La lettre juridique n°561 du 6 mars 2014 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La suprématie du cycle électoral (à propos de quatre arrêts en date du 19 février 2014) : le mieux, ennemi du bien ?

Réf. : Cass. soc., 19 février 2014, quatre arrêts, n° 13-16.750 (N° Lexbase : A7649MEZ), n° 13-20.069 (N° Lexbase : A7613MEP), n° 12-29.354 (N° Lexbase : A7747MEN), n° 13-16.750 (N° Lexbase : A7684MEC), FS-P+B+R

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N1103BUE

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 10 Mars 2014

Dans quatre décisions en date du 19 février 2014, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme que la représentativité syndicale s'apprécie une fois pour toute à la fin du cycle électoral applicable dans l'entreprise, quelles que soient les modifications qui pourraient ultérieurement affecter son périmètre (I). Justifiée par un impératif de stabilité syndicale, cette solution nous semble excessive lorsque les modifications l'affectent substantiellement (II).
Résumé

La représentativité des organisations syndicales est établie pour toute la durée du cycle électoral, peu important la prise en location-gérance d'autres établissements où un autre syndicat aurait été reconnu représentatif (arrêts n° 431 et n° 438) ou le transfert des contrats de travail des salariés résultant de la cession de l'un de ses établissements (arrêts n° 433 et n° 435).

Commentaire

I - L'intangibilité du cycle électoral

Intérêt de la décision. Dans un arrêt rendu le 13 février 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait précisé que l'appréciation de "la représentativité des organisations syndicales [...] est établie pour toute la durée du cycle électoral" mais avait précisé que la solution s'entendait "dans un périmètre donné" (1), entraînant des interprétations diverses en cas de modification intervenue dans le périmètre de l'entreprise en cours de cycle, certains auteurs déduisant logiquement de la formule qu'il faudrait alors réviser la mesure (2), d'autres au contraire que "la théorie du cycle électoral, appliquée de manière dogmatique, s'y oppose" (3).

C'est à cette question que la Cour de cassation apporte une première réponse dans ces quatre décisions qui tranchent en faveur de la thèse de l'intangibilité du cycle électoral.

Les faits. Dans deux des quatre décisions rendues le 19 février 2014, le périmètre de l'entreprise (la société Colas) s'était élargi, après la dernière mesure de la représentativité, par la prise en location-gérance d'établissements supplémentaires : 25 s'ajoutant aux 16 existants dans la première affaire (arrêt n° 431), 15 s'ajoutant aux 12 existants dans la seconde (arrêt n° 438). Dans les deux autres décisions, le périmètre de l'entreprise (la société ISS logistique) s'était, au contraire, restreint par la cession, en cours de cycle électoral, de certaines activités et des contrats des salariés qui y étaient affectés (arrêts n° 433 et n° 435).

Dans les deux premières affaires, un syndicat, qui n'avait pas atteint le score électoral de 10 % lors de la mesure, avait désigné un délégué syndical au niveau de l'entreprise après avoir refait ses comptes et intégré les suffrages acquis lors des dernières élections des établissements qui avaient rejoint entre temps l'entreprise, et dans lesquels il était représentatif. Dans les deux autres, c'était, en revanche, la représentativité d'une organisation syndicale qui était discutée après la perte d'une partie de l'entreprise, au motif qu'elle était ainsi passée sous la barre fatidique des 10 %.

Si, dans trois des quatre affaires, les juridictions n'avaient pas tenu compte des modifications intervenues dans le périmètre de l'entreprise, dans l'une d'entre -elle le tribunal d'instance avait observé que "le principe de fixité de la représentativité des organisations syndicales pour la durée du cycle électoral n'a vocation à s'appliquer que dans un périmètre donné mais non, sauf à méconnaître l'expression d'une grande partie des salariés, dans une entreprise dont les composantes et la communauté de travail sont profondément modifiées par des adjonctions d'établissements et d'effectifs qui conduisent à augmenter de plus du double le nombre d'établissements et de salariés et qu'il ne résulte pas des dispositions des articles L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) et L. 2143-5 (N° Lexbase : L6223ISB) du Code du travail que, dans le cas d'une telle modification du périmètre de l'entreprise, la représentativité des organisations syndicales, telle que mesurée avant l'opération d'adjonction d'établissements nouveaux, doit être figée jusqu'à l'achèvement du cycle électoral en cours".

La solution. Les trois jugements n'ayant pas modifié la mesure sont confirmés, et celui, qui avait tenu compte de l'adjonction de nouveaux établissements pour procéder à une nouvelle mesure, est cassé.

Dans les quatre décisions, la Cour reprend la même formule selon laquelle "la représentativité des organisations syndicales est établie pour toute la durée du cycle électoral", et la précise pour tenir compte des hypothèses : s'agissant des deux arrêts concernant l'accroissement du périmètre (arrêts n° 431 et n° 438), la Cour précise que cette règle vaut "peu important la prise en location-gérance d'autres établissements où ce syndicat avait été reconnu représentatif" ; s'agissant des deux autres décisions où le périmètre s'était au contraire réduit, la Cour, reprenant les affirmations du juge d'instance, précise que la représentativité reste acquise indépendamment "du transfert des contrats de travail des salariés résultant de la cession de l'un de ses établissements" (arrêts n° 432 et n° 435).

Précision. Pour que la solution soit bien comprise, il semble utile de s'attarder sur l'arrêt ayant prononcé une cassation, car les arguments développés par le juge d'instance semblaient pertinents. Ce dernier avait, en effet, accepté de réexaminer la représentativité au sein de l'entreprise après avoir observé que les modifications apportées au périmètre avaient conduit "à augmenter de plus du double le nombre d'établissements et de salariés". En d'autres termes, l'intangibilité des résultats issus de la mesure vaut quelle que soit l'importance des modifications ayant affecté le périmètre de l'entreprise.

II - La stabilité au détriment de la légitimité

Une solution de facilité et de stabilité. On comprend aisément pourquoi la Cour de cassation a retenu cette solution, à la fois pour des raisons de simplicité et de stabilité (4). En figeant, une fois pour toute, la mesure d'audience à la date de la fin du précédent cycle électoral, la Cour confère aux organisations syndicales une véritable stabilité : celles qui ont été reconnues comme étant représentatives le demeurent pour au moins deux ans (selon la durée retenue pour les mandats dans l'entreprise), et celles qui ne l'étaient pas continueront, si elles sont affiliées ou implantées, d'exercer les prérogatives syndicales dans l'entreprise dans la perspective des prochaines échéances électorales.

La solution privilégie donc à la fois la stabilité et la simplicité puisque le chef d'entreprise ne sera pas obligé de tenir, au fil de l'eau, une sorte de tableau de bord de l'état des forces syndicales dans l'entreprise, et de réajuster les modes de représentation syndicale en demandant aux organisations qui auraient perdu leur représentativité de bien vouloir révoquer le mandat de leur délégué syndical (5), et en permettant à celles qui le seraient devenu, de désigner de nouveaux délégués, ce qui aurait d'ailleurs également des répercussions sur la composition du comité d'entreprise dans les entreprises de moins de trois cents salariés (6).

Une solution déconnectée de la légitimité syndicale dans l'entreprise. Si on comprend que la solution retenue est la plus simple et la plus stable, on ne pourra pas ne pas observer qu'elle entraîne une déconnection importante entre la réalité syndicale de l'entreprise et sa retranscription au travers de la reconnaissance de la représentativité syndicale et ce, alors que la réforme de la démocratie sociale intervenue en 2008 visait précisément à reconnecter l'exercice des prérogatives syndicales avec la réalité des urnes.

La non-prise en compte des événements mineurs affectant le périmètre de l'entreprise n'est pas, ici, réellement en cause car elle n'est pas susceptible d'affecter de manière significative la représentativité réelledes organisations syndicales, même si elle pourrait entraîner de légers franchissements de seuils.

Mais en cas de modifications significatives du périmètre le hiatus semble problématique, comme cela avait été le cas dans les deux décisions concernant la société Colas puisque dans l'une des affaires (arrêt n° 438) le nombre des salariés et des établissements avait été plus que doublé.

Par ailleurs, la solution ne distingue pas selon qu'il s'agit de retirer au syndicat sa représentativité, ou d'en admettre de nouveaux, ou d'un accroissement du périmètre, ou de réduction et ce, alors que les situations ne sont pas les mêmes et pourraient justifier des réponses différentes.

Portée. Dans ces quatre arrêts, la question d'une éventuelle mesure en cours de cycle s'était posée s'agissant d'entreprises dont le périmètre avait été modifié. Reste à déterminer la portée de ces décisions pour les UES et les groupes en cas d'adjonction ou de perte d'entreprises, ou d'établissements appartenant à ces entreprises. Il semble que la généralité de la règle ici affirmée, fondée sur une recherche de stabilité et de simplicité, impose la même solution.

Proposition alternative. On se demande, compte tenu des réserves formulées, si une solution inspirée des règles qui prévalent pour les institutions représentatives de l'entreprise en cas de modification de l'effectif en cours de mandats ne serait pas préférable (7). En cas de franchissement de seuil à la hausse, on sait en effet que l'employeur doit organiser les élections professionnelles dans des délais qui ont, d'ailleurs, été rallongés en 2013 (8). En cas de diminution significative de l'effectif en dessous du seuil de mise en place du comité d'entreprise, l'article L. 2322-7 du Code du travail (N° Lexbase : L2717H9I) exige, pour que le comité soit supprimé, soit un accord unanime des organisations syndicales intéressées, soit une décision de l'autorité administrative "en cas de réduction importante et durable du personnel".

Ne pourrait-on pas souhaiter, contrairement à la solution retenue dans les quatre arrêts commentés, que tout en affirmant le principe de la pérennité de l'établissement de la représentativité syndicale dans l'entreprise pour toute la durée du cycle, la Cour admette qu'une nouvelle mesure puisse avoir lieu, en cas de modification importante et durable du périmètre, soit dans le cadre d'un accord avec l'ensemble des organisations syndicales intéressées (9), soit d'une décision prise en ce sens par le juge d'instance ? Ne serait-ce pas concilier de manière plus judicieuse stabilité et représentativité réelle ?


(1) Cass. soc., 13 février 2013, n° 12-18.098, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7707I7L) et lire G. Auzero, Représentativité syndicale dans l'entreprise : la consécration de la règle du cycle électoral, Lexbase Hebdo n° 518 du 28 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5967BT8) ; Dr. soc., 2013, p. 374, note F. Petit ; D., 2013, p. 2599, note P. Lokiec et J. Porta ; JCP éd. S, 2013, n° 15, p. 35, note E. Jeansen ; Dr. Ouvrier, 2013, p. 779, note F. Canut ; RDT, 2013, p. 418, note I. Oudoul-Asorey ; CSBP, 2013, n° 251, p. 128, note L. Pécaut-Rivolier ; JCP éd. G, 2013, p. 664, rapp. B. Aldigé.
(2) En ce sens, G. Auzero, préc.
(3) E. Jeansen, préc.. G. Bélier et H.-J. Legrand, La négociation collective en entreprise, Liaisons sociales, 3ème éd., 2012, n° 126, p. 111.
(4) Selon le communiqué accompagnant les arrêts du 13 février 2013, et concernant singulièrement la prise en compte éventuelle des élections partielles : "Tout en insistant sur l'importance d'une représentativité réellement en phase avec le choix des salariés, les partenaires sociaux ont, en grande majorité, souligné la nécessité pour la représentation en entreprise et pour la négociation collective de donner aux organisations syndicales représentatives une stabilité dans leur mission. [...] La Chambre sociale a décidé de privilégier cette stabilité et la sécurité des négociations collectives en optant pour une mesure de la représentativité pour la durée du cycle électoral (en principe de quatre ans) couvrant le périmètre concerné, peu important les élections intermédiaires".
(5) Pour le rétrograder comme représentant de la section syndicale, à condition toutefois qu'il ne s'agisse pas d'un délégué central car il n'existe pas de représentant de la section syndicale central.
(6) Puisque dans celles-ci ce sont les syndicats représentatifs
(7) Sur les franchissements de seuil ; F. Petit, Les effets de seuils électoraux en matière syndicale depuis la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, Commentaire de deux arrêts rendus le 22 septembre 2010, Dr. Ouvrier, 2010, p. 654.
(8) Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi, art. 23 (N° Lexbase : L0394IXU)
(9) Il s'agit des syndicats reconnus représentatifs lors de la précédente mesure, ainsi que de ceux qui ont présenté des candidats au premier tour des élections professionnelles organisées tant dans l'ancien périmètre que dans les établissements nouvellement intégrés.

Décisions :

1° Cass. soc., 19 février 2014, n° 13-16.750, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7649MEZ).

Rejet (tribunal d'instance de Nantes, contentieux des élections professionnelles, 3 mai 2013).

Textes concernés : C. trav., art. L. 2327-6 (N° Lexbase : L9892H8U), L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN) et L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9).

Mots clef : représentativité syndicale ; cycle électoral.

Lien base : (N° Lexbase : E1797ETQ).

2° Cass. soc., 19 février 2014, n° 13-20.069, Arrêt n° 433 FS-P+B+R (N° Lexbase : A7613MEP).

Rejet (tribunal d'instance de Paris 17ème, contentieux des élections professionnelles, 14 juin 2013).

Textes concernés : C. trav., art. L. 2121-1, L. 2122-2 (N° Lexbase : L3804IBI), L. 2143-5, al. 4 (N° Lexbase : L6223ISB), et L. 2327-6 (N° Lexbase : L9892H8U).

Mots clefs : représentativité syndicale ; cycle électoral.

Lien base : (N° Lexbase : E1797ETQ).

3° Cass. soc., 19 février 2014, n° 12-29.354, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7747MEN).

Rejet (tribunal d'instance de Paris 17ème, contentieux des élections professionnelles, 27 novembre 2012).

Textes concernés : C. trav., art. L. 2121-1, L. 2143-3 (N° Lexbase : L6224ISC) et L. 2143-5.

Mots clef : représentativité syndicale ; cycle électoral.

Lien base : (N° Lexbase : E1797ETQ).

4° Cass. soc., 19 février 2014, n° 13-16.750, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7684MEC).

Cassation (tribunal d'instance de Lyon, contentieux des élections professionnelles, 18 avril 2013).

Textes concernés : C. trav., art. L. 2121-1, L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), L. 2143-5 et L. 2327-6.

Mots clefs: représentativité syndicale ; cycle électoral.

Lien base : (N° Lexbase : E1797ETQ).

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