La lettre juridique n°547 du 14 novembre 2013 : Divorce

[Jurisprudence] Les procédures de divorce et de liquidation n'ont pas le même objet... Une dualité singulière !

Réf. : Cass. civ. 1, 23 octobre 2013, n° 12-21.123, F-D (N° Lexbase : A4769KNX)

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par Jérôme Casey, Avocat associé au barreau de paris, Mulon & Casey Associés, Maître de conférences à l'Université de Bordeaux

le 14 Novembre 2013

L'arrêt commenté, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 23 octobre 2013, est de ceux qui ne manquent pas de susciter une certaine perplexité. Pas tant en raison de la solution directe qu'il pose, mais à cause de ce qu'il dit indirectement. Ce qui était en cause en l'espèce, c'était la durée d'une interminable procédure de divorce, ainsi que la liquidation subséquente du régime matrimonial des époux (mariés sans contrat). L'ex-mari, après une attitude procédurale pour le moins difficile, décida d'assigner l'Etat français sur le double fondement de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7823HN3) et de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), pour dysfonctionnement du service public de la justice. Il fallait oser, car après avoir multiplié les recours, les incidents, et même fait changer le notaire judiciairement désigné pour le partage, un esprit cohérent se serait dit que la lenteur reprochée était certainement moins due à un dysfonctionnement qu'à un excès personnel de zèle procédural... Avec raison, la cour d'appel de Paris le débouta (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 13 mars 2012, n° 10/18533 N° Lexbase : A5624IEZ). Décidé à en découdre, il forma alors un pourvoi, qui est rejeté par la Cour de cassation dans l'arrêt commenté du 23 octobre 2013. Nul doute qu'à ses yeux ce n'est là qu'une étape vers Strasbourg...

Sur la question relative à la CESDH proprement dite, on laissera à des auteurs autrement plus chevronnés en droit de cette belle matière le soin de disserter à l'infini sur le point de savoir si une procédure de divorce entamée en 1997 et terminée en 2004 est trop longue, et de même de savoir si une procédure de liquidation débutée en 2005 et ayant donné lieu à un deuxième procès-verbal de difficultés en 2009, est au-delà du raisonnable. Pour notre part, vu l'acharnement procédural du demandeur, nous ne pouvons qu'approuver la position de la Cour de cassation, laquelle a fait sienne la position des conseillers d'appel, qui, en résumé, opposaient sa propre turpitude procédurale au demandeur pour lui refuser toute indemnisation. Sept ans pour un divorce ayant mobilisé tous les degrés de juridiction possibles, cela ne semble pas excessif. De même, quatre années, avec changement de notaire imposé, ne constituent pas une durée anormale pour la liquidation, très contestée, du régime matrimonial (surtout que les juges du fond ont bien noté que le notaire avait respecté l'ancien délai de un an et six mois pour le partage judiciaire). De sorte que, chaque procédure prise isolément n'atteignait sans doute pas le niveau requis pour encourir les foudres de la CEDH. Prises isolément, oui... Mais prises ensemble ? Cela fait alors 11 ans, ce qui commence certainement à faire un peu beaucoup.

C'est cette seconde approche que la Cour de cassation refuse, en répondant au premier moyen que "la procédure tendant au prononcé du divorce et celle relative à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux des époux n'ayant pas le même objet, la cour d'appel a à bon droit procédé à un examen séparé des deux procédures pour apprécier le caractère raisonnable des délais de jugement". L'honneur est sauf, parce qu'il s'agit de deux procédures distinctes par leur objet.

A priori, nul n'en disconviendra. D'abord le divorce, puis la procédure de liquidation partage. Chacune possède un objet bien différencié, c'est indéniable, et chacune commence par une assignation spécifique. Quoique... Est-ce si sûr ? Tout d'un coup le doute assaille l'annotateur, et l'évidence se dissipe dans les brumes d'une récente querelle doctrinalo-judiciaire : les deux procédures sont-elles si distinctes que cela ? Pour ceux de nos lecteurs qui auraient raté les épisodes précédents, il faut rappeler qu'un débat assez vif s'est instauré entre une partie de la doctrine et la Cour de cassation sur la façon d'articuler la procédure de divorce et celle du partage judiciaire. Une première opinion soutenait qu'il existait deux temps biens distincts, ce qui conduisait le juge du divorce à se dessaisir une fois le divorce prononcé, les parties étant renvoyées à s'entendre à l'amiable sur la liquidation, l'assignation en partage (nouvelle instance) n'intervenant qu'en l'absence de tout accord. Une seconde opinion soutenait, au contraire, qu'il était vain d'obliger à une phase amiable des parties qui n'étaient pas parvenues à s'entendre en présence d'un notaire "255, 10" (cf. C. civ., art. 255, 10° N° Lexbase : L2818DZE), et que mieux valait alors (précisément pour ne pas allonger inutilement les délais) considérer qu'il existe un "continuum" entre les deux procédures, avec pour conséquence que le juge du divorce peut désigner un notaire, et que la phase de partage judiciaire démarre alors sans autre formalité (et sans assignation spécifique).

On sait que la Cour de cassation a consacré la seconde opinion par trois arrêts fort remarqués du 7 novembre 2012 (1), et que cette jurisprudence fut réitérée en 2013 (2). Quels que soient les regrets que nous avons pu en concevoir à titre personnel, nous nous étions résigné à vivre avec ces arrêts (et ceux qui leur suivraient), convaincus que la première chambre civile ne changerait pas sa jurisprudence de sitôt. Pour tout dire, nous en étions même arrivé à nous dire que le temps montrerait les avantages d'une solution que nous peinions à comprendre et qu'il fallait faire confiance à la sagesse de nos Hauts magistrats qui n'avaient de toute évidence pas pris leur décision sans y réfléchir soigneusement. Mais cela, c'était jusqu'à la découverte de l'arrêt ici commenté. Car enfin, si la théorie du "continuum" possède quelque sens et quelque logique, c'est bien parce qu'elle postule que les deux procédures ne sont pas si distinctes que cela l'une de l'autre. En mettant de côté les critiques qu'une telle affirmation peut susciter, on est bien obligé d'admettre qu'il existe un lien entre les deux procédures. C'est bien pour cela que la thèse des auteurs qui soutenaient qu'il existait deux temps, deux procédures, a été condamnée. Le juge du divorce ne se dessaisit pas forcément. Il peut rester saisi, nommer un notaire et faire basculer l'ensemble en procédure de partage judiciaire.

Soit. Mais alors, comment concilier cela avec le motif du présent arrêt, lequel affirme précisément que les deux procédures ont un objet différent ? Nous avons beau retourner ce motif dans tous les sens, rien n'y fait : il affirme bien l'existence de deux procédures distinctes pour justifier l'absence de caractère déraisonnable des délais de jugement. La contradiction entre les deux jurisprudences nous semble irréductible. Certes, on dira probablement que l'arrêt du 7 novembre 2012 consacre un "continuum" sans affirmer clairement que c'est une seule et même procédure. Mais l'argument nous paraît verbeux : en condamnant la thèse de la dualité de procédures, la Cour de cassation n'a pu vouloir dire autre chose que cela. D'où le heurt direct avec le présent arrêt.

On peut aussi répondre que la décision commentée a été rendue sur le droit de la CEDH, et pas du tout sur les questions de procédures ayant conduit à l'arrêt du 7 novembre 2012. C'est vrai. Mais cela ne change rien au fond du problème : soit il y a deux procédures, soit il y en a une seule.

Il faudra donc attendre la suite de ce feuilleton pour savoir ce qu'il en est. Toutefois, nous voudrions faire observer, pour finir, que cette ambigüité pourrait bien finir par aider le demandeur de la présente affaire, ce qui serait un comble. En effet, la France passera certainement pour passablement hypocrite lorsqu'elle affirme qu'il y a deux procédures distinctes ici, pour éviter de condamner l'Etat français, alors qu'elle dit le contraire ailleurs... A moins, bien sûr, que cet arrêt marque un début d'abandon, tout en douceur, de la jurisprudence du 7 novembre 2012... Après tout, c'est de saison, il est permis de croire au Père Noël....


(1) Cass. civ. 1, 7 novembre 2012, 3 arrêts, n° 12-17.394, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4319IWU), n° 11-10.449, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4311IWL), n° 11-17.377, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4313IWN). Parmi une doctrine fournie, v., E. Buat-Menard, Pouvoirs liquidatifs du juge du divorce : suite ou fin de l'imbroglio procédural ? AJF, 2012, p. 607 ; A. Depondt, Divorce et partage, une même instance ?, AJF, 2013, 87 ; J. Combret et N. Baillon-Wirtz, Liquidation et partage après divorce : une réforme urgente s'impose, JCP éd. N, 2013, 1036 ; nos obs., Articulation de divorce et de la procédure de liquidation-partage : la Cour de cassation se fait législateur, Gaz. Pal., 23-24 novembre 2012, p. 17 ; M. Nicod, La désignation du notaire liquidateur par le juge du divorce, sol. Not. 2/13, Doc. 53 ; S. Ferré-André, Du divorce au partage il n'y avait qu'un pas, où comment la Cour de cassation l'a mal franchi, Rev. Procédures, mai 2013, Etudes 6 ; il est au demeurant fort instructif de lire ce qu'en disait l'Avocat général, v. P. Chevalier, Gaz. Pal., 5 et 6 décembre 2012, p. 5.
(2) Cass. civ. 1, 12 juin 2013, n° 12-18.211, F-D (N° Lexbase : A5719KGW) ; Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, n° 12-18.512, F-P+B ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 9423795, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. civ. 1, 11-09-2013, n\u00b0 12-18.512, F-P+B, Cassation partielle", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A1658KLY"}}).

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