La lettre juridique n°561 du 6 mars 2014 : QPC

[Chronique] QPC : évolutions procédurales récentes : octobre à décembre 2013

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par Mathieu Disant, Maître de conférences HDR à l'Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon Sorbonne

le 06 Mars 2014

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Mathieu Disant, Maître de conférences HDR à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I), membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), chercheur associé au Centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit (C3RD), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue. Au cours de la période considérée (octobre à décembre 2013), le Conseil constitutionnel s'est penché sur des QPC importantes, parfois relatives à des institutions juridiques séculaires telles que les modalités de visite des navires par les agents des douanes (Cons. const., décision n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013 N° Lexbase : A4036KQK), dont le principe trouve son origine dans une loi du 4 germinal an II et qui se trouve aujourd'hui censurée pour insuffisance de garanties encadrant la mise en oeuvre de ce pouvoir de police.

Symptomatique du phénomène de QPC "en chaîne", on notera une nouvelle QPC visant la taxe locale sur la publicité extérieure (Cons. const., décision n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013 N° Lexbase : A4369KN7), après qu'ait été jugé conforme à la Constitution le régime transitoire (1) de cette taxe refondue en 2009. De même, la décision n° 2013-358 QPC du 29 novembre 2013 (N° Lexbase : A4037KQL) porte sur les conditions de renouvellement d'une carte de séjour mention "vie privée et familiale" au conjoint étranger d'un ressortissant français, après que le Conseil ait tranché, il y a quelques mois à peine, une QPC portant sur les conditions d'attribution d'une telle carte (2). On peut encore souligner le rôle joué par le contentieux constitutionnel en matière de régulation sectorielle : après s'être prononcé, notamment, sur le pouvoir de sanction de l'Autorité de la concurrence (3), puis sur celui de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (4), le Conseil constitutionnel a examiné les modalités de mise en demeure par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (Cons. const., décision n° 2013-359 QPC du 13 décembre 2013 N° Lexbase : A2569KRL).

Certaines affaires ont soulevé des questions inédites dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Par exemple, est-il possible pour le législateur, au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales, d'affecter une ressource fiscale de l'Etat à ces collectivités, tout en prévoyant simultanément un prélèvement au profit de l'Etat exactement égal au produit de la ressource fiscale ainsi transférée ? (Cons. const., décision n° 2013-355 QPC du 22 novembre 2013 N° Lexbase : A9481KPT).

I - Champ d'application

A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC

1 - Statut de l'interprétation de la loi

Le Conseil constitutionnel juge de façon constante qu'une QPC peut porter sur l'interprétation de la loi par une juridiction, dans la mesure où "tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition" (5). Ainsi, dans l'esprit de la doctrine du "droit vivant", le justiciable ne s'est pas vu reconnaître le droit de contester une norme dans une abstraction théorique qui serait distincte de l'application qui est susceptible d'en être faite dans le litige où il est partie : le requérant qui pose une QPC a le droit que soit examinée la constitutionnalité d'une disposition législative telle qu'elle est appliquée, c'est-à-dire compte tenu de la portée effective que lui confère une interprétation jurisprudentielle constante.

C'est ainsi que, dans l'affaire relative à l'imprescriptibilité de l'action du ministère public en négation de nationalité (Cons. const., décision n° 2013-354 QPC du 22 novembre 2013 N° Lexbase : A9480KPS), le Conseil a pris en considération l'interprétation qui en est donnée par la Cour de cassation. En effet, la lettre du texte contesté (la première phrase du second alinéa de l'article 29-3 du Code civil N° Lexbase : L2701ABN) ne traite nullement de la prescription de cette action, c'est la jurisprudence -constante- qui a consacré son imprescriptibilité. Les arrêts pertinents de la Cour de cassation sont ainsi dûment mentionnés aux visas. On notera une évolution rédactionnelle : le considérant de principe n'est pas expressément repris dans le corps de la décision du Conseil constitutionnel, moyen de souligner que la solution est désormais parfaitement établie pour ne plus avoir à être reprise !

Selon une méthode comparable, quoique de façon plus indirecte et implicite, c'est en s'appuyant, notamment, sur la jurisprudence de la Cour de cassation sur la définition de la connexité et de l'indivisibilité que le Conseil constitutionnel a rendu la décision n° 2013-356 QPC du 29 novembre 2013 (N° Lexbase : A4035KQI). Cette jurisprudence n'est pas expressément visée, mais il est clair que c'est sur elle que repose l'appréciation de la portée de la disposition contestée.

La notion de jurisprudence constante trouve, quant à elle, une application instructive. Dans la décision n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013 (N° Lexbase : A4036KQK) concernant la visite des navires par les agents des douanes, s'est posée la question de savoir si les parties d'un navire à usage privé, en particulier de domicile, pouvaient être visitées par les agents des douanes en application des articles 62 (N° Lexbase : L0684ANN) et 63 (N° Lexbase : L0685ANP) du Code des douanes ou devaient être autorisées par un juge en application de l'article 64 de ce code (N° Lexbase : L9527IYI). Or, cette question a fait l'objet d'une divergence d'interprétation entre la Chambre commerciale et la Chambre criminelle, situation qui paraît, par nature, incompatible avec l'affirmation d'une jurisprudence constante. En l'espèce, ce n'est qu'en tenant compte d'un récent ralliement à l'analyse de la Chambre criminelle (6), du moins ce qu'il juge comme tel, que le Conseil constitutionnel estime que constitue, désormais, une jurisprudence constante de la Cour de cassation la lecture selon laquelle les agents des douanes peuvent visiter les navires, y compris dans leurs parties privées, en application de l'article 63, sans l'autorisation d'un juge. On retrouve ici une lecture très réaliste de la part du Conseil constitutionnel, d'autant plus qu'elle conduit le juge constitutionnel, dans l'appréciation de cette notion évolutive, à se faire l'interprète d'arrêts dont la portée est parfois subtile. Voilà une autre facette de l'interprétation en tant qu'objet de la QPC.

2 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution

La décision n° 2013-359 QPC du 13 décembre 2013 (N° Lexbase : A2569KRL), relative à la mise en demeure par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, retient l'attention. Elle précise l'appréciation du "déjà jugé" au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3). En effet, le Conseil constitutionnel s'était déjà expressément prononcé, dans son contrôle a priori, sur la loi du 30 septembre 1986 (7) qui modifiait ou introduisait les dispositions contestées dans la présente QPC. Celles-ci avaient été jugées conformes à la Constitution, le cas échéant sous réserves d'interprétation. Toutefois, ces dispositions ont été substantiellement modifiées à plusieurs reprises depuis lors. Dans sa décision n° 2013-359 QPC, le Conseil constitutionnel retient que ces modifications "ont eu pour objet d'étendre le champ tant des personnes soumises à la procédure de mise en demeure par le CSA, que de celles qui peuvent le saisir d'une demande d'engager la procédure de mise en demeure et de modifier la référence aux principes législatifs dont le respect s'impose". Il en est déduit que les dispositions contestées ne peuvent être considérées comme ayant déjà été jugées conformes à la Constitution. Ce faisant, le Conseil constitutionnel ne se place pas sur le terrain du changement de circonstances. L'ampleur des modifications apportées aux dispositions antérieurement examinées conduit tout bonnement à considérer que la QPC portait sur des dispositions législatives différentes de celles qui avaient fait l'objet de la déclaration de conformité.

B - Normes constitutionnelles invocables

Plusieurs décisions méritent l'attention en raison de leurs apports, avérés ou potentiels, sur la protection des droits et libertés garantis par la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a jugé que "la liberté de conscience, qui résulte de ces dispositions, est au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit" (Cons. const., décision n° 2013-353 QPC du 18 octobre 2013 N° Lexbase : A0317KN3). Le Conseil a fondé sa décision directement sur l'article 10 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1357A97) et le cinquième alinéa du Préambule de 1946. La distinction entre la liberté d'opinion et la liberté de conscience, qui implique une conviction profonde de la personne, trouve ainsi une résonnance dans la jurisprudence QPC. On notera que le rattachement de cette liberté aux Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République est désormais abandonné. Cette substitution du fondement constitutionnel (8) de la liberté de conscience est, selon les propres indications officielles du Conseil, sans conséquence sur la valeur constitutionnelle et la portée de cette liberté.

Dans la décision précitée n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013, le Conseil constitutionnel a précisé le cadre constitutionnel de la pénétration dans un domicile. Il a d'abord rappelé qu'il incombe au législateur, en application de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ainsi que la procédure pénale. Il lui revient "d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, le respect des autres droits et libertés constitutionnellement protégés". Aussi, "dans l'exercice de son pouvoir, le législateur ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles" (cons. n° 5). Ce contrôle de l'absence de privation de garanties légales s'opère, en l'espèce, au regard du droit au respect de la vie privée, et en particulier de l'inviolabilité du domicile, protégée au titre de la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1366A9H).

La question de savoir si l'article 5 de la Charte de l'environnement (loi n° 2005-205 du 1er mars 2005 N° Lexbase : L0268G8G) (9), qui pose le principe de précaution, institue, ou non, un droit ou une liberté que la Constitution garantit dont la méconnaissance pourrait être invoquée à l'appui d'une QPC n'est pas encore réglée par le Conseil constitutionnel. Dans l'affaire n° 2013-346 QPC du 11 octobre 2013 (N° Lexbase : A5874KMI), la question se posait à front renversé dans la mesure où les dispositions contestées ont été interprétées par le juge constitutionnel comme étant prises par le législateur en application, non du principe de précaution, mais du principe de prévention. En tout état de cause, ce n'est pas exactement le principe de précaution lui-même qui était invoqué, ce qui constitue déjà une première devant le prétoire du Conseil constitutionnel, mais les conditions auxquelles sa mise en oeuvre est subordonnée. La question de l'invocabilité de l'article 5 de la Charte reste donc en suspens, comme celle visant à déterminer si les conditions encadrant la mise en oeuvre de ce principe constituent en elles-mêmes des droits invocables. On peut penser qu'une réponse positive progresse. La décision rapportée contribue à définir, en creux, le champ d'application du principe, lequel n'a pas vocation à être opposé à des interdictions pérennes.

II - Procédure devant le Conseil constitutionnel

A - Interventions devant le Conseil constitutionnel

Comme souligné lors de précédentes chroniques, les observations en intervention des tiers à l'occasion d'une QPC transmise au Conseil constitutionnel sont de plus en plus courantes, ce qui témoigne du caractère abstrait et d'intérêt collectif de l'examen que le Conseil opère et, dans le même temps, suscite. Il en est ainsi, par exemple, de plusieurs demandes en intervention d'associations dans l'affaire n° 2013-358 QPC du 29 novembre 2013 (N° Lexbase : A4037KQL). L'intervention peut parfaitement émaner d'une personne publique, une commune a ainsi présenté des observations dans l'affaire précitée n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013.

Ces interventions sont surtout de plus en plus utiles et mieux dirigées, notamment lorsqu'elles soulèvent des griefs nouveaux au regard de ceux développés par la partie requérante ou le gouvernement. On peut relever, à cet égard, l'intervention d'une association dans l'affaire n° 2013-354 QPC du 22 novembre 2013 (N° Lexbase : A9480KPS), ou plus encore celles formulées par trois sociétés dans l'affaire n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013. Dans ce dernier cas, c'est le grief d'incompétence négative développé par la partie intervenante qui a justifié la censure des dispositions contestées.

Devant le succès grandissant des interventions, le Conseil constitutionnel a organisé plus précisément les conditions et modalités de leur recevabilité.

Il est parfois conduit à faire un tri assez draconien, mais pas toujours très clair, au sein des nombreuses demandes d'intervention. Ce fut le cas dans l'affaire précitée n° 2013-346 QPC du 11 octobre 2013, concernant l'interdiction de la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures. Si deux interventions, produites en défense de la loi, émanant d'associations de défense de l'environnement ont été admises, d'autres ont été soit écartées pour tardiveté, soit refusées en raison de l'absence d'un intérêt spécial au sens de l'article 6, alinéa 2, du règlement intérieur du 4 février 2010. Ce rejet ne fait pas l'objet de motivation ou justification particulière, au sein ou même en dehors de la décision, mais la décision du Conseil constitutionnel fait expressément mention des demandes en intervention via la pratique du visa "ensemble". De plus, bien qu'il demeure lapidaire, le Conseil réserve un considérant sur l'admission des interventions.

C'est aussi un défaut d'intérêt spécial qui a conduit le Conseil à refuser les sept demandes en intervention formulées par des maires dans l'affaire médiatique n° 2013-353 QPC du 18 octobre 2013 (N° Lexbase : A0317KN3) ("clause de conscience" permettant aux maires et aux adjoints, officiers de l'état civil, de s'abstenir de célébrer un mariage entre personnes de même sexe). Avec une certaine rigueur bien comprise, le Conseil constitutionnel a estimé que le seul fait que les maires soient appelés, en leur qualité, à appliquer les dispositions contestées ne justifie pas que chacun d'eux soit admis à intervenir. Le caractère proprement "spécial" de l'intérêt peut difficilement être caractérisé devant un nombre aussi élevé d'intéressés. On peut également se demander si l'appréciation de l'intérêt spécial ne varie pas selon le caractère individuel ou collectif de l'intervenant. On notera que la non-admission de ces interventions figure de façon inédite au dispositif de la décision. Le refus d'intervention n'est donc plus sans existence formelle.

Quelques semaines après cette décision, le sujet a trouvé un écho remarquable. L'article 6, alinéas 2 et 3, a été modifié par décision n° 2013-128 ORGA du 22 novembre 2013, modifiant le règlement intérieur sur la procédure suivie pour les QPC (N° Lexbase : A9478KPQ). Pour être technique, la modification n'est pas anodine. Auparavant, tout tiers intervenant justifiant d'un intérêt spécial disposait d'un délai de trois semaines suivant la date rendue publique de transmission de la QPC par le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation pour faire valoir ses observations. La "recevabilité" de l'intervention se trouvait ainsi enfermée dans un délai qui, de fait, mais de fait seulement, coïncidait avec le délai dont disposent les parties pour formuler leurs premières observations. On a pu juger cette solution comme le meilleur équilibre possible entre les différents impératifs en cause (10). Il est donc appréciable, au moins pour la cohérence de la procédure et l'équilibre du contradictoire, que la connexion des délais (le premier concernant la production des observations, le second l'admission des interventions) soit consacrée par le règlement. Désormais, le règlement prévoit que la date limite d'intervention est identique à celle fixée par le Conseil constitutionnel pour que les parties produisent leurs observations. En contrepoint, le caractère discrétionnaire de ce pouvoir se trouve donc étendu à la fixation du délai d'intervention, ce qui conforte la mainmise du Conseil sur le déroulement de la procédure. Sans doute le délai fixé par le Conseil correspondra-t-il, dans la plupart des cas, à la solution antérieure, le délai de vingt jours pour déposer les conclusions étant ancré dans la bonne pratique, sauf cas exceptionnels. Il s'agit surtout d'éviter que les intervenants puissent être en situation plus favorable que les parties en bénéficiant de délais de production supérieurs. Le droit à intervention devant le Conseil constitutionnel serait-il, ainsi, victime de son succès ? Il est clair que le mouvement d'encadrement des demandes d'intervention, qui s'appuie avant tout sur des considérations pratiques (11), correspond à la volonté de ne pas compliquer la procédure. Par ricochet, cette évolution ne fait qu'accroître l'importance de la question de la garantie d'un délai raisonnable pour produire des observations.

B - La décision du Conseil constitutionnel et ses effets

1 - Autorité des décisions du Conseil constitutionnel

La décision n° 2013-349 QPC du 18 octobre 2013 (N° Lexbase : A0316KNZ) présente un intérêt de premier ordre dans l'affermissement de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel (12). Pour la première fois, et après certaines tergiversations, une censure prononcée par celui-ci à l'encontre d'une loi promulguée dans le cadre de la jurisprudence "Etat d'urgence en Nouvelle-Calédonie" (13) voit ses effets pleinement et solennellement reconnus. On rappellera que, par l'intermédiaire de cette jurisprudence, le Conseil s'autorise, depuis une époque où la QPC n'était encore qu'un projet assez lointain, à examiner, lors de son contrôle a priori, une disposition législative en vigueur. Prenant le contrepied de la lecture retenue par le Conseil d'Etat dans son arrêt de renvoi (14), le Conseil constitutionnel répond négativement à la question de savoir si une disposition législative frappée d'inconstitutionnalité mais toujours en vigueur peut faire l'objet d'une QPC afin d'en obtenir formellement l'abrogation. La décision trouve son fondement direct dans l'article 62, alinéa 3, de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH), aux termes duquel les décisions qu'il prononce ne sont susceptibles d'aucun recours et s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Les pleins effets normatifs d'une censure prononcée dans le cadre de la jurisprudence néo-calédonienne trouve donc écho dans le contentieux QPC, avec en ligne de mire l'agencement des contrôles de constitutionnalité. En effet, la loi jugée inconstitutionnelle non abrogée n'est, quoi qu'il en soit, plus applicable, et ce de façon absolue. Du point de vue du débat de constitutionnalité qui la concerne, aucune distinction n'est à faire avec la loi expressément abrogée : un texte déclaré inconstitutionnel n'est, d'une façon ou d'une autre, plus toléré dans notre ordre juridique. Le recours constitutionnel contre une disposition déjà déclarée inconstitutionnelle est tout simplement sans objet car les effets du contentieux constitutionnel se trouvent épuisés, y compris dans la modulation dans le temps des effets de la censure depuis que le Conseil fait un usage équivalent de ce pouvoir en a priori et en a posteriori. Le Conseil constitutionnel renonce ainsi à une orientation constructive quoiqu'assez séduisante qui aurait consisté à faire bénéficier la jurisprudence néo-calédonienne de la portée abrogative que l'article 62, alinéa 2, de la Constitution confère aux (seules) décisions QPC. En somme, cette décision permet de conserver une pleine efficacité à son intervention sur la loi promulguée dans le cadre du contrôle a priori. On peut, toutefois, observer, dans l'appréciation de la portée plus indirecte de cette décision, que le Conseil constitutionnel paraît résolu de réfréner toute tentative consistant à placer la QPC comme un recours en interprétation de ses propres décisions (15).

2 - Effets dans le temps

a - Application immédiate aux instances en cours

Dans l'affaire n° 2013-350 QPC du 25 octobre 2013 (N° Lexbase : A4368KN4) relative à la mise en oeuvre de l'action publique en cas d'injure ou de diffamation publique envers un corps constitué, le Conseil constitutionnel précise, selon le principe de droit commun applicable aux effets dans le temps des décisions abrogatives en QPC, que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la décision et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. L'application immédiate aux instances en cours est un effet de droit commun de la déclaration d'inconstitutionnalité, que le Conseil prend soin ici de mentionner pour une parfaite clarté, le Gouvernement ayant plaidé à titre subsidiaire le report de l'abrogation eu égard à la portée générale de la disposition contestée et des conséquences prétendument excessives de l'abrogation immédiate. Dans cette affaire, le Conseil n'a pas davantage réservé, ainsi que le demandait également le gouvernement, les actions en réparation mises en oeuvre par les collectivités. En somme, l'effet immédiat de la décision conduit ici à une modification du droit sans intervention formelle du législateur.

En revanche, le requérant se voit privé du bénéfice de la censure prononcée dans la décision n° 2013-352 QPC du 15 novembre 2013 (N° Lexbase : A3196KP3). En effet, la déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à tous les jugements d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire rendus postérieurement à la date de la publication de la décision.

La censure prononcée par la décision n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013 (N° Lexbase : A4369KN7) concerne des dispositions dans leur rédaction antérieure à la législation en vigueur. Le Conseil a donc jugé que la déclaration d'inconstitutionnalité ne peut être invoquée qu'à l'encontre des impositions contestées avant que ne soit intervenue cette modification. Le bénéfice de la censure se trouve mécaniquement circonscrit. Dans son commentaire officiel, le Conseil précise que le bénéfice de cette censure s'étendra donc à l'ensemble des contribuables assujettis à la taxe en cause pour les années 2009, 2010 et 2011 et ayant contesté cette imposition. Le fait de circonscrire le champ de la censure aux seuls contribuables ayant contesté leur imposition avant la publication de la décision du Conseil permet par ailleurs d'éviter tout effet d'aubaine.

b - Modulation dans le temps des effets de la décision

Dans la décision précitée n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013, relative à la visite des navires par les agents des douanes, le Conseil constitutionnel a reporté au 1er janvier 2015 les effets de sa censure, laissant, ainsi, au législateur le soin d'encadrer davantage le pouvoir des agents des douanes. Le Conseil a pris en compte les conséquences manifestement excessives qui auraient résulté d'une censure immédiate sur les objectifs de prévention des atteintes à l'ordre public et de lutte contre la fraude. On retrouve ici une démarche qui avait prévalu pour la censure touchant la rétention douanière. Il s'agit d'éviter que les visites effectuées avant cette date puissent être contestées sur le fondement de l'inconstitutionnalité constatée. Il appartient donc au législateur de déterminer quels critères il souhaite retenir pour mieux encadrer ce droit de visite. La décision du Conseil, et surtout son commentaire officiel, livrent des pistes (visites de jour, nature des navires concernés, garanties procédurales...) dont la portée n'est, toutefois, qu'indicative.

La décision n° 2013-348 QPC du 11 octobre 2013 (N° Lexbase : A5876KML) mérite une attention toute particulière. Le Conseil constitutionnel se prononce sur des dispositions législatives réécrites à la suite d'une précédente (et fameuse) censure assortie d'un report de l'abrogation (16). Le contrôle des dispositions nouvelles se fait nécessairement à l'aune de la précédente décision constitutionnelle, situation qui génère une argumentation centrée sur le respect par le législateur de cette décision. Le Conseil constitutionnel y fait figure, tout à la fois, de juge de la correction de l'inconstitutionnalité et juge de l'exécution de ses propres décisions. Cet office est de nature à générer des débats subtils et à en aiguiser d'autres, tels celui de l'interprétation "authentique" des décisions du Conseil constitutionnel. Au cas présent, on ne peut qu'observer que la situation de la requérante, au fond, n'a pas été améliorée par la législation substitutive, sans que le Conseil n'en déduise que sa précédente décision ait été mal appliquée.

3 - Recours en rectification d'erreur matérielle

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel a procédé d'office à une rectification d'erreur matérielle d'une décision QPC (17) (Cons. const., décision n° 2013-357 R QPC du 29 décembre 2013 N° Lexbase : A9373MEU). Cette possibilité, ouverte aussi à la demande d'une partie, est prévue à l'article 13 du règlement de procédure en QPC (18). Après avoir sollicité les explications des parties, le Premier ministre en ayant apporté, le Conseil a corrigé l'article 2 du dispositif de la décision n° 2013-357 QPC. Cette dernière est, en effet, affectée d'une erreur matérielle relative à la date de prise d'effet de la décision, l'indication de la date du report faisait défaut dans le dispositif. On rappellera qu'un recours en rectification d'erreur matérielle ne met pas en cause l'autorité de chose jugée de la décision (19) et qu'il ne saurait avoir pour objet de remettre en cause ou de prolonger, directement ou indirectement, l'appréciation portée par le Conseil dans sa décision. On peut mentionner qu'un membre du Conseil n'ayant pas siégé au délibéré de la décision n° 2013-357 QPC n'a pas non plus siégé lors du délibéré de la décision n° 2013-357 R QPC. Ce parallélisme n'est pas formellement prévu, mais il est de bonne pratique (20).


(1) Cons. const., décision n° 2013-305/306/307 QPC du 19 avril 2013 (N° Lexbase : A3412KCD).
(2) Cons. const., décision n° 2013-312 QPC du 22 mai 2013 (N° Lexbase : A6090KDW).
(3) Cons. const., décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012 (N° Lexbase : A2619IUK).
(4) Cons. const., décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013 (N° Lexbase : A3984KIE).
(5) Cons. const., décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 (N° Lexbase : A9923GAR) ; Cons. const., décision n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010 (N° Lexbase : A7696GBN) ; voir récemment Cons. const., décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013 (N° Lexbase : A1823KKQ) (v. notre précédente chronique).
(6) Cass. crim., 11 janvier 2006, n° 05-85.779, F-P+F (N° Lexbase : A3545DMA) ; Cass. com., 19 mars 2013, n° 11-19.076, FS-P+B (N° Lexbase : A5802KA7), les deux arrêts sont mentionnés aux visas de la décision du Conseil constitutionnel.
(7) Cons. const., décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 (N° Lexbase : A8194ACH).
(8) Une telle substitution avait déjà été effectuée en 2006 pour les droits de la défense désormais rattachés à l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D).
(9) L'article 5 de la Charte de l'environnement dispose que, "lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage".
(10) M. Disant, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, 2011, spéc. p. 280 et s., et p. 383.
(11) Il semble que cette modification du règlement "régularise" une initiative du Conseil constitutionnel dans l'affaire n° 2013-353 QPC du 18 octobre 2013.
(12) Voir, notamment, A. Viala, in Constitutions, 2014, à paraître ; M. Disant, RFDC, 2014, n° 97.
(13) Cons. const., décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : A8109ACC), cons. n° 10 ; Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 (N° Lexbase : A8198ACM).
(14) CE 1° s-s., 25 juillet 2013, n° 366345, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1194KKG), et voir nos obs. dans QPC : évolutions procédurales récentes : juillet à septembre 2013, Lexbase Hebdo n° 308 du 14 novembre 2013 (N° Lexbase : N9326BTL).
(15) Voir M. Disant, Les effets en QPC d'une déclaration d'inconstitutionnalité néo-calédonienne''. Le déjà jugé et le mal compris, Revue française de droit constitutionnel, 2014, n° 97.
(16) Cons. const., décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011 (N° Lexbase : A3844HHT).
(17) Pour un demande en rectification d'erreur matérielle rejetée par le Conseil, voir Cons. const., décision n° 2012-284 R QPC du 27 décembre 2012 (N° Lexbase : A6289IZX), et nos obs., QPC : évolutions procédurales récentes - Octobre à Décembre 2012, Lexbase n° 277 du 14 février 2013 - édition publique (N° Lexbase : N5727BTB).
(18) Voir M. Disant, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, 2011, spéc. p. 417.
(19) Cons. const., décision n° 87-1026 AN du 23 octobre 1987 (N° Lexbase : A1704AIX).
(20) Cons. const., décision n° 2012-284 R QPC du 27 décembre 2012 et nos obs. précitées.

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