La lettre juridique n°366 du 8 octobre 2009 : Propriété intellectuelle

[Chronique] La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1, CDA-PR - Octobre 2009

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[Chronique] La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1, CDA-PR - Octobre 2009. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212006-chronique-la-chronique-de-droit-de-la-propriete-intellectuelle-de-b-nathalie-martialbraz-maitre-de-c
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le 07 Octobre 2010

L'automne est une saison bien mélancolique avec sa rentrée et ses feuilles mortes qui bientôt joncheront le sol de nos rues... au temps de la propriété intellectuelle, les feuilles mortes se ramassent aussi à la pelle sous la plume de la Cour de cassation ! En témoigne, la chronique en droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1, CDA-PR. Sont donc à l'honneur ce trimestre, quatre arrêts de la Haute juridiction. D'abord, le premier arrêt, rendu par sa Chambre commerciale le 7 juillet 2009, rappelle la compétence exclusive de l'Office d'harmonisation du marché intérieur en matière de nullité d'une marque communautaire. Ensuite, dans le deuxième arrêt commenté, en date du 1er juillet 2009, la Chambre sociale revient sur la distinction entre le contrat de travail et le contrat d'exploitation des droits de propriété intellectuelle par lequel un artiste-interprète cède ses droits voisins. Enfin, les troisième et quatrième arrêts sélectionnés par l'auteur de cette chronique, rendus les 25 juin et 9 juillet 2009 par la première chambre civile, consacrent respectivement la nature juridique du jeu vidéo et la primauté du droit à l'information doit sur le droit à l'image de l'artiste si l'image a un lien direct avec l'information qu'elle illustre.



1 - "
Oh ! Je voudrais tant que tu te souviennes !"

Alors que le brevet communautaire tarde à voir le jour, la marque communautaire affirme son succès de manière quelque peu effrontée. Depuis leur reconnaissance par le Règlement communautaire n° 40/94 du 20 décembre 1993 ( N° Lexbase : L5799AUC), entré en application le 1er avril 1996 et modifié en dernier lieu par le Règlement CE n° 207/2009 du 26 février 2009 (N° Lexbase : L0531IDZ), le dépôt de marques communautaires ne cesse de croître. Près de 500 000 marques communautaires sont enregistrées. Plus de 80 000 demandes ont été reçues en 2007 (1) soit par l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (OHMI), soit auprès d'un office de l'un des 27 Etats membres qui, lui, transmet la demande à l'OHMI.

La marque communautaire offre à son titulaire une protection unitaire sur l'ensemble du territoire de la Communauté. Le titre communautaire ne se substitue nullement aux titres nationaux qui sont délivrés par les offices des Etats membres en vertu des dispositions nationales. La marque communautaire n'est donc absolument pas soumise à ces dispositions nationales. En cela, elle permet l'harmonisation souhaitée par ses concepteurs. La marque communautaire répond pour son existence à des conditions de validité qui sont semblables à celles du droit interne puisque celui-ci doit être interprété à la lumière de la Directive du 21 décembre 1988 (Directive 89/104 du Conseil, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques N° Lexbase : L9827AUI) (2) dont les termes ont été repris pour définir les conditions de la protection dans le Règlement. L'OHMI saisi d'une demande d'enregistrement doit donc s'attacher à vérifier qu'il n'existe aucun motif absolu, voire relatif, de refus (3). Une marque communautaire enregistrée selon cette procédure peut être cependant contestée. La nullité (4) peut en effet être demandée, d'une part, s'il apparaît qu'en dépit de l'enregistrement il existait un motif absolu ou relatif de rejet et, d'autre part, si l'enregistrement a été effectué de manière frauduleuse par le demandeur. Face à l'essor des marques communautaires, le contentieux lié à la contestation de celles-ci va certainement être des plus récurrent. La précision apportée par la Chambre commerciale de Cour de cassation dans son arrêt du 7 juillet 2009 (Cass. com., 7 juillet 2009, n° 08-17.135, F-P+B N° Lexbase : A7416EII) revêt, dès lors, un attrait tout particulier.

Dans une affaire où était contestée la compétence territoriale du TGI d'Auch et de la cour d'appel d'Agen, juridictions toutes deux saisies d'une action en annulation de sept marques dont trois communautaires, la Cour de cassation, après avoir rejeté le moyen soutenant l'incompétence du tribunal de Auch aux motifs que "s'agissant du non-respect de la législation sur les marques, le fait dommageable [...] est subi dans l'ensemble des lieux dans lesquels la marque dont l'annulation est recherchée et commercialisée, et qu'il est établi en l'espèce que les marques [...] sont diffusées sur l'ensemble du territoire national par internet, la cour d'appel a pu en déduire que le dommage avait été subi dans le ressort du TGI d'Auch, peu important que le fait dommageable se soit également produit dans le ressort d'autres tribunaux", a relevé d'office le moyen de la compétence communautaire. Elle a ainsi décidé, au visa des articles 51 et 52 du Règlement CE n° 40/94 du 20 décembre 1993 et de l'article 92 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3234AD7), que "la nullité de la marque communautaire est déclarée, sur demande présentée auprès de l'Office d'harmonisation du marché intérieur ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon", la cour d'appel avait, dès lors, excédé ses pouvoirs en "déclarant une juridiction nationale compétente pour connaître de la demande principale de la société, en tant qu'elle portait sur l'annulation de marques communautaire".

Cette solution ne surprend guère. Elle résulte, en effet, des termes mêmes des articles 51 en matière de déchéance des droits, et 52 en matière d'annulation des droits, rappelés par la Cour de cassation. Lorsque la demande porte principalement sur la question de la validité des droits, la compétence exclusive est donc celle de l'Office d'harmonisation du marché intérieur (OHMI) à l'exclusion dès lors des juridictions nationales. Cette décision est, par ailleurs, en parfaite harmonie avec les solutions admises par le Règlement communautaire du 22 décembre 2000 dit "Bruxelles I" (6) sur la compétence en matière civile et commerciale (7) qui prévoit, en son article 22 § 4, une compétence exclusive des juridictions nationales de l'Etat membre sur le territoire duquel la demande d'obtention du droit de propriété industrielle a été déposée à l'égard du contentieux relatif aux questions de validité des droits de propriété industrielle. Seules les actions en contrefaçon peuvent être soumises à d'autres juridictions.

Toutefois, une question a été soulevée à l'égard de la compétence exclusive de l'article 22 § 4 du Règlement "Bruxelles I", qui ne manquera pas d'ailleurs de se poser pour les marques communautaires : celle de savoir si la compétence exclusive est également applicable lorsque la demande relative à la validité du droit de propriété industrielle n'est pas faite à titre principale mais de manière reconventionnelle en défense d'une action en contrefaçon. La Cour de justice des communautés européennes, saisie de cette question, a répondu en deux temps. Dans un premier arrêt "Dujinstee" du 15 novembre 1983 (CJCE, 15 novembre 1983, aff. 288/82, Ferdinand M.J.J. Duijnstee c/ Lodewijk Goderbauer N° Lexbase : A6028ELT), elle avait décidé que l'article 22 § 4, reconnaissant la compétence exclusive, devait s'appliquer dans les cas dans lesquels le litige "porte lui-même sur la validité du brevet ou l'existence du dépôt ou de l'enregistrement". La formule n'était pas des plus éclairantes et le doute persistait donc. Il faut attendre un arrêt "GAT" du 13 juillet 2006 (CJCE, 13 juillet 2006, aff. C-4/03, Gesellschaft für Antriebstechnik mbH & Co. KG c/ Lamellen und Kupplungsbau Beteiligungs KG N° Lexbase : A4759DQC) pour enfin être assuré du sens de la décision qui précède. La CJCE, en effet, confirmait de manière très explicite cette fois que "la compétence exclusive que prévoit cette disposition doit trouver à s'appliquer quel que soit le cadre procédural dans lequel la question de la validité d'un brevet (ou d'un autre de droit de propriété industrielle) est soulevée, que ce soit par voie d'action ou par voie d'exception, lors de l'introduction de l'instance ou à un stade plus avancé de celle-ci". Cette solution a été saluée par la doctrine comme étant la plus cohérente. La décision administrative d'une autorité nationale ayant octroyé un droit doit logiquement être contrôlée par les juridictions de ce même Etat, plutôt que par un Etat tiers. C'est certainement la logique qui a présidé à l'existence de la règle contenue aux articles 51 et 52 du Règlement sur la marque communautaire.

Toutefois, il est à craindre que la logique ne soit pas respectée jusqu'à son terme pour les marques communautaires. En effet, à la lecture des textes du Règlement, il semble qu'il faille distinguer selon que la demande est faite à titre principale ou en défense à une action en contrefaçon. En disposant à l'article 52 que "la nullité de la marque communautaire est déclarée, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon", il semble que la compétence de l'OHMI ne soit exclusive qu'à l'égard des demandes principales pour lesquelles la précision est faite.
A contrario, à l'égard des demandes reconventionnelles, en l'absence de précision, rien ne semble indiquer que celles-ci doivent être obligatoirement présentées devant l'OHMI. De même, à suivre la solution retenue par la Cour de cassation dans notre espèce, tout porte à penser que la compétence exclusive de l'OHMI et partant l'incompétence des juridictions nationales ne sera requise qu'à l'égard de "la demande principale [...] en tant qu'elle porte sur l'annulation des marques communautaires". Il est peut-être regrettable que la rigueur retenue pour la compétence territoriale des juridictions chargées de contrôler la validité des marques nationales ne soit pas appliquée pour les marques communautaires. En effet, les arguments avancés pour justifier la solution à l'égard des titres nationaux restent tout aussi pertinents à l'égard des titres communautaires.
Ainsi, la CJCE (8) relevait-elle que le fait d'admettre la compétence exclusive des juridictions de l'Etat chargé de la délivrance du titre répond à un souci de bonne administration de la justice : ces juridictions "sont les mieux placées pour connaître des cas dans lesquels le litige porte lui-même sur la validité du brevet ou l'existence du dépôt ou de l'enregistrement".

Souhaitons que, saisie de la question, la CJCE ne se déjugera pas et saura se souvenir de ces arguments pour interpréter le Règlement communautaire de telle sorte qu'aucune disparité ne naisse sous sa plume !

2 - "Des jours heureux où nous étions amis. En ce temps-là la vie était plus belle"

Il est certain que la vie est toujours plus belle entre un artiste et sa maison de disque... avant que celle-ci ne rompe abusivement le contrat d'enregistrement exclusif qu'elle avait conclu avec le premier ! L'amitié est ainsi faite qu'elle tient pour beaucoup au succès de l'artiste !

La Cour de cassation saisie en Chambre sociale de la question du calcul des dommages et intérêts versés à l'artiste en cas de rupture abusive d'un tel contrat est venue apporter, le 1er juillet 2009 (Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-45.681, FS-P+B N° Lexbase : A5766EIE) (9), une précision fondamentale, et sévère, qui, partant, bénéficiera certainement du même succès que celui auquel semblait être réduit notre artiste-interprète en l'espèce.

Un contrat d'enregistrement exclusif avait, en effet, été conclu le 7 février 1995 entre un producteur et un artiste pour interpréter des oeuvres musicales et chantées en vue de leur fixation et reproduction destinées à être publiées et exploitées à des fins commerciales et promotionnelles. Le 15 novembre 2001 un autre contrat a été conclu entre eux pour une durée de cinq ans, qui avait pour objet la réalisation d'au moins trois albums. A la suite d'une altercation entre la maison de disque et l'artiste, et face, notamment, à l'insuccès du premier album réalisé, le producteur a dénoncé par lettre recommandée du 15 mai 2004 la faute grave de l'artiste afin de mettre fin au contrat. Celui-ci a dès lors saisi la juridiction prud'homale afin que la rupture soit qualifiée d'abusive et que lui soit octroyés des dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.
La cour d'appel a fait droit à ses demandes et, afin d'évaluer le préjudice, a décidé d'inclure dans l'assiette du calcul des dommages-intérêts non seulement les cachets de l'artiste, mais également "les redevances qu'il aurait pu escompter toucher jusqu'à la fin du contrat".
La Cour de cassation a cependant, sur ce point, censurée la décision d'appel en soulignant, au visa des articles L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3434ADK) et L. 1243-1 (N° Lexbase : L1457H9T), L. 1243-4 (N° Lexbase : L1462H9Z), L. 7121-3 (N° Lexbase : L3102H9R) et L. 7121-8 (N° Lexbase : L3112H97) du Code du travail et par une formulation de principe, que "les redevances versées à l'artiste-interprète, qui sont fonction du seul produit de l'exploitation de l'enregistrement et ne sont pas considérées comme des salaires, rémunèrent les droits voisins qu'il a cédées au producteur et continuent à lui être versées après la rupture du contrat d'enregistrement". Dès lors, "les redevances et les avances sur redevances ne pouvaient être prises en considération dans l'évaluation du montant des rémunérations qu'aurait perçues [l'artiste] jusqu'au terme du contrat de travail à durée déterminée, montant représentant le minimum des dommages-intérêts dus en application de [...] L. 1243-4 du Code du travail ".

A priori, cette solution est des plus classiques, la Cour de cassation ayant déjà eu l'occasion d'affirmer qu'il y a lieu de distinguer le contrat de travail du contrat d'exploitation des droits de propriété intellectuelle par lequel un artiste-interprète cède ses droits voisins (10). Or en l'espèce c'est bien au contrat de travail que l'employeur-producteur a mis fin unilatéralement et de manière anticipée.
Toutefois, la décision apporte une précision bienvenue. En effet, si l'on s'en tient à la lettre des textes du Code du travail, la solution retenue par les juges du fond semblait pouvoir se justifier. Le calcul du préjudice subi du fait d'une rupture abusive du contrat de travail doit être, selon l'article L. 1243-4 du Code du travail, au moins égal "aux rémunérations" que l'artiste aurait perçues. Or, en vertu de l'article L. 7121-8 du même code, il y a lieu de distinguer les "rémunérations dues à l'artiste à l'occasion de la vente ou l'exploitation de l'enregistrement de son interprétation, exécution ou présentation par l'employeur [...] n'est pas considérée comme salaires dès que la présence physique de l'artiste n'est plus requise". Partant, il y a bien lieu d'admettre que, si les redevances ne sont pas des salaires, elles constituent toutefois des rémunérations et à ce titre pourraient être admises, ainsi que l'avait retenu la cour d'appel (CA Paris, 21ème ch., sect. C, 13 décembre 2007, n° 05/07345, Société Emi Music France c/ M. Bruno Beausir dit "Doc Gynéco" N° Lexbase : A7353D3Q), dans l'assiette du calcul du montant des dommages-intérêts dus au titre de la rupture abusive du contrat de travail.

En dépit de cette analyse a priori bien fondée, il y a lieu de saluer la solution retenue par la Cour de cassation. Si la Chambre sociale s'écarte, semble-t-il, de la lettre des textes c'est certainement pour mieux s'en tenir à son esprit. Ce qui justifie fondamentalement l'exclusion des redevances de l'assiette de calcul du préjudice, ce n'est pas tant leur nature à proprement parler, que leur fondement. Parce qu'elles sont la contrepartie du contrat d'enregistrement et nullement du contrat de travail, elles ne disparaissent pas du fait de la rupture anticipée du contrat de travail. Dès lors, le préjudice résultant de cette rupture ne peut en aucun cas comprendre la perte de cette rémunération, puisque nul ne conteste leur qualification, dès lors que précisément l'artiste la conserve en dépit de la rupture du contrat de travail. Ainsi, quoique cette solution puisse sembler sévère à l'égard des artistes-interprètes largement soumis aux volontés des producteurs si l'on s'en tient à la faiblesse du montant de ce qui constituent les rémunérations prises en compte pour l'évaluation du préjudice, rappelons que les cachets versés en l'espèce pour la réalisation de chacun des albums étaient d'un montant de 706, 25 euros, ce qui, il faut en convenir semble résiduel au regard des sommes en jeu, elle ne peut être différente sauf à s'écarter du principe de réparation intégrale. Soulignons toutefois, qu'en dépit des apparences, l'artiste-interprète n'est pas nécessairement lésé par la rigueur de la Cour de cassation.
D'une part, il conserve les redevances qui lui seront versées en dépit de la rupture, et bien que celles-ci dépendent de son succès, elles ne lui sont pas retirées du fait de la décision, et sauf à dire qu'elles avaient été surévaluées par la cour d'appel, leur exclusion du champs des dommages-intérêts ne cause aucun préjudice à l'artiste.
D'autre part, si les seules rémunérations susceptibles d'être admises pour l'évaluation du préjudice sont celles qui ne seront plus versées du fait de la rupture anticipée, ce montant ne constitue qu'un minimum que le juge peut dépasser lorsqu'il estimera que le préjudice effectivement subi est supérieur à ce montant, notamment, en réparant le préjudice moral souffert par l'artiste du fait de la rupture anticipée.

Le principe de réparation intégrale a bien évidemment vocation à s'appliquer à la réparation du préjudice causé par la rupture abusive du contrat de travail. Dès lors, si l'artiste ne se voit allouer que de faibles dommages-intérêts réduits au minimum de ses cachets, c'est certainement parce que le préjudice souffert n'est pas plus important !

3 - "C'est une chanson qui nous ressemble"... et quoique les jeux vidéo ressemblent à des logiciels, ils n'en sont pas !

Tel est le refrain entonné par les juges de la première chambre civile de la Cour de cassation à l'occasion d'un arrêt rendu le 25 juin 2009 (Cass. civ. 1, 25 juin 2009, n° 07-20.387, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5422EIN) (11).

Une société éditrice de jeux vidéo n'avait, à l'occasion de l'utilisation de compositions musicales appartenant au répertoire de la SACEM, payé aucune redevance auprès de la Sesam chargée d'assurer, pour les oeuvres multimédias, l'exercice et la gestion des droits de reproduction mécanique de ces oeuvres musicales. La Sesam a déclaré sa créance résultant des reproductions non autorisées dans divers jeux vidéo au passif de la société qui a produit, édité et commercialisé les jeux vidéo placée en liquidation judiciaire.
La cour d'appel de Paris (CA Paris, 3ème ch., sect. B, 20 septembre 2007, n° 07/01793, Société Civile Sesam c/ SELAFA MJA N° Lexbase : A1002DZ7) ayant admis ces créances, la société s'est pourvue en cassation en soutenant que l'oeuvre que constitue le jeu vidéo doit être qualifiée de logiciel et qu'à ce titre les dispositions de l'article L. 131-4-5° du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3387ADS), selon lesquelles la cession des droits portant sur un logiciel peut être évaluée forfaitairement, ont vocation à s'appliquer excluant de fait l'existence de toutes créances en faveur de la Sesam.

La question de la nature de l'oeuvre que constitue le jeu vidéo était donc clairement posée à la Cour de cassation.
Or, pour la première chambre civile, l'argumentation du moyen doit être rejetée au motif que "un jeu vidéo est une oeuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l'importance de celle-ci, de sorte que chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature". Partant, l'incorporation des oeuvres musicales devait être soumise au droit de reproduction mécanique dont la gestion est confiée à la Sesam. Cette dernière se voit ainsi conférer une créance à l'encontre de la société éditrice et exploitante des jeux vidéo et admise par voie de conséquence au passif de la liquidation judiciaire ouverte à son encontre.

En rendant cette solution, la Cour de cassation tranche une controverse relative à la nature des jeux vidéo, controverse dont les conséquences financières ne sont pas négligeables.
Alors qu'il semblait acquis que la qualification d'oeuvre audiovisuelle doive être exclue pour ces oeuvres particulières (12) dès lors qu'il ne s'agissait ni d'un "défilement linéaire des séquences", ni d'une "succession de séquences animées d'images", il semble qu'il faille également exclure la qualification de logiciel. Il ne pouvait en effet être retenu la qualification d'oeuvre audiovisuelle dès lors que l'intervention de l'utilisateur est toujours possible pour en modifier l'ordre des séquences et que l'oeuvre se caractérise par une succession de séquences fixes pouvant contenir des images animées. Or, les jeux vidéo répondent parfaitement à une telle description.

Certaines juridictions (13), à l'instar de ce qui était soutenu dans le pourvoi, déduisaient de cette exclusion de la qualification d'oeuvre audiovisuelle la nécessaire qualification de logiciel pour les jeux vidéo qui constituent de manière certaines (14) des oeuvres susceptibles d'être protégées par un droit d'auteur. Cette qualification présentait, en outre, l'avantage de soumettre l'oeuvre à un régime unique et forfaitaire, excluant ainsi notamment tout droit de reproduction des éventuelles oeuvres utilisées pour sa confection. Alors que la Chambre criminelle, quoique saisie d'une action en contrefaçon d'un jeu vidéo et non expressément de la question de la nature de cette oeuvre, avait admis sans aucun doute la qualification de logiciel, la première chambre civile s'oppose fermement à celle-ci. Le jeu vidéo ne peut être réduit à la qualification de logiciel, tout aussi restrictive que la qualification d'oeuvre audiovisuelle.

La Cour de cassation choisit de ne pas qualifier expressément l'oeuvre que constituent les jeux vidéo, elle emploie seulement le qualificatif "d'oeuvre complexe" sans davantage de précisions. Certains considèrent que l'exclusion des qualifications de logiciel et d'oeuvres audiovisuelles implique nécessairement que les jeux vidéo puissent recevoir la qualification d'oeuvre multimédia (15). Nous nous permettrons d'être plus réservés. En effet, l'oeuvre multimédia n'est pas aussi évidente à définir (16) qu'il peut paraître a priori et semble difficilement détachable pour la détermination de son régime (17), d'une part, de l'oeuvre audiovisuelle (18) clairement exclue par la même formation et, d'autre part, de l'oeuvre collective, qualification invoquée par le pourvoi et dont le rejet semble marquer la volonté de la Cour de cassation de s'en départager. En outre, une telle qualification d'oeuvre multimédia permettrait-elle de résoudre les difficultés soulevées par les jeux vidéo ? Rien n'est moins sûr !

Si cette qualification ne permet pas de lui conférer un régime bien déterminé, ce qui semble exclu dès lors que sa qualification est empreinte de doute, force est d'admettre qu'elle n'a que peu d'intérêt. Reste alors à la Cour de cassation, face au silence du législateur, à procéder à la construction du régime applicable à cette "oeuvre complexe " que constitue les jeux vidéo qui relève, à n'en pas douter, d'une qualification sui generis qui ne ressemble qu'à elle !

4 - "Et la chanson que tu chantais, Toujours, toujours je l'entendrai !"... mais Jamais, Jamais je ne te verrai plus la chanter...

Telle pourrait être la morale de l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 juillet 2009 (Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 07-19.758, F-P+B N° Lexbase : A7210EIU).

En l'espèce, un chanteur célèbre, dont les oeuvres qu'il avait composées et interprétées entre les années 1930 et 1950 avaient été compilées dans un coffret de chansons françaises dont l'illustration était faite par une photographie d'époque le représentant, dénonçait les multiples utilisations de son image au sein de ce coffret, faites sans son autorisation.
La cour d'appel de Paris (CA Paris, 11ème ch., sect. A, 6 juin 2007, n° 05/21809 N° Lexbase : A7437DXQ). a refusé de faire droit à ses demandes dans un arrêt pour le moins surprenant quoique circonstancié. Pour les juges du fond l'utilisation d'un portrait pris à l'occasion de la vie professionnelle de l'artiste pour promouvoir ses oeuvres ne "procède pas de l'exploitation de la personnalité, mais relève de l'activité d'information et de communication". Or dans le conflit opposant le droit à l'image de l'artiste et le droit à l'information du public, la cour d'appel de Paris a jugé que "le droit à l'image doit [...] céder devant la liberté d'expression chaque fois que l'exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s'expriment spécialement dans le travail d'un artiste". Dès lors, conformément à ce qui est traditionnellement enseigné, si l'image a un lien direct avec l'information qu'elle illustre, le droit à l'information doit primer sur le droit à l'image de l'artiste. Une limite est, toutefois, rappelée par la cour, l'utilisation de l'image ne devant pas porter atteinte à la vie privée de l'artiste, ce qui ne pouvait être le cas, dès lors qu'il s'agissait d'un portrait professionnel. Les juges du fond ayant constaté que l'image, "accessoire au champ musical de l'artiste" constituait une illustration "indissociable et légitime d'une réédition de son oeuvre caractérisant le contexte précis de la reproduction de l'image", et en l'absence de toute atteinte à la vie privée, ils ont jugé qu'il y avait lieu de rejeter les prétentions de l'artiste.
Il faut apprécier le lyrisme de cette décision que les juges du fond ont tenté de motiver par tous moyens, y compris philosophiquement, en invitant l'artiste à davantage de modestie et d'humilité en lui rappelant que "la gloire n'est pas un capital que les grands hommes se constituent une fois pour toutes et sur lequel ils auraient un droit acquis à jamais, mais bien davantage un sentiment qu'ils trouvent dans le regard des autres hommes".

Mais la Cour de cassation n'a pas souhaité faire prévaloir ces intérêts "supérieurs" sur le droit à l'image et rappelle fermement, au visa de l'article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) et sous forme de principe... juridique cette fois, que "l'utilisation de l'image d'une personne pour en promouvoir les oeuvres doit avoir été autorisée par celle-ci, et que la reproduction de la première au soutien de la vente des secondes n'est pas une information à laquelle le public aurait nécessairement droit au titre de la liberté d'expression, peu important l'absence d'atteinte à la vie privée de l'intéressé".

On ne peut que se satisfaire de la rigueur retenue par la Cour de cassation qui rappelle le caractère autonome de ce droit subjectif que constitue le droit à l'image (19) qui, quoique fondé sur l'article 9, est totalement indépendant du droit à la vie privée expressément contenu dans le texte. Dès lors, la seule atteinte à l'image d'une personne constitue une atteinte à un droit de la personnalité (20). Et s'il semble désormais incontesté que ce droit à l'image puisse céder face au droit à l'information du public, attribut de la liberté d'expression consacrée par l'article 10 de la CESDH (N° Lexbase : L4743AQQ), lorsqu'il existe un lien direct entre l'image et l'information (21), encore faut-il que celle-ci soit véritablement qualifiée.
Or sur ce point, la Cour de cassation démontre qu'à l'instar de toute exception, celle-ci doit être interprétée strictement. Dès lors, il faut apprécier la notion d'information de manière orthodoxe. La promotion commerciale d'une oeuvre ne peut constituer une information. Il faut voir dans la solution rendue par la Cour de cassation l'illustration d'une volonté d'admettre restrictivement les limites au droit à l'image. Celui-ci ne peut céder que face à la liberté d'expression justifiant un droit à l'information du public, notion que l'on ne peut dévoyer pour servir quelques intérêts commerciaux.

Le recours au droit de la propriété intellectuelle n'est pas de nature à restreindre le droit à l'image de l'auteur. Le droit d'utiliser les oeuvres d'un artiste n'autorise donc pas l'utilisation de son image en dépit de ce que pouvait laisser sous-entendre la cour d'appel en soulignant le caractère "accessoire" de l'image au "champ musical" de l'artiste. Le droit à l'image acquiert ainsi par la rigueur de la Cour de cassation un statut de plus en plus prompt à assurer à son titulaire une protection efficace.

Dès lors, si l'artiste se voyait déjà en haut de l'affiche, il n'appartient pas à d'autres que lui d'autoriser que son image soit jointe à ses oeuvres !

Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1 - CDA-PR


(1) OHMI, rapport annuel 2007.
(2) La Directive du 21 décembre 1988 a été transposée en droit interne par la loi du 4 janvier 1991. Toutefois, la jurisprudence a eu l'occasion de rappeler que la loi nationale doit s'interpréter à lumière des finalités de la Directive afin d'atteindre le résultat visé par celle-ci, "nonobstant des éléments d'interprétation contraire qui pourraient résulter des travaux préparatoires de la règle nationale" (CJCE, 29 avril 2004, aff. C-371/02, Björnekulla Fruktindustrier A c/ Procordia Food AB N° Lexbase : A0416DCE, D., 2005, pan. 504, obs. S. Durrande).
(3) Sur ces motifs de rejet de la demande d'enregistrement, v. J. Passa, Traité de la propriété industrielle. Droit de la propriété industrielle, tome 1, LDGJ, 2006, n° 611 et s..
(4) Article 52 du Règlement CE n° 40/94 du 20 décembre 1993 modifié par le Règlement CE n° 207/2009 du 26 février 2009.
(5) Cf. D., 2009, n° 30, p. 2037.
(6) Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (N° Lexbase : L7541A8S).
(7) Ce texte s'est substitué à la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (N° Lexbase : L9088ARZ).
(8) CJCE, 13 juillet 2006, op. cit., pt 22.
(9) Cf. D., 2009, n° 28, p. 1894, obs. J. Daleau ; S. Tourneaux, Salaires, rémunérations et droits voisins : l'articulation complexe des rétributions de l'artiste-interprète, Lexbase Hebdo n° 363 du 17 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9151BLI).
(10) Cass. civ. 1, 6 mars 2001, n° 98-15.502, Syndicat national de l'édition phonographique et autres c/ Syndicat national des artistes musiciens de France et autre, publié (N° Lexbase : A4709ART), Bull. civ. I, n° 58, D., 2001, jur. 1868, note B. Edelman, CCE, 2001, comm. 44, note Ch. Caron, JCP éd. G, 2002, II, 10014, note F. Pollaud-Dulian. Pour la Cour de cassation, dans cette décision, "la cour d'appel a justement énoncé qu'en vertu de l'article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle, et malgré le renvoi fait aux articles L. 762-1 et L. 762-2 du Code du travail, l'existence d'un contrat de travail n'emportant pas dérogation à la jouissance des droits de propriété intellectuelle".
(11) Cf. D., 2009, n° 27, p. 1819.
(12) Cass. civ. 1, 28 janvier 2003, n° 00-20.294, Mme Françoise Casaril c/ Société Havas interactive, FS-P+B (N° Lexbase : A8437A4A), Bull. civ. I, n° 29, CCE, 2003, comm.. 35, note Ch. Caron.
(13) CA Caen, 19 décembre 1997, n° 97/00344, Mme Annie Truffaut (N° Lexbase : A7628DNT), LPA, 18 novembre 1999, p. 10, note Treppoz, JCP éd. E, 2000, 1375, obs. Sardain ; Cass. crim., 21 juin 2000, n° 99-85.154, M. Pierre Tel (N° Lexbase : A5706AWA), D., 2001. somm. 2552, obs. Sirinelli, JCP éd. E, 2001. 312, note Sardain.
(14) Ass. Plén., 7 mars 1986, n° 85-91.465, Société Williams électronics INC c/ Mme Tel, SA Jeutel, publié au bulletin (N° Lexbase : A4408CGD), D., 1986, p. 405, concl. Cabannes, note B. Edelman. Un jeu vidéo pour l'Assemblée plénière "est formé par un scénario [...] ; que chacun des éléments du jeu évolue selon une trajectoire bien définie [...] le tout se déroulant sur un fond sonore donné. Ceci constitue une oeuvre se manifestant de façon visuelle, sur un fond sonore particulier que l'on peut rattacher à une oeuvre cinématographique".
(15) J. Daleau, Le jeu vidéo est une oeuvre multimédia, note sous Cass. civ. 1, 25 juin 2009, D., 2009, p. 1819.
(16) B. Edelman, L'oeuvre multimédia, un essai de qualification, D., 1995., p. 109.
(17) Pour B. Edelman, en conclusion de son analyse, op. cit., n° 39  : "au terme de ce long parcours, nous pouvons tirer quelques enseignements simples. En premier lieu, il nous est apparu que l'oeuvre multimédia ne présente pas une spécificité telle qu'il faille bouleverser notre droit : elle peut aisément se couler soit dans le moule de l'oeuvre audiovisuelle, soit dans le moule de l'oeuvre collective".
(18) Quoique que ces deux formes d'oeuvres doivent être clairement distinguées pour un auteur, v. X. Linant de Bellefonds, note sous CA Paris, 16 mai 1994, JCP éd G., 1995, II, 22375.
(19) Cass. civ. 1, 13 janvier 1998, n° 95-13.694, M. X. c/ Société Jag, publié (N° Lexbase : A1813AC7), Bull. civ. I, n° 14, D., 1999, jur. p. 120, note Ravanas, et somm. obs. Caron ; Cass. civ. 1, 16 juillet 1998, n° 96-15610, M. X. et autre c/ M. Z., publié (N° Lexbase : A7537CHM), Bull. civ I, n° 259, D., 1999, jur. p. 541 note Saint-Pau.
(20) Th. Hassler, La liberté de l'image et la jurisprudence récente de la Cour de cassation, D., 2004, chr. 1611.
(21) Cass. civ. 2, 11 décembre 2003, n° 01-17.623, Société Le Nouvel Observateur du Monde c/ Mme Frédérique Marillier, épouse de Leffe, FS-P+B (N° Lexbase : A4260DAZ), Bull. civ. II, n° 385 ; Cass. civ. 1, 10 mai 2005, n° 02-14.730, Société Intra presse c/ M. Daniel Davenet, FS-P+B (N° Lexbase : A2211DIQ), Bull. civ. I, n° 206 ; Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, n° 04-11.068, Société Hachette Filipacchi associés c/ M. Didier Schuller, FS-P+B (N° Lexbase : A9301DIC), Bull.civ. I, n° 330.

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