accroître sa capacité d'endettement puisque, dans certaines circonstances, les banques vont considérer les apports en comptes courants d'associés comme des quasi-fonds propres soit, notamment, qu'ils contiennent une convention de blocage (1), soit qu'une cession d'antériorité de créances (2) est prévue.
Si les apports en comptes courants peuvent, parfois, apparaître comme un substitut à un capital insuffisant, ils ne sauraient, pour autant, être assimilés à des apports de capital et connaissent, de la sorte, un régime distinct de celui des apports en société. C'est ce que vient de rappeler la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 18 novembre 2009, dans lequel elle énonce, au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), que la donation-partage qui ne porte que sur les droits d'associés eux-mêmes, sans autre précision, ne peut pas s'étendre, en l'absence de clause particulière au solde créditeur du compte courant du donateur. En l'espèce, l'associée d'une société civile immobilière a consenti à ses deux enfants une donation-partage portant, entre autres, sur les parts de ladite SCI, dont 25 ont été attribuées à son fils et 5 à sa fille. Par la suite, la donatrice est décédée et son fils a renoncé à sa succession. Soutenant qu'en sa qualité de seule héritière, elle était titulaire de la créance en compte courant de sa mère, la fille a assigné son frère et la SCI pour faire figurer la somme correspondante au solde créditeur du compte courant dans l'actif successoral et obtenir la rectification des écritures comptables de la société. La cour d'appel d'Aix-en-Provence a rejeté sa demande, relevant que l'expert-comptable de la société avait procédé dans les écritures au solde du compte courant et l'avait ventilé de la manière suivante : 171 272,76 euros pour le fils et 42 818,19 euros pour la fille sur les bases de la "donation", savoir 20 parts/5 parts. Par conséquent, au décès de la donatrice, son compte courant était égal à zéro, de sorte que son actif successoral ne pouvait comporter la somme litigieuse, déjà distribuée, et rien ne permettait de dire que la donatrice avait contesté de son vivant les modalités du transfert de son compte courant aux nouveaux associés.

C'est donc un arrêt de censure que nous livre la Cour régulatrice : "en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la donation-partage ne portant que sur les droits d'associés eux-mêmes, sans autre précision, ne pouvait s'étendre en l'absence de clause particulière au solde créditeur de son compte courant, la cour d'appel, qui n'a pas constaté le consentement de [la donataire] à la cession de sa créance en compte courant, a violé [l'article 1134 du Code civil]".

Les comptes courants d'associés sont traditionnellement définis par la jurisprudence comme une avance consentie par l'associé à la société, en sus de son apport et qui confère, dès lors, à l'associé la qualité de créancier social, qualité qui s'ajoute finalement à celle d'associé, mais qui doit s'en distinguer (3). Ainsi, a-t-il été jugé que les avances en compte courant, effectuées lors de la constitution d'une société, ne peuvent être qualifiées d'appels de fonds nécessaires à I'exécution de contrats de vente conclus ou à I'achèvement de programmes en cours de réalisation dont le montant devrait être pris en compte pour déterminer les droits sociaux des associés (4). Encore et s'agissant d'une SCI, comme dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 28 novembre 2009, la Cour de cassation a retenu que la somme inscrite dans les comptes en tant que dette à court terme, sous le titre compte courant d'associé, ne constitue pas un apport complémentaire impliquant une augmentation de capital et la création de parts nouvelles au profit de l'associé, mais s'analyse en une avance faite par l'associé à la société, conférant à celui-ci la qualité de créancier social (5).

De cette qualité de créancier social, qui vient donc s'adjoindre à celle d'associé, découlent des conséquences importantes. Tout d'abord, les comptes courants d'associés constituent des dettes de la société qui en doit le remboursement, étant précisé qu'ils ont pour caractéristique essentielle -la solution est acquise et nous ne reviendrons pas dessus-, en l'absence de convention particulière ou statutaire, d'être remboursables à tout moment (6), la société ne pouvant y opposer ses difficultés financières (7), de telle sorte que l'"associé-prêteur" peut demander le remboursement de son compte courant dans le cadre des opérations de liquidation de la société (8).

Autre conséquence importante, l'apporteur de fonds en compte courant d'associés, dès lors qu'il revêt la qualité de créancier, va se retrouver soumis au droit des entreprises en difficultés : il doit, conformément à l'article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L3455ICX), déclarer sa créance (9), encore, le remboursement pouvant être demandé à tout moment, il ne tombe pas, par principe, sous le coup des nullités de la période suspecte de l'article L. 632-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3497ICI) (10). Toutefois, le remboursement pendant la période suspecte de la créance de compte courant stipulé à vue pourra être attaqué sur le fondement de l'article L. 632-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3422ICQ) sur la nullité des paiements pour dettes échues, si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements, étant précisé que la qualité d'associé ne suffit pas, par elle-même, à démontrer qu'il dispose de tous les éléments d'appréciation de la situation réelle de la société (11), mais qu'il a pu être jugé, au contraire, qu'en sa qualité de dirigeant, le gérant qui connaissait nécessairement les difficultés de la société, et en a profité pour solder son compte courant au détriment des autres associés doit être condamné au remboursement au profit de la procédure collective (12).

Au-delà du seul remboursement du solde du compte courant d'associé, le fait que s'instaure une relation créancier/débiteur, qui s'ajoute en quelque sorte à la relation initiale associé/société, se traduit aussi dans le cadre de la cession de ses droits par l'"associé-prêteur". Ainsi, fort logiquement d'ailleurs, la cession qui porte sur les droits d'associé eux-mêmes ne s'étend pas, sauf clause contraire, aux droits que le cédant pourrait également avoir dans la société à un autre titre, et ne s'étend donc pas au solde créditeur du compte courant du cédant dans la société (13). A ce niveau, il convient alors de remarquer le parallélisme des termes employés par la Haute juridiction pour la transmission à titre onéreux et pour la transmission à titre gratuit des parts d'un associé apporteur en compte courant. Ainsi, en énonçant, dans son arrêt du 18 novembre 2009, que la donation-partage qui ne porte que sur les droits d'associés eux-mêmes, sans autre précision, ne peut pas s'étendre, en l'absence de clause particulière, au solde créditeur du compte courant du donataire, les juges du quai de l'Horloge appliquent pour la première fois à notre connaissance -la question ne leur aurait jamais été soumise-, et en toute logique, à la donation, la solution retenue de longue date pour la vente de titres.

Il en ressort que le remboursement du solde créditeur d'un compte courant consenti concomitamment à une cession de droits sociaux est une cession de créance échappant au droit de cession de parts dès lors qu'il n'est pas incorporé au capital et qu'il n'y ouvre aucun droit (14). Les formalités de la cession de droits sociaux sont donc sans effet et il convient, au contraire, d'appliquer les dispositions de l'article 1690 du Code civil (N° Lexbase : L1800ABB) : la cession d'un compte courant d'associé est opposable à la société par sa signification par huissier, ou acceptation par la société dans un acte authentique. De même et conformément à l'article 1693 du Code civil (N° Lexbase : L1803ABE), celui qui cède une créance doit en garantir l'existence au temps du transport ; à ce titre, il appartient aux associés d'une SARL qui ont cédé la totalité de leurs parts sociales et leurs comptes courants d'apporter la preuve de la cession de ces comptes (15).

Tel que le précise l'arrêt du 18 novembre 2009, reprenant donc à son compte les solutions dégagées en matière de cession à titre onéreux, si la transmission des droits sociaux n'opère pas, en principe, transmission du solde créditeur du compte courant d'associés, les parties à l'acte, vendeur/acheteur ou donateur/donataire, peuvent en convenir différemment. Encore, faut-il que la clause prévoyant le transfert du compte courant soit rigoureusement précise. Ainsi, il a été jugé que la clause de l'acte de cession prévoyant que l'acquéreur est "subrogé dans les droits et actions résultant de la possession des parts cédées" n'emporte pas transfert du compte courant à l'acquéreur à défaut de mention expresse relative à ce compte (16). Ce principe est également repris par la troisième chambre civile dans l'arrêt du 18 novembre 2009 puisqu'elle réserve la possibilité de prévoir une clause particulière stipulant que la donation des parts sociales s'étend au solde du compte courant. C'est aussi le sens de l'article 1134 du Code civil, texte au visa duquel l'arrêt de la cour d'appel est, en l'espèce, censuré. La volonté du donateur de transférer la propriété de sa créance ne saurait résulter de son comportement, encore moins de sa passivité face à l'écriture comptable portée par l'expert comptable, et, en l'absence d'acte manifestant sa volonté de façon claire et non équivoque, sa créance à l'égard de la société restait sa propriété : elle n'est donc transmise à ses enfants que par l'effet de sa dévolution successorale et obéit aux règles légales et/ou, le cas échéant, conventionnelles en présence d'un testament mais ne sont en aucun cas régies par les dispositions de la donation-partage qui ne commandent, ici, que la transmission des parts sociales. En nous livrant cette solution inédite, la Cour de cassation confirme et étend aux transmissions à titre gratuit, dans leur ensemble, la jurisprudence dégagée s'agissant des transmissions à titre onéreux. En effet, ce qui vaut ici pour la donation-partage s'appliquera de la même manière en cas de legs, de telle sorte que le legs portant sur des droits sociaux ne saurait s'étendre au solde créditeur du compte courant du légataire.


(1) Clause, comme son nom l'indique, par laquelle les associés s'obligent, vis-à-vis de la société, à rendre ces sommes indisponibles pendant plusieurs années.
(2) Dispositif par lequel le titulaire d'un compte courant s'engage à n'exiger le remboursement des sommes qu'il a déposées, qu'une fois tous les autres créanciers désintéressés.
(3) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 2 juin 1992, n° 90-018449, Madame Maria Emilia Marques née Perodriguez c/ Société Marques Pressing (N° Lexbase : A9707A7N).
(4) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 15 avril 2005, n° 04/13385, M. Angelo Covello c/ Maître Christophe Ancel (N° Lexbase : A0237DIM).
(5) Cass. civ. 3, 3 février 1999, n° 97-10.399, Société Mazel Tov c/ Mme Carrasset-Marillier, ès qualités de mandataire-liquidateur, publié (N° Lexbase : A8096AGX).
(6) Par ex., Cass. com., 24 juin 1997, n° 95-20.056, Société Gamm c/ M. Gambet (N° Lexbase : A4500AGR) ; Cass. civ. 3, 3 février 1999, n° 97-10.399, préc..
(7) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 12 novembre 1991, n° 90/006539, Société Acanthe SARL c/ Mademoiselle Simone Kerviel (N° Lexbase : A9476A74).
(8) Cass. com., 5 mars 1991, n° 89-21.381, SARL ''La Tour'' et autre c/ Buisson (N° Lexbase : A2088AGG).
(9) Cf. CA Versailles, 13ème ch., 3 novembre 1994, n° 8069/93, Consorts Droit c/ Société Groupement 5 (N° Lexbase : A9520A7Q).
(10) Cf. CA Paris, 3ème ch., sect. C, 17 septembre 1999, n° 1998/03177, Maître Brigitte Penet-Weiller c/ Monsieur Grodwolh Luc (N° Lexbase : A9380A7K).
(11) CA Paris, 3ème ch., sect. C, 17 septembre 1999, n° 1998/03177, préc..
(12) Cass. civ. 1, 6 novembre 1990, n° 89-14.988, Lemaire c/ Soinne et autres (N° Lexbase : A2050AGZ).
(13) Cass. com., 7 janvier 1997, n° 94-21.876, Société Le Lion d'or, société à responsabilité limitée c/ M. Fathy Mechri (N° Lexbase : A2685AGK) ; Cass. com., 4 mars 1997, n° 95-11.155, M. Slim Tabbane c/ M. Boulbaba Ketari et autres (N° Lexbase : A2736AGG).
(14) Cass. com., 22 mars 1988, n° 86-15.264, Directeur général des Impôts c/ Société UAP-VIE (N° Lexbase : A7720AA8).
(15) Cass. com., 29 mars 1994, n° 91-21.441, M. Zuliani et autres c/ M. Barsotti et autre (N° Lexbase : A6615ABM).
(16) Cass. com., 30 novembre 2004, n° 01-12.063, Société Les Constructeurs professionnels associés (COPRA) c/ Société Cavo Di l'Acqua, F-D (N° Lexbase : A3410DEZ).

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