La lettre juridique n°300 du 10 avril 2008 : Droit financier

[Textes] Réflexions sur les aspects de droit des marchés financiers du rapport "Coulon"

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[Textes] Réflexions sur les aspects de droit des marchés financiers du rapport "Coulon". Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210017-cite-dans-la-rubrique-b-droit-financier-b-titre-nbsp-i-reflexions-sur-les-aspects-de-droit-des-march
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

le 07 Octobre 2010

"L'honnêteté n'est pas spectaculaire ; c'est pourquoi elle n'est pas médiatisée" (1), cette citation, qui figurait dans le rapport "Clément" en 2003, aurait tout aussi bien pu être utilisée, 5 ans après, dans le rapport remis au Garde des Sceaux, ministre de la Justice, le 20 février 2008, sur la dépénalisation du droit des affaires (ci-après le rapport "Coulon"), à propos de la dépénalisation du droit des marchés financiers. L'encadrement des marchés se singularise, en effet, dans la sphère de la régulation boursière, par une certaine forme de discrétion, de ce qu'on appelait, auparavant, police de marchés qui, s'exerçant au plus près des comportements illicites, est le plus souvent à même de les prévenir ou d'en contenir les conséquences, loin de la publicité qui accompagne, souvent, les affaires pénales. La commission -dit "groupe de travail"-, auteur du rapport "Coulon" sur la dépénalisation, semble avoir pris en considération cette spécificité avant de rendre ses conclusions qui pourront être aisément résumées : les infractions boursières n'auront pas à être modifiées. Tenue, par la lettre de mission du ministre de la Justice, d'envisager une dépénalisation du droit des marchés financiers, ladite commission devait, ainsi, renoncer, d'elle-même, à formuler des propositions concrètes en droit des marchés financiers. Elle s'est limitée, de la sorte, à une analyse prospective du fonctionnement institutionnel, en préconisant une réforme de fond, essentiellement de nature procédurale, excluant toute proposition relevant du droit substantiel.

Cependant, si aucune proposition pratique de dépénalisation n'a été formulée, le rapport "Coulon", paradoxalement, propose d'augmenter de 2 à 3 ans, les peines d'emprisonnement sanctionnant le délit d'initié (2). Sans doute faut-il y voir le souci de préconiser au moins une modification textuelle, car, autrement, la commission semble s'être heurtée à l'autonomie de l'encadrement juridique boursier, cette dernière la contraignant à exclure les solutions de dépénalisation traditionnelles dans l'intérêt même du marché et des investisseurs. A la lecture du rapport, il apparaît, en effet, que les solutions théoriques (I) de dépénalisation sont, à la différence du droit des sociétés, assez limitées, ce qui explique la nature procédurale des seules préconisations pratiques (II) qu'il emporte.

I - Des solutions théoriques de dépénalisation limitées

La partie précédente de cette étude, consacrée à la dépénalisation du droit des sociétés (J.-B. Lenhof, Dépénalisation du droit des affaires et droit des sociétés, réflexions sur le rapport "Coulon", Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N6366BEI), a fait apparaître la diversité, au plan théorique, des méthodes envisagées pour opérer une diminution des sanctions, sans porter atteinte à la protection des sociétés et des consommateurs. Le cadre du droit des marchés financiers semble, en revanche, offrir moins de solutions que celui des sociétés. Il ne permet que d'associer, de façon spécifique au droit boursier, des acteurs privés au mécanisme de dépénalisation (A), ou d'accroître les pouvoirs de la puissance publique (B) pour compenser la diminution des sanctions pénales.

A - Le rôle des acteurs privés dans la dépénalisation

Le rôle pratique des acteurs privés du droit des marchés financiers ne peut être appréhendé sans rappeler les différents mécanismes identifiés, dans le rapport, comme constituant les techniques de base de la dépénalisation. Ces techniques se décomposent, selon la commission, en un triptyque :

- la première, qualifiée de "sèche [...], consiste à mettre fin à l'illicéité d'un comportement" (3) ;

- la deuxième repose sur une substitution de mécanismes civils, administratifs, ou disciplinaires à la sanction pénale ;

- la troisième consiste, enfin, en une "réduction du périmètre de la qualification pénale, en modifiant ses éléments constitutifs, matériel ou moral" (4).

Selon le rapport, c'est la deuxième solution qui constitue le procédé le plus efficace, compte tenu de la nécessité de maintenir un encadrement juridique suffisamment dissuasif pour juguler les comportements néfastes des acteurs économiques. Cependant, parmi l'ensemble des mécanismes que ce dernier propose de mettre en oeuvre (cf. le volet de l'étude consacrée au droit des sociétés, précité), seuls quelques-uns d'entre eux sont susceptibles d'être utilisés en droit des marchés financiers.

Le contrôle préalable exercé par des acteurs économiques privés (et accessoirement administratifs) est, en premier lieu, présenté comme permettant d'encadrer, a priori, certaines situations critiques, soit par un contrôle des personnes elles-mêmes, soit par celui -dans le cas des sociétés- de la structure de l'organisation interne. La technique, amplement illustrée par l'intervention administrative, à l'époque où le dirigisme économique était de rigueur, tranche, semble-t-il, avec une certaine forme de privatisation des marchés, introduite par la loi n° 96-597, du 2 juillet 1996, de modernisation des activités financières (ci-après la loi "MAF") (N° Lexbase : L5893A4Z), privatisation qui caractérise, encore, les réformes les plus récentes du droit boursier.

L'instauration de ce mécanisme préventif encourt, par ailleurs, une autre critique, soulignée par la commission elle-même, qui relève que la Banque mondiale dans son rapport annuel "Doing Business" a émis des réserves d'importance sur l'efficacité de ce type de procédure, estimant, en effet, que, lorsqu'il est confié à l'administration, ce contrôle est générateur de surcoûts et de perte de temps pour les entreprises. On ajoutera, sur un plan plus juridique, qu'il présente le défaut (que le contrôleur soit public ou privé) d'en mutualiser le prix et de le faire supporter, indistinctement, par tous les groupements, et non par ceux d'entre eux qui mériteraient d'être sanctionnés. Il convient, enfin, de souligner que le recours à des opérateurs privés, au delà du contrôle de l'AMF, a déjà été largement mis en place en droit des marchés financiers. Il est, ainsi, institutionnalisé par les divers contrôles réalisés par les entreprises de marché au titre des compétences générales d'encadrement des opérations de l'article L. 421-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2995HZX) (5). Mieux encore, sur certains marchés -comme Alternext-, ce sont des intermédiaires financiers privés qui sont chargés de réaliser un contrôle sur les émetteurs (6).

L'autre proposition, faite par la commission, et concernant l'édiction de codes de déontologie dont les acteurs du marché seraient les destinataires, appelle le même type de remarque. En effet, les marchés financiers connaissent, depuis la loi "MAF", un régime comparable, avec l'introduction de codes de conduite ou de "bonne" conduite. Ces règles, dont la Directive 93/22 du 10 mai 1993, concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières (ci-après la "DSI") (N° Lexbase : L7726AUP) a posé les principes directeurs, ont été retranscrites dans la loi "MAF", assorties d'une disposition imposant aux acteurs des marchés financiers de les matérialiser et d'y assujettir leurs collaborateurs. Elles sont, donc, imposées, au titre du pouvoir réglementaire et disciplinaire de l'employeur (7), aux salariés ou aux préposés des entreprises d'investissement et des entreprises de marché. Ce contrôle des comportements s'avère, ainsi, difficile à accroître, compte tenu, en premier lieu, de son emprise actuelle sur les personnes assujetties et, en second lieu, parce que son existence est liée à la transposition d'une Directive et que l'organisation boursière qui en résulte ne peut être modifiée librement par le législateur.

Ces différents constats permettent de comprendre pourquoi, revenant sur le mouvement de désengagement de la puissance publique, la commission s'en soit tenue à des solutions très traditionnelles -du moins dans la tradition de régulation française- de contrôle administratif des acteurs économiques.

B - Le rôle de la puissance publique dans la dépénalisation

Le rapport préconise, à partir de ce constat, l'introduction de mécanismes d'injonctions administratives, qui constituent la troisième technique de substitution. Il s'agit de mettre en oeuvre, en l'espèce, des "pouvoirs de mise en demeure des acteurs économiques dans des domaines techniques particuliers" (8), essentiellement destinés à permettre de substituer une solution négociée à une sanction (9). Mais, là également, le Code monétaire et financier a déjà institué des mécanismes comparables, en raison de la nécessité de maintenir, même dans un contexte de contractualisation, une forme de pouvoir de police des marchés. Certes, le terme d'injonction n'est pas expressément utilisé dans les textes boursiers, mais leur économie tend à répondre aux mêmes préoccupations que celles qui animent la commission de dépénalisation : permettre à la puissance publique de corriger les agissements répréhensibles, dès l'origine, et avec plus d'efficacité et de célérité que dans le cas d'une action judiciaire (pour deux exemples topiques, ceux des articles L. 532-20 N° Lexbase : L3066HZL (10) ou L. 621-8-1N° Lexbase : L8006HB7 (11) du Code monétaire et financier).

Sur ce point, l'AMF est au coeur du mécanisme de substitution évoqué par la commission : celui des sanctions administratives prononcées par les autorités administratives indépendantes (ci-après les AAI). Le rapport souligne, à cette occasion, les avantages apportés par cette technique de régulation, caractérisée par sa rapidité, la connaissance du secteur d'activité, ainsi que la compétence technique. Il relève, en revanche, les faiblesses institutionnelles qu'elle recèle car l'AAI cumule fréquemment les qualités de source normative et de juge du secteur d'activité dont elle est en charge. Cette situation a, ainsi, rendu les décisions de l'autorité boursière vulnérable à des recours fondés sur le respect des principes posés par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) (notamment sous l'empire de l'organisation ancienne avec la Commission des opérations de bourse -COB-). Les justiciables de la COB, puis de l'AMF, ont, ainsi, pu faire prospérer nombre de recours fondés sur la présomption d'innocence, la partialité du juge boursier, et le non-respect du principe de légalité (12). Un autre reproche, adressé au système de sanction propre aux AAI, est que les victimes, de surcroît, ne peuvent, dans l'hypothèse d'une sanction de l'auteur de l'infraction, être indemnisées par l'AMF et doivent intenter un recours en réparation, sur le fondement du droit commun, ce qui complique, inutilement, l'action punitive de l'autorité et diminue son efficacité.

Cette organisation institutionnelle particulière pose, enfin, le problème de la dualité de l'action répressive. En effet, lorsqu'une entreprise ou un particulier est sanctionné par l'AMF, il risque, au surplus, de subir une sanction pénale et, donc, de faire l'objet d'un cumul de sanctions, au mépris, en théorie, du respect du principe non bis idem (13). La validité de ce cumul a, toutefois, été reconnue par le Conseil constitutionnel (14), mais à la condition que les sanctions ne soient pas supérieures au maximum prévu par l'une ou l'autre des deux peines applicables. Cette solution se fonde, au plan textuel, sur les réserves émises par la France à l'égard du texte de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (15), réserves tendant à considérer que la règle de non-cumul ne s'applique que pour les sanctions dont le juge pénal peut connaître. Sur ce point, cependant, le rapport fait valoir que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (16), qui assimile la matière pénale à toute matière punitive, fait peser sur la position française un risque non négligeable de remise en cause de l'approche des sanctions boursières par le droit interne.

C'est, sans doute, au regard des incertitudes qui pèsent sur la pérennité des attributions juridictionnelles des autorités administratives indépendantes, que la commission a été conduite à préconiser le recours à des sanctions administratives des services de l'Etat. Le prononcé de la sanction, dans ce cadre, peut, en effet, être réalisé par une direction particulière, telle la DGCCRF, ou des AAI. Cette solution n'est, cependant, pas, elle non plus, exempte de critiques. Elle diminue, notamment, les garanties procédurales pour le justiciable et éparpille le contentieux de la sanction entre les deux ordres de juridiction, le recours contre ces décisions étant, en principe, porté devant les juridictions administratives, mais relevant, exceptionnellement, pour certaines AAI -comme l'AMF-, de l'ordre judiciaire.

En définitive, les difficultés rencontrées s'avérant essentiellement d'ordre institutionnel, une des solutions à la dépénalisation, en matière de droit des marchés financiers, serait, donc, selon la commission, de restaurer le pouvoir du juge. Il s'agirait, principalement, de faire de ce dernier, au moyen de réformes procédurales, le pivot des différents mécanismes de sanction.

II - Des solutions pratiques centrées sur de nouveaux pouvoirs des juges

La procédure, au coeur de tout dispositif répressif, conserve une importance particulière, même lorsque la sanction n'est pas de nature pénale. Un mouvement de dépénalisation ne saurait, donc, que prendre en considération le poids des garanties procédurales dans la mise en oeuvre d'un pouvoir de sanction. Comme, sur ce plan, le droit des marchés financiers est encore sujet à un certain nombre de critiques, la dépénalisation peut fournir l'occasion, en transposant des mécanismes de protection du justiciable inhérents au droit pénal, d'améliorer globalement le régime des sanctions du droit boursier. C'est la raison pour laquelle les pouvoirs du juge sont repensés par les auteurs du rapport, au point d'en faire le pivot de la procédure de sanction (A), tout en s'appuyant, au fond, sur l'ancienne logique du droit des marchés financiers. La place privilégiée donnée au juge permet, par ailleurs, d'envisager d'accroître son rôle central, en lui confiant la mise en oeuvre des mécanismes transactionnels et alternatifs (B).

A - Le juge, pivot de la procédure de sanction

Faire du juge le pivot de la procédure, tout en conservant de larges compétences à l'AMF, tel est l'objectif des propositions de la commission dont les membres ont souligné qu'il convenait de maintenir un équilibre entre l'efficacité, unanimement soulignée, de l'Autorité boursière, et la nécessité de régler le problème de la double sanction. En ce sens, la récente réforme de la commission des sanctions par la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier (N° Lexbase : L5471H3Z), qui a introduit une procédure de récusation de ses membres, permettrait, selon le rapport, de conserver l'organisation et la composition actuelle (17) de l'organe répressif de l'AMF, sans risquer de subir des recours concernant l'impartialité de ses membres (18).

Ceci posé, les pouvoirs de l'AMF en seraient, toutefois, amoindris en matière pénale. Le rapport se prononce, en effet, pour la clarification des compétences, l'Autorité demeurant juge des manquements à son règlement général, le juge pénal connaissant, lui, exclusivement des abus de marché les plus graves. Cette solution, en tout état de cause, ne permettrait de mettre fin au cumul des sanctions qu'au prix d'une séparation stricte des compétences. L'hypothèse est, certes, envisageable, mais elle constituerait un recul quant à l'efficacité et la pertinence des décisions, alors que, précisément, la qualité de l'action de l'AMF a toujours constitué la justification au caractère dérogatoire des sanctions du droit boursier. Le rapport propose, donc, plutôt qu'une séparation stricte des pouvoirs, de réaliser un véritable partage des compétences qui permettrait d'allier l'expertise technique dont dispose l'Autorité avec les garanties procédurales que le juge pénal est plus à même d'offrir. Cette réorganisation se déclinerait en quatre points.

1 - En premier lieu, pour tous les manquements ne faisant pas l'objet d'un cumul avec le droit pénal, maintien d'un statu quo pour l'AMF, avec conservation des procédures et de l'organisation actuelle ;

2 - Pour les faits relevant à la fois d'un manquement au règlement général de l'AMF et d'une infraction pénale, mise en place d'une procédure conjointe d'enquête, fruit d'une collaboration entre l'Autorité et le parquet et reposant sur les règles obéissant à la chronologie suivante :

  • transmission par l'AMF au parquet, sans attendre la notification des griefs, des faits relevant d'une qualification pénale ;
  • enquête parallèle, judiciaire et administrative, avec communication des pièces et demande d'avis (la création d'une équipe commune d'enquête étant envisageable) ;
  • sursis à statuer de l'AMF, dans l'attente de la décision du parquet ;
  • attribution de compétence, avec deux solutions possibles : qualification pénale, avec transmission aux tribunaux de l'ordre judiciaire ou possibilité d'un simple renvoi à l'AMF pour sanction administrative à l'issue de l'enquête pénale et après avis de l'Autorité ;

3 - Ouverture aux victimes d'une action civile par voie d'intervention directe durant cette procédure, donnant un droit d'accès à l'enquête de l'AMF aux fins de constitution de preuves ;

4 - Echevinage, en première instance et en appel, avec adjonction à la formation collégiale de deux assesseurs supplémentaires spécialisés en matière de marchés financiers.

Cet ensemble de propositions est, ainsi, susceptible de modifier profondément le traitement des infractions boursières. L'importance des préconisations contraste, de la sorte, avec la retenue dont la commission a fait preuve quant aux modifications substantielles des sanctions. Ce qui pourrait apparaître comme une certaine forme de frilosité, alors que des représentants éminents du groupe de travail -au sein duquel figurait, entre autres, M. Prada, président de l'Autorité-, s'explique, cependant, aisément. D'une part, les modifications des sanctions pénales en matière de droit boursier dépendent de sujétions supra-législatives et, en particulier, de la Directive 2003/6, du 28 janvier 2003, sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (N° Lexbase : L8022BBQ), qui rendent les réformes relatives aux sanctions particulièrement délicates. D'autre part, le projet de loi de modernisation de l'économie (ci-après "LME"), qui vient d'être transmis au Conseil d'Etat, prévoit d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour, entre autres dispositions, moderniser la place financière de Paris, ce qui laisse augurer une réforme institutionnelle, celle-ci devant précéder, en toute logique, une modification éventuelle du droit substantiel.

Au-delà de cette partie spécifiquement dédiée au droit des marchés financiers, le rapport émet d'autres propositions, générales celles-ci, et destinées à améliorer la procédure au profit des victimes d'infractions. Parmi ces propositions que nous avons détaillées par ailleurs (voir J.-B. Lenhof, Dépénalisation du droit des affaires et droit des sociétés, réflexions sur le rapport "Coulon", précité), certaines d'entre elles pourraient, si elles étaient adoptées, avoir des conséquences importantes pour les marchés.

Nous évoquerons ainsi, pour mémoire, une partie du rapport dédié au renforcement de "l'efficacité de la justice pénale pour la sanction des comportements frauduleux" qui se propose de limiter l'instrumentalisation de la justice pénale à l'appui de quatre mesures :

  • en allongeant le délai de recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile de 3 à 6 mois après la plainte devant le procureur de la République ;
  • en contraignant à motiver les classements sans suite ;
  • en exigeant la production de pièces comptables pour fixer la consignation ;
  • en convertissant la consignation en amende civile en cas de non lieu, sauf décision contraire du juge.

Cette partie enjoint, également, d'améliorer la spécialisation des magistrats et des juridictions, ainsi que le régime des frais de justice civile.

Ce qui, en revanche, à notre sens, influerait considérablement sur le jeu des forces opposant les investisseurs aux émetteurs, serait la reconnaissance éventuelle d'une action de groupe, au profit des consommateurs en général, mais dont on peut supposer qu'elle s'applique également aux investisseurs boursiers. Cette action, envisagée comme un contrepoids à la limitation de la constitution des parties civiles, devrait permettre à des associations -avec ou sans mandat, précise la commission- d'assigner un acteur économique au nom de personnes ayant subi, de son fait, le même type de préjudice. On pourra objecter que les groupements d'actionnaires ne sont pas dépourvus de moyens d'action contre les auteurs d'infractions, comme en attestent les succès des recours intentés par les associations d'actionnaires minoritaires, mais, face aux préjudices collectifs, le juge ne dispose pas de la possibilité de prononcer une décision -notamment d'indemnisation- ayant autorité de la chose jugée à l'égard de l'ensemble des plaignants ou des victimes représentés. Comment indemniser individuellement, pourtant, comme les plaignants l'exigent, des milliers, voire des dizaines de milliers d'actionnaires ? On a vu, à l'occasion de l'affaire "Sidel" (19) que le juge a récemment été amené à conclure, en dehors de tout texte, à une indemnisation collective, face à la multitude de victimes d'un délit boursier. La question de la légalisation d'une telle solution, qui n'est pas expressément évoquée pour le droit des marchés financiers, figure, cependant, en filigrane dans la rédaction du rapport.

B - Le juge, maître des mécanismes transactionnels et alternatifs

Au-delà de son rôle de garant de la procédure pénale, la situation du juge va être reconsidérée, jusque dans ses aspects les moins judiciaires. En effet, la commission consacre une partie importante de sa réflexion au recensement des solutions alternatives susceptibles d'être substituées à la sanction pénale. Encore faut-il distinguer, en ce domaine, les solutions générales, susceptibles d'être mises en oeuvre pour dépénaliser l'essentiel du droit des affaires, des solutions spécifiques, nées du particularisme des marchés financiers.

S'agissant des solutions générales, le rapport préconise, en premier lieu, de faire en sorte que le procureur de la République soit incité à recourir aux mécanismes prévus à l'article 41-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8616HWZ), qui lui permettent, préalablement à toute action publique, d'opérer un rappel à la loi, un classement sous condition de régularisation, un classement sous condition de réparation ou une médiation pénale. Il souligne, en second lieu, les avantages susceptibles d'être retirés d'une réforme permettant d'appliquer aux personnes morales la composition pénale prévue à l'article 41-2 de ce code (N° Lexbase : L3848HCI). Ce mécanisme serait, comme pour les personnes physiques, réservé aux faits punis d'emprisonnement inférieur à 5 ans, et emporterait, outre l'amende, la condamnation à réparer le préjudice. Il propose, enfin, de transposer la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité des articles 495-7 (N° Lexbase : L0876DY4) et suivants du Code de procédure pénale (20).

Mais, c'est surtout, s'agissant des solutions relatives aux marchés financiers, la création d'un mécanisme transactionnel spécifique que le rapport envisage, mécanisme dont la mise en oeuvre serait, en principe, soumise à une homologation judiciaire si ces transactions avaient pour objet des agissements susceptibles de faire l'objet d'une transaction pénale (21). Cette mise en oeuvre se heurte, toutefois, à un certain nombre de difficultés.

Il s'agit, en effet, d'étendre, en pratique, la transaction hors du champ pénal, tout en maintenant des garanties procédurales importantes. A ce titre, l'instauration d'un tel mécanisme avait déjà été envisagée en 2005 par l'AMF, le projet prévoyant que le juge pénal n'intervenait pas dans la procédure et que la transaction n'était pas subordonnée à une reconnaissance de culpabilité. Ce projet, à l'époque, n'avait pu aboutir en raison de l'encadrement juridique strict de la transaction. En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est établie, de longue date (22) qui fait du juge judiciaire le garant des sanctions susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles, comme c'est le cas pour certaines sanctions du droit des marchés financiers (comme l'interdiction d'exercer, par exemple). Par ailleurs, la transaction, par principe, est subordonnée à la reconnaissance des faits reprochés. Cette solution s'impose, en effet, puisque, à défaut de cette reconnaissance, la transaction éteignant l'action pénale, les éventuelles victimes se verraient privées de toute action contre l'auteur de l'infraction ayant fait l'objet d'une transaction. On peut, enfin, s'interroger sur la constitutionnalité de l'attribution par le législateur du pouvoir d'éteindre l'action publique à une AAI.

En toute hypothèse, les solutions envisageables consisteraient, ainsi, en la mise en place d'une procédure associant le juge pénal aux transactions concernant des agissements susceptibles d'être qualifiés pénalement.

La conclusion, quant à l'éventuelle suite législative à donner au rapport "Coulon", renvoie sans doute davantage à une réforme institutionnelle et procédurale qu'à une véritable dépénalisation. L'idée de réformer, par ordonnance, le fonctionnement de la place de Paris, que nous avons évoqué précédemment, constitue, ainsi, le recours indirect à une forme de dépénalisation du droit des sanctions boursières qui pourrait passer, éventuellement, par une diminution des compétences de l'AMF.


(1) Voir rapport "Clément", Mission d'information sur la réforme du droit des sociétés, p. 3, attribuée à Xavier Fontanet, Président d'Essilor (2 décembre 2003).
(2) Voir rapport "Coulon", p. 24.
(3) Voir rapport "Coulon", p.11.
(4) Voir rapport "Coulon", p. 13.
(5) C. mon. et fin., art. L. 421-2 du Code monétaire et financier, "un marché réglementé est géré par une entreprise de marché. Celle-ci a la forme d'une société commerciale. Lorsque l'entreprise de marché gère un marché réglementé régi par les dispositions du présent code, son siège social et sa direction effective sont établis sur le territoire de la France métropolitaine ou des départements d'outre-mer. L'entreprise de marché doit satisfaire à tout moment aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables. L'entreprise de marché effectue les actes afférents à l'organisation et l'exploitation de chaque marché réglementé qu'elle gère. Elle veille à ce que chaque marché réglementé qu'elle gère remplisse en permanence les exigences qui lui sont applicables".
(6) Voir le lien sur le site internet d'Euronext.
(7) C. trav., art. L. 122-34 (N° Lexbase : L5547ACG).
(8) Voir rapport "Coulon", p. 21.
(9) Ainsi, dans le cadre de leur pouvoir administratif d'enquête, les agents de la DGCCRF peuvent enjoindre au professionnel de se conformer à la réglementation telle qu'elle résulte des livres Ier et III du Code de la consommation, dans un délai raisonnable, ou de faire cesser des agissements illicites ou abusifs. Voir C. consom., art. L. 141-1 (N° Lexbase : L2199HWD) : "IV. - les agents habilités à constater les infractions mentionnées au présent article peuvent enjoindre au professionnel, en lui impartissant un délai raisonnable, de se conformer aux obligations résultant des livres Ier et III du Code de la consommation ou de faire cesser les agissements illicites ou abusifs mentionnés aux I et II du présent article".
(10) C. mon. et fin., art. L. 532-20 (N° Lexbase : L3066HZL), "les personnes mentionnées à l'article L. 532-18-1 transmettent à l'Autorité des marchés financiers, à des fins statistiques, des rapports périodiques sur les activités de leur succursale". L'Autorité des marchés financiers peut exiger des succursales mentionnées à l'article L. 532-18-1 qu'elles lui transmettent les informations nécessaires pour lui permettre de vérifier qu'elles se conforment aux dispositions qui leur sont applicables sur le territoire de la France métropolitaine et des départements d'outre-mer, pour les cas prévus à l'article L. 532-18-2 (N° Lexbase : L3064HZI). Les obligations ainsi imposées à ces succursales ne peuvent être plus strictes que celles qui sont applicables aux prestataires de services d'investissement mentionnés à l'article L. 531-1 (N° Lexbase : L9338DYI).
(11) C. mon. fin., art. L. 621-8-1, "I. - Pour délivrer le visa mentionné à l'article L. 621-8 (N° Lexbase : L3299HIZ), l'Autorité des marchés financiers vérifie si le document est complet et compréhensible, et si les informations qu'il contient sont cohérentes. L'Autorité des marchés financiers indique, le cas échéant, les énonciations à modifier ou les informations complémentaires à insérer. L'Autorité des marchés financiers peut également demander toutes explications ou justifications, notamment au sujet de la situation, de l'activité et des résultats de l'émetteur ainsi que des garants éventuels des instruments financiers objets de l'opération.
II. - L'Autorité des marchés financiers peut suspendre l'opération pour une durée qui ne peut excéder une limite fixée par son règlement général lorsqu'elle a des motifs raisonnables de soupçonner qu'elle est contraire aux dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables. L'Autorité des marchés financiers peut interdire l'opération :
1° Lorsqu'elle a des motifs raisonnables de soupçonner qu'une émission ou une cession est contraire aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables ;
2° Lorsqu'elle constate qu'un projet d'admission aux négociations sur un marché réglementé est contraire aux dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables
".
(12) Lire Y. Paclot, Le pouvoir de sanction administrative de l'Autorité des marchés financiers, Lexbase Hebdo n° 72 du 21 mai 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N7312AA3).
(13) Principe garanti par le protocole n° 7 du 22 novembre 1984, relatif à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, "article 4 Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat".
(14) Voir Cons. const., DC n° 88-248 du 17 janvier 1989, Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (N° Lexbase : A8194ACH), et Cons. const., DC n° 89-260 du 28 juillet 1989, Commission des opérations de bourse (N° Lexbase : A8202ACR).
(15) Réserve contenue dans l'instrument de ratification, déposé le 17 février 1986 : "le Gouvernement de la République française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent Protocole".
(16) "La matière pénale s'entend de toute matière punitive et ayant une certaine gravité" (CEDH, 21 février 1984, Req. 8544/79, Öztürk N° Lexbase : A5092AYA).
(17) Cf. C. mon. et fin., art. L. 621-2 (N° Lexbase : L6274DI9), la composition de la commission des sanctions est actuellement la suivante :
- douze membres distincts des membres du Collège:
- deux conseillers d'Etat désignés par le vice-président du Conseil d'Etat ;
- deux conseillers à la Cour de cassation désignés par le premier président de la Cour de cassation ;
- six membres désignés, à raison de leur compétence financière et juridique, ainsi que de leur expérience en matière d'appel public à l'épargne et d'investissement de l'épargne dans des instruments financiers, par le ministre chargé de l'Economie, après consultation des organisations représentatives des sociétés industrielles et commerciales dont les titres font l'objet d'appel public à l'épargne, des sociétés de gestion d'organismes de placements collectifs et des autres investisseurs, des prestataires de services d'investissement, des entreprises de marché, des chambres de compensation, des gestionnaires de systèmes de règlement livraison et des dépositaires centraux ;
- deux représentants des salariés des entreprises ou établissements prestataires de services d'investissement, des sociétés de gestion d'organismes de placements collectifs, des entreprises de marché, des chambres de compensation, des gestionnaires de systèmes de règlement livraison et des dépositaires centraux, désignés par le ministre chargé de l'Economie et des Finances après consultation des organisations syndicales représentatives.
(18) Voir rapport "Coulon", p. 54 : "le Conseil d'Etat qui a annulé des décisions de sanctions de l'AMF pour défaut d'impartialité d'un membre de la commission des sanctions, ce dernier étant soit en relation d'affaires, soit en litige, soit concurrent des sociétés mises en cause" (CE Contentieux, 27 octobre 2006, n° 276069, M. Parent et autres N° Lexbase : A1923DSZ ; CE 1° et 6° s.s.r., 30 mai 2007, n° 288538, Société Europe Finance et Industrie N° Lexbase : A5267DWY ; CE 1/6 SSR., 26 juillet 2007, n° 293627, Société Global Gestion N° Lexbase : A4834DXC).
(19) Voir TC Paris, 12 septembre 2006.
(20) Le recours à cette procédure est, toutefois, limité par les sujétions imposées par la circulaire du 14 septembre 2004 (Circ. min., n° CRIM 04-14/G3, du 14 septembre 2004, présentation des dispositions pénales ou à incidence pénale de la loi du 1er août 2003 relative à la sécurité financière, de la loi du 1er août 2003 pour l'initiative économique, et de l'ordonnance du 25 mars 2004 N° Lexbase : L7828GT4), qui prévoit que le texte ne doit être appliqué que pour des affaires simples, en état d'être jugées, dans lesquelles il existe une certaine prévisibilité de la sanction, et qui ne justifient pas une audience devant le tribunal correctionnel. Ce cadre assez strict n'empêche pas, cependant, le traitement d'infractions mineures, sans audience, ce qui permettrait d'éviter de faire supporter à l'entreprise, outre la sanction, une publicité des débats qui serait nuisible à son activité commerciale.
(21) Voir rapport "Coulon", p. 63.
(22) Cons. const., DC n° 95-360, du 2 février 1995 (N° Lexbase : A8324ACB).

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