Jurisprudence : CEDH, 21-02-1984, Req. 8544/79, Öztürk

CEDH, 21-02-1984, Req. 8544/79, Öztürk

A5092AYA

Référence

CEDH, 21-02-1984, Req. 8544/79, Öztürk. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1088581-cedh-21021984-req-854479-ozturk
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Cour européenne des droits de l'homme

21 février 1984

Requête n°8544/79

Öztürk




COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

En l'affaire Öztürk,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, statuant en séance plénière par application de l'article 48 de son règlement* et composée des juges dont le nom suit:

* Note du greffier: Il s'agit du règlement applicable lors de l'introduction de l'instance. Un nouveau texte entré en vigueur le 1er janvier 1983 l'a remplacé, mais seulement pour les affaires portées devant la Cour après cette date.

MM. G. Wiarda, président,

R. Ryssdal,

J. Cremona,

Thór Vilhjálmsson,

W. Ganshof van der Meersch,

Mme D. Bindschedler-Robert,

MM. D. Evrigenis,

L. Liesch,

F. Gölcüklü,

F. Matscher,

J. Pinheiro Farinha,

E. García de Enterría,

L.-E. Pettiti,

B. Walsh,

Sir Vincent Evans,

MM. R. Macdonald,

C. Russo,

R. Bernhardt,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 21 septembre 1983 et 25 janvier 1984,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne ("le Gouvernement") et la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission"). A son origine se trouve une requête (n° 8544/79) dirigée contre cet Etat et dont un ressortissant turc, M. Abdulbaki Öztürk, avait saisi la Commission le 14 février 1979 en vertu de l'article 25 (art. 25) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention").

2. Requête du Gouvernement et demande de la Commission ont été déposées au greffe dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47), les 13 septembre et 15 octobre 1982 respectivement. La première renvoie à l'article 48 (art. 48); elle invite la Cour à conclure à l'absence de violation. La seconde vise à obtenir une décision sur le point de savoir s'il y a eu ou non, de la part de l'Etat défendeur, manquement aux obligations lui incombant aux termes de l'article 6 § 3 e) (art. 6-3-e).

3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. R. Bernhardt, juge élu de nationalité allemande (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 1er octobre 1982, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. R. Ryssdal, M. Zekia, F. Matscher, J. Pinheiro Farinha et E. García de Enterría, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, MM. Thór Viljhálmsson et W. Ganshof van der Meersch, juges suppléants, ont remplacé MM. Zekia et García de Enterría, empêchés (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement).

4. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Wiarda a recueilli, par l'intermédiaire du greffier adjoint, l'opinion de l'agent du Gouvernement, de même que celle des délégués de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 19 octobre 1982, il a décidé que l'agent aurait jusqu'au 31 janvier 1983 pour déposer un mémoire auquel les délégués pourraient répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le leur aurait communiqué.

Après une prorogation de délai accordée au Gouvernement le 18 janvier 1983, le mémoire est parvenu au greffe le 24 février. Le 10 mars, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que les délégués présenteraient leurs propres observations lors des audiences.

5. Le 4 mai, le président a fixé au 25 la date d'ouverture de la procédure orale après avoir consulté agent du Gouvernement et délégué de la Commission par l'intermédiaire du greffier adjoint.

6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Chambre avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire; elle avait autorisé l'emploi de la langue allemande par l'agent et les conseils du Gouvernement ainsi que par la personne assistant les délégués de la Commission (article 27 §§ 2 et 3 du règlement).

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

Mme I. Maier, Ministerialdirigentin au ministère fédéral de la Justice,

agent,

M. E. Göhler, Ministerialrat au ministère fédéral de la Justice,

conseiller;

- pour la Commission

M. S. Trechsel,

M. G. Sperduti,

délégués,

Me N. Wingerter, conseil du requérant devant la Commission assistant les délégués (article 29 § 1, seconde phrase, du règlement).

La Cour a entendu en leurs plaidoiries et déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions, Mme Maier pour le Gouvernement, MM. Trechsel et Sperduti ainsi que Me Wingerter pour la Commission. Celle-ci a fourni au greffier certains documents qu'il lui avait demandés sur les instructions du président.

7. A l'issue d'une délibération qui a eu lieu le 27 mai, la Chambre a résolu, en vertu de l'article 48 du règlement, de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière.

Après avoir noté l'accord de l'agent du Gouvernement et l'avis, favorable, des délégués de la Commission, la Cour a décidé le 21 septembre que la procédure se poursuivrait sans réouverture des débats (article 26 du règlement).

8. Le 4 octobre, l'agent du Gouvernement a remis au greffier deux documents et sa réponse à deux questions que M. le juge Ganshof van der Meersch lui avait posées lors des audiences.

FAITS

I. Les circonstances de l'espèce

9. M. Öztürk, ressortissant turc né en 1934, réside à Bad Rappenau-Heinsheim en République fédérale d'Allemagne.

Arrivé dans ce pays en 1964, il travaille dans l'industrie automobile. Après avoir passé l'examen nécessaire, il se vit délivrer le 7 mai 1969 un permis de conduire allemand.

En 1978, il chiffrait son revenu mensuel net à 2.000 DM environ.

10. Le 27 janvier 1978, au volant de sa voiture à Bad Wimpfen, il en percuta une autre qui se trouvait en stationnement; il causa ainsi aux deux véhicules un dommage d'environ 5.000 DM. Le propriétaire de l'automobile touchée signala l'accident à la police de Neckarsulm.

Au moyen d'un texte écrit en turc, les agents arrivés sur place informèrent le requérant, notamment, de son droit de se refuser à toute déclaration et de consulter un avocat. Il usa de ce droit, sur quoi la police transmit un procès-verbal (Verkehrs-Ordnungswidrigkeiten-Anzeige) à l'autorité administrative (Landratsamt) de Heilbronn.

11. Cette dernière, par une décision du 6 avril 1978, infligea à l'intéressé une amende (Bussgeld) de 60 DM pour avoir provoqué un accident de la route en entrant en collision avec un autre véhicule à la suite d'une conduite imprudente ("Ausserachtlassen der erforderlichen Sorgfalt im Strassenverkehr"); M. Öztürk avait à payer en outre 13 DM de droits (Gebühr) et frais (Auslagen).

La décision se fondait sur l'article 17 de la loi du 24 mai 1968 concernant les "contraventions administratives", dans sa version du 1er janvier 1975 (Gesetz über Ordnungswidrigkeiten - "loi de 1968/1975", paragraphe 18 ci-dessous), l'article 24 de la loi sur la circulation routière (Strassenverkehrsgesetz) et les articles 1 § 2 et 49 § 1 n° 1 du règlement relatif à la circulation routière (Strassenverkehrs-Ordnung). L'article 1 § 2 de ce règlement se lit ainsi (traduction):

"Tout usager de la route a le devoir de se comporter de manière à ne pas nuire ni faire courir de risque à autrui, à ne pas le gêner ni importuner plus qu'il n'est inévitable en l'occurrence."

D'après l'article 49 § 1 n° 1 du règlement précité, quiconque enfreint l'article 1 § 2 commet une "contravention administrative" (Ordnungswidrigkeit); aux termes de l'article 24 § 2 de la loi sur la circulation routière, une telle contravention expose son auteur à une amende.

12. Le 11 avril 1978, le requérant, représenté par Me Wingerter, forma un recours (Einspruch) contre ladite décision (article 67 de la loi de 1968/1975); il précisa qu'il ne renoncerait pas à des débats publics devant le tribunal (article 72).

Le parquet (Staatsanwaltschaft) près le tribunal régional (Landgericht) de Heilbronn, auquel le dossier avait été communiqué le 5 mai, déclara six jours plus tard ne pas s'opposer à une procédure purement écrite; il ajouta qu'il ne participerait pas aux audiences (articles 69 et 75).

13. Le tribunal cantonal (Amtsgericht) de Heilbronn siégea en public le 3 août 1978; il entendit M. Öztürk, qui bénéficiait de l'assistance d'un interprète, puis trois témoins. Aussitôt après, le requérant retira son recours. En conséquence, la décision de l'autorité administrative de Heilbronn, du 6 avril 1978, devint définitive (rechtskräftig).

14. Le tribunal avait délaissé à la charge de l'intéressé les frais de la procédure et ses propres frais. Le 12 septembre 1978, le greffe (Gerichtskasse) du tribunal cantonal en fixa le montant à 184 DM 70, dont 63 DM 90 pour les frais d'interprète.

15. Quant au dernier point, le requérant attaqua cet arrêté le 4 octobre (Erinnerung). Invoquant l'article 6 (art. 6) de la Convention, il se référait au rapport de la Commission, du 18 mai 1977, dans l'affaire Luedicke, Belkacem et Koç; à l'époque, celle-ci demeurait pendante devant la Cour qui rendit son arrêt au principal le 28 novembre 1978 (série A n° 29).

Le tribunal cantonal débouta M. Öztürk le 25 octobre. Il souligna que l'obligation de supporter les frais d'interprète découlait des articles 464 a) du code de procédure pénale (Strafprozessordnung) et 46 de la loi de 1968/1975 (paragraphes 21 et 35 ci-dessous). Il l'estima compatible avec l'article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention en se fondant sur une décision de la Cour d'appel de Cologne, de 1975. Selon le tribunal, l'avis précité de la Commission ne changeait en rien cette situation car, à la différence d'un arrêt de la Cour, il ne liait pas les Etats.

16. Selon les indications non contestées fournies par le Gouvernement, les frais judiciaires, y compris ceux d'interprète, furent réglés par une compagnie d'assurances avec laquelle l'intéressé avait souscrit un contrat.

II. La législation pertinente

A. La loi de 1968/1975

17. La loi de 1968/1975 vise à faire sortir du droit pénal les infractions légères, considérées auparavant comme infractions pénales. Il s'agit notamment des contraventions à la loi sur la circulation routière. Dans son ancienne version, l'article 21 de celle-ci les frappait de peines d'amende (Geldstrafe) ou d'emprisonnement (Haft). L'article 3 n° 6 de la loi du 24 mai 1968 (Einführungsgesetz zum Gesetz über Ordnungswidrigkeiten) les qualifia d' "Ordnungswidrigkeiten" et ne les réprima désormais qu'au moyen d'amendes regardées par le législateur comme non pénales (Geldbussen).

La loi de 1968/1975 a eu deux précurseurs en République fédérale: la loi du 25 mars 1952 sur les "contraventions administratives" (Gesetz über Ordnungswidrigkeiten) et, pour une part, celle du 26 juillet 1949 sur les infractions économiques (Wirtschaftsstrafgesetz).

1. Dispositions générales

18. L'article 1 § 1 de la loi de 1968/1975 définit la "contravention administrative" (Ordnungswidrigkeit) comme un acte illégal (rechtswidrig) et répréhensible (vorwerfbar), enfreignant une disposition légale qui en rend l'auteur passible d'une amende (Geldbusse). Celle-ci ne peut être inférieure à 5 DM ni, en règle générale, supérieure à 1.000 DM (article 17 § 1). Son montant est fixé dans chaque cas en fonction de l'importance de la contravention, du manquement reproché à l'auteur et, sauf pour les contraventions mineures (geringfügig), de la situation économique de ce dernier (article 17 § 3).

Si l'acte constitue à la fois une "contravention administrative" et une infraction pénale, seule entre en jeu la loi pénale; il peut cependant être réprimé en tant que "contravention administrative" si aucun prononcé de peine (Strafe) n'a lieu (article 21).

2. Les autorités de poursuite

19. Le traitement des Ordnungswidrigkeiten relève de l'autorité administrative (Verwaltungsbehörde) désignée par la loi, sauf dans la mesure où la loi de 1968/1975 en confie la poursuite au parquet et la répression au tribunal (articles 35 et 36). Si le parquet se trouve saisi au pénal, il peut également poursuivre le même acte comme "contravention administrative" (article 40).

20. Lorsque des indices donnent à penser qu'il y a infraction pénale, l'autorité administrative renvoie l'affaire au parquet; il lui retourne le dossier s'il n'ouvre pas de poursuites (article 41). En cas de "contravention administrative" connexe à une infraction pénale pour laquelle le parquet a engagé des poursuites, celui-ci peut les étendre à la contravention aussi longtemps que l'autorité administrative n'a pas fixé l'amende (article 42).

La décision, par le parquet, de poursuivre ou non un acte comme infraction pénale lie l'autorité administrative (article 44).

3. La procédure en général

21. Sous réserve des exceptions prévues par la loi de 1968/1975, les dispositions de droit commun régissant la procédure pénale, en particulier le code de procédure pénale, le code judiciaire (Gerichtsverfassungsgesetz) et la loi sur les juridictions pour enfants (Jugendgerichtsgesetz), s'appliquent par analogie (sinngemäss) à la procédure relative aux "contraventions administratives" (article 46 § 1). L'autorité de poursuite (paragraphe 19 ci-dessus) a les mêmes droits et obligations que le parquet en matière pénale à moins que la loi de 1968/1975 elle-même n'en décide autrement (article 46 § 2). Néanmoins, certaines mesures licites au pénal ne peuvent être ordonnées dans le domaine desdites contraventions, notamment l'arrestation, la garde à vue (vorläufige Festnahme) et la saisie d'envois postaux ou de télégrammes (article 46 § 3). La prise de sang et d'autres ingérences mineures, au sens de l'article 81 a) § 1 du code de procédure pénale, restent possibles.

22. La poursuite d'une telle contravention ressortit au pouvoir discrétionnaire (pflichtgemässes Ermessen) de l'autorité compétente, laquelle peut y mettre fin tant que l'affaire demeure pendante devant elle (article 47 § 1).

Une fois le tribunal saisi (paragraphes 27-28 ci-dessous), toute décision de clôture relève de lui; elle requiert l'accord du parquet et revêt un caractère définitif (article 47 § 2).

23. Dans la phase judiciaire (éventuelle) de la procédure, (paragraphes 28-30 ci-dessous), l'article 46 § 7 de la loi de 1968/1975 confie le soin de statuer à des sections (Abteilungen) des tribunaux cantonaux ainsi qu'à des chambres (Kammern; Senate) des cours d'appel (Oberlandesgerichte) et de la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof).

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