Lexbase Fiscal n°572 du 29 mai 2014 : Fiscalité des entreprises

[Questions à...] GAFA vs. G5 : l'Etat court après le numérique - Questions à Olivier de Maison Rouge, Avocat et Docteur en droit et François Darden et Renaud Roquebert, Avocats, cabinet LIGHT HOUSE

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N2420BU8

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[Questions à...] GAFA vs. G5 : l'Etat court après le numérique - Questions à Olivier de Maison Rouge, Avocat et Docteur en droit et François Darden et Renaud Roquebert, Avocats, cabinet LIGHT HOUSE. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/16854524-cite-dans-la-rubrique-b-fiscalite-des-entreprises-b-titre-nbsp-i-gafa-i-vs-i-g5-letat-court-apres-le
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 29 Mai 2014

Le 28 avril 2014, le G5 (France, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne et Italie) s'est réuni pour décider du sort fiscal des géants de l'internet, et en premier lieu de Google (lire N° Lexbase : N2019BUC). Après les banques, ce sont les grandes entreprises multinationales et surtout celles qui officient via internet qui font l'objet de l'ire de la France, mais aussi d'autres Etats, et de l'OCDE. Cela se traduit par une multiplication des contrôles fiscaux visant ces entités, qui feraient un usage un peu trop efficace des disparités de législations entre Etats. Si l'action n'est pas encore concertée contre ces pratiques, de plus en plus d'acteurs entrent dans le jeu de la chasse à l'assiette fiscale délocalisée. Ainsi, le Royaume-Uni a demandé à ses concitoyens de boycotter Starbucks, accusé d'utiliser les paradis fiscaux pour payer le moins possible d'impôts sur son territoire. En France, les schémas de BNP Paribas ont été remis en cause à plusieurs reprises, notamment ceux mettant en scène les Bermudes. La Commission européenne s'attaque aujourd'hui aux rulings, et souhaite traduire le Luxembourg devant la CJUE. Google a subi un contrôle fiscal important dans notre pays, d'où il ressort un redressement d'un milliard d'euros. Amazon, Facebook et Apple devraient eux aussi subir un prochain contrôle. L'OCDE, pour sa part, et dans le cadre de son plan BEPS (sur l'érosion de la base fiscale imposable), a engagé des discussions sur la taxation de l'économie numérique. Pour faire le point sur ce sujet épineux, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Olivier de Maison Rouge, Avocat et Docteur en droit, spécialiste de l'intelligence économique et François Darden et Renaud Roquebert, Avocats spécialisés en droit fiscal, cabinet LIGHT HOUSE.

Lexbase : Il est reproché à Google, mais aussi à Amazon et à d'autres, de faire usage de la technique du "sandwich hollandais". Pouvez-vous nous en dire plus ?

Olivier de Maison Rouge : Pour bien comprendre les enjeux d'une telle problématique, il faut en tout premier lieu considérer que désormais cohabitent -et se juxtaposent- deux mondes : celui de l'économie réelle (constituée de commerces et/ou industries physiques) et celui de l'économie, non pas irréelle, mais immatérielle.
Or, l'avantage de ce second système économique est de pouvoir oeuvrer par le truchement d'une "vitrine" virtuelle, dématérialisée. Le centre d'intérêt et d'impulsion de ce concept peut donc être fixé en tout lieu, sans contrainte d'espace.
Par voie de conséquence, quand bien même ce mode opératoire de commercialisation par Internet est accessible en France, les activités de "back office" (logistique, opérations financières, décisionnelles,...) peuvent être localisées en un autre lieu. Ainsi, au sens fiscal, l'établissement permanent est situé hors de France, afin de ne laisser qu'une partie marginale des activités être imposée sur le territoire français.
Fort de cet "avantage fiscal concurrentiel", afin d'éluder le principe de territorialité de l'impôt sur les sociétés édicté par l'article 218 A du CGI (N° Lexbase : L4043HLC), les acteurs ont tout le loisir d'élaborer des montages structurels d'optimisation fiscale, pour voir une majeure partie de leurs bénéfices être imposés dans un Etat où l'impôt est moins élevé (également rendu possible grâce à la pratique du "dumping fiscal").

François Darden et Renaud Roquebert : Il s'agit d'un schéma d'optimisation fiscale de grande ampleur, dont le but est bien évidemment de localiser les bénéfices dans les Etats ayant une fiscalité privilégiée. Ces opérations ont été mises en lumière par le sénateur Philippe Marini, dans un rapport d'information du 27 juin 2012.

En réalité, le schéma auquel vous vous référez implique la combinaison non seulement de la technique du "sandwich hollandais" (ou "Dutch sandwich"), mais également celle du "double irlandais" (ou "Double Irish"). Les deux techniques renvoient à une société néerlandaise par laquelle passe le paiement de l'ensemble des redevances entre une société basée en Irlande et sa société mère basée dans un paradis fiscal. Par la combinaison des avantages procurés par les législations irlandaises et néerlandaises, l'ensemble des bénéfices dégagés par la multinationale basée en Europe est transféré dans le paradis fiscal où le niveau de l'impôt sur les sociétés est très attractif.

En réalité, c'est l'appréhension de la fiscalité numérique et des droits de propriété intellectuelle qui est à revoir. Dès lors que la prestation de service dématérialisée est imposée dans le pays du prestataire, et non dans celui où le service est rendu, ce type d'organisation de flux financiers n'est pas surprenant en l'état. Il n'est pas non plus étonnant de constater que les Etats membres s'y intéressent.

Lexbase : L'administration fiscale a effectué un contrôle fiscal de Google France, dans des conditions qui ont fait l'objet de critiques de la part de cette société (accès aux serveurs étrangers avec les codes des salariés), et dont il ressortirait un redressement de un milliard d'euros. Quid de ce contrôle et de ses conséquences ?

François Darden et Renaud Roquebert : Les agents de l'administration fiscale ont procédé à la visite des locaux parisiens de l'entreprise dans le cadre d'une enquête sur les "prix de transfert" entre la structure en France du géant américain et sa holding irlandaise. Au cours de cette visite, des données situées en dehors du territoire français ont été saisies. Il faut comprendre en réalité que les agents ont pu avoir accès à des données du réseau informatique de Google ainsi qu'à des données concernant des filiales étrangères de la société. S'agissant de la manière dont ils ont eu accès au serveur, il est vrai que les procédés peuvent être sujets à débat. Or, la cour d'appel de Paris (1) considère que ceci est parfaitement légal.

Dans un cadre plus vaste, c'est la question de l'accès à des données situées hors de France qui mérite d'être posée.

Les conséquences pour Google sont incertaines, mais l'administration aura beaucoup de difficultés à fonder son redressement, tant la fiscalité numérique favorise ce genre de schéma.

Plus généralement, les revenus réalisés par ces multinationales sont difficiles à appréhender pour les autorités fiscales. D'une part, la traçabilité des bénéfices est incertaine. D'autre part, les règles internationales qui ont abouti à la création de la notion d'établissement stable permettent de rattacher les bénéfices dans un autre Etat que celui où le service est rendu, de sorte que l'administration n'aura pas les compétences judiciaires pour redresser ces sociétés. Ce phénomène est amplifié par la fiscalité numérique puisque les revenus générés ne sont pas taxés dans l'Etat de consommation des services rendus.

Olivier de Maison Rouge : Ces méthodes, qui peuvent émouvoir certains, sont désormais des pratiques de plus en plus répandues de la part de l'administration fiscale, auxquelles il faudra néanmoins s'habituer, sous réserve de la garantie du respect du contribuable par le Conseil constitutionnel.
Rappelons à cet égard que la dernière loi de finances (loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014 N° Lexbase : L7405IYW) prévoyait également que les conseils des entreprises communiquent au service les schémas d'optimisation fiscale. Cette disposition visait, notamment mais pas seulement, les montages que nous évoquons. Cela étant, cet article a été invalidé par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 N° Lexbase : A9152KSR).
Dans le même ordre d'idées, à la suite de l'obtention illicite et de l'utilisation de fichiers de contribuables détenant des comptes bancaires à l'étranger (affaire HSBC), l'Etat, au mépris de l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM) (et de la décision du Conseil constitutionnel n° 83-164 DC du 29 décembre 1983 N° Lexbase : A8074ACZ), a récemment tenté d'introduire, a posteriori, une disposition qui auraient permis aux services fiscaux de faire usage d'informations obtenues par des moyens déloyaux (figurant dans le projet de loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, ce qui en dit long (2)).
Il ressort de ces constats que l'administration fiscale, qui se heurte, de manière croissante, à la délocalisation de l'impôt, souhaite pouvoir faire sauter certains verrous en prétendant avoir des moyens d'investigations plus larges. On ne s'en étonnera pas dans un contexte toujours plus mondialisé.

Lexbase : Google n'est pas la seule entreprise dans le collimateur de l'administration. Amazon, Facebook, Apple (les quatre firmes sont connues sous l'acronyme "GAFA") risquent aussi un contrôle fiscal. Pensez-vous que cela soit légitime ? Opportun ?

Olivier de Maison Rouge : Via l'énonciation de ces GAFA, vous évoquez en réalité ce qu'il convient de nommer des pure players, à savoir des entreprises multinationales, lesquelles, du fait de leurs activités Internet, peuvent pratiquer une véritable "géostratégie de l'impôt". Sur les moyens employés et l'opportunité de les apprécier en regard de la légalité, nous avons apporté les éléments d'appréciation plus haut, sur la légitimité de les contrôler, la réponse est bien évidemment politique.

François Darden et Renaud Roquebert : Que l'administration fiscale s'intéresse à l'activité de ces entreprises n'est pas illégitime en soi, mais s'agissant de leur opportunité, l'avis doit être plus contrasté. Tant qu'il n'existera pas de fiscalité harmonisée au niveau de l'Union européenne sur ces sujets, il paraît légitime que des Etats membres soient amenés à envisager des outils permettant d'organiser une politique fiscale attractive sur des domaines d'activité économiquement porteurs et innovants. Egalement, sans politique fiscale commune, l'appréhension de revenus issus de prestations de service dématérialisées est rendue encore plus difficile.

Cependant, en matière de TVA, domaine où l'Union européenne a une compétence fiscale reconnue, le travail des institutions de l'UE est globalement positif. Aujourd'hui, des propositions de réformes adoptées ou en cours d'adoption, notamment s'agissant du lieu de taxation d'une prestation de services rendue et de renforcement de lutte contre la fraude, permettront, il faut le croire, de dégager des règles de taxation standardisées, et sécurisantes par voie de conséquence, pour les entreprises de l'industrie du numérique.

Lexbase : Les grandes multinationales, auxquelles il est reproché de faire usage de schémas optimisants, sont visées par les administrations fiscales étrangères aussi, comme Starbucks au Royaume-Uni, et par l'OCDE. Une croisade contre ces contribuables s'organise-t-elle ?

François Darden et Renaud Roquebert : Il n'est pas nouveau de voir les administrations fiscales contester les schémas fiscaux innovants. En pratique, les entreprises ont toujours eu un temps d'avance sur les administrations fiscales. On constate que les administrations semblent plus attentives et critiques depuis la crise de 2008. Dans un contexte de déficits publics des Etats, les Gouvernements visent les grandes multinationales pour trouver de nouvelles recettes fiscales et limiter des mesures d'austérité impopulaires. Le cas de Google, dont le redressement serait évalué à un milliard d'euros, est une bonne illustration.

Ce contexte peut être élargi aux PME sur d'autres aspects de la fiscalité.

Olivier de Maison Rouge : Il est certain que le besoin accru de recettes fiscales, dans un contexte économique dégradé, et que la nécessité de convergence fiscale des Etats induisent de nouvelles pratiques de la part des services fiscaux.

Lexbase : L'OCDE a lancé une consultation publique sur la taxation de l'économie numérique, dont les commentaires ont été publiés le 24 mars 2014. Quels sont les projets qui animent ces débats ?

François Darden et Renaud Roquebert : Un autre rapport de l'OCDE du 6 mai 2014 préconise également le renforcement de la coopération entre Etats par l'échange automatique d'informations. Cet autre projet est déjà amorcé par la refonte de certaines conventions fiscales bilatérales entre les Etats. Actuellement, cette solution est la meilleure arme pour lutter contre l'évasion fiscale.

Egalement, les lignes directrices de l'OCDE en matière de prix de transfert servent de référence pour les administrations fiscales. Elles permettent d'adopter des méthodes de calcul de répartition des bénéfices similaires à travers le monde.

Ces thèmes ont un impact sur la fiscalité numérique parce qu'en réalité, les multinationales s'appuient sur la localisation de leur établissement stable et de leur bénéfice pour monter des schémas fiscaux agressifs.

Enfin, les réformes proposées et les travaux réalisés par les institutions européennes, notamment en matière de TVA et d'harmonisation de l'impôt sur les sociétés (projet ACCIS) constituent des pistes intéressantes. Mais la fiscalité unique est un projet très ambitieux car les négociations entre les Etats membres, aux visions souvent antagonistes, risquent d'être complexes. Un compromis en la matière prendra du temps.


(1) CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 31 août 2012, n° 11/13233 (N° Lexbase : A0674ISR).
(2) Devenu la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 (N° Lexbase : L6136IYW).

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