La lettre juridique n°636 du 10 décembre 2015 : Avocats/Procédure

[Jurisprudence] Précisions sur la consultation par l'avocat des pièces pendant la garde à vue de son client

Réf. : Cass. crim., 17 novembre 2015, n° 15-83.437, F-P+B (N° Lexbase : A5583NX3)

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par Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris

le 10 Décembre 2015

Moderne Sisyphe, l'avocat semble destiné à ferrailler sans cesse pour obtenir ce qu'il pensait pourtant acquis : un accès minimal aux pièces du dossier de son client pendant la garde à vue. Le combat des avocats pour cet accès n'est en effet manifestement pas terminé, comme l'illustre de manière édifiante un arrêt de la Chambre criminelle du 17 novembre 2015. I - Le principe de l'article 63-4-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3162I3I)

Une garde à vue n'est pas une mesure banale : elle conditionne en effet bien souvent le reste des actes de procédure et le procès lui-même.

Ce n'est pourtant que depuis la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue (N° Lexbase : L9584IPN) qu'un avocat peut assister le gardé à vue au cours de ses interrogatoires. Auparavant, il ne pouvait rencontrer son client que dans le cadre d'un entretien de trente minutes.

Depuis lors, les avocats réclament en vain un complet accès à la procédure au sujet de laquelle le gardé à vue est interrogé, même si l'article 63-4-1 du Code de procédure pénale leur permet la consultation de quelques pièces limitativement énumérées.

L'avocat est donc désormais présent au côté de son client pour veiller à ce que les droits élémentaires de la personne placée en garde-à-vue puissent être respectés (information de la famille ou de l'employeur, examen médical, notification du droit de garder le silence, éventuel accès à un interprète...).

On pouvait penser que la loi de transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY), promulguée le 27 mai 2014 (loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, portant transposition de la Directive relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales N° Lexbase : L2680I3N), devant réformer le droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, élargisse le rôle de l'avocat.

La loi de 2014 n'a malheureusement guère innové en ce qui concerne l'accès au dossier pendant la garde à vue, permettant seulement au gardé à vue de connaitre les éléments qui étaient déjà fournis à son avocat (loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, art. 3, modifiant l'article 63-4-1 du Code de procédure pénale).

Aussi, les éléments de l'enquête demeurent toujours hors de portée de l'avocat qui ne peut en prendre connaissance. Mais, à tout le moins, sont accessibles quelques documents tant pour le conseil que pour son client, qu'ils doivent pouvoir consulter.

L'avocat n'a donc aujourd'hui accès, sur sa demande, qu'aux seules pièces du dossier strictement listées par l'article 63-4-1 du Code de procédure pénale :

- le procès-verbal de placement en garde à vue et de notification des droits ;

- le certificat médical ;

- la ou les premières auditions en cas d'intervention en cours de garde-à-vue.

Aucune copie n'est possible, l'avocat pouvant uniquement prendre des notes.

Le chat est donc maigre. Mais même cette portion bien congrue apparait manifestement comme encore trop copieuse pour certains officiers de police judiciaire qui tentent de s'affranchir de leur obligation de communication.

Ce droit d'accès, a minima, continue, en effet, de leur être parfois encore étrangement refusé, ainsi que l'illustre de manière édifiante la décision du 17 novembre 2015, objet du présent commentaire

II - L'arrêt du 17 novembre 2015

A peine débarquée à l'aéroport d'Orly d'un avion venant de Cayenne, une voyageuse est interpellée dans le cadre d'une enquête de flagrance et se révèle être une mule en possession de 23 pains de cocaïne.

Un trafic de drogue entre la Guyane et la métropole était soupçonné depuis quelques temps et des interceptions téléphoniques avaient permis de révéler qu'avec la complicité d'employés de l'aéroport de Cayenne des passeuses permettaient l'importation de grandes quantités de cocaïne.

Un des employés de l'aéroport est donc identifié, interpellé et placé en garde à vue à Cayenne, présenté par la suite au juge d'instruction de Créteil, puis mis en examen.

Il dépose une requête en annulation de plusieurs actes de procédure et la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris ne satisfait à aucune de ses demandes.

Nous passerons rapidement sur celles relatives à l'illégalité des écoutes téléphoniques sur le fondement desquelles la procédure avait été engagée et sur le manquement à l'impartialité d'un agent spécialisé de la police technique et scientifique qui étaient soulevées et que la Cour de cassation a rejeté également.

En revanche, se posait une troisième difficulté sur la garde à vue elle-même dont la nullité était sollicitée : en effet, immédiatement après que ses droits lui aient été notifiés, le gardé à vue a indiqué qu'il souhaitait être assisté. Avisé, le conseil choisi se présente au commissariat de Cayenne deux heures plus tard. L'avocat demande immédiatement, lors de son entretien confidentiel avec son client dans une geôle du commissariat, de pouvoir consulter le procès-verbal de notification des droits. Cette communication lui est refusée par le geôlier.

L'avocat dépose ensuite des observations écrites réitérant sa demande de consultation du procès-verbal à l'issue de l'audition de son client.

Contre toute attente, la chambre de l'instruction ne trouve rien à redire à cette bien curieuse application des dispositions de l'article 63-4-1 !

Selon les juges d'appel, la communication aurait été rendue impossible par la configuration des lieux : les geôles étant éloignées de 300 mètres des locaux où se trouvait la procédure, ce qui aurait constitué une circonstance insurmontable ! La cour d'appel considère donc que les exigences de l'article 63-4-1 auraient été satisfaites, dès lors que l'avocat s'était présenté au lieu où étaient détenues les pièces de la procédure.

A juste titre, la Chambre criminelle ne manque pas de stigmatiser cette hérétique analyse de la chambre de l'instruction, en considérant que, dès lors que l'avocat avait formulé la demande expresse de consultation à laquelle il a droit, il n'existait aucune circonstance insurmontable faisant obstacle à ce que la pièce demandée puisse être mise à sa disposition.

Il s'agit là d'une décision très logique et qui ne peut qu'être approuvée, il en va du strict respect des droits de la défense.

Si l'article 63-4-1 du Code de procédure pénale énumère limitativement les pièces pouvant être consultées, encore faut-il qu'elles puissent toutes être consultées si l'avocat en fait la demande, et sur-le-champ, car à défaut cela constituerait une méconnaissance des droits de la défense.

Ainsi, l'exercice le plus anodin d'un droit bien établi relève encore du parcours du combattant.

Que dire alors des demandes d'accès à un dossier complet continuant d'alimenter la chronique judiciaire ?

La Cour de cassation les refusent et a récemment précisé, dans son arrêt du 14 avril 2015 (Cass. crim., 14 avril 2015, n° 14-88.515, FS-P+B N° Lexbase : A9202NGW), que l'absence de communication de l'ensemble des pièces du dossier n'est pas incompatible avec l'article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), considérant que l'absence de communication de l'ensemble des pièces du dossier, à ce stade de la procédure, n'était pas de nature à priver la personne du droit effectif et concret à un procès équitable, l'accès des pièces étant garanti devant les juridictions d'instruction et de jugement.

La Cour européenne des droits de l'Homme a également récemment précisé que l'accès au dossier pouvait être restreint au stade de l'ouverture d'une procédure pénale, de l'enquête et de l'instruction, notamment pour préserver le secret des données dont disposent les autorités et de protéger les droits d'autrui (CEDH, 9 avril 2015 , Req. 30460/13 N° Lexbase : A2536NGZ).

La voie est donc étroite, mais l'avocat doit persister à inlassablement pousser son rocher, et lutter pour que, demain, l'accès au complet dossier et des pièces à charge et à décharge, ne lui soit plus refusé : il en va du respect des droits de la défense.

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