La lettre juridique n°287 du 10 janvier 2008 : Responsabilité

[Jurisprudence] Accidents de la circulation : le défaut de permis de conduire imputable au conducteur victime n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale du dommage

Réf. : Cass. crim., 27 novembre 2007, n° 07-81.585, Compagnie Monceau générale assurances, F-P+F (N° Lexbase : A0861D3B)

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N5925BDS

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[Jurisprudence] Accidents de la circulation : le défaut de permis de conduire imputable au conducteur victime n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale du dommage. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210739-jurisprudence-accidents-de-la-circulation-le-defaut-de-permis-de-conduire-imputable-au-conducteur-vi
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

On se souvient peut-être qu'avaient été signalés, ici même, deux importants arrêts rendus en Assemblée plénière le 6 avril 2007 par lesquels la Cour de cassation, contrairement à ce qu'elle paraissait avoir jugé auparavant (1), avait refusé de considérer que le taux d'alcoolémie excessif de la victime soit nécessairement constitutif d'une faute causale de l'accident (2). Autrement dit, alors que l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 (loi n° 85-677 N° Lexbase : L7887AG9), en matière d'accidents de la circulation, dispose que la faute commise par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis, la Haute juridiction, répondant à la question de savoir si peut être opposée à la victime d'un accident de la circulation sa faute constituée par le fait d'avoir un taux d'alcoolémie supérieur au taux légalement admis, avait écarté toute présomption de causalité, et ce au motif qu'il pouvait sembler difficile de décider a priori et de façon certaine que le dépassement du taux d'alcoolémie légalement autorisé soit la cause de l'accident et du dommage de la victime. La solution, dans son principe, a récemment été confirmée et étendue au cas dans lequel le conducteur victime n'était pas titulaire du permis de conduire, par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 27 novembre dernier. En l'espèce, un motard, qui doublait par la gauche une file de voitures à l'arrêt, a percuté le véhicule d'un automobiliste qui effectuait un demi-tour pour quitter la file immobilisée. L'automobiliste a été condamné pour blessures involontaires ainsi que pour contravention de changement de direction d'un véhicule effectué sans avertissement préalable. Mais, le tribunal correctionnel a réduit de moitié l'indemnisation des dommages subis par le motocycliste en raison de sa faute consistant à avoir conduit une motocyclette de forte cylindrée sans être titulaire du permis de conduire. Pour réformer le jugement sur ce point, la cour d'appel de Chambéry a retenu que ce défaut de permis n'était pas de nature à justifier une limitation du droit à indemnisation de la victime, dès lors que le motocycliste victime, "détenteur du permis de conduire les automobiles, n'était pas un conducteur novice" et que rien n'établissait, dans le cas considéré, qu'il ait roulé à une vitesse excessive. La Cour de cassation approuve la cour d'appel d'avoir statué comme elle l'a fait et d'avoir, ainsi, fait une exacte application de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985, les magistrats ayant déduit de l'examen des circonstances de l'accident "l'absence de lien de causalité entre le défaut de permis de conduire imputable au conducteur victime et la réalisation des dommages subis par celui-ci".

La logique est donc aujourd'hui la même, que la faute de la victime ait consisté dans le fait de conduire avec un taux d'alcoolémie excessif ou de conduire sans permis : cette faute, en tant que telle absolument indiscutable, n'est pas nécessairement la cause du dommage. Et gageons qu'elle vaut, également, pour le cas de la conduite en dépit de la consommation de stupéfiants.

D'un point de vue purement technique, la solution peut se justifier par l'idée selon laquelle cette faute n'est pas forcément la cause immédiate de l'accident et, finalement, du dommage subi par la victime. Cette position s'explique, en tout cas, par une appréciation assez stricte du lien de causalité devant exister entre la faute et le dommage. L'ayant déjà relevé dans notre commentaire des arrêts du 6 avril dernier, on se contentera ici de signaler que la solution aurait pu être différente si l'on avait préféré une conception plus large de la causalité, et considéré que la faute de la victime était bien en relation avec son dommage, puisque, par hypothèse même, si elle avait respecté la loi (ne pas conduire au-delà d'un certain taux d'alcoolémie ou sans permis de conduire), et donc pas commis de faute, la victime n'aurait pas eu d'accident et n'aurait pas subi de dommage. Et l'on ajoutera qu'il n'est plus utile de démontrer que la Cour de cassation, quand il s'agit de venir au secours de certaines victimes, n'hésite pas à retenir une appréciation large de la causalité.

Il faut bien avouer que, en réalité, le choix fait par la Cour de cassation est, ici, un choix de politique juridique, bien plus que de technique juridique : elle refuse, dans des situations douloureuses pour les victimes ou leurs familles, de venir rogner sur le terrain civil l'indemnisation auxquelles elles peuvent prétendre (3). Soit. On avouera ne pas partager cette vision des choses, et continuer de penser que la victime, dont la faute demeure, selon nous, en relation avec le dommage, mérite d'être sanctionnée, ne serait-ce que pour lui rappeler qu'elle a une part de responsabilité dans son dommage, aussi pénible et douloureux que cela puisse être. Et la solution nous paraîtrait d'autant plus justifiée que l'on en n'est pas, ici, au stade des conditions de mise en oeuvre de la loi de 1985, mais bien au stade du régime de la loi, ce qui rend parfaitement légitime une appréciation des responsabilités encourues.


(1) Cass. civ. 2, 4 juillet 2002, n° 00-12.529, Société des Transports Garcia c/ M. Adrien Lajarthe, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0668AZR), RCA 2002, n° 330, obs. H. Groutel, RTDCiv. 2002, p. 829, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 10 mars 2004, n° 02-19.841, Mme Annick Renaudin, veuve Roger c/ Fonds de garantie Automobile, F-P+B (N° Lexbase : A4909DBG), RCA 2004, n° 180, obs. H. Groutel.
(2) Ass. plén., 6 avril 2007, 2 arrêts, n° 05-81.350, M. Daniel Duboust c/ Mme Patricia Pipon, P+B+R+I (N° Lexbase : A9501DUG) et n° 05-15.950, MACIF Provence-Méditerranée c/ M. Stéphane Devos, P+B+R+I (N° Lexbase : A9499DUD), JCP éd. G, 2007, II, 10078, note P. Jourdain ; adde H. Groutel, Boire ou conduire, Resp. civ. et assur. 2007, Repère n° 7, et nos obs., Un taux d'alcoolémie excessif n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale d'un accident de la circulation, Lexbase Hebdo n° 259 du 10 mai 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0432BBM).
(3) Voir, not., Ph. Brun, Observations sommaires sur la faute du conducteur victime dans la loi du 5 juillet 1985, Mél. Groutel, LexisNexis, p. 65 et s..

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