La lettre juridique n°125 du 17 juin 2004 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La reconnaissance d'une unité économique et sociale n'est pas nécessairement liée à la mise en place des institutions représentatives du personnel

Réf. : Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-60.135, Société Maisonneuve c/ Syndicat CFDT de la métallurgie du Centre et Sud Manche, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5244DC9)

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le 07 Octobre 2010

Décision

Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-60.135, Société Maisonneuve c/ Syndicat CFDT de la métallurgie du Centre et Sud Manche, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5244DC9)

Cassation partielle sans renvoi de TI de Coutances, 24 janvier 2003

Textes visés : articles R. 433-4 (N° Lexbase : L0354ADH) ; R. 423-3 (N° Lexbase : L0331ADM) et L. 412-15 (N° Lexbase : L6335ACM) du Code du travail.

Unité économique et sociale, reconnaissance judiciaire, mise en place des institutions représentatives du personnel.

Liens base : ; ;

Faits

1. Consécutivement au jugement ayant constaté l'existence d'une unité économique et sociale entre trois sociétés, ces dernières se sont pourvues en cassation afin de contester cette décision.

2. Au soutien de leur pourvoi, les sociétés en cause arguaient principalement que la reconnaissance d'une unité économique et sociale entre différentes sociétés suppose la mise en place d'une institution représentative du personnel. Par suite, en retenant l'existence abstraite d'une unité économique et sociale, en l'absence de toute demande d'élection ou de désignation se rapportant à une institution représentative du personnel, le tribunal a violé la loi.

Solution

1. "Si la reconnaissance de l'existence de l'unité économique et sociale peut être liée à l'action tendant à la mise en place de la représentation institutionnelle dans l'entreprise, les parties intéressées peuvent également agir directement en reconnaissance de l'unité économique et sociale avant la mise en place des institutions représentatives".

2. Cassation partielle sans renvoi de TI Coutances 24 janvier 2003.

Commentaire

On peut aujourd'hui se demander si la Cour de cassation ne s'est pas attachée à échafauder un véritable statut juridique de l'unité économique et sociale (UES), consacrant par là-même, dans le silence de la loi, une certaine émancipation de la notion, qu'un auteur particulièrement autorisé a appelé de ses voeux (Cf. B. Boubli, L'unité économique et sociale à l'époque des voeux. Etat des lieux et souhaits de réforme : Sem. soc. Lamy n° 1156 et 1157 des 16 et 23 février 2004). C'est, en effet, en l'espace d'une semaine, la seconde décision d'importance que la Chambre sociale rend en la matière, toutes deux affublées du fameux label "PBRI" (1). L'arrêt présentement commenté, rendu le 2 juin 2004, permet à la Cour de cassation d'affirmer que la reconnaissance d'une UES n'est pas liée à une action tendant à la mise en place des institutions représentatives du personnel. Solution de principe dont il convient de mesurer les conséquences.

1. La faculté d'agir directement en reconnaissance de l'unité économique et sociale

Il n'est guère besoin de rappeler que le concept d'UES trouve son origine dans une construction jurisprudentielle audacieuse de la Cour de cassation, permettant de reconstituer l'entreprise au-delà des divisions sociétaires ou, plus exactement, de la multiplicité des personnes juridiquement distinctes. Les critères de l'UES sont désormais bien connus, celle-ci étant caractérisée par une direction commune, des activités similaires ou complémentaires et une communauté de travailleurs liés par des intérêts identiques (V., sur ces critères, les articles préc. de B. Boubli). On peut, à ce titre, relever la réponse apportée par la Cour de cassation, dans l'arrêt commenté, au second moyen du pourvoi, qui contestait la reconnaissance de l'UES par les juges du fond. Selon la Chambre sociale, "le tribunal, qui a constaté que les trois sociétés avaient le même dirigeant et que leurs activités étaient complémentaires, la société Maisonneuve gestion regroupant des services d'intérêt commun aux deux autres qui exerçaient notamment une même activité de chaudronnerie, et qui a fait ressortir que les personnels de ces trois entités, régis par la même convention collective et bénéficiaires de mêmes avantages sociaux, constituaient une communauté de travailleurs, a caractérisé l'existence d'une unité économique et sociale entre ces trois sociétés".

Tel n'est cependant pas l'intérêt premier de l'arrêt commenté, celui-ci résidant dans la réponse apportée par la Chambre sociale au moyen de la partie demanderesse qui soutenait qu'il ne peut y avoir de reconnaissance "abstraite" de l'UES, celle-ci devant être nécessairement liée à une action tendant à la mise en place de la représentation du personnel dans l'entreprise.

La réponse de la Cour de cassation est claire : les parties intéressées peuvent agir directement en reconnaissance de l'UES, avant la mise en place des institutions représentatives. Cette solution est logique et doit être approuvée. Il est vrai que l'UES, forgée à l'origine pour les institutions représentatives du personnel, n'a longtemps été utilisée que dans ce seul domaine. De même, il faut reconnaître que l'action en justice tendant à la reconnaissance de l'UES est, dans la majorité des cas, liée à l'action tendant à la mise en place de la représentation institutionnelle dans l'entreprise. Cela étant, il convient tout d'abord de souligner que le législateur n'a pas hésité, ces dernières années, à recourir à la notion d'UES à d'autres fins que la seule mise en place des représentants du personnel (2). En outre, la Cour de cassation paraît bien avoir consacré la négociation collective au sein de l'UES, dans un important arrêt du 2 décembre 2003 (3).

Par ailleurs, et surtout, il faut avoir à l'esprit que la reconnaissance de l'UES n'est rien d'autre que le constat d'une réalité : les personnes juridiquement distinctes constituent réellement ensemble une entreprise unique (V. en ce sens, G. Couturier, L'unité économique et sociale : trente ans après : Sem. soc. Lamy, suppl. au n° 1140, sous la direc. de Ph. Waquet, p. 56, spéc., p. 58). La Cour de cassation tire toutes les conséquences de cette règle de principe, en affirmant notamment que le jugement reconnaissant l'existence d'une UES a un caractère déclaratif à la date de la requête introductive d'instance (Cass. soc., 21 janvier 1997, n° 95-60.992, Syndicat CGT Michelin et autres c/ Manufacture française des pneumatiques Michelin et Cie et autres, publié N° Lexbase : A2155ACS).

En résumé, parce que l'UES correspond à la réalité d'une entreprise unique, elle peut être reconnue de manière "abstraite", indépendamment de toute action liée à l'application de telle ou telle règle, et notamment de la mise en place des institutions représentatives du personnel.

2. Les conséquences de la reconnaissance "abstraite" d'une UES

Si la reconnaissance d'une UES n'est pas nécessairement liée à l'action tendant à la mise en place des institutions représentatives du personnel, il reste évident que cette reconnaissance va impliquer postérieurement la mise en place de celles-ci à ce niveau. C'est d'ailleurs ce que tend à signifier la Cour de cassation dans le présent arrêt en affirmant que les parties intéressées peuvent directement agir en reconnaissance de l'UES "avant la mise en place des institutions représentatives" (souligné par nous). Dans ce cas, et en application de l'arrêt précité du 26 mai 2004, les mandats en cours doivent cesser au jour des élections au sein de l'UES, quelle que soit l'échéance de leur terme et sauf accord unanime des partenaires sociaux.

De façon plus générale, il devrait se déduire de la solution retenue dans l'arrêt commenté que la reconnaissance "abstraite" de l'UES ne présente pas un caractère relatif, mais doit valoir pour toutes les règles juridiques trouvant à s'appliquer dans un tel périmètre. Dans la mesure où cette reconnaissance n'est pas liée à une règle particulière, il y a tout lieu de considérer qu'elle doit valoir à tous égards (4). Conception que l'on trouve d'ailleurs en germe dans la jurisprudence de la Cour de cassation au terme de laquelle, s'agissant de la mise en place des représentants du personnel, le juge peut se référer à un précédent jugement relatif à l'existence d'une UES dès lors qu'aucune modification n'est intervenue dans les rapports entre les sociétés qui la composent (Cass. soc., 1er décembre 1998, n° 97-60.492, Société générale Asset Management et autre c/ M. Dusseaux et autres N° Lexbase : A4796AGQ).

Cela étant, et ainsi qu'il l'a été pertinemment relevé, la véritable émancipation de l'UES exige que le jugement qui en reconnaît l'existence soit constitutif de droit et revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée (B. Boubli, op. cit., p. 8).

Il faut, pour terminer, se poser une dernière question, qui découle également de la solution retenue dans cet arrêt du 2 juin 2004, dont on mesure ainsi toute la richesse et la portée. En effet, dès lors que la demande en reconnaissance d'une UES peut être déconnectée de tout contentieux électoral, il convient de se demander si le tribunal d'instance est toujours, dans semblable hypothèse, la juridiction compétente. Si tant est que l'on retienne une telle compétence, ce qui reste évidemment à démontrer, il conviendrait à tout le moins d'admettre que le jugement rendu soit susceptible d'appel (en ce sens, B. Boubli, op. cit., p. 7). Cela étant, et nous laisserons le dernier mot à cet auteur, "si l'UES est une entreprise, il faut, une fois pour toutes, que la loi désigne le juge compétent pour en reconnaître l'existence et, sous la réserve du débat sur la portée du jugement rendu, qu'il ouvre aux parties la voie de l'appel".

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Nous faisons référence à l'arrêt rendu le 26 mai 2004 (Cass. soc., 26 mai 2004, n° 02-60.935, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2482DCW), commenté dans ces mêmes colonnes (Reconnaissance judiciaire d'une UES : mise en place des institutions représentatives du personnel appropriées et cessation des mandats en cours, Lexbase Hebdo n° 123 du jeudi 3 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1765ABY), dans lequel la Cour de cassation a affirmé que la reconnaissance d'une UES impose la mise en place des institutions représentatives du personnel qui lui sont appropriées et les mandats en cours cessent au jour des élections organisées au sein de celle-ci.

(2) On pense ici aux articles L. 442-1 (N° Lexbase : L6498ACN) et L. 442-4 (N° Lexbase : L6503ACT) du Code du travail qui prévoient l'application dans le cadre d'entreprises constituant une UES et occupant au moins cinquante salariés du régime de participation obligatoire aux résultats. De même, l'article L. 321-4-1 (N° Lexbase : L6113ACE) prévoit, dans son dernier alinéa, que la validité du plan de sauvegarde de l'emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose l'entreprise ou, le cas échéant, l'UES.

(3) Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-47.010, M. El Hassan Lamouri c/ Société des restaurants du Palais des Congrés, FS-P+B+I N° Lexbase : A3403DAB et nos obs. : Consécration jurisprudentielle de la négociation collective au sein d'une unité économique et sociale ?, Lexbase Hebdo n° 101 du mercredi 1er janvier 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9943AAI).

(4) Dès lors, évidemment, que la composition de l'UES n'a pas changé depuis le jugement de reconnaissance.

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