La lettre juridique n°547 du 14 novembre 2013 : QPC

[Chronique] QPC : évolutions procédurales récentes : juillet à septembre 2013

Lecture: 22 min

N9326BTL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] QPC : évolutions procédurales récentes : juillet à septembre 2013. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/11190916-chronique-qpc-evolutions-procedurales-recentes-juillet-a-septembre-2013
Copier

par Mathieu Disant, Maître de conférences HDR à l'Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon Sorbonne

le 14 Novembre 2013

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Mathieu Disant, Maître de conférences HDR à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I), membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), chercheur associé au Centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit (C3RD), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue. La période examinée (juillet à septembre 2013) témoigne à nouveau de la richesse du contentieux QPC. Plusieurs décisions retiennent l'attention. Symptomatique du phénomène de QPC "en cascade", on notera la succession de QPC dans le domaine du droit de l'expropriation, où l'examen des règles spéciales succède au contrôle de constitutionnalité des règles générales (Cons. const., décision n° 2013-338/339 QPC du 13 septembre 2013 N° Lexbase : A1466KLU, décision n° 2013-342 QPC du 20 septembre 2013 N° Lexbase : A4338KLA). Outre la censure ciblée pour incompétence négative de l'article L. 411-74, alinéa 2, du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L5311IGS), relatif à la détermination du taux d'intérêt majorant les sommes indûment perçues à l'occasion d'un changement d'exploitant agricole (Cons. const., décision n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013 N° Lexbase : A8222KL4), on mentionnera immédiatement deux décisions de non-conformité.

La première concerne le pouvoir de sanction de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Cons. const., décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013 N° Lexbase : A3984KIE). Dans la suite de la décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012 (N° Lexbase : A2619IUK) à propos des services d'instruction et du collège de l'Autorité de la concurrence, cette décision met en lumière le rôle joué par le contentieux constitutionnel en matière de régulation sectorielle. Il revient notamment au Conseil constitutionnel de s'assurer que les fonctions de poursuite et d'instruction sont effectivement séparées du pouvoir de sanction au sein d'une autorité administrative indépendante exerçant un tel pouvoir. Si une séparation organique (qui existe par exemple à l'AMF et à l'HADOPI) n'est pas nécessairement imposée par la Constitution, une séparation fonctionnelle doit au moins établir des garanties qui permettent de s'assurer de l'indépendance des fonctions.

La seconde censure à mentionner, prise sur la base d'un moyen soulevé d'office, concernent les dispositions qui soustraient les entreprises publiques à l'obligation d'instituer un dispositif de participation des salariés aux résultats de l'entreprise (Cons. const., décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013 N° Lexbase : A1823KKQ). Le législateur a commis une incompétence négative en ne fixant pas la liste des entreprises publiques concernées et en se bornant à renvoyer au décret le soin de désigner celles de ces entreprises qui seraient soumises à cette obligation. Au coeur de cette affaire, se trouvait la question de savoir si la notion d'entreprise publique est, ou non, suffisamment établie et précise, thème récurrent du droit public économique. Si la référence au critère du capital s'impose en matière de nationalisations et privatisations ou de participation de l'Etat dans l'économie, un tel critère est moins évident, en particulier, lorsqu'il s'agit de déterminer les règles qui s'appliquent au personnel des entreprises publiques. Le Conseil constitutionnel a repris à son compte les imprécisions affectant le champ d'application de la notion d'entreprise publique, en particulier en droit du travail.

I - Champ d'application

A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC

1 - Notion de "disposition législative"

Lorsqu'il est saisi de dispositions législatives partiellement modifiées par une ordonnance non ratifiée et que ces modifications ne sont pas séparables des autres dispositions, il revient au Conseil constitutionnel de se prononcer sur celles de ces dispositions qui revêtent une nature législative au sens de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), en prenant en compte l'ensemble des dispositions qui lui sont renvoyées. C'est ce qu'a jugé le Conseil constitutionnel dans la décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013 précitée. Il s'agit d'une solution inédite car jusqu'alors, dans les cas soumis au Conseil, les dispositions non législatives étaient séparables des autres. Le Conseil constitutionnel ne fait toujours porter son contrôle que sur les dispositions législatives mais, en cas d'inséparabilité, il prend en considération (en les citant) les dispositions non législatives insérées dans l'article examiné afin d'apprécier la conformité des dispositions contestées. Des dispositions non législatives peuvent, ainsi, ne pas être séparables, pas tant formellement que fonctionnellement, des dispositions législatives ! On peut approuver cette extension logique.

Autre solution importante à retenir : il n'est pas possible de soulever en QPC l'inconstitutionnalité d'un texte de loi dans son ensemble. La QPC n'est pas un "procès à la loi" en général. La notion de "disposition législative" requiert précisément que les questions soient ciblées, qu'elles aient pour objet la (ou les) disposition(s) législative(s) pertinente(s). C'est en ce sens que la validité de la saisine du Conseil constitutionnel portant sur l'ensemble d'une loi a été rejetée dans la décision n° 2013-334/335 QPC du 26 juillet 2013 (N° Lexbase : A1193KKE) qui fera date. Pour la première fois, le Conseil était saisi de l'intégralité d'une loi (loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004, relative à l'octroi de mer N° Lexbase : L8976D7L), composée d'un nombre important de dispositions (54 articles), et au surplus à l'appui d'une argumentation consistant à invoquer des principes constitutionnels très variés (quasiment tout le bloc de constitutionnalité). Aucune distinction n'avait été faite par la Cour de cassation dans son arrêt de renvoi, celui-ci ne pouvant être interprété comme ayant limité le renvoi. Le Conseil constitutionnel a donc prononcé un non-lieu à statuer, jugeant qu'il n'était pas valablement saisi.

Il ne pouvait en être autrement compte tenu des exigences constitutionnelles et organiques relatives à la QPC (seules la (ou les) disposition(s) applicable(s) au litige peu(ven)t faire l'objet d'une QPC), des brefs délais pour renvoyer et pour juger (il convient que l'objet et l'étendue de la QPC ne soit pas disproportionnés au regard des exigences du débat contradictoire entre les parties), des conséquences et de la portée des décisions QPC (elles se prononcent au regard de l'ensemble des droits et libertés), ou encore de la nécessité de garantir la cohérence et l'équilibre de la procédure, et même plus largement la bonne administration de la justice et la prise en compte des motifs de sécurité juridique. En l'espèce, il ne suffisait pas que les sociétés requérantes soient redevables de l'octroi de mer pour qu'elles puissent en contester l'ensemble du régime juridique ! Le Conseil constitutionnel sanctionne ainsi une sorte d'abus de droit à l'accès au juge constitutionnel, et rappelle le juge du renvoi à sa mission. On notera tout de même, à cet égard, que cette solution conduit le Conseil constitutionnel à modérer sa jurisprudence selon laquelle il se refuse à contrôler l'applicabilité au litige des dispositions contestées (1).

2 - Statut de l'interprétation de la loi

Le Conseil constitutionnel juge de façon constante qu'une QPC peut porter sur l'interprétation de la loi par une juridiction, dans la mesure où "tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition" (2). Ainsi, dans l'esprit de la doctrine du "droit vivant", le justiciable ne s'est pas vu reconnaître le droit de contester une norme dans une abstraction théorique qui serait distincte de l'application qui est susceptible d'en être faite dans le litige où il est partie : le requérant qui pose une QPC a le droit que soit examinée la constitutionnalité d'une disposition législative telle qu'elle est appliquée, c'est-à-dire compte tenu de la portée effective que lui confère une interprétation jurisprudentielle constante. C'est ainsi que, dans l'affaire relative à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise dans les entreprises publiques, le Conseil constitutionnel a estimé que le contrôle de constitutionnalité des dispositions contestées portait sur l'article L. 442-9 du Code du travail, (N° Lexbase : L8807G7C) compte tenu de la portée que la Cour de cassation a conférée à ces dispositions (Cons. const., décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013 précitée). Les décisions de la Cour de cassation sont ainsi dûment mentionnées aux visas.

Cette affaire offre une nouvelle facette de l'interprétation en tant qu'objet de la QPC. Deux éléments méritent d'être spécifiquement soulignés. D'une part, il convient de rappeler que le Conseil d'Etat a prudemment renvoyé cette question (qui mettait en cause la position de son homologue du Quai de l'horloge...) en raison du caractère de nouveauté. A ses yeux, le moyen tiré de ce que la loi telle qu'interprétée par le juge compétent, compte tenu notamment des effets dans le temps de cette interprétation, porte atteinte aux droits et libertés garantis pas la Constitution, était nouveau (3). D'autre part, si l'interprétation autonome donnée par la Cour de cassation était contestée, ce n'était pas sur le fond, mais en raison de son caractère rétroactif et de sa tardiveté, l'un et l'autre ayant induit, selon le requérant, une discrimination entre les entreprises concernées et une atteinte excessive et injustifiée à des situations légalement acquises. Plus qu'une modification de jurisprudence, c'est l'évolution brutale de la définition de la notion d'entreprise publique qui était contestée, ainsi que l'effet rétroactif d'un arrêt dont la Cour de cassation n'avait pas jugé bon de limiter les effets dans le temps. S'il n'est pas suivi en l'espèce, le raisonnement est parfaitement valable.

La prise en compte d'une jurisprudence constante conduit le Conseil constitutionnel à examiner la disposition telle qu'interprétée par la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat, laquelle interprétation est susceptible de constituer un changement des circonstances depuis une précédente décision constitutionnelle. On sait que le Conseil constitutionnel a déjà jugé que l'interprétation donnée dans la décision de renvoi peut constituer une jurisprudence constante, alors même qu'aucune autre décision antérieure ne confirme cette interprétation (4). Le Conseil a fait une nouvelle application de cette position dans la décision n° 2013-340 QPC du 20 septembre 2013 (N° Lexbase : A4337KL9), laquelle met bien en lumière l'enjeu essentiel : la détermination du caractère constant de la jurisprudence. Un tel caractère empêche le Conseil constitutionnel de dissocier la disposition contestée de l'interprétation formulée par la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat dans la décision de renvoi. Le juge constitutionnel n'est certes pas totalement démuni car il dispose de l'outil de la conformité sous réserve, mais il ne lui appartient pas d'écarter l'interprétation mise en avant dans la décision de renvoi, notamment pour juger, comme l'y invitait le gouvernement dans l'affaire n° 2013-340 QPC, que la bonne interprétation à donner des dispositions en cause conduit à écarter le grief.

3 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution

La circonstance que le Conseil constitutionnel se soit déjà prononcé, dans une décision de déclassement (décision "L") sur le caractère législatif de dispositions, n'implique nullement que celles-ci aient été déclarées conformes à la Constitution (Cons. const., décision n° 2013-338/339 QPC du 13 septembre 2013, précitée). Rappelons que, dans de telles décisions, il appartient seulement au Conseil constitutionnel d'apprécier si les dispositions qui lui sont soumises relèvent du domaine législatif ou du domaine réglementaire.

Une décision relative aux changements de circonstances retient l'attention. A propos de l'ARCEP, de façon assez classique, le Conseil constitutionnel a considéré que les modifications introduites postérieurement à la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996, de réglementation des télécommunications (N° Lexbase : L7801GT4), dans la rédaction de l'article L. 36-11 ([LXB=L4977IUU)]), et notamment celles issues de lois n° 2004-669 du 9 juillet 2004, relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle (N° Lexbase : L9189D7H), et n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), interdisaient de considérer que les dispositions contestées avaient déjà été jugées conformes à la Constitution dans sa décision n° 96-378 DC du 23 juillet 1996 (N° Lexbase : A8344ACZ). Tout au plus peut-on relever que, dans la démarche qui est celle du Conseil, la circonstance que les modifications législatives puissent apporter, ou non, des garanties supplémentaires au dispositif critiqué est sans influence (Cons. const., décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013). Plus original, le Conseil constitutionnel accepte ici de considérer, dans la suite du Conseil d'Etat, que l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle est un changement de circonstance de droit.

Il a clairement jugé que constituait un changement des circonstances de droit sa décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012 dans laquelle il a jugé "que, lorsqu'elles prononcent des sanctions ayant le caractère d'une punition, les autorités administratives indépendantes doivent respecter notamment le principe d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789". Faisant preuve de réalisme, le Conseil écarte l'argumentaire consistant à considérer que les précisions apportées par cette jurisprudence récente seraient déjà contenues implicitement dans la jurisprudence en 1996. Il reste que l'interprétation de la jurisprudence, au prisme du changement de circonstance de droit, n'est pas toujours chose aisée. La "nouvelle" jurisprudence ici en question n'est pas à proprement parler constitutive ou créatrice, en ce sens qu'elle ne constitue pas vraiment un nouveau pan du bloc de constitutionnalité. Elle concerne le même principe (celui d'impartialité), déjà affirmé vis-à-vis des mêmes sujets (les autorités administratives indépendantes). Un changement de circonstance de droit peut donc résulter non pas, au sens strict, de l'édiction d'une norme nouvelle mais de son interprétation nouvelle, voire même de l'explicitation d'une norme préexistante. Le principe est bon, l'exercice s'avère parfois délicat : il consiste à faire la part avec ce qui n'est que la révélation de ce que la Constitution contenait déjà.

Autre solution à mentionner, notamment dans l'articulation des contrôles a priori et a posteriori de constitutionnalité de la loi : une déclaration d'inconstitutionnalité prononcée, en application de sa jurisprudence "néo-calédonienne", sur le fondement de l'article 61 de la Constitution (N° Lexbase : L0890AHG) rend la disposition législative inapplicable, mais ne la fait pas pour autant disparaître de l'ordre juridique. Dès lors, une QPC qui, seule, peut permettre l'abrogation de la disposition à défaut d'intervention du législateur, n'est pas "entièrement dépourvue d'objet". C'est ce qu'a jugé le Conseil d'Etat à propos de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2620HIU), au regard de la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, sur la loi relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : A4712KGM). Le Conseil d'Etat a considéré qu'une telle QPC présente nécessairement, eu égard à la déclaration de contrariété prononcée par le Conseil constitutionnel, un caractère sérieux. Il ajoute, de façon surabondante, que la circonstance que la QPC porte sur une disposition déclarée inconstitutionnelle après sa promulgation, confère à cette question un caractère nouveau (CE 1° s-s., 25 juillet 2013, n° 366345, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1194KKG). Nous verrons, dans notre prochaine chronique, que le Conseil constitutionnel a estimé, au contraire, que l'autorité de ses décisions fait obstacle à ce qu'il soit de nouveau saisi afin d'examiner la conformité de telles dispositions (Cons. const., décision n° 2013-349 QPC du 18 octobre 2013 N° Lexbase : A0316KNZ).

4 - Applicabilité d'une disposition législative au litige

L'applicabilité au litige dont l'auteur de la QPC doit se prévaloir pour que celle-ci soit recevable est un lien effectif et concret entre la procédure à laquelle il est partie et une disposition législative. Il ne suffit pas davantage, pour poser valablement une QPC, de faire "feu de tout bois" constitutionnel en invoquant l'ensemble du bloc de constitutionnalité (voir la décision n° 2013-334/335 QPC du 26 juillet 2013 précitée et nos observations).

B - Normes constitutionnelles invocables

1 - Notion de "droits et libertés que la Constitution garantit"

Plusieurs décisions méritent l'attention en raison de leurs apports, avérés ou potentiels, sur la protection des droits et libertés garantis par la Constitution.

Le Conseil constitutionnel s'est penché pour la première fois sur l'atteinte aux situations légalement acquises qui pourrait résulter de la rétroactivité d'une interprétation jurisprudentielle. Toutefois, constatant qu'il n'y avait pas en l'espèce de situation légalement acquise, le Conseil ne s'est pas prononcé sur la question de savoir si, et à quelles conditions, une jurisprudence pourrait, par ses effets rétroactifs, porter atteinte à une situation légalement acquise (Cons. const., décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013).

Pour la première fois de façon nette, quoi que cela s'inscrive dans sa jurisprudence antérieure qui laisse au législateur un large rôle en matière de droit du travail en général, le Conseil constitutionnel a posé que le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 n'impose pas la présence de représentants des salariés au sein des organes de direction de l'entreprise. La participation des travailleurs prévue par ce texte constitutionnel n'impose donc pas un dispositif d'association aux organes de direction de l'entreprise (Cons. const., décision n° 2013-333 QPC du 26 juillet 2013 N° Lexbase : A1192KKD).

Pour la première fois encore, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la liberté d'expression des syndicats dans l'entreprise (Cons. const., décision n° 2013-345 QPC du 27 septembre 2013 N° Lexbase : A8224KL8), en résolvant une difficulté quant à la norme de référence applicable. Il n'a pas exercé son contrôle au regard de l'article 11 de la Déclaration de 1789 (droit d'expression général) (N° Lexbase : L1358A98) mais au regard du sixième alinéa du Préambule de 1946 (5), ainsi que de son huitième alinéa (6). La référence au huitième alinéa est ici double. D'une part, le principe de participation est étroitement lié à la liberté syndicale comme une norme matérielle garantissant aux salariés le droit d'être entendus et représentés dans l'entreprise. D'autre part, le principe de participation constitue une norme constitutionnelle d'habilitation en vertu de laquelle le législateur peut confier aux partenaires sociaux "le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte" (7).

Par ailleurs, deux utiles précisions ont été apportées à la qualification de sanction ayant caractère d'une punition dans le cadre du champ application de l'article 8 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P).

D'une part, dans la décision n° 2013-332 QPC du 12 juillet 2013 (N° Lexbase : A6634KIK), concernant la sanction des irrégularités commises par un organisme collecteur de fonds au titre du "1 % logement", s'est posée la question de savoir si la présence de sanctions de nature différente dans un même article de loi, prononcées par la même autorité à l'issue de la même procédure, ne devait pas conduire à attraire la totalité des sanctions dans le champ de l'article 8 de la Déclaration de 1789. S'agissant de sanctions administratives, le Conseil a répondu par la négative à cette question.

D'autre part, dans l'affaire n° 2013-341 QPC du 27 septembre 2013 (N° Lexbase : A8221KL3), concernant la majoration de la redevance d'occupation du domaine public fluvial pour stationnement sans autorisation, le Conseil était confronté à un dispositif qui présente un objet double. Ces deux aspects ont été jugés dissociables : en ce qu'il prévoit l'acquittement d'une "indemnité d'occupation égale à la redevance", il s'agit d'un dispositif à caractère de réparation de l'occupation sans droit ni titre du domaine public ; en ce qu'il prévoit l'acquittement d'une majoration de 100 % de la redevance due pour un stationnement régulier, il s'agit d'un dispositif de sanction. Dans cette même affaire, le Conseil constitutionnel tranche, par voie de réserve d'interprétation et sur la base d'un contrôle réduit, le problème du cumul des sanctions, en l'espèce avec la répression au titre des contraventions de grande voirie : "lorsque deux sanctions prononcées pour un même fait sont susceptibles de se cumuler, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues [...] il appartient donc aux autorités administratives compétentes de veiller au respect de cette exigence" (8).

2 - Normes constitutionnelles exclues du champ de la QPC

A l'occasion de l'examen d'un grief tiré de l'absence de plafonnement en loi de finances de la garantie de l'Etat, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions du 5° du paragraphe II de l'article 34 de la loi organique du 1er août 2001 5° n'instituent pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Ces dispositions prévoient que, dans la seconde partie, la loi de finances de l'année "autorise l'octroi des garanties de l'Etat et fixe leur régime". Leur méconnaissance ne peut être invoquée à l'appui d'une QPC (Cons. const., décision n° 2013-344 QPC du 27 septembre 2013 N° Lexbase : A8223KL7).

II - Procédure devant le Conseil constitutionnel

A - Organisation de la contradiction

1 - Procédure écrite, notification et production

Dans sa décision n° 2013-334/335 QPC du 26 juillet 2013, le Conseil constitutionnel a soulevé d'office un moyen d'irrecevabilité soulevant la question de savoir si une QPC peut viser non une disposition législative, mais l'ensemble d'un régime juridique (cf. supra nos observations). Il a communiqué cette question aux parties (avant leurs secondes observations) afin qu'elles puissent faire valoir leurs observations dans le cadre de l'instruction. De fait, les parties ont disposé de quatorze jours avant l'audience pour se prononcer sur cette question de principe. Celle-ci n'a, toutefois, pas été évoquée par la partie requérante lors de l'audience publique.

De façon plus classique, le Conseil a soulevé d'office, par deux fois, le moyen tiré de l'incompétence négative du législateur. D'une part, dans la décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013, s'agissant de dispositions qui ne définissaient pas la notion d'entreprise publique au point d'affecter la liberté d'entreprendre et le droit de propriété. D'autre part, dans la décision n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013, s'agissant du pouvoir de fixer les modalités selon lesquelles le taux prévu par les dispositions contestées est déterminé et rendu public. Pour ces deux décisions, conformément à sa bonne pratique, le Conseil a soumis aux parties ledit grief. Mais on ne peut que souligner, qu'on l'approuve ou non au regard de l'impératif des délais brefs qui contraignent l'office du juge, les conditions minimales dans lesquelles les parties ont été en mesure d'y répondre : dans la première affaire, elles ont été informées trois jours seulement avant l'audience publique, ce qui ne rend possible qu'une réponse orale ; dans la seconde, elles l'ont été cinq jours avant.

2 - Interventions devant le Conseil constitutionnel

Comme souligné lors de précédentes chroniques, les observations en intervention des tiers à l'occasion d'une QPC transmise au Conseil constitutionnel sont de plus en plus courantes, ce qui témoigne du caractère abstrait et d'intérêt collectif de l'examen que le Conseil opère et, dans le même temps, suscite. On peut relever, à cet égard, les nombreuses interventions de sociétés privées dans l'affaire n° 2013-334/335 QPC du 26 juillet 2013 concernant la loi relative à l'octroi de mer, l'intervention de personnes physiques dont les biens font l'objet d'une procédure d'expropriation avec déclaration d'urgence dans l'affaire n° 2013-338/339 QPC du 13 septembre 2013 concernant la prise de possession d'un bien exproprié selon la procédure d'urgence, ou encore trois interventions (un groupement, une fédération et une société privée officiant toutes dans le domaine des assurance) dans l'affaire n° 2013-344 QPC du 27 septembre 2013 à propos de la garantie de l'Etat à la caisse centrale de réassurance, pour les risques résultant de catastrophes naturelles.

B - Modalités de contrôle

1 - Etendue de l'examen du Conseil constitutionnel

Ainsi qu'il le fait désormais régulièrement, le Conseil constitutionnel a mis plusieurs fois en oeuvre son pouvoir de détermination du champ de la saisine, que ce soit pour préciser la version applicable de la loi à examiner (Cons. const., décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013, ou pour cibler les dispositions effectivement contestées au sein d'un article (Cons. const., décision n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013).

A l'inverse, lorsque le renvoi ne correspond pas à un dispositif homogène, isolable des autres dispositions du même article, le Conseil constitutionnel examine les dispositions contestées dans toute leur portée, sans se limiter à certains des alinéas de cet article bien qu'ils correspondent à la situation envisagée par les parties (Cons. const., décision n° 2013-332 QPC du 12 juillet 2013).

S'agissant du champ de son contrôle, le Conseil constitutionnel a écarté comme inopérants les griefs soulevés par les sociétés requérantes dans la décision n° 2013-342 QPC du 20 septembre 2013, parce qu'ils tendaient à mettre en cause des dispositions du Code de l'expropriation dont il n'était pas saisi. Au cas présent, le premier alinéa de l'article L. 12-2 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2906HL9), qui faisait seul l'objet de la QPC renvoyée, ne traite que des conséquences attachées à l'ordonnance d'expropriation rendue par le juge et de ses effets, mais ne régit pas la procédure et les voies de recours, dont les modalités étaient pourtant effectivement contestées, ceux-ci relevant particulièrement des articles L. 12-5 (N° Lexbase : L2914HLI) et L. 13-2 (N° Lexbase : L2918HLN) qui n'étaient pas renvoyés .

2 - Réserves d'interprétation

Dans sa décision n° 2013-340 QPC du 20 septembre 2013, concernant l'assujettissement à l'impôt sur le revenu des indemnités de licenciement ou de mise à la retraite, le Conseil constitutionnel formule une réserve d'interprétation consistant à juger que le bénéfice de l'exonération prévue à l'article 80 duodecies ne saurait varier selon que l'indemnité a été allouée en vertu d'un jugement, d'une sentence arbitrale ou d'une transaction. La décision précise qu'"en particulier, en cas de transaction, il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction". Il s'agit là d'une réserve directive qui répond précisément au litige. Cela montre la faculté de concrétisation du contrôle qu'offre le recours aux réserves. Cela illustre aussi qu'une décision de conformité sous réserve peut tout à fait donner satisfaction au requérant.

On rappellera ici que, dans sa décision n° 2013-341 QPC du 27 septembre 2013 précitée, le Conseil constitutionnel tranche, au moyen d'une importante réserve d'interprétation, le problème du cumul des sanctions, en l'espèce avec la répression au titre des contraventions de grande voirie, assimilable à la sanction pénale (cf. supra).

C - Effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel

Dans la décision n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013, le Conseil constitutionnel précise que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la décision. Au nom de la rétroactivité procédurale, le Conseil a ajouté qu'elle serait applicable à toutes les procédures en cours devant l'ARCEP, ainsi qu'à toutes les instances non définitivement jugées à cette date. Dans le dispositif de censure, au regard de la situation particulière des dispositions examinées (cf. supra nos observations), le Conseil a précisé, par ailleurs, que la déclaration d'inconstitutionnalité porte sur les douze premiers alinéas de l'article L. 36-11, à l'exception des mots et phrases insérés dans l'article par une ordonnance qui ne sont pas de nature législative et que le Conseil n'a donc pas compétence pour censurer. Le sort de ces dispositions est toutefois jeté, qu'elles soient rendues inapplicables, ou que l'autorité de chose interprétée de la décision du Conseil constitutionnel les prive d'effet.

Dans la décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a également jugé que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la décision. Il a également fixé les autres effets dans le temps de cette déclaration d'inconstitutionnalité, en vue surtout de ménager, en l'espèce, la jurisprudence la Chambre sociale de la Cour de cassation (qu'il a refusé de remettre directement en cause). Le Conseil a entendu empêcher tant la poursuite que le développement de contentieux sur le fondement de l'imprécision de la loi et de sa censure, en restreignant sensiblement la rétroactivité procédurale et en protégeant les situations légalement acquises. Dans un premier temps, il a précisé que les salariés des entreprises dont le capital est majoritairement détenu par des personnes publiques ne peuvent demander, y compris dans les instances en cours, qu'un dispositif de participation leur soit applicable au titre de la période pendant laquelle les dispositions déclarées inconstitutionnelles étaient en vigueur. Dans un second temps, le Conseil ajoute que la déclaration d'inconstitutionnalité ne peut conduire à ce que les sommes versées au titre de la participation sur le fondement de ces dispositions donnent lieu à répétition. Cette position n'est pas exempte d'une certaine complexité.

La modulation dans le temps des effets de la décision trouve une application très fine à l'occasion de l'abrogation de dispositions relatives à la détermination du taux d'intérêt majorant les sommes indûment perçues à l'occasion d'un changement d'exploitant agricole (Cons. const., décision n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013, précitée). On peut observer la combinaison de plusieurs effets et leur éventuelle interaction. Primo, le Conseil constitutionnel a décidé de reporter l'effet de sa décision d'abrogation au 1er janvier 2014 afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité. Deusio, pour préserver l'effet utile de sa décision à la solution des instances en cours, en particulier celle à l'occasion de laquelle la QPC a été soulevée, le Conseil précise qu'il appartiendra au législateur, lorsqu'il prendra de nouvelles dispositions, de les déclarer applicables à ces instances en cours. Tertio, dans l'intervalle, les juridictions devront surseoir à statuer dès lors que l'issue du litige dépend des dispositions déclarées inconstitutionnelles.

Ce régime transitoire est utilement précisé dans le commentaire officiel qui s'assimile à un mode d'emploi (10): sont concernés les litiges, au fond ou en référé, dans lesquels une partie demande la restitution des sommes indûment versées à l'occasion de la conclusion d'un bail rural, comme dans l'affaire qui a donné lieu à la QPC ; sont concernés également les litiges portés devant le juge de l'exécution afin qu'il liquide les intérêts alloués par une précédente décision indiquant seulement que les sommes "produisent intérêt au taux pratiqué par la Caisse régionale de crédit agricole pour les prêts à moyen terme" en application de l'article L. 411-74 censuré. C'est d'ailleurs en prenant en compte que ces dispositions ont pour effet de faire produire des intérêts, y compris pendant cette période de sursis, que le délai fixé par le Conseil au législateur est particulièrement bref.


(1) Cons. const., décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2012 (N° Lexbase : A6283EXY).
(2) Cons. const., décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 (N° Lexbase : A9923GAR), décision n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010 (N° Lexbase : A7696GBN).
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 10 juin 2013, n° 366880, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3851KGQ).
(4) Cons. const., décision n° 2011-185 QPC du 21 octobre 2011 (N° Lexbase : A7830HYN).
(5) "Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix".
(6) "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises".
(7) Cons. const., décision n° 2005-523 DC du 29 juillet 2005 (N° Lexbase : A1644DK4).
(8) Cons. const., décision n° 2013-341 QPC du 27 septembre 2013 (N° Lexbase : A8221KL3), considérant n° 8.
(9) Rappr. Cons. const., décision n° 2013-312 QPC du 22 mai 2013 (N° Lexbase : A6090KDW).
(10), Sur la question, lire nos obs., Les effets dans le temps des décisions QPC. Le Conseil constitutionnel, "maître du temps" ? Le législateur, bouche du Conseil constitutionnel ?, Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2013, n° 40, pp. 63-83.

newsid:439326

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.