La lettre juridique n°300 du 10 avril 2008 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Le mari, la femme et l'amant... mais où est donc passé l'enfant ?

Réf. : Cass. civ. 1, 19 mars 2008, n° 07-11.573, Mme Hélène Debay, épouse Bel, FS-P+B (N° Lexbase : A4900D7M)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 mars 2008 semble sonner le glas de la faveur traditionnelle de la Cour de cassation pour le mari dans les affaires de "rapt juridique" de l'enfant de l'amant par les époux réconciliés. En l'espèce, en effet, l'enfant né quelques neuf mois après la liaison d'une femme mariée avec son amant avait bénéficié de la mise en oeuvre de la présomption de paternité du mari et d'une reconnaissance de l'amant intervenue quatre mois avant sa naissance. Sous l'empire du droit ancien, l'ordonnance du 4 juillet 2005 (ordonnance n° 2005-759, portant réforme de la filiation N° Lexbase : L8392G9P) étant inapplicable en l'espèce (1), la Cour de cassation admet la recevabilité et le bien fondé de l'action en contestation de filiation légitime intentée par l'auteur de la reconnaissance, considérant qu'aucune "possession d'état d'enfant légitime paisible, sans équivoque et continue" ne s'était constituée. Cette position assez inédite de la Cour de cassation s'inscrit dans un contexte procédural particulièrement contestable puisque l'enfant est singulièrement absent du débat judiciaire. I - L'absence regrettable de l'enfant

L'enfant représenté. Les époux B. critiquaient, à juste titre, l'absence de mise en cause de l'enfant par le demandeur dans la procédure relative à l'action en contestation de sa filiation légitime. La Cour de cassation approuve cependant la cour d'appel d'avoir considéré que les époux étaient les représentants de l'enfant "dont les intérêts ne sont pas en opposition avec ceux des époux", ces derniers ayant été attraits à la procédure "tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de l'enfant". Si le fait que les époux B. puissent en droit représenter leur fille, même en l'absence de précision en ce sens de l'assignation, n'était pas contestable, il n'en va pas de même de l'opportunité de cette représentation.

L'opposition d'intérêts. L'action en contestation de filiation est par nature susceptible de susciter une opposition d'intérêts entre l'enfant et son représentant. Celle-ci est, en effet, évidente à l'égard du parent dont la filiation est contestée, mais elle peut également exister à l'égard de l'autre parent dont l'implication personnelle est incontestable. Avant l'ordonnance du 4 juillet 2005, l'article 317 du Code civil (N° Lexbase : L2759ABS) prévoyait que l'action en désaveu était dirigée contre un administrateur ad hoc désigné à l'enfant par le juge des tutelles, sans que ce dernier n'ait aucun pouvoir d'appréciation, la loi posant dans cette hypothèse une présomption irréfragable d'opposition d'intérêts. Il est regrettable que cette disposition n'ait pas été maintenue et étendue à toutes les actions en contestation de la filiation, voire à toutes les actions relatives à la filiation qui portent en germe une opposition d'intérêts entre l'enfant et son représentant légal. En l'espèce, il est vraisemblable que le mari ne soit pas le père de l'enfant, ce qui expliquerait qu'il ait refusé de se prêter à une expertise génétique.

La représentation de l'enfant par un tiers. L'intervention d'un tiers, représentant indépendant des intérêts de l'enfant, en la personne de l'administrateur ad hoc de l'article 388-2 du Code civil (N° Lexbase : L2943ABM) parait pour le moins nécessaire. L'opposition d'intérêts n'exige pas qu'un conflit d'intérêts soit caractérisé mais seulement qu'existent des intérêts susceptibles de diverger. Il est vrai que cette opposition d'intérêts est moins marquée lorsque, comme en l'espèce, le représentant légal ne prend pas l'initiative de la contestation de la filiation puisqu'il ne s'agit pas pour lui de prendre de décision quant à l'opportunité de cette action. Il n'en reste pas moins que, même dans le cadre de la défense de l'enfant dans la procédure en contestation de la filiation légitime, la représentation de ses intérêts devrait être distincte de la représentation des intérêts de celui dont la paternité est contestée. De ce point de vue, l'arrêt du 19 mars 2008 tranche, de manière critiquable, avec certaines décisions antérieures qui confèrent une place essentielle à la représentation autonome de l'intérêt de l'enfant dans les procédures relatives à la contestation de sa filiation (2).

II - La recevabilité opportune de l'action en contestation de filiation légitime

La fin du privilège de la présomption de paternité. L'arrêt du 19 mars 2008 rompt avec une jurisprudence plutôt favorable au mari dans les hypothèses de conflit de filiations. La Cour de cassation avait, en effet, tendance, dans des situations similaires, à privilégier la présomption de paternité au prix parfois d'une application extensive de la possession d'état d'enfant légitime. Il avait, en effet, été jugé précédemment que la reconnaissance de l'amant est efficace, seulement s'il n'y a pas de possession d'état d'enfant légitime en vertu de l'ancien article 334-9 du Code civil (N° Lexbase : L2805ABI) (3), la constitution postérieure d'une possession d'état à l'égard du mari de la mère pouvant, selon certains auteurs, permettre à la présomption de paternité de retrouver son empire, en dépit d'une reconnaissance antérieure à la naissance (4). En l'espèce, les époux invoquaient une possession d'état prénatale. La Cour de cassation considère que la cour d'appel n'a pas rejeté la possibilité qu'existe une telle possession d'état. Les juges du fond ont estimé, au regard des circonstances de la cause et particulièrement du fait que l'amant avait revendiqué sa paternité durant la grossesse, que la possession d'état invoqué ne revêtait pas les qualités exigées par la loi. Le fait même que deux hommes se prétendent le père du même enfant contribue, en effet, à troubler la possession d'état de cet enfant à l'égard de l'un d'entre eux ! L'absence de possession d'état rendait l'action en contestation de filiation légitime recevable et le juge était, ensuite, contraint d'ordonner une expertise génétique. Le refus des époux de se soumettre à un examen comparé des sangs a naturellement conduit le tribunal à accueillir la contestation de la filiation et à déclarer valable la reconnaissance du demandeur.

Réforme de la filiation. La solution adoptée par la Cour de cassation constitue une anticipation de la réforme de la filiation issue de l'ordonnance du 4 juillet 2005, qui ne pouvait être appliquée en l'espèce. L'article 333 du Code civil (N° Lexbase : L8835G94) dispose, désormais, que la filiation fondée sur un titre corroboré par une possession d'état conforme inférieure à cinq ans peut être contestée, notamment par le parent prétendu, pendant cinq ans après la cessation de cette possession d'état. En l'espèce, l'application de cette disposition aurait abouti à la même décision, en faisant l'économie de la démonstration de l'absence de possession d'état.

Conflit de filiations. La décision du 19 mars 2008 soulève, cependant, la question délicate du conflit de filiations. En l'espèce, comme dans toutes les affaires similaires, on a considéré que la filiation légitime était établie en premier lieu et qu'il fallait la contester pour que la reconnaissance puisse être valable. Or, la reconnaissance était intervenue avant la naissance. Si on peut considérer que, avant comme après la réforme, la reconnaissance prénatale n'empêche pas le jeu de la présomption de paternité (5), il faut admettre que la reconnaissance prénatale n'établit la filiation qu'au jour de la naissance (6) et que dans le même temps, la présomption de paternité joue à la même date (7), ce qui devrait provoquer un conflit de filiations. Une telle espèce met en évidence les limites du principe chronologique posé par l'article 320 du Code civil (N° Lexbase : L8822G9M) tel qu'issu de l'ordonnance du 4 juillet 2005. La circulaire n° 2006-13 portant présentation de l'ordonnance (circulaire du 30 juin 2006 N° Lexbase : L8645H3L) propose une solution favorable à la présomption de paternité en considérant que, si le lien de filiation indiqué dans la déclaration de naissance contredit une filiation antérieurement établie, notamment par une reconnaissance prénatale, l'officier d'état civil doit en référer au parquet qui doit avertir son auteur de la nécessité de contester la filiation inscrite dans l'acte de naissance (8). Le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 4 juillet 2005 (9) propose une autre solution, sans doute plus opportune. Un nouvel article 336-1 du Code civil prévoirait ainsi que, "lorsqu'il détient une reconnaissance paternelle prénatale dont les énonciations relatives à son auteur sont contredites par les informations concernant le père que lui communique le déclarant, l'officier de l'état civil [...] établit l'acte de naissance au vue des informations communiquées par le déclarant. Il en avise sans délai le procureur de la République qui élève le conflit de paternité sur le fondement de l'article 336".


(1) L'assignation étant intervenue le 5 octobre 2001, c'est le droit antérieur à l'ordonnance du 4 juillet 2005 qui s'appliquait en l'espèce.
(2) TGI Lyon, 5 juillet 2007, D., 2007, p. 3052, obs. A. Gouttenoire ; Cass. civ. 1, 25 avril 2007, n° 06-13.872, M. Henri Gabert, F-P+B (N° Lexbase : A0331DW8), AJFamille, 2007, p. 273, obs. F. Chénédé, Dr. fam., 2007, comm. n° 170, obs. P. Murat.
(3) Cass. civ. 1, 14 février 2006, n° 03-19.533, M. Lionel Salley c/ M. Dominique Leverd, FS-P+B (N° Lexbase : A9793DMN), Petites affiches, 28 février 2006, p. 5, obs. E. Barret ; Cass. civ. 1, 4 mai 1994, n° 92-14.537, M. X c/ Epoux Y (N° Lexbase : A3883ACS), D., 1995, p. 601, note S. Mirabail.
(4) F. Terré et D. Fenouillet, Les personnes, La famille, Les incapacités, 7ème éd., Dalloz, 2005, p. 785, n° 840 ; cette possibilité a été exclue par l'ordonnance du 4 juillet 2005 : cf. infra.
(5) A. Dionisi-Peyrusse, La sécurisation de la filiation paternelle par l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, D., 2006, p. 612.
(6) Cass. civ. 1, 7 avril 2006, n° 05-11.285, M. Philippe X c/ M. Jean-Luc Z, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9588DNG), Dr. fam., 2006, n° 214, comm. P. Murat ; RJPF, 2006, n° 6, p. 23, obs. M.-C. Le Boursicot.
(7) A supposer que la naissance soit déclarée le jour même.
(8) F. Granet-Lambrechts, J.-Cl. civ., V° Filiation, 2006, fasc. 212.
(9) G. Vial, Réforme de la filiation : les surprises du projet de ratification de l'ordonnance du 4 juillet 2005, Dr. fam., 2008, Etude n° 5.

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