La lettre juridique n°617 du 18 juin 2015 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique de droit des entreprises en difficulté - Juin 2015

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis

le 18 Juin 2015

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise, Membre du CERDP (EA 1201), retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Les auteurs reviennent sur deux arrêts rendus le 19 mai 2015 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation et publiés au Bulletin : dans le premier arrêt, commenté par le Professeur Le Corre, la Haute juridiction se prononce, pour la première fois, sur la question de savoir l'adoption d'un plan de sauvegarde ou de redressement a un effet sur le contrat continué (Cass. com., 19 mai 2015, n° 14-10.366, F-P+B) ; dans le second arrêt, sur lequel Emmanuelle Le Corre-Broly nous livre ses observations, la Cour précise que le débiteur peut soulever devant la cour d'appel un motif de contestation d'une créance déclarée différent de celui présenté devant le juge-commissaire (Cass. com., 19 mai 2015, n° 14-14.395, F-P+B).

La continuation des contrats en cours est un corps de règles de première importance, destiné, dans les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, à assurer le maintien de l'activité, et, dans la procédure de liquidation judiciaire, de permettre, dans les meilleures conditions, les réalisations d'actifs.

Si l'on comprend bien que le sauvetage de l'entreprise suppose la continuation des contrats en cours, ces derniers constituant une véritable richesse pour l'entreprise, voire, pour certaines entreprises leur seule richesse, par exemple pour un concessionnaire ou un franchisé, on observe qu'aucune réglementation n'est posée une fois le plan de sauvegarde ou de redressement intervenu. Comment interpréter ce silence. En d'autres termes, l'adoption d'un plan de sauvegarde ou de redressement a-t-il un effet sur le contrat continué ?

Telle était la question à laquelle devait répondre, dans le présent arrêt, la Chambre commerciale de la Cour de cassation.

En l'espèce, une société propriétaire de terres données à bail rural a délivré aux preneurs un congé, alors que plusieurs années auparavant, l'un des deux co-preneurs avait obtenu un plan de continuation. La cour d'appel (1) avait accepté de valider la délivrance de ce congé. Soutenant que le plan rend ses dispositions applicables à tous, les preneurs prétendait que l'adoption du plan était incompatible avec la possibilité pour le bailleur de délivrer congé avant la fin du plan.

La Cour de cassation va rejeter le pourvoi aux motifs que, "après l'adoption d'un plan de redressement, les contrats en cours se poursuivent conformément aux règles qui leur sont applicables de sorte que le bailleur peut, au cours de l'exécution de ce plan, exercer son droit de refuser le renouvellement du bail rural consenti au repreneur ; que dès lors, c'est à bon droit que al cour d'appel a retenu que le plan de continuation homologué par jugement du 23 novembre 2006 n'interdit pas la délivrance d'un congé aux preneurs ayant atteint l'âge de la retraite pendant l'exécution de ce plan".

Commençons par une petite observation. Après arrêté d'un plan, le commissaire à l'exécution du plan n'a pas qualité pour exiger la continuation d'un contrat (2). La solution n'emporte en réalité guère de conséquence, puisque le débiteur peut continuer le contrat, qui est resté en cours pendant la période d'observation.

Si le contrat a été poursuivi pendant la période d'observation, à condition évidemment que la poursuite soit régulière, c'est-à-dire que l'option de continuation ait été formulée par la personne ayant qualité pour l'exercer, l'adoption du plan de continuation, et aujourd'hui du plan de sauvegarde ou de redressement, reste, par principe, sans effet sur ledit contrat. C'est l'enseignement principal de l'arrêt, qui n'avait jamais été formulé auparavant par la Cour de cassation, ce qui justifie sa publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. La solution est sans surprise, et c'est donc sans peine que l'on avait pu la pronostiquer (3).

Le plan de sauvegarde ou de redressement n'exerce donc aucune incidence sur la continuation des contrats en cours. Cela signifie, en conséquence, qu'un contrat résilié en période d'observation le restera. Inversement, un contrat continué en période d'observation ne sera pas résilié du seul fait de l'intervention du plan.

En réalité, le débiteur est revenu in bonis, du fait de l'adoption de son plan, et c'est pourquoi le droit commun retrouve son empire. Le contrat se poursuivra donc conformément aux règles qui lui sont applicables.

De cette solution, il est, en l'espèce, tiré la conséquence que le bailleur peut, au cours de l'exécution du plan, exercer son droit de refuser, pour le motif prévu à l'article L. 411-64 du Code rural et de la prêche maritime (N° Lexbase : L4471I4D), le renouvellement du bail rural consenti au débiteur. Ce motif est celui de l'arrivée du preneur à bail à l'âge de la retraite.

Si la solution est indiscutable sur le plan juridique, elle n'en est pas moins sévère pour le débiteur, qui se trouve, ipso facto, privé des moyens matériels d'assurer la complète exécution de son plan. Et l'on comprend alors la tentation de prétendre que le fait de rendre impossible l'exécution du plan jusqu'à son terme contrarie le jugement ayant adopté ledit plan.

Sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW), applicable aux faits de l'espèce, comme sous celui de la loi de sauvegarde (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), le Code de commerce prévoit que le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions opposables à tous. Observons que le pourvoi avait, à tort, évoqué des "dispositions applicables à tous", formule utilisée depuis la loi de sauvegarde en matière d'adoption du plan de cession, non pour le plan de sauvegarde ou de redressement. L'opposabilité du plan à tous oblige les créanciers à en respecter les dispositions. A l'opposabilité du jugement à tous, correspond, sauf exception posée par la loi, une opposabilité du jugement par tous (4). Ainsi, une commune peut se prévaloir du jugement arrêtant le plan pour reprocher au chef d'entreprise une délocalisation de l'activité contraire au plan (5).

Mais, pour que le plan puisse être opposé par le débiteur à une personne, encore faut-il que cette dernière, par son action, contrarie les dispositions du plan. Ce sont en effet les dispositions du plan qui sont opposables. Dès lors que l'acte en cause accompli par un tiers ne contrarie aucune disposition du plan, il ne peut être interdit. En l'espèce, si d'évidence le fait pour le bailleur rural de délivrer le congé avec refus de renouvellement est de nature à empêcher l'exécution du plan, ce fait ne contrarie aucune disposition du plan.

Le débiteur, son conseil, ou son administrateur aurait été avisé de demander au bailleur de s'engager sur la durée du plan.

La solution est bien connue en matière de concours bancaires. L'incidence de l'engagement du banquier doit être exactement mesurée. En s'engageant sur la durée du plan, il a pris un engagement à durée déterminée, alors qu'éventuellement il était lié au débiteur dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Cela a une incidence sur ses possibilités de rupture des concours. Le banquier ne peut plus utiliser l'article L. 313-12, alinéa 1er, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2507IX7, anciennement loi du 24 janvier 1984, art. 60, al. 1er), qui prévoit la résiliation des concours à durée indéterminée après respect d'un préavis (6). Il ne pourra se dégager, en phase d'exécution du plan, que par le recours à l'alinéa 2 de l'article L. 313-12 de ce code (anciennement loi du 24 janvier 1984, art. 60, al. 2). Il devra donc prouver soit l'existence d'un comportement gravement répréhensible du débiteur, soit la situation irrémédiablement compromise de l'entreprise. Il ne pourra évidemment en être ainsi au lendemain de l'arrêté du plan, la notion de situation irrémédiablement compromise s'entendant de la situation d'une entreprise vouée à la liquidation judiciaire. En revanche, en cours d'exécution du plan, si la résolution du plan est proche, il pourra soutenir qu'il y a situation irrémédiablement compromise. On sait en effet que la résolution du plan conduira au prononcé de la liquidation judiciaire. Depuis la loi de sauvegarde des entreprises, il faudra cependant que la résolution du plan s'accompagne de l'état de cessation des paiements du débiteur (C. com., art. L. 626-27, I, al. 2 N° Lexbase : L7300IZE).

De la même façon, en obtenant du bailleur rural un engagement sur la durée du plan, ce dernier n'aurait pu délivrer le congé pour le motif que le preneur aurait atteint l'âge de la retraite.

Par cet engagement sur la durée du plan, le cocontractant renonce à se prévaloir de la possibilité offerte par la convention ou par la loi de se délier du contrat avant la fin de l'exécution du plan.

Mais, précisons immédiatement, que la règle selon laquelle le contrat continué pendant le plan de sauvegarde ou de redressement se continue aux conditions légales et contractuelles intéressant ledit contrat oblige évidemment le débiteur ou son administrateur à obtenir du partenaire contractuel l'engagement sur la durée du plan. Un tribunal commettrait un excès de pouvoir à imposer le maintien de la relation contractuelle sur la durée du plan. Le bailleur, qui n'est pas partie au jugement d'adoption du plan de sauvegarde ou de redressement, aurait qualité et intérêt à formuler à l'encontre de la disposition d'un tel jugement une tierce-opposition. Cette dernière n'étant pas fermée, depuis la loi de sauvegarde, à l'encontre des jugements d'adoption de plan de sauvegarde ou de redressement, il serait question d'une tierce-opposition réformation, non d'une tierce-opposition nullité.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du master 2 Droit des difficultés d'entreprise, membre du CERDP (EA 1201)

  • Possibilité pour le débiteur de soulever devant la cour d'appel un motif de contestation différent de celui présenté devant le juge-commissaire (Cass. com., 19 mai 2015, n° 14-14.395, F-P+B N° Lexbase : A5279NID ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E0614EXZ)

Dès lors que le passif du débiteur est vérifié, les déclarations de créance reçues par le mandataire judiciaire seront éventuellement contestées. Il appartient alors au juge-commissaire de statuer, par ordonnance, sur les contestations de créances. Les ordonnances statuant sur les créances déclarées seront susceptibles d'un appel de la part du débiteur -qui même dessaisi, conserve un droit propre à exercer une voie de recours sur la décision d'admission (7)-, de la part du mandataire judiciaire ou du liquidateur, ou encore de la part du créancier (8). Devant la cour d'appel, un nouveau motif de contestation de créances, non mentionné dans le courrier de contestation de créances et non invoqué devant le juge-commissaire, pourra-t-il être soulevé ? Telle est l'importante question pratique tranchée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 19 mai 2015, appelé à la publication au Bulletin.

Dans l'espèce rapportée, un créancier avait déclaré sa créance à titre privilégié. Ce caractère privilégié avait été contesté par le débiteur via le mandataire judiciaire qui avait proposé au juge-commissaire l'admission de la créance à titre chirographaire. Le juge-commissaire avait cependant prononcé l'admission de cette créance à titre privilégié. Appel avait été formé de cette ordonnance par la société débitrice qui concluait alors, devant le juge d'appel, non plus au caractère chirographaire de la créance mais à l'annulation de la clause du contrat de prêt portant sur les intérêts. La Chambre commerciale de la cour d'appel de Metz avait alors, par arrêt du 21 janvier 2014 (9), déclaré la demande du débiteur irrecevable en retenant que cette contestation n'avait pas été soumise au juge-commissaire. Sur le pourvoi du débiteur, la Chambre commerciale a cassé l'arrêt d'appel en jugeant qu'"en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la société [le débiteur], par l'intermédiaire du mandataire judiciaire, avait contesté la créance de la caisse [le créancier], de sorte que, peu important le motif de cette contestation, elle est irrecevable à invoquer devant la cour d'appel un autre motif de contestation, la cour d'appel a violé [l'article L. 624-3 du Code de commerce N° Lexbase : L3982HB4]".

La Cour de cassation, confirmant sa jurisprudence (10), juge ici très clairement que le débiteur peut invoquer devant la cour d'appel un nouveau motif de contestation (I) à condition, toutefois, d'avoir initialement contesté la créance (II).

I - Possibilité pour le débiteur d'invoquer en appel un nouveau motif de contestation de créance...

Il résulte des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0394IGP) que les parties ne peuvent soumettre de nouvelles prétentions à la cour d'appel. Cette règle s'explique essentiellement par l'existence au profit de tout plaideur du bénéfice du double degré de juridiction. Ainsi, la demande soumise à l'examen de la cour d'appel doit-elle, par principe, avoir été soumise à un premier examen. Se fondant sur cette règle, la cour d'appel de Metz avait, en l'espèce, considéré que la demande du débiteur tendant à l'annulation de la clause du contrat de prêt portant sur les intérêts était irrecevable dès lors que cette contestation n'avait pas été soumise à un premier juge, en l'occurrence le juge-commissaire. Le juge d'appel avait, par là même, considéré qu'il était en présence d'une demande nouvelle, irrecevable à ce titre en cause d'appel. Or, tel n'était pas le cas car ce nouveau motif de contestation ne constituait pas une demande nouvelle, mais seulement un moyen nouveau qui, contrairement à la demande nouvelle, est autorisé par l'article 563 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6716H7U).

Il n'a a pas lieu de jeter brutalement la pierre au juge d'appel tant est délicate la distinction entre la demande nouvelle et le moyen nouveau. Le législateur ne donne, hélas, aucune définition de la demande ou de la prétention nouvelle et il faut se tourner vers la doctrine processualiste pour lire qu'une prétention détermine le litige (11) et qu' "une prétention n'est pas nouvelle, si elle tend aux mêmes fins que celle soumise au premier juge, même si son fondement juridique est différent" (12).

Ainsi, le plaideur ne peut-il pas former de prétention nouvelle, c'est-à-dire une nouvelle demande, en appel, mais peut tout à fait changer son argumentation devant la cour d'appel afin d'obtenir gain de cause.

Au cas particulier soumis à la Chambre commerciale dans l'arrêt rapporté, la prétention est constituée par la contestation de la créance qui ne doit pas être confondue avec le motif de celle-ci. Les parties ne pouvant soumettre de nouvelles prétentions à la cour d'appel, le débiteur ou le mandataire de justice ne peut pas contester une créance pour la première fois devant elle. En revanche, dès lors qu'ils ont contesté la créance et que cette contestation a été soumise à un premier juge (le juge-commissaire), il leur est loisible d'invoquer devant la cour d'appel une nouvelle argumentation tendant aux mêmes fins et ainsi développer un nouveau motif supportant la contestation.

Pour cela, encore faut-il que le nouveau motif invoqué à l'appui de la contestation de créance le soit par la partie qui est à l'origine de la contestation, c'est-à-dire l'auteur intellectuel de la contestation de créances.

II - ...à condition d'être l'auteur intellectuel de la contestation de créance

La contestation de créances peut intellectuellement émaner de différentes personnes. Elle peut émaner du débiteur (13) ou de l'administrateur judiciaire ayant mission d'administration qui fera alors part au mandataire de son souhait de contester. La contestation pourra également émaner du mandataire judiciaire (ou, le cas échéant, du liquidateur judiciaire). Quel que soit l'auteur intellectuel de la contestation, il appartiendra au mandataire ou, le cas échéant, au liquidateur, d'en aviser le créancier, en application de l'article L. 622-27 du Code de commerce (N° Lexbase : L7291IZ3).

A la lecture de l'arrêt du 19 mai 2015, il apparaît que le débiteur ne sera recevable à invoquer devant la cour d'appel un autre motif de contestation que s'il avait été à l'origine de la contestation de la créance portée devant le juge-commissaire. En effet, les Hauts magistrats prennent le soin de souligner que le débiteur, par l'intermédiaire du mandataire judiciaire, avait contesté la créance de la banque, ce qui justifie que l'entreprise débitrice était recevable à invoquer devant la cour d'appel un autre motif de contestation. Cela nous conduit à souligner alors l'importance tenant au fait que le courrier de contestation de créance -qui est, rappelons-le, systématiquement adressé au créancier par le mandataire judiciaire, en application de l'article L 622-27 du Code de commerce- mentionne l'auteur intellectuel de la contestation. Il est essentiel que puisse être parfaitement établi si le mandataire judiciaire n'a été que le relais du débiteur ou s'il a, au contraire, de sa propre initiative, procédé à cette contestation. Dans le premier cas, le débiteur pourra invoquer en cause d'appel un nouveau motif de contestation de créances au soutien de la contestation qu'il avait initiée. Dans le second cas, la demande du débiteur tendant à la contestation de la créance devant la cour d'appel devra être déclarée irrecevable, car il n'aura pas contesté la créance devant le premier juge (le juge-commissaire).

Si le courrier de contestation adressé par le mandataire judiciaire ne fait pas état de l'auteur intellectuel de la contestation, celle-ci semble devoir être réputée initiée par le mandataire judiciaire lui-même, de sorte que, lui seul, pourra, devant le juge d'appel, invoquer un nouveau motif de contestation. Si dans cette hypothèse, le débiteur songe à un nouvel argument pour contester la créance, il devra nécessairement demander au mandataire judiciaire de le faire sien devant la cour d'appel.

Comme l'a relevé un auteur (14), sous l'empire de la loi du 26 juillet 2005, une difficulté surgit lorsque la discussion porte sur la régularité de la déclaration de créance car celle-ci ne semble pas être une véritable contestation au sens de l'article L. 622-27 du Code de commerce. La contestation semble en effet être réservée aux discussions relatives au fond du droit, c'est-à-dire à l'existence, la nature ou le montant de la créance, et non pas à celles portant sur la régularité de la déclaration de la créance (15). On considère en effet, en jurisprudence, que le courrier du mandataire judiciaire qui conteste la régularité de la déclaration de la créance n'est pas une véritable contestation de créance, de sorte que, si aucune réponse n'y est apportée, cela n'a pas pour effet de priver le créancier de la possibilité d'interjeter appel de l'ordonnance du juge-commissaire. Cette position jurisprudentielle a ultérieurement été relayée par l'ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 [LXB= L7194IZH]) qui a modifié l'article L. 622-27 qui précise désormais que "le défaut de réponse dans le délai de trente jours interdit toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire judiciaire [texte d'origine], à moins que la discussion ne porte sur la régularité de la déclaration de créances [texte ajouté par l'ordonnance du 12 mars 2014]".

Force est également de constater que la discussion portant sur la régularité de la déclaration de créance constitue une fin de non-recevoir. Si elle est admise, elle a pour effet de rendre irrecevable la déclaration de créance, ce qui entraîne son inopposabilité à la procédure collective. En revanche, la véritable contestation de créance tend au rejet partiel ou total de la créance. Elle touche donc à l'existence même de la créance et si elle est admise, entraîne l'extinction de la créance. Ces deux types de prétentions sont donc bien différents puisqu'ils ne tendent pas aux mêmes fins. Il pourrait donc être soutenu que, si une discussion ne s'élève devant le juge-commissaire que sur la régularité de la déclaration de créance, il serait impossible pour le débiteur comme pour le mandataire judiciaire d'élever une véritable contestation de créance devant le juge d'appel statuant sur le recours formé contre l'ordonnance du juge-commissaire, dans la mesure où il s'agirait alors véritablement d'une demande nouvelle et non pas simplement d'un moyen nouveau. Mais indiquons immédiatement au lecteur que telle n'est cependant pas la position adoptée par la Chambre commerciale qui a récemment jugé que ne constitue pas une demande nouvelle le fait d'invoquer pour la première fois en cause d'appel une discussion sur la régularité de la déclaration de créance alors que, dans un premier temps, la créance avait été discutée sur le fond (en l'occurrence sur le montant du capital emprunté) (16).

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise, Membre du CERDP (EA 1201)


(1) CA Angers, 8 octobre 2013, n° 12/02219 (N° Lexbase : A5290KMU).
(2) CA Paris, 15ème ch., sect. A, 17 novembre 1998, Act. proc. coll., 1999/3, n° 38.
(3) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 8ème éd., 2015/2016 n° 515.45.
(4) D. Vidal, Droit des procédures collectives, 2ème éd., "Manuels", Gualino, 2009, n° 424.
(5) Cass. com., 28 mars 2000, n° 98-12.074, publié (N° Lexbase : A9312AT3), Bull. civ. IV, n° 73 ; D., 2000, AJ 210, obs. A. Lienhard ; RTDCiv., 2000. 835, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTDCom., 2000, 727, obs. J.-L. Vallens ; RTDCcom., 2001, 222, obs. C. Saint-Alary-Houin.
(6) Cass. com., 14 février 1989, n° 87-14.564, inédit (N° Lexbase : A5424A4N), RTDCom., 1989, 506, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié ; RJ com., 1990, 356, note J.-M. Calendini.
(7) Cass. com., 28 juin 1994, n° 92-14.962, inédit (N° Lexbase : A6673C4W), Rev. proc. coll., 1995, 313, n° 9, obs. Dureuil ; Cass. com., 15 février 2000, n° 97-20.749, inédit (N° Lexbase : A5431A4W), Act. proc. coll., 2000/7, n° 84 ; Cass. com., 1er octobre 2002, n° 99-16.399, F-D (N° Lexbase : A9153AZZ).
(8) Etant précisé que l'appel est cependant fermé au créancier qui n'aurait pas répondu au courrier de contestation de créance dans le délai de 30 jours mentionné à l'article L. 622-27 (N° Lexbase : L7291IZ3) dès lors que la créance aurait été admise par le juge-commissaire dans les termes de la proposition du mandataire judiciaire (C. com., art. L. 622-27).
(9) CA Metz, 21 janvier 2014, n° 11/01122 (N° Lexbase : A9022KTC).
(10) Cass. com., 4 février 2003, n° 99-17.859, FS-P (N° Lexbase : A8982A4G), Act. Proc. Coll., 2003/7, n° 81
(11) V. R. Martin, Le double langage de la prétention, JCP, 1981, I, 3024 ; Le juge devant la prétention, D., 1987, chron. 35.
12) V. Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, n° 541.281.
(13) V. solution implicite, Cass. com. 17 mai 2011, n° 10-17.210, F-D (N° Lexbase : A2593HST).
(14) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc. n° 683.14.
(15) Par exemple pour défaut de pouvoir du déclarant ou pour tardiveté de la déclaration.
(16) Cass. com., 5 mai 2015, n° 13-22.603, F-D (N° Lexbase : A7007NHY).

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