La lettre juridique n°636 du 10 décembre 2015 : Associations

[Jurisprudence] L'intérêt pour agir d'une association "nationale" contre une décision "locale"

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 4 novembre 2015, n° 375178, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7348NUP)

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par Pierre Bourdon, Maître de conférences, Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon-Sorbonne

le 10 Décembre 2015

La décision n° 375178 rendue par le Conseil d'Etat le 4 novembre 2015 concerne l'intérêt pour agir d'une association dont le champ d'intervention s'étend sur l'ensemble du territoire national, en l'espèce la Ligue des droits de l'Homme. La décision du Conseil d'Etat apporte des précisions utiles sur la recevabilité du recours dirigé par une telle association contre une décision prise localement par une autorité administrative, en l'occurrence un arrêté de police "anti-glanage" pris par un maire. Un tel recours n'est pas recevable, à moins que la décision contestée soulève "des questions qui [...] excèdent les seules circonstances locales". L'Etat d'urgence, déclaré par décret au soir des attentats de Paris et Saint-Denis du 13 novembre 2015 (décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 N° Lexbase : L2935KQR), a été prolongé pour trois mois par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015, prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions (N° Lexbase : L2849KRX). Le régime de l'Etat d'urgence permet aux autorités de police administrative locales, et notamment au préfet, d'ordonner, par exemple, des perquisitions sans que l'intervention du juge judiciaire ne soit nécessaire. Des associations pourraient être amenées à critiquer certaines mesures prises dans le cadre de l'Etat d'urgence. La décision rapportée précise les conditions de l'intérêt pour agir des associations contre des décisions administratives prises par des autorités locales, telles que des mesures de police administrative.

En effet, le 29 juillet 2011, le maire d'une commune du département du Nord située dans la métropole de Lille a pris deux mesures de police administrative applicables sur l'ensemble du territoire de sa commune. Par un premier arrêté, le maire a interdit la fouille (également appelée "glanage") des poubelles, conteneurs et autres lieux de regroupement des déchets. Par un second arrêté, la mendicité a été interdite. Il ressort de la décision du 4 novembre 2015 ici commentée que "ces mesures de police administrative ont été prises dans un contexte marqué par l'installation dans la commune d'un nombre significatif de personnes d'origine 'rom'".

La Ligue française pour la défense des droits de l'Homme et du citoyen (ci-après "La Ligue des droits de l'Homme") a estimé que l'arrêté "anti-glanage" (on le désignera ainsi par pure commodité) est illégal. A la lecture de la décision commentée, il semble que la Ligue des droits de l'Homme n'ait pas attaqué l'arrêté "anti-mendicité". Il n'est pourtant pas évident que ce dernier soit parfaitement légal. En effet, l'arrêté couvre l'ensemble du territoire de la commune. Or, l'on sait que de telles mesures doivent en principe être limitées dans le temps et dans l'espace (1). En réalité, l'arrêté "anti-mendicité" a bel et bien été attaqué par la Ligue des droits de l'Homme et annulé par le tribunal administratif de Lille. La commune n'a pas interjeté appel contre le jugement du tribunal (2).

L'affaire est donc venue au contentieux et jusqu'au Conseil d'Etat au sujet du seul arrêté "anti-glanage".

Le 30 août 2011, la Ligue des droits de l'Homme a demandé au tribunal administratif de Lille la suspension et l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté "anti-glanage" pris par le maire. Les requêtes à fins de suspension et d'annulation ont été rejetées par une ordonnance puis un jugement du tribunal administratif rendus respectivement les 6 septembre 2011 et 12 avril 2012. La Ligue a interjeté appel contre le jugement de 2012 devant la cour administrative d'appel de Douai qui a réservé le même sort à la requête par un arrêt du 27 novembre 2013 rendu en formation plénière (3). Au début de l'année 2014, la Ligue des droits de l'Homme s'est finalement pourvue en cassation devant le Conseil d'Etat.

Pour statuer sur la requête de la Ligue des droits de l'Homme, le Conseil d'Etat a dû répondre à plusieurs questions de droit. Ces questions ne portaient pas sur la légalité de l'interdiction des fouilles des poubelles. En effet, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la requête de la Ligue au motif que cette dernière ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre l'arrêté "anti-glanage".

L'intérêt pour agir est une condition de recevabilité du recours pour excès de pouvoir. Il permet de filtrer les requêtes présentées par les justiciables. Il évite que n'importe quel justiciable remette en cause n'importe quelle décision administrative, "n'importe qui à se pourvoir contre n'importe quoi", pour reprendre une formule du commissaire du Gouvernement Chenot (4). Une jurisprudence relativement fournie vient ainsi limiter l'intérêt pour agir des propriétaires, des voisins, des élus, des électeurs, des contribuables, des agents publics, et celui des associations.

C'est donc à deux questions de recevabilité que le Conseil d'Etat a dû répondre pour statuer sur la requête de la Ligue des droits de l'Homme :

- une association ayant un ressort national justifie-t-elle d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation d'une décision administrative locale ?

- même en cas de réponse négative à la question précédente, une décision administrative locale qui soulève des questions excédant les seules circonstances locales peut-elle être attaquée par une association ayant un ressort national ?

Comme la cour administrative d'appel de Douai avant lui, le Conseil d'Etat a répondu négativement à la première question et appliqué cette solution au cas d'espèce. Ce faisant, le Conseil a confirmé une jurisprudence désormais bien établie et sur laquelle nous reviendrons. En revanche, et contrairement au juge d'appel, le juge de cassation a répondu positivement à la seconde question. En conséquence, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai a été annulé.

L'affaire n'a pas été réglée au fond par le Conseil d'Etat, alors que la Ligue des droits de l'Homme l'avait demandé au Conseil dans son pourvoi. Le Conseil a préféré renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Douai. L'on pourrait regretter ce renvoi car la question de légalité de l'arrêté "anti-glanage" méritait une réponse rapide. En outre, l'association requérante a un ressort national et les questions posées par la décision attaquée excèdent les circonstances locales. Mais peut-être aussi que les membres du Conseil d'Etat ont voulu prendre du recul sur la solution à apporter au litige.

Et pourtant, la décision "Ligue des droits de l'Homme", rendue par les 4ème et 5ème sous-sections réunies du Conseil d'Etat, sera publiée au Recueil Lebon, ce qui témoigne de son importance. Il faut d'ailleurs constater que l'intérêt de cette décision ne réside pas dans son seul apport du point de vue de la recevabilité des recours des associations. Cet intérêt dépasse le champ associatif et couvre l'ensemble des groupements, tels que les syndicats.

Dans sa décision, le Conseil d'Etat confirme le principe de l'irrecevabilité du recours d'une association "nationale" dirigé contre une décision "locale" (I). Cependant, le Conseil consacre une exception à ce principe lorsque la décision attaquée pose "des questions qui [...] excèdent les seules circonstances locales" (II).

I - Un principe confirmé : l'irrecevabilité du recours d'une association "nationale" dirigé contre une décision "locale"

La décision du Conseil d'Etat du 4 novembre 2015 concernait le recours d'une association "nationale", à savoir la Ligue des droits de l'Homme, contre une décision "locale", en l'occurrence l'arrêté de police "anti-glanage" pris par un maire. Le Conseil d'Etat ne remet pas en cause l'intérêt pour agir de l'association du point de vue de son objet social (A). En revanche, le Conseil rappelle qu'une telle association n'a pas, en principe et a priori, d'intérêt lui donnant qualité pour agir du point de vue de son champ d'action (B).

A - L'intérêt pour agir d'une association "nationale" du point de vue de son objet social

L'histoire de l'intérêt pour agir des associations est, en grande partie, commune à celle d'autres groupements, tels que les syndicats. Cette histoire remonte au moins au début du XXème siècle et, plus précisément, à une décision "Syndicat des patrons-coiffeurs de Limoges" rendue par le Conseil d'Etat en 1906 (5). Depuis lors, il est constant que l'intérêt pour agir d'un groupement contre une décision est fonction des intérêts défendus par le groupement. Ces intérêts sont fixés dans les statuts de ce dernier. La recevabilité du recours d'un groupement dépend de l'adéquation entre les intérêts défendus par le groupement et les intérêts lésés par la décision attaquée.

En principe, une association ou un syndicat a pour objet de défendre des intérêts collectifs. En conséquence, un groupement est généralement recevable à attaquer des actes ayant une portée suffisamment générale, au premier rang desquels figurent les actes réglementaires. Ainsi, la Ligue nationale contre l'alcoolisme a un intérêt pour agir contre une décision ministérielle favorisant les bouilleurs de cru (6). En revanche, un groupement n'est pas recevable à attaquer des actes ayant une portée plus restreinte, au premier rang desquels figurent la plupart des actes individuels. Dans la décision "Syndicat des patrons-coiffeurs de Limoges" de 1906, le syndicat éponyme n'a pas été admis à exercer un recours "au nom d'intérêts particuliers" de certains coiffeurs.

En l'espèce, le Conseil d'Etat a constaté l'adéquation entre les intérêts défendus par la Ligue des droits de l'Homme et les intérêts lésés par l'arrêté de police "anti-glanage" du maire. Ainsi, comme le rappelle la décision ici commentée, "l'objet social de la Ligue [...] était notamment de combattre 'l'injustice, l'illégalité, l'arbitraire, l'intolérance, toute forme de racisme et de discrimination [...] et plus généralement toute atteinte au principe fondamental d'égalité entre les êtres humains'". Or, l'arrêté attaqué "était de nature à affecter de façon spécifique des personnes d'origine étrangère présentes sur le territoire de la commune".

Si l'intérêt pour agir de la Ligue des droits de l'Homme a été admis du point de vue de son objet social, tel ne semblait pas devoir être le cas, en principe et a priori, du point de vue de son champ d'action.

B - L'absence d'intérêt pour agir d'une association "nationale" du point de vue de son champ d'action

La Ligue des droits de l'Homme est une association "nationale" au sens où son champ d'action s'étend sur l'ensemble du territoire national.

Une question préalable se pose toutefois. Comment procède-t-on à la détermination du champ d'action d'une association ? Classiquement, le champ d'intervention d'une association est fixé expressément par les statuts de cette association. Les choses se compliquent en cas de silence des statuts. Selon une jurisprudence ancienne, seul l'objet social de l'association devait être pris en compte dans le silence des statuts. Si l'objet social était plutôt général, le champ d'action de l'association était national. Et la circonstance que d'autres clauses des statuts envisageaient un champ d'action plus resserré, plus local, était sans incidence (7). Cependant, un revirement, amorcé dès 2012 (8), est intervenu très clairement et officiellement dans une décision rendue en 2014 par le Conseil d'Etat (9). Depuis cette décision fichée sur ce point au Recueil Lebon, dans le silence des statuts, l'objet social est pris en compte, ainsi que les autres dispositions des statuts "éclairées, le cas échéant, par d'autres pièces du dossier [soumis au juge]". Il peut s'agir, précise également la décision de 2014, du titre de l'association et des conditions d'adhésion de ses membres. Dans le cas d'espèce jugé le 4 novembre 2015, le champ d'action nationale de la Ligue des droits de l'Homme n'était pas en débat. Il faut dire que ce champ d'action était presque indiscutable. Tant l'objet social de la Ligue que son titre ont un caractère général, pour ne pas dire universel.

Dans sa décision du 4 novembre 2015, le Conseil d'Etat confirme, en revanche, sa jurisprudence classique selon laquelle une association "nationale" n'est pas recevable à critiquer une décision "locale", faute d'intérêt pour agir du point de vue du champ d'action de l'association. En effet, les champs géographiques des intérêts doivent coïncider. Un syndicat de cadres d'une commune (un syndical "local") ne peut pas attaquer la délibération du jury proclamant les résultats du concours national d'attaché territorial (une décision "nationale") (10). A l'inverse, une association "nationale" ne peut pas critiquer une décision "locale" (11). Même une association "régionale" n'a pas d'intérêt pour agir contre un permis de construire octroyé par une commune (12).

C'est cette jurisprudence que la cour administrative d'appel avait appliqué très strictement dans son arrêt de 2013 et que le Conseil d'Etat n'a pas remise en cause sur ce point. Bien au contraire. Pourtant, la jurisprudence du Conseil d'Etat témoigne souvent d'une certaine souplesse dans l'appréciation de l'intérêt pour agir des groupements. Dès les années 1960 et 1970, le Conseil d'Etat a admis que des groupements de syndicats critiquent des statuts particuliers de fonctionnaires (13). Récemment, une union de syndicats a été recevable à attaquer une décision refusant de créer un comité technique paritaire (CTP) à l'Institut de France. Cette union comprenait pourtant un syndicat propre à cet établissement public, lequel était peut être mieux placé pour agir (14). Très récemment encore, en juillet 2015, une union de syndicats de salariés a été considérée comme ayant qualité pour agir contre une décision de validation ou d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi au sein d'une entreprise (15).

On remarquera que ces décisions faisant preuve de souplesse ont toutes été rendues par l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat. La décision ici commentée a quant à elle été rendue par des sous-sections réunies. Ces dernières ne se sont peut-être pas senties autorisées à apprécier souplement l'intérêt pour agir de la Ligue des droits de l'Homme. Une approche souple aurait pourtant été justifiée. Contrairement aux groupements de syndicats, la Ligue des droits de l'Homme n'a pas de relais locaux ayant une personnalité juridique propre. En même temps, on doit savoir gré au Conseil d'Etat d'avoir choisi une autre voie que cette tendance certes souple, mais qui, en conséquence, laisse peu de place à la prévision. Les 4ème et 5ème sous-sections réunies ont énoncé fermement le "principe" de l'absence d'intérêt donnant qualité à une association "nationale" pour demander l'annulation d'une décision administrative locale.

Toutefois, les sous-sections réunies ont immédiatement tempéré ce principe par une exception. Celle-ci a permis en l'espèce à la Ligue des droits de l'Homme d'être reconnue comme recevable à critiquer une décision "locale" qui présentait des caractéristiques particulières, comme on va le constater.

II - Une exception consacrée : la recevabilité dans certaines circonstances du recours d'une association "nationale" dirigé contre une décision "locale"

Le Conseil d'Etat a prévu, dans sa décision du 4 novembre 2015, une exception au principe de l'irrecevabilité du recours d'une association "nationale" contre une décision "locale". Une telle association a un intérêt pour agir contre une décision soulevant des questions qui excèdent les seules circonstances locales (A). Tel est le cas, en l'espèce, de la Ligue des droits de l'Homme pour son recours dirigé contre l'arrêté de police "anti-glanage" pris par un maire (B).

A - L'intérêt pour agir d'une association "nationale" contre une décision "locale" soulevant des questions excédant les seules circonstances locales

La décision du 4 novembre 2015 admet l'intérêt pour agir d'une association "nationale" contre une décision "locale" dans des circonstances spécifiques : "lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, [...] des questions qui [...] excèdent les seules circonstances locales". Une telle exception avait déjà été admise à plusieurs reprises par le Conseil d'Etat, mais à propos d'associations ayant un ressort régional et dans les seuls domaines de l'urbanisme et de l'environnement. En outre, le Conseil d'Etat n'avait encore jamais énoncé une telle exception sous la forme d'un considérant de principe.

Il n'en demeure pas moins que dans une décision rendue en 1996, une association régionale a pu critiquer une décision administrative locale ayant des implications importantes. Il s'agissait en l'occurrence de la délibération par laquelle la communauté urbaine de Bordeaux avait arrêté le principe de la création d'un métro (16). Ce précédent n'est pas resté isolé (17).

Le législateur a lui-même prévu des exceptions au principe de l'adéquation géographique des intérêts. La loi n° 95-101 du 2 février 1995, relative au renforcement de la protection de l'environnement (N° Lexbase : L8686AGS), codifiée à l'article L. 142-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L7664IMS), prévoit que les associations agréées pour la protection de l'environnement n'ont pas à établir leur intérêt pour agir d'un point de vue géographique. Le Conseil d'Etat a eu l'occasion de faire application de ces dispositions, notamment à propos de permis de construire (18).

Toutefois, ce n'est pas dans les domaines de l'urbanisme et de l'environnement que l'exception consacrée par la décision ici commentée devrait nécessairement jouer le plus. L'on sait d'ailleurs que la tendance dans le domaine de l'urbanisme est plutôt favorable à la restriction de l'intérêt pour agir (19). La décision du 4 novembre 2015 met en avant un domaine dans lequel les décisions locales sont susceptibles d'avoir des implications importantes : "notamment [...] le domaine des libertés publiques".

D'ailleurs, en l'espèce, le recours de la Ligue des droits de l'Homme était dirigé contre un arrêté de police municipale qui tend, par essence, à limiter les libertés publiques. C'est ce qui conduit, enfin, à l'étude de ce cas d'espèce.

B - L'intérêt pour agir en l'espèce de la Ligue des droits de l'Homme contre un arrêté de police municipale "anti-glanage"

La référence aux "libertés publiques" dans la décision du 4 novembre 2015 n'est pas sans rappeler une jurisprudence récente qui tend à admettre la recevabilité d'un recours dès l'instant où les droits et libertés fondamentaux sont en jeu. A titre d'illustration, les détenus et les agents publics n'étaient classiquement pas recevables à exercer un recours contre les mesures d'ordre intérieur les affectant. En conséquence, un changement d'établissement pénitentiaire pour les uns, ou un changement d'affectation pour les autres, ne pouvaient pas en principe être critiqués. Cependant, dans ses décisions "Boussouar" et "Planchenault" de 2007, le Conseil d'Etat a admis qu'un détenu critique une mesure d'ordre intérieur à partir du moment où sont "en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus" (20). Très récemment, le 22 septembre 2015, une décision de Section a, quant à elle, admis le recours d'un agent public qui contestait une mesure "discriminatoire" (21). La décision du 4 novembre 2015 s'inscrit clairement dans cette lignée jurisprudentielle qui favorise l'accès au juge dès l'instant où une liberté est affectée.

En l'espèce, l'arrêté de police municipale "anti-glanage" du 29 juillet 2011 affecte une liberté publique puisqu'il interdit sur le territoire de cette commune la fouille des poubelles, conteneurs et autres lieux de regroupement des déchets. En outre, cet arrêté soulevait des questions excédant les seules circonstances locales. En effet, comme l'indique la décision commentée, l'arrêté "répondait à une situation susceptible d'être rencontrée dans d'autres communes". Tel avait déjà été le cas, dans les années 1990, des arrêtés "anti-mendicité" pris par plusieurs maires de différentes communes (22).

L'on ne peut qu'être satisfait de la décision du 4 novembre 2015 en tant qu'elle ouvre un peu plus le droit au recours, en cherchant tout particulièrement à protéger les droits et libertés fondamentaux. La décision est également favorable au bon fonctionnement de l'administration. Elle va permettre au juge administratif d'éclairer cette dernière, demain sur la légalité des arrêtés "anti-glanage", après-demain sur d'autres mesures locales ayant des implications importantes, notamment du point de vue des libertés publiques.

L'on ne peut toutefois pas passer sous silence la difficulté à percevoir quelles seront les limites de l'intérêt pour agir d'une association nationale (ou régionale ?) contre certaines décisions "locales". Seules les décisions réglementaires devraient être concernées par la nouvelle jurisprudence. Mais la décision du 4 novembre 2015 ne le dit pas expressément. Il ne faut donc pas exclure son application à des décisions individuelles. Deux autres questions de droit sont également en suspens. Par exemple, quels sont les domaines autres que les libertés publiques, et quelles sont les décisions autres que les mesures de police, qui permettront à une association "nationale" d'exercer un recours contre une décision "locale" ?

Finalement, outre son apport propre, la décision ici commentée montre que les questions de recevabilité, notamment dans le recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, sont loin d'être toutes résolues.


(1) TA Poitiers, 19 octobre 1995, n° 951644 ; TA Pau, 22 novembre 1995, n° 951064 ; CE, 9 juillet 2003, n° 229618 (N° Lexbase : A1932C9G), Tables, p. 961.
(2) TA Lille, 12 avril 2012, n° 1104992.
(3) CAA Douai, 27 novembre 2013, n° 12DA00884 (N° Lexbase : A0390NWD).
(4) B. Chenot, concl. sur CE, 10 février 1950, Gicquel, n° 1743, Rec., p. 101.
(5) CE, 28 décembre 1906, n° 25521 (N° Lexbase : A9547B84), Rec., p. 977 (concl. J. Romieu).
(6) CE, Sect., 27 avril 1934, n° 28966, Rec., p. 493.
(7) CE, 23 février 2004, n° 250482 (N° Lexbase : A3621DBQ), Tables, p. 851 ; CE, 5 novembre 2004, n° 264819 (N° Lexbase : A9030DDS).
(8) CE, 25 juin 2012, n° 346395 (N° Lexbase : A8820IPD), Rec., p. 253.
(9) CE, 17 mars 2014, n° 354596 (N° Lexbase : A5830MHE), Rec., p. 56.
(10) CE, 30 octobre 1996, n° 109857 (N° Lexbase : A1031APU), Tables, p. 998.
(11) Cf. décisions de 2004 et 2014 citées supra, notes 6 et 8.
(12) CE, 31 octobre 1990, n° 95083 (N° Lexbase : A5705AQD), Rec., p. 303.
(13) CE, Ass., 7 janvier 1966, n° 65754 (N° Lexbase : A4726B78), Rec., p. 17 ; CE, Ass., 21 juillet 1972, n° 75225 (N° Lexbase : A4634B87), Rec., p. 584.
(14) CE, Ass., 12 décembre 2003, n° 239507, 245195 (N° Lexbase : A4184DA9), Rec., p. 508.
(15) CE, Ass., 22 juillet 2015, n° 383481 (N° Lexbase : A9293NM7), Rec., à paraître.
(16) CE, Sect., 6 mai 1996, n° 121915 (N° Lexbase : A8853AN9), Rec., p. 145.
(17) Cf. CE, 10 février 1997, n° 140841 (N° Lexbase : A8337AD7), Tables, p. 990.
(18) CE, 8 février 1999, n° 176779 (N° Lexbase : A4869AXM), Rec., p. 20 ; CE, 27 juillet 2005, n° 273815 (N° Lexbase : A4869AXM).
(19) Cf. D. Labetoulle (dir.), Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, Paris, 2013, p. 8.
(20) CE, Ass., 14 décembre 2007, n° 290730 (N° Lexbase : A0918D3E), Rec., p. 495 ; CE Ass., 14 décembre 2007, n° 290420 (N° Lexbase : A0918D3E), Rec., p. 474 (concl. M. Guyomar).
(21) CE, Sect., 25 septembre 2015, n° 372624 (N° Lexbase : A8495NPC), Rec., à paraître ; cf. pro CE, 15 avril 2015, n° 373893 (N° Lexbase : A9522NGR) Rec., à paraître.
(22) Cf. affaires citées supra note 1.

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