La lettre juridique n°300 du 10 avril 2008 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Incidence du droit de la preuve électronique sur la mise en oeuvre de l'exigence de l'article 1326 du Code civil

Réf. : Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 06-17.534, M. Jean-Claude Darmon, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3931D7Q)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

La mise en oeuvre de la règle posée par l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT), aux termes duquel "l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent [...] doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme [...] en toutes lettres et en chiffres", n'est pas sans soulever un certain nombre de difficultés. Nul n'ignore que la question de la nature de la règle a ainsi fait l'objet d'un certain nombre d'hésitations, la jurisprudence (spécialement la première chambre civile de la Cour de cassation) ayant été tentée, à une certaine époque, d'y voir une règle non plus de preuve (ce qu'elle avait pourtant toujours été), mais bien une règle de forme et, donc, de considérer que le non-respect de la règle emportait la nullité de l'opération (1). La discussion fut finalement tranchée par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation qui, en affirmant que l'engagement souscrit par la caution doit comporter sa signature ainsi que la mention, écrite de sa main, de la somme en toutes lettres et en chiffres de toute obligation déterminable au jour de l'engagement et, surtout, en décidant que ces règles de preuve ont pour finalité la protection de la caution, marquait un retour à une plus grande orthodoxie juridique (2). Mais si cette question a reçu une réponse satisfaisante, ainsi, d'ailleurs, que celle, non moins discutée, des accessoires dus par la caution (3), il reste que l'exigence de l'article 1326 continue de susciter un contentieux non négligeable (4). A quoi s'ajoute le fait que la modification de l'article 1326 par la loi du 13 mars 2000, portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et signature électronique (loi n° 2000-230 N° Lexbase : L0274AIY) n'est pas, elle non plus, sans soulever quelques incertitudes : le texte exige en effet, depuis cette date, que la mention soit écrite par le débiteur "lui-même", et plus forcément, comme c'était le cas auparavant, "de sa main". Un important arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 13 mars 2008, faisant l'objet d'une diffusion maximale (à paraître au Bulletin, en ligne sur le site de la Cour et annoncé comme devant figurer dans son prochain Rapport annuel), mérite à cet égard d'être ici signalé.

En l'espèce, produisant seulement un acte sous seing privé au contenu intégralement dactylographié, et par lequel un individu reconnaissait lui devoir, en lettres et en chiffres, le montant d'un prêt antérieurement consenti par virement bancaire, le prêteur l'avait assigné en remboursement. Mais, pour le débouter de sa demande, les juges du fond avaient retenu que l'acte produit, sur lequel seule la signature était de la main du débiteur, ne constituait qu'un commencement de preuve par écrit.

Autrement dit, les juges, qui avaient considérer que l'instrumentum était, au regard des exigences de l'article 1326 du Code civil, irrégulier, en avaient, assez classiquement d'ailleurs, une fois ce constat établi, déduit que l'acte ne valait que commencement de preuve par écrit au sens de l'article 1347 du Code civil (5). Leur décision est cassée, sous le visa de l'article 1326 du Code civil, la Haute juridiction décidant en effet "qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé", étant entendu, affirme-t-elle, qu'il résulte de ce texte, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 [...], que si la mention de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres, écrite par la partie même qui s'engage, n'est plus nécessairement manuscrite, elle doit alors résulter, selon la nature du support, d'un des procédés d'identification, conforme aux règles qui gouvernent la signature électronique ou de tout autre procédé permettant de s'assurer que le signataire est le souscripteur de ladite mention".

Il faut bien comprendre que l'arrêt ne tranche pas la question, souvent rencontrée en jurisprudence, de savoir quelle est la valeur probante de l'acte au cas où la mention serait éventuellement incomplète -par exemple absence de la mention en chiffres (6)-. Ici, la mention était, en tant que telle, complète, mais le problème venait du fait que le contenu de l'acte (et donc la mention elle-même) était intégralement dactylographié, seule la signature étant de la main du débiteur (7). Or, la loi du 13 mars 2000 ayant permis que l'instrumentum soit constitué sur support papier ou sous forme électronique (C. civ., art. 1316 N° Lexbase : L1427ABH, 1316-1 N° Lexbase : L0627ANK et 1316-3 N° Lexbase : L0629ANM), écartant ainsi le caractère nécessairement manuscrit de la mention, la mesure de l'incidence de cette réforme sur la mise en oeuvre de l'article 1326 pouvait sembler quelque peu incertaine (8). Et il est manifeste que la solution des juges du fond décidant, en l'espèce, que l'acte était irrégulier au regard des exigences de l'article 1326 du Code civil au motif que la mention n'était pas manuscrite, conduisait à vider de sa substance la modification du texte par la loi du 13 mars 2000. L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 13 mars dernier aura, au moins, le mérite d'apporter une précision utile en la matière : le fait que l'acte ne soit pas manuscrit ne signifie pas que la prescription de l'article 1326 n'est pas satisfaite, dès lors, au moins, que des procédés fiables permettent d'avoir la certitude que le signataire de l'acte est bien l'auteur de la mention. Si tel est bien le cas, alors l'instrumentum fera pleinement la preuve de l'existence et de l'étendue de l'engagement du débiteur. Sans doute, d'un point de vue théorique, la solution est-elle acceptable. Mais, pratiquement, peut-on réellement considérer qu'un simple document dactylographié, certes signé, offre des garanties suffisantes permettant de s'assurer que l'auteur de la mention en est bien le signataire ?


(1) Voir, not., P. Sargos, Rapport à la Cour de cassation, 1986, p. 39 et s..
(2) Cass. civ. 1, 15 novembre 1989, n° 87-18.003, M. Delous c/ Société Europe computer systèmes (N° Lexbase : A8588AHK), Bull. civ. I, n° 348, Grands arrêts de la jurisprudence civile, n° 276.
(3) Cass. civ. 1, 29 octobre 2002, n° 00-15.223, M. Gérard Gendilloux c/ Caisse de Crédit mutuel Herserange-Longlaville, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4051A3G), n° 99-18.017, M. Jean-Louis Lapie c/ Caisse méditerranéenne de financement (CAMEFI), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4093A3Y) et n° 00-21.881, Mme Christiane Boutic, épouse Thivel c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) du Centre-Est, FS-P (N° Lexbase : A4008A3T), Bull. civ. I, n° 247, 248 et 250 ; lire nos obs., Mention manuscrite : retour rapide sur la preuve complémentaire au commencement de preuve constitué par l'instrumentum irrégulier, Lexbase Hebdo n° 133 du 8 septembre 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N2692ABC).
(4) Voir, not., Cass. civ. 1, 25 mai 2005, n° 04-14.695, Mme Micheline Desmarecaux, veuve Maret c/ Caisse régionale du Crédit agricole mutuel Nord de France, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3991DIN), Bull. civ. I, n° 228 ; Cass. civ. 1, 14 juin 2005, n° 04-11.760, Union bancaire du Nord c/ M. Gérard Jouan, F-D (N° Lexbase : A7581DIM), Gaz. Pal., 2005, p. 3443, note Daussy-Roman.
(5) Cass. civ. 1, 16 janvier 1985, n° 83-11.029, Epoux Migraine c/ Crédit d'équipement (N° Lexbase : A3815AGE), Bull. civ. I, n° 24 ; Cass. com., 26 juin 1990, deux arrêts, n° 88-14.659, M. Scerri c/ Société Crédit universel (N° Lexbase : A3658AHX) et n° 89-11.555, Mme X. c/ Société Crédit universel (N° Lexbase : A4171AGL), Bull. civ. IV, n° 188 et n° 189 ; Cass. civ. 1, 15 octobre 1991, n° 89-21.936, M. Frédéric Suma c/ Epoux Del Giudice et autres (N° Lexbase : A0589AYH), GAJC, 11ème éd., n° 275-277.
(6) Cass. civ. 1, 18 septembre 2002, n° 99-13.192, M. Christian Vandenheuvel c/ M. Michel Cappelli, F-P+B (N° Lexbase : A4423AZT), Bull. civ. I, n° 207 ; Cass. civ. 1, 6 juillet 2004, n° 01-15.041, M. Gabriel Chambon c/ M. Jacques Balber, FS-P (N° Lexbase : A0153DDZ), Bull. civ. I, n° 199 ; Cass. civ. 1, 21 mars 2006, n° 04-18.673, M. Roland Martin c/ M. Guy Martin, F-P+B (N° Lexbase : A7972DNL), Bull. civ. I, n° 167.
(7) En tout état de cause, à défaut de signature, le débiteur n'est pas obligé : Cass. civ. 1, 13 novembre 2002, n° 99-15.299, M. Guy Deromedi c/ Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME), F-P (N° Lexbase : A7269A3M), Bull. civ. I, n° 158.
(8) Voir, not., pour le cautionnement, Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil, Les sûretés, La publicité foncière, Précis Dalloz, 4ème éd., n° 135, p. 116.

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