La lettre juridique n°125 du 17 juin 2004 : Recouvrement de l'impôt

[Le point sur...] L'obligation solidaire des époux : à charge et à décharge

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N1986AB8

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010


Le principe de solidarité entre époux édicté par les dispositions des articles 1685 et suivants du CGI autorise les services de recouvrement à poursuivre indifféremment auprès de l'un ou de l'autre époux le recouvrement de la totalité de leur dette fiscale (voir les instructions de la Comptabilité publique n° 83-103-A1, du 31 mai 1983 ; n ° 87-142-K1, du 25 novembre 1987; et n° 88-82-A3, du 15 juillet 1988). Toutefois, ces mêmes dispositions ouvrent à l'un et à l'autre des époux le même droit à demander à être déchargé de son obligation de s'en acquitter sans autre précision sur les conditions et modalités de leur demande.

Ainsi, chacun des époux, lorsqu'ils vivent sous le même toit, est solidairement responsable des impositions assises au nom de son conjoint au titre de la taxe d'habitation (CGI, art. 1685, al.1) et est tenu solidairement au paiement de l'impôt sur le revenu ainsi qu'au versement des acomptes prévus par l'article 1664 du même code, calculés sur les cotisations correspondantes mises à la charge des époux dans les rôles concernant la dernière année au titre de laquelle ils ont été soumis à une imposition commune (CGI, art. 1685, al. 2).

Il doit être précisé que pour l'application de l'alinéa 2 de l'article 1685 précité du CGI la solidarité n'est pas subordonnée à la condition que les époux vivent sous le même toit (CE, 21 décembre 1994, n° 132237, Ministre du Budget c/ Mme Ginette Hutin N° Lexbase : A4200ASD) et qu'elle ne peut jouer à l'égard des revenus dont l'un ou l'autre des époux a disposé en dehors d'une période d'imposition commune (CAA Paris, 18 janvier 2000, n° 98PA03683, Mme Mauger c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0347BIP).

Les dispositions précitées de l'article 1685 du CGI sont également applicables aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité qui font l'objet d'une imposition commune à l'impôt sur le revenu .

A titre indicatif il est rappelé que s'il est confirmé que les époux sont au nombre des personnes déclarées solidairement responsables du paiement des impositions par la doctrine administrative (Doc. adm. 13 S 4) pour les impôts directs, la question de la solidarité peut se poser par ailleurs le cas échéant, dans les situations qui suivent et qui seront évoquées pour mémoire dans cet exposé, sans que cette liste soit considérée comme exhaustive :

  • en matière successorale ,
  • en matière de délits fiscaux : complicité , et de condamnation pénale ,
  • en matière de sentences arbitrales et de décisions judiciaires ,
  • en matière de gestion de sociétés notamment des sociétés civiles (impôts locaux ou impôts sur les sociétés) dus par ces dernières en application de l'article 1857 du Code civil (N° Lexbase : L2054ABP), mais aussi de gestion de fonds de commerce (cession)...etc.,
  • en matière de dissimulation entachant les situations révélées par des actes ou conventions entre parties .

L'alinéa 2 de l'article 1685 du CGI prévoit que chacun des époux peut demander à être déchargé de son obligation. Cette possibilité offerte par le texte soulève plusieurs difficultés.

La première est de savoir à quel type de procédure se rattache l'action du conjoint qui demande à être déchargé de son obligation et à quels textes cette demande est-elle susceptible de se rattacher.

La seconde est d'en connaître les conditions et modalités.

En ce qui concerne la nature de la procédure suivie pour l'application des dispositions de l'article 1685 du CGI, celle-ci se rattache à la catégorie des recours gracieux visés aux articles L. 247 et suivants du LPF (N° Lexbase : L8223DNU) sur les remises d'impôts et les transactions d'amendes ou de majorations d'impôts que l'administration peut accorder aux contribuables qui en font la demande.

Ainsi, selon la jurisprudence, les prescriptions édictées en matière de remises et transactions à titre gracieux, par l'article L. 247, alinéa 2, du LPF s'appliqueraient par extension, au cas où l'un des deux époux demande à être déchargé de son obligation solidaire de payer l'impôt sur le revenu établi au nom des deux conjoints (CE, 5 février 1992, n° 74989, Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget c/ M. Vaudable N° Lexbase : A5109ARN).

L'administration, toujours selon les dispositions de l'article L. 247 du LPF, peut également décharger de leur responsabilité les personnes tenues au paiement d'impositions dues par un tiers.

Il peut être fait application de cette disposition au cas de la décharge en solidarité prévue par l'article 1685 du CGI (CAA Paris, 2ème ch., 5 janvier 2004, n° 99PA02254, Mme Mas-Fraigneaud c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5622DBT).

Par ailleurs, ce sont enfin les dispositions des articles R. 247-10 (N° Lexbase : L3067AEC) et R. 247-11 (N° Lexbase : L2816AEZ) du LPF, visant la compétence des autorités habilitées à recevoir les demandes de dispense de paiement d'impositions, recouvrées par les comptables du Trésor ou de la Direction générale des impôts, dues par d'autres personnes et mises à leur charge qui ont été reconnues par la jurisprudence applicable au cas où l'un des époux demande a être déchargé d'une imposition à l'impôt sur le revenu établi au nom de l'un ou l'autre des conjoints (CE, 7e et 9e s-s., 8 janvier 1988, n° 79220, Mme Nolin-Draillard c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6652AP3).

Les conditions de la recevabilité de l'action "en désolidarisation" (décharge de l'obligation solidaire)

L'appréciation par les comptables du Trésor des demandes en décharge gracieuse de responsabilité formulées par les ex-conjoints dépend principalement de deux critères.

En premier lieu, la situation financière ou pécuniaire du demandeur (revenu, patrimoine, dettes en propre... - Rapport dette fiscale du conjoint/Revenus-patrimoine de l'épouse) au jour de la demande est prise en compte pour évaluer son incapacité à faire face à sa dette de solidarité (CE, 7° et 8° s-s, 3 octobre 1990, n° 98430, Ministre du Budget c/ Mme Richard N° Lexbase : A4810AQ9 ; CE, 9° et 8° s-s, 10 mai 1993, n° 120238, Ministre du Budget c/ Mme Zeppelini Amon N° Lexbase : A9466AMK ; CE, 8° et 9° s-s, 26 mai 1993, n ° 119854, Mme Maryvonne Guenet c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9485AMA ; CE, 8° et 9° s-s, 23 juillet 1993, n° 135582, Mme Vansteenbrugge c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0388ANP ; CE, 8 ° et 9° s-s, 10 novembre 1993, n° 124444, Mme Françoise Kruse c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1176ANU ; CE, 8° et 9° s-s, 1er décembre 1993, n° 117505, Mme Sender-Trouette c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7778AMZ ; CE, 9° et 8° s-s, 12 octobre 1994, n° 135909, Mme Etrillard c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3153ASL ; CAA Marseille, 3e ch., 29 mars 1999, n° 97MA00755, Mme Jacqueline Brametz c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4583BMP ; CAA Douai, 2ème ch., 6 février 2001, n° 98DA00332, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Mme Mauricette Renard Gosset N° Lexbase : A0057BM3 ; CAA Paris, 2èmech., 5 janvier 2004, n° 99PA02254, Mme Mas-Fraigneaud c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie).

Toutefois, parmi les éléments du patrimoine répertoriés par l'administration, la résidence principale n'est pas nécessairement prise ne compte (TA Toulouse, 1ère ch., 13 avril 1999, n° 98-2946 ; CAA Douai, 2e ch., 6 février 2001, n° 98DA00332, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Mme Mauricette Renard Gosset).

En second lieu, le comportement fiscal du demandeur dans le passé est ensuite examiné sans pour autant que soient accueillis les moyens tirés de ce qu'il aurait été victime d'agissements frauduleux de l'ex-conjoint (CAA Paris, 7 novembre 1995, n° 94PA02149, Mme Derlon c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7632BH7) ou de ce que les impositions rappelées à la suite d'un contrôle seraient des revenus acquis et dissimulés par l'autre conjoint (CE, 21 octobre 1994, n° 132237, Ministre du Budget c/ Mme Ginette Hutin).

Toutefois, la doctrine administrative (instruction de la Comptabilité publique n° 83-103-A1, du 31 mai 1983 ; Rép. min. n° 65692, Bocquet, JOANQ du 15 juillet 1985, p. 3275) autorise l'administration "à accorder des décharges gracieuses de responsabilité toutes les fois ou il apparaît que le conjoint mis en cause a, en réalité, été victime d'un comportement irresponsable de l'autre et qu'il n'a en rien été complice de ses fraudes éventuelles".

Cette instruction plus libérale que la pratique administrative, sans être contraire au texte de l'article 1685 du CGI, ne peut être opposée aux services de l'administration sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L8568AE3) dès lors que s'agissant d'une question touchant au recouvrement de l'impôt celle-ci n'est pas visée par la garantie instituée par cet article au profit du contribuable (CE, 24 avril 1981, n ° 16130, Société à responsabilité limitée "Tranchant Frères" c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3477AKY).

En revanche, il serait possible d'invoquer ladite instruction sur le fondement de l'article 1er du décret du 28 novembre 1983 (n° 83-1025 N° Lexbase : L0278A3P) qui dispose que "tout intéressé est fondé à se prévaloir, à l'encontre de l'administration, des instructions, directives et circulaires publiées dans les conditions prévues par l'article 9 de la loi du 17 juillet 1978, lorsqu'elles ne sont pas contraires aux lois et règlements" (CAA Bordeaux, 3ème ch., 23 mars 1999, n° 97BX00804, Mme de Lauriere c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6016BEK).

Il convient d'observer que la même cour d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 3e ch., 12 juin 2001, n° 99BX00107, Mme Roge c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2118BE8) a considéré que le conjoint ne pouvait invoquer à l'appui de l'article 10 du même décret, la doctrine "prescrivant la bienveillance au bénéfice de l'époux solidairement tenu au paiement de l'impôt s'il ne s'est pas enrichi du fait des fraudes commises par son conjoint ou n'y a pas participé plus ou moins sciemment".

Si les dispositions de l'article 1685 du CGI ainsi que les dispositions relatives aux recours gracieux ne disent rien sur les voies de recours dont disposent le conjoint à l'encontre des décisions de rejet prises par l'administration sur leur demande en décharge de solidarité, le conjoint demandeur dispose néanmoins, et en toute hypothèse, de la voie du recours hiérarchique en application des principes de droit administratif.

En effet, les tiers mis en cause peuvent se pourvoir à tout moment, à l'appui de ces principes, devant le Ministre contre la décision des comptables du Trésor ou de la Direction générale des impôts.

L'attention est attirée sur le fait que toujours en application de ces principes la demande en remise gracieuse, visée à l'article L. 247 et suivants du LPF, peut être intentée après un rejet du recours contentieux en décharge de l'obligation de payer.

Enfin, en toute hypothèse, le conjoint, s'il souhaite poursuivre la procédure, dispose, suite au rejet de ses recours, de la faculté de porter le litige devant le juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir (recours sanctionnant l'incompétence de l'autorité ayant pris la décision, l'erreur de droit, l'erreur manifeste d'appréciation des faits...). dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision administrative de rejet de ses actions (CAA Paris, 2e ch., 1er février 2001, n° 97PA01896, SA Padel et Cie c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1434AZ7).

Les conséquences au niveau du conjoint de l'action "en désolidarisation" (décharge de l'obligation solidaire).

En premier lieu, l'admission par l'administration (le trésorier payeur général) d'une demande en décharge de l'épouse ne fait aucun grief à son conjoint, qui demeure redevable des impositions en cause et se trouve par conséquent obligé au paiement (CAA Paris, 25 avril 1995, n° 93PA01121, M. Genin c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1811BIW).

Le même arrêt précise par ailleurs que ce même conjoint n'a pas d'intérêt à former un recours pour excès de pouvoir contre la décision prise par l'administration.

De même, un ex-conjoint n'est pas recevable à former tierce opposition au jugement par lequel un tribunal a annulé la décision de l'administration refusant d'accorder à son ex-épouse la décharge de sa propre obligation solidaire (CAA Bordeaux, Plén., 15 janvier 1996, n° 93BX01184, M. Labro c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2991BEI)

Egalement, le reversement effectué à titre gracieux par l'administration au profit de l'épouse ayant engagé une demande en décharge d'une dette d'impôt qui avait été payée ne peut avoir pour effet de rendre l'ex-époux à nouveau débiteur de cette somme (TA Paris, 18 février 1997, n° 93-11601).

Les acomptes versés, à l'occasion de la liquidation d'une indivision conjugale, sont réputés avoir été versés au nom de chacun d'eux et la restitution à l'un seulement d'entre eux ne permet pas à l'autre d'en revendiquer également le remboursement (TA Paris, 18 février 1997, n° 93-11602).

Enfin, le conjoint ne peut motiver sa demande gracieuse en décharge de solidarité au motif tiré de ce que son conjoint et lui-même auraient dû faire l'objet d'une imposition distincte conformément aux prescriptions de l'article 6-4 du CGI (CE, 5 février 1992, n° 74989, Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget c/ M. Vaudable).

En conclusion, si les conjoints en raison de leur solidarité au paiement de l'impôt peuvent demander, à l'appui des textes précités, la décharge de leur obligation, les dispositions dont ils disposent à cet effet sont appréciées strictement et discrétionnairement par l'administration sous le contrôle du juge qui dispose d'une marge de manoeuvre étroite en la matière, réduisant ainsi la portée effective de la faculté offerte aux conjoints.

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